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Traditionalistes

Les décisions papales

En 2007, Benoît XVI autorise la célébration de la messe selon l'ancien rituel catholique au titre d'un rite « extraordinaire » et dans un souci de « réconciliation ». Deux conditions subordonnaient cette autorisation : l'existence d'une communauté de fidèles « stable » et l'autorisation de l'évêque local.

Mais le succès pastoral de ces communautés traditionalistes, aux États-Unis et en France notamment (affluence, forte présence de jeunes et de familles, vocations sacerdotales et religieuses nombreuses), conduit le pape François à prendre des mesures restrictives, afin d'éviter la constitution d'une Eglise parallèle.

Dans un motu proprio publié en juillet 2021, intitulé Traditionis custodes, le pape restreint la possibilité de célébrer la messe selon le rite d’avant le concile Vatican II. Depuis, les lieux où sont célébrées les messes selon ce rite doivent être clairement définis et l’utilisation des missels préconciliaires est strictement encadrée.

Le pape a ensuite formellement validé un rescrit le 21 juillet 2023. Celui-ci retire quasiment tout pouvoir de gestion du dossier traditionaliste aux évêques locaux, au profit du seul Vatican. Rome devient ainsi le décideur ultime sur deux points précis. Le premier est l'autorisation éventuellement accordée à de jeunes prêtres ordonnés après le 16 juillet 2021 de célébrer la messe selon l'ancien missel de 1962, en vigueur avant le concile Vatican II, surnommée « messe en latin ». Le second est la possibilité d'utiliser une église paroissiale ou d'ériger une paroisse personnelle pour la célébration eucharistique selon l'ancien rituel. Sur ces deux points, l'évêque local ne pourra plus rien décider sans le feu vert romain.

Retour vers le futur

Les traditionalistes séduisent de plus en plus de fidèles, notamment chez les jeunes. Ce "retour vers le futur" s'explique. Toute société connaît des mouvements de balancier. Ce que l'un fait, l'autre le défait, pour marquer l'histoire de son empreinte, pour ne pas faire comme celui qui nous précède. L'enfant casse le château de sable qu'un autre enfant a construit et son propre château sera détruit par un autre enfant. L'aménagement d'une maison acheté est revu pour faire à sa convenance, alors que les prédécesseurs pensaient vivre dans un paradis. Les nouveaux critiquent les anciens, sans penser qu'ils seront eux-mêmes critiqués à leur tour. Aucune institution ne survit définitivement, car toute vie est liée au changement. Seule la mort fige les choses.

Par ailleurs, Vatican II a tenté de (re)mettre l'Eglise dans le monde, notamment à travers la langue vernaculaire et le prêtre en face du peuple. La solennité et la transcendance se sont estompées au profit d'une liturgie plus sobre et accessible aux fidèles. Le prêtre préside et le peuple célèbre. Mais ce changement a oblitéré la dimension sacrée en tout homme. N'oublions pas que le sacré avec ce sentiment de tremendum et fascinens, précède le religieux. L'homme primitif a d'abord été "saisi", avant d'exprimer sa "crainte" devant les phénomènes qui le dépassaient.

Le sacré, c'est ce besoin de se raccrocher à ce qui nous dépasse, c'est d'un accès à plus grand que soi. Il est mystique mais pas forcément surnaturel. Ce n'est pas de l'idolâtrie ni une sorte de grand trou noir mais une part irréductible de l'homme. Sonia Mabrouk.

Le sacré s'exprime avec solennité, avec des gestes, des paroles et des symboles capables de transporter tout l'être. Depuis les années 1970, l'Église a délaissé la solennité au profit d'un rapprochement avec le peuple. La distinction sacré/profane s'est estompée. Les jeunes d'aujourd'hui vont chercher le faste et la pompe qui ont été perdus, en somme toute cette atmosphère qui transporte et élève le corps et l'âme vers le divin.

Ce retour de la tradition tridentine se manifeste sous de multiples formes : regain des messes célébrées selon l'ancien rituel ; davantage de textes et de prières en latin, d'encens, d'aspersions et d'agenouillements ; communion à genoux dans la bouche; prêtres revêtus de soutanes et de vêtements liturgiques d'avant la réforme, codification de chaque geste...

