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Le projet originel

L'univers

Création

Un avènement liturgique

Création

Un rituel en 7 actes

Le mot rite est tiré du sanscrit r’tam et signifie la mise en ordre. Le mot rythme est tiré de cette racine. La création est une mise en ordre (en musique) des éléments.

Chaque acte comprend une ou plusieurs scènes, au cours desquelles Dieu prend la parole. Car le processus de création est un processus d’énonciation effective. C’est une parole performative. Dieu dit, et cela est. Chaque acte montre ainsi la Parole de Dieu à l’œuvre.

Nous voyons aussi que la Trinité est déjà présente. Même si ce concept ne sera défini qu’avec Tertullien au IIème siècle après J.-C., le Père est présent en tant que Dieu créateur, le Fils à travers la parole (le Verbe), et l’Esprit à travers le souffle (la ruah).

L’origine des 7 jours : 7 planètes connues dans la cosmologie de l’époque. A chaque jour correspond un astre.

Acte 1 : Du chaos à l’ordre (Gn 1,2-5) À partir du chaos (une terre tohû wabohû, vide et informe…), Dieu (toujours appelé Elohim dans ce récit) commence par s’affronter à l’abîme soulevé par un souffle tempétueux. Toute la scène se déroule dans les ténèbres, et la première parole divine suscite le surgissement de la lumière. Cette lumière, qualifiée de « bonne », est alors séparée des ténèbres. Ce verbe « séparer » (badal) revient à plusieurs reprises dans le récit. Il indique que l’oeuvre créatrice consiste à mettre de l’ordre au sein d’un chaos indifférencié. Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place… Et un nom pour chaque chose ! Le premier acte se termine par la nomination de la lumière et des ténèbres. Avoir un nom, c’est avoir une place dans l’ordre cosmique voulu par Dieu. Un refrain scande chaque acte : Dieu vit que cela était bon. L’acte se conclut par un autre refrain « il y eut un soir et il y eut un matin » qui sert de transition entre chaque épisode.

Acte 2 : En haut et en bas (Gn 1,6-8) Dans le second acte il s’agit de séparer les eaux d’en haut (d’où provient la pluie) des eaux d’en bas (d’où proviennent les sources). Pour cela, Dieu établit une frontière entre le haut et le bas, qu’il nomme « raqia », terme traduit habituellement par « firmament». Pour l’auteur biblique, il s’agit d’une véritable voûte solide et transparente. Un nouveau verbe fait son entrée dans le récit : Dieu façonne (fit) littéralement (asah) le firmament, tel un artisan qui élabore son oeuvre. Au terme de cet acte, le ciel est désormais séparé de la terre. Le récit va dès lors se focaliser sur cette dernière.

Acte 3 : Au sec (Gn 1,9-13) Pour l’heure, les eaux d’en bas inondent la totalité de la planète. L’étape suivante consiste à faire émerger de la terre ferme, et pour cela, opérer une nouvelle séparation. Par une troisième parole, Dieu regroupe les eaux dans un territoire délimité, nommé « mer », nettement distingué de la « terre ». La seconde scène de cet acte est la création de la végétation, toujours sous l’impulsion d’une parole divine. Herbe verte, céréales, arbres fruitiers… Tous désormais peuvent pousser sur une terre irriguée par les eaux, mais point menacée par elles.

Acte 4 : Lampadaires et chronomètres (Gn 1,14-19) Le récit délaisse alors la terre pour revenir au ciel, avec la création des astres. Le récit est très subtil et évite de les nommer. Il évoque simplement le grand et le petit luminaire, sans utiliser leurs noms de « soleil » et « lune », qui sont considérés comme des divinités dans les religions de l’ancien Orient. Dans la Bible, les astres ne sont pas des dieux, mais de simples objets utilitaires, dont la fonction première est d’éclairer et de permettre le décompte du temps.

