Josué
Moïse meurt avant d’entrer en terre promise. Josué, son bras droit, entreprend la lourde tâche de conquérir une terre hostile. Des peuples y vivent et doivent céder leur place sous la contrainte et la violence.
Comment prendre la ville de Jéricho ? Tout commence par une histoire d’espionnage et de prostituée. Josué envoie deux hommes espionner la ville pour repérer ses points faibles. Les espions sont recueillis et dissimulés par une prostituée, Rahab. Elle sera épargnée lors de la prise de la ville (2,1-24).
Jos 2,9 Elle leur dit : « Je sais que le Seigneur vous a donné ce pays. Vous nous inspirez une si grande terreur que chacun ici a perdu tout courage à cause de vous. 10 Nous avons appris, en effet, que le Seigneur a asséché la mer des Roseaux pour vous permettre de la traverser, lorsque vous êtes sortis d’Égypte. Nous avons appris aussi que vous avez tué les deux rois amorites, Sihon et Og, à l’est du Jourdain, et que vous avez détruit tout ce qui leur appartenait. 11 À ces nouvelles, le cœur nous a manqué et personne ne se sent plus le courage de vous résister. En effet, le Seigneur, votre Dieu, est Dieu en haut dans les cieux et ici-bas sur la terre.
Rahab figurera dans la généalogie de Matthieu, au titre des ancêtres de Jésus.
Une procession s’organise autour de Jéricho. Après sept tours, les murailles tombent sous la sonnerie des trompettes et des cris de guerre. L’armée s’y engouffre et massacre tout sur son passage.
Jos 6,21 Ils exterminèrent la population de la ville, hommes et femmes, jeunes et vieux. Ils tuèrent même les bœufs, les moutons et les ânes.
Dieu respecte les termes de son alliance et intervient dans la bataille. Il met ses adversaires en déroute ; il les poursuit pour les exterminer ; il envoie des grêlons pour les tuer ; il interrompt même la course du soleil et de la lune pour manifester sa suprématie sur les forces naturelles (Jos 10,10-13).
Cette violence dérange. Mais toute institution d’un peuple se forge dans des actes plus ou moins répréhensibles. La guerre de Troie, les invasions barbares, le djihad islamique, la Reconquista, la conquête de l’Ouest... se trament dans la brutalité, les viols et les meurtres sanglants. Le récit de fondation du peuple d’Israël confirme l’omniprésence de la violence dans les conquêtes humaines. Pourrait-il en être autrement ? Aucun peuple n’accueille des étrangers les bras ouverts en disant prenez nos terres, nos femmes et nos maisons. La guerre est inévitable.
Le plus dérangeant n’est pas la guerre, mais l’attitude de Dieu qui, selon l’auteur, joue un rôle déterminant dans les batailles. Loin d’être un spectateur passif ou un secours spirituel, Dieu combat ceux qui se mettent en travers de la promesse originelle : donner la terre de Canaan en héritage au peuple hébreu.
Dans le récit, Dieu assume la violence et le sang versé par Israël.
C’est l’Éternel votre Dieu qui combattait pour vous (23, 3).
L’Éternel votre Dieu a dépossédé à votre profit des peuples grands et considérables. Et vous, nul n’a pu vous résister jusqu’à ce jour, un seul homme d’entre vous en combattant poursuivait mille hommes, car c’est l’Éternel votre Dieu qui combattait pour vous comme il vous l’a promis. Mais veillez bien sur vous-même en n’aimant que l’Éternel votre Dieu (23, 9-10).
La dernière demande apporte un éclairage théologique. En arrivant en terre de Canaan, les Hébreux découvrent d’autres divinités. Ils risquent de tomber dans l’idolâtrie s’ils tentent de s’accoutumer à la culture religieuse de cette nouvelle terre. Il n’y a pas d’autre alternative que de tout détruire pour éviter toute contamination. La finalité énoncée concerne la sainteté d’Israël, appelée à ne pas prononcer les noms des dieux cananéens. La présence d’autres nations sur cette terre est décrite comme une menace pour l’alliance entre Dieu et son peuple. La solution proposée est radicale : l’extermination complète des peuples qui habitent Canaan. Que se passe-t-il en cas d’idolâtrie ?
L’Éternel votre Dieu chassera les ennemis devant vous et vous conquerrez leur pays... Mais attachez-vous résolument à observer et pratiquer tout ce qui est écrit dans le livre de la doctrine de Moïse sans vous en écarter ni à droite ni à gauche. Si vous allez avec ces peuples... l’Éternel votre Dieu cessera de déposséder ces peuples à votre profit. Ils deviendront pour vous un piège et un écueil, une verge à vos flancs et des épines dans vos yeux jusqu’à ce que vous ayez disparu de ce bon pays que l’Éternel votre Dieu vous a donné (23, 5-6).
Toute défaite israélite résulte du péché. Ce principe vaut pour toute l’histoire biblique. Chaque bataille perdue, les envahisseurs et l’exil ne sont que la conséquence de la désobéissance du peuple hébreu. Aucune logique militaire n’entre en compte dans l’analyse de la défaite.
La violence décrite dans le livre montre que le peuple hébreu est un peuple comme les autres, avec ses errances et ses quêtes. Il n’est saint que parce que choisi par Dieu, mais nullement au sens moral de ce terme.
Les choses se sont-elles passées telles que décrites ? Les archéologues nous apprennent que la muraille de Jéricho n’existait plus et que la ville était déserte au moment de l’entrée du peuple hébreu en Canaan. L’histoire ne nous a laissé aucune trace de cette conquête, ni des exterminations des peuplades en place.
Dieu a-t-il vraiment voulu donner cette terre à des Hébreux ? Ne s’agit-il pas plutôt d’une interprétation théologique d’un événement bien marginal dans l’histoire, mais qui prend un relief théologique considérable ?
Dire que Dieu inflige une défaite ou offre la victoire, dans de cruelles conditions, est une expression de foi en un temps ou un peuple découvrait une divinité. Il faudra beaucoup de siècles pour que cette image de Dieu se purifie.
Contexte politique et culturel: la domination assyrienne. La puissance assyrienne prend son essor au VIIIe siècle et se développe dans tout le Proche-Orient ancien. L’Israël du Nord-est annexé (chute de Samarie, 722), Juda devient vassal et doit verser un lourd tribut. Quel rapport avec le livre de Josué? Ce qui est déterminant, c’est de savoir que « [l]es Assyriens diffusaient des documents juridiques et de propagande dans lesquels le roi d’Assyrie exigeait la soumission totale de ses vassaux et où l’on célébrait les victoires assyriennes et l’extermination de tous les ennemis d’Assur » (dieu tutélaire de l’Assyrie) (Römer, p. 77). C’est avec le langage et les moyens de l’époque que des milieux juifs contestataires ont affirmé l’exclusivité du culte à Yhwh et sa puissance. Le livre du Deutéronome reflète tant dans sa structure que par certains détails les traités de vassalité assyriens liant les vassaux à leur roi: « “Tu aimeras Assurbanipal, […], fils d’Assarhaddon, roi d’Assyrie, comme toi-même” (Traité d’Assarhaddon, 672 av. J.-C.) » (Römer, p. 78). « Si l’on place le Dt dans le contexte de la domination assyrienne, écrit Römer, son message peut se résumer comme suit: oui, Israël a un suzerain [= Yhwh] à qui il doit fidélité absolue. » Georges Daras, voir bibliothèque.