Il y a un nouveau besoin de religion. Ce constat émerge de divers domaines : enquêtes sociologiques, réflexions philosophiques, analyses des processus historiques en cours. Fini le temps des idéologies comprises comme une réponse totalisante à la recherche humaine de justice pour tous. La « chute des dieux » est arrivée, celle des idoles du pouvoir, de la possession et du plaisir, que le consumérisme et l’hédonisme avaient exaltés comme le substitut d’un Dieu déclaré inutile. Le besoin d’un horizon final et absolu revient, capable d’unifier les fragments du temps et du travail humain dans un plan capable de motiver la passion et l’effort. C’est surtout à ce niveau que la question religieuse réapparaît avec force : nous avons tous besoin de donner un sens à ce que nous sommes, à ce que nous faisons, et si nous additionnons les sens possibles de tous les choix et de toutes les actions vécues sans les unifier dans un sens final, la question reste insatisfaisante. Retour du sacré. Un besoin nouveau de religion, par Mgr Bruno Forte.

Les traditionalistes jugent la messe d'avant le concile Vatican II (1962-1965) comme « la messe de toujours ». Cette liturgie était célébrée depuis le XVIe siècle (concile de Trente). Diverses appellations désignent cette liturgie : Messe tridentine, messe (ou missel) de saint Pie V, « forme extraordinaire ».

Le Concile de Trente est une réponse à la contestation prostestante. Il ne répond pas à une volonté de figer dans le temps le rite de la messe. Le "de toujours" renie l'histoire en marche, une histoire qui commence avec la cène, cène qui s'enracine elle-même dans le judaïsme.

Une langue sacrée ?

Jésus n'a pas laissé de consignes sur le mode opératoire de la messe. Selon les évangiles synoptiques, la cène est un repas qui se déroule selon le rituel juif de la Pâque. Nos célébrations reprennent les paroles et gestes de Jésus :

Mt 26,26-28 Or, tandis qu’ils mangeaient, Jésus prit du pain, le bénit, le rompit et le donna aux disciples en disant : « Prenez, mangez, ceci est mon corps. » Puis, prenant une coupe, il rendit grâces et la leur donna en disant : « Buvez-en tous ; car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés.

Il est très probable que Jésus ait prononcé les paroles d’institution dans sa langue natale, l’araméen. Cette langue est toujours utilisée pour les paroles d’institution dans le rite maronite. Le latin s'est ensuite progressivement imposé dans l'Église jusqu'au concile Vatican II. Faut-il considérer le latin comme une "langue sacrée". Le mot sacré s'oppose à profane. Ce dernier signifie "devant le temple". Le sacré désigne donc ce qui s'exprime au sein du temple, ce qui est séparé du monde profane. Mais le latin sépare aussi le peuple du clergé.

Malgré la beauté de la liturgie tridentine, elle dresse à mon goût trop de barrières – aussi bien physiques que liturgiques – entre l’assemblée et Dieu, le prêtre habitant la sphère divine mais délaissant la sphère laïque avec laquelle il est censé faire le lien. La communauté des fidèles est ainsi présente pour récupérer les miettes, recevoir ce qu’on veut bien lui donner de ce Dieu qui m’a semblé tristement détaché de son peuple. Une messe dite en latin, tournant le dos à l’assemblée et marmonnant dans son coin, ainsi qu’un rite très cryptique dans son ensemble ne favorisent pas selon moi l’édification de la communauté, et il est regrettable de sacrifier cela en faveur d’une belle liturgie et du respect d’une tradition. J'ai testé la messe tridentine, par le pasteur Philippe Golaz.

Le latin est la langue officielle de l’Église catholique romaine. C'est une référence commune à toutes les traductions.

À première vue, on peut voir comme un inconvénient le fait d’utiliser une langue morte comme langue officielle. En réalité, c’est le contraire. Les langues évoluent. Ainsi, il y a des mots dont le sens change au cours des années et des siècles. Ceci n’est pas le cas pour les langues mortes. Le sens des mots ne pâtira donc pas du cours des temps. De cette façon, l’usage du latin est une garantie pour que ce que l’on écrit soit compris de la même façon aujourd’hui ou dans cinq ou dix siècles. De plus, il n’y a pas de favoritisme pour avoir choisi la langue de tel pays plutôt qu’un autre.