Acte 5 : Habiter le ciel et la mer (Gn 1,20-23) Il s’agit maintenant de peupler cette terre bien structurée. Pour ce faire, le récit reprend les grandes étapes précédentes : habitants du ciel, de la mer et enfin de la terre ferme. Ce cinquième acte est consacré aux oiseaux et aux animaux aquatiques. Parmi eux, le récit distingue les tannînîm (serpents de mer), les grands monstres marins. Dans les mythologies mésopotamiennes, ces géants des mers étaient des monstres hostiles que les divinités devaient mater au prix de violents combats. Ici, ce sont de simples créatures inoffensives au regard de Dieu, qui les qualifie également de bonnes. Pour la première fois dans le récit, il est fait mention d’êtres « vivants ». Littéralement, il s’agit d’une nephesh vivante, le terme nephesh pouvant être traduit par âme ou par gorge, car il s’agit de l’organe par lequel le souffle entre dans l’être. Le même terme sera utilisé pour qualifier l’homme suite à sa création à partir de l’argile et du souffle de Dieu. Pour l’auteur, vivre, c’est respirer ! Pour la première fois également, Dieu s’adresse à sa création. Il bénit les animaux et leur demande de se multiplier à foison pour peupler la terre.

Acte 6 : Et le gagnant est... (Gn 1,24-31) Deux scènes pour cet avant-dernier acte. La première concerne la création des animaux terrestres. Toujours sous l’impulsion d’une parole divine, la terre produit bestiaux, bestioles et bêtes sauvages selon leur espèce (mîn). Ces versets ont été parfois sollicités pour tenter de démontrer que la théorie de l’évolution des espèces était incompatible avec la révélation biblique… En fait, il est imprudent de traduire mîn par espèce au sens biologique du terme. Pour l’auteur biblique, il s’agit d’opérer une classification des animaux, mais pas de se prononcer sur la généalogie qui relie les différentes sortes d’animaux (le terme mîn sert surtout dans le Lévitique à distinguer entre animaux purs et impurs)
La seconde scène est consacrée à la création de l’homme. Celui-ci se distingue nettement des animaux en étant façonné à l’image de Dieu. L’homme est d’emblée créé sexué, mâle et femelle qui sont placés sur un strict pied d’égalité. C’est une différence majeure avec le second récit de création qui évoque Ève façonnée à partir de la côte (côté) d’Adam.
L’homme est également placé en situation de domination sur l’ensemble de la terre (v. 28) : « Dieu les bénit et leur dit : Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la ; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre ». Les versets 30-31 fixent le régime alimentaire des hommes et des animaux. Surprise : tous sont strictement végétariens ! Ce qui signifie que nul n’a besoin de tuer pour se nourrir. Le récit établit donc un rapport pacifique entre les différents êtres vivants qui peuplent la planète. Pas de prédateurs ni de proies dans le projet divin. Dans la suite du livre de la Genèse, ce n’est qu’après le Déluge que l’alimentation carnée entre au menu. L’homme dominera sur les animaux, mais il le fera alors par la violence et il deviendra l’effroi des bêtes de la terre (Gn 9,2).
En revanche, lorsque le prophète Isaïe évoque la nouvelle création, il envisage un retour aux conditions pacifiques primordiales (le loup habitera avec l’agneau…) et il conclut par la parole divine : « On ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma montagne sainte, car le pays sera rempli de la connaissance de YHWH, comme les eaux couvrent le fond de la mer (Is 11,6-9). »
Le Seigneur porte un regard très positif sur son oeuvre : tout cela était très bon (v. 31). Aucun mal ne résulte de l’action du Créateur.

Dernier acte : Repos ! (Gn 2,1-3) Il ne reste plus à Dieu qu’à souffler un peu… Le dernier acte de la création est celui du repos divin. Désormais, la terre est placée sous la responsabilité de l’homme. Et comme son Créateur, l’homme est invité à se reposer de son oeuvre le septième jour de la semaine. Mais que va faire l’homme de cette responsabilité ? Va-t-il toujours agir à l’image de Dieu ? Ou va-t-il faire retourner la planète au chaos ? Pour connaître la suite de l’histoire, il reste au lecteur à lire tout le reste de la Bible… et à relire également sa propre histoire !

Pierre de Martin de Viviés, prêtre de la Compagnie de Saint-Sulpice, docteur en théologie et en histoire des religions.

Des séparations

Dieu crée en séparant. Il ordonne en distinguant et du chaos fait jaillir le cosmos. Il sépare le jour et la nuit, le ciel et la terre, l’homme et la femme, la distinction fondamentale entre l’humain, doué du souffle de Dieu, et le monde animal, fondé sur l’instinct. Non une séparation comme conflit, mais comme correspondance. C’est d’une différence complémentaire que jaillit toute fécondité en ce monde, celle de l’homme et de la femme étant la structure fondamentale