Le deuxième argument justifiant la pertinence du latin est que ses mots sont très précis (c’est également le cas pour le grec ancien). Par exemple, en lisant la Bible, on se rend compte des problèmes d’interprétation que peuvent susciter les langues sémitiques. Nous n’avons pas ce genre de souci avec la langue latine. En effet, c’est une langue dotée d’une logique rigoureuse, rendant les erreurs d’interprétation plus difficiles. Julio de la Vega-Hazas.

Le latin possède assurément certains avantages, mais ne faudrait-il pas pousser cette logique en lisant les textes liturgiques de l'Ancien Testament en hébreu et ceux du Nouveau Testament en grec. Nos traductions interprètent et déforment bien des mots originaux.

Par ailleurs, Jésus est venu nous rejoindre dans notre humanité, en parlant la langue des hommes. Si le latin exprime la transcendance, la langue vernaculaire manifeste l'incarnation de Dieu dans notre monde. Dans le récit des disciples d'Emmaüs, Jésus vient rejoindre les deux disciples dans leur désarroi, puis rompt le pain. Dans l'eucharistie, Jésus nous rejoint et se donne à nous. Nos célébrations ont certes perdu la dimension de repas présente aux origines, mais elles n'en demeurent pas moins un temps de communion, un "corps à corps" entre le Christ vivant et nous-mêmes.

Unité dans la diversité ?

Unité ne signifie pas uniformité. L'Église catholique se compose d'une Église romaine occidentale et de vingt-trois Églises orientales, chacune ayant son rite et sa discipline. La diversité constitue une richesse dès lors qu'elle ne nuit pas à l'unité. Celle-ci se traduit dans une même confession de foi et dans l'annonce de l'évangile. Seul le Christ est le chemin, la vie et la vérité (Jn 14,6).

Qu'est-ce que la vérité ?

Un extrait du livre de Éric-Emmanuel Schmitt "Le défi de Jérusalem", pp. 170-174.

L'architecture assemble des monuments juifs, chrétiens, musulmans, et pourtant une harmonie paradoxale se dégage de cette profusion. Le disparate s'efface, comme si les bâtiments qui se dressent vers le ciel parvenaient, en quittant le sol, à trouver un espace de concorde. Les pierres réussissent quelque chose que n'arrivent pas à réaliser les hommes : coexister. Pourquoi ? Par quelle aberration ne bénéficions-nous pas de la sagesse des pierres ? Qu'ont-elles appris qui nous échappe ? Les pierres savent qu'elles sont pierres, faites d'une matière commune, et n'ont de formes que d'emprunt. L'humanité s'obstine à l'oublier en ce qui la concerne. D'abord nous nous estimons absolument différents les uns des autres alors que nous sommes tous modelés de la même pâte humaine. Quant aux formes que revêt notre être — notre langage, notre spiritualité, notre culture —, au lieu de les reconnaître comme d'emprunt, contingentes, historiques, dues au hasard de la naissance et des circonstances, nous nous convainquons qu'elles composent un béton dont les coulures ont irrémédiablement forgé notre identité. Jérusalem me jauge à son tour. Ce n'est plus moi qui l'examine, c'est elle qui m'observe. «Te voilà chrétien, souffle-t-elle, cependant tu aurais pu demeurer athée, voire, selon les caprices de tes déplacements, baigner dans la civilisation juive ou musulmane. Relativise un peu. » Par réflexe, je me cabre. Relativiser ? Non ! Je m'insurge contre sa semonce. Rien ne s'équivaut. Même quand elles parlent d'un seul Dieu, les religions se distinguent. Quoiqu'elles aient toutes vocation à professer l'altruisme et la pureté du coeur, elles ne mettent pas l'accent sur les mêmes vertus, respect pour les juifs, amour pour les chrétiens, obéissance pour les musulmans. Pour ma part, je suis devenu croyant dans le désert du Sahara, mais chrétien, je le suis devenu en lisant les Évangiles qui prônaient le don de soi ; tout récemment, mon adhésion a été renforcée par ma révélation au Saint-Sépulcre. Je n'ai pas choisi mon Dieu, lui m'a choisi. Touché, j'ai consenti à ce qui m'est apparu, j'ai accepté la vérité. « Qu'est-ce que la vérité ? » La parole de Pilate retentit encore entre les murs de Jérusalem et m'interpelle. La cité millénaire me pose la question que le Romain avait adressée à Jésus. « Qu'est-ce que la vérité ? » Jérusalem m'avertit : avoir une religion, ce n'est pas détenir la vérité, une vérité logique que l'on prouve, une vérité découlant d'arguments qui la rendent nécessaire, une vérité universelle. « Deux plus deux font quatre », énonce une vérité, laquelle ne nous demande ni de la valider ni de la préférer mais s'impose ; si l'on désire compter, on l'utilise. En revanche, les spiritualités ne se situent pas dans ce champ-là. Elles proposent. Elles promettent. Aucune religion n'est vraie ou fausse. La mienne pas davantage qu'une autre. «Si on ne faisait que pour le certain, on ne ferait rien pour la religion car elle n'est pas certaine », rappelait Blaise Pascal. Quand on pratique un culte, on ne possède pas la vérité, plutôt une manière de vivre et de penser. La religion ne se partage pas ainsi que les axiomes ou les sentences incontournables de la raison, elle se répand parce que des individus décident de s'en imprégner, de fonder ou de rejoindre une communauté. Chaque religion est élue, pas démontrée. Lorsqu'elle n'est pas adoptée, elle est héritée. A la différence de la raison qui soumet notre esprit, la religion sollicite notre liberté. Elle lui présente une vision, un programme, des valeurs, des rites, et espère son acquiescement. Cette liberté, certains la détestent. Soit par nostalgie de la raison, soit par inquiétude, ils n'en veulent pas. Les premiers récusent toutes les religions ; les seconds excluent les confrontations qui fragiliseraient leur croyance, jugent que ce en quoi ils croient est la vérité, et virent à l'intégrisme. Ne supportant pas la contradiction, ils vilipendent l'athée, ils méprisent les convictions étrangères, ils dénoncent comme hérétique celui qui interprète dissemblablement leurs textes, ils haïssent l'altérité au point, dès qu'ils en ont les moyens, de convertir les peuples voire, en cas d'échec, de les massacrer. À la force rationnelle qui leur manque, ils substituent la force tout court. À leurs yeux, la violence reste la plus efficace façon d'éradiquer le doute. Les carnages perpétrés au nom des religions dérivent de ce rejet de la critique, d'une allergie à l'incertain.

Voilà l'histoire que les hommes ont inscrite dans Jérusalem. Or voilà également l'histoire que refuse de raconter Jérusalem. Elle nous nargue en incorporant ses strates plurielles, en juxtaposant les synagogues, les églises, les mosquées. Rare lieu au monde que les trois monothéismes considèrent comme saint, elle brandit une triple légitimité : le juif y retrouve le Temple, le chrétien le chemin de l'accomplissement christique, le musulman l'esplanade où Abraham sauva ultimement Ismaël, où Mahomet vola en songe, puis d'où, à la fin de son existence, il monta au paradis sur un cheval ailé. Jérusalem nous réveille. Ou plutôt Dieu à travers elle. Le défi que Dieu lance aux croyants, aux incroyants, outrepasse ce qu'ils s'imaginent : Dieu ne leur dit pas : « Entendez-moi ! », mais il leur crie : « Entendez-vous ! » À Jérusalem où tout a commencé, rien n'est fini. La cité trois fois sainte, théâtre des désaccords inter-religieux, nous donne à réfléchir. Il faut fraterniser les uns avec les autres. À cette tâche-là, Dieu nous somme de nous mesurer, que nous soyons juifs, chrétiens, musulmans, agnostiques. À Jérusalem plus que partout ailleurs, Dieu nous provoque, il ne nous pousse pas seulement vers le divin, il invoque notre humanité dans ce qu'elle a de pluriel, de composite, d'enclin à l'harmonie. Dieu le Père ? Alors il faut penser les trois monothéismes comme des fratries. Nous montrerons-nous un jour capables de relever le défi de Jérusalem ?

Mon christianisme ne constitue pas un savoir, mais une façon d'habiter ce que ma raison ignore. Grâce à lui, je me dirige à travers une forêt, l'obscure condition humaine. Toujours à tâtons, quoique avec toujours plus de lumière.

Quand je scrute Jérusalem, je ne sais pas ce qui, de Dieu, m'étonne le plus. Son insolence ou son humour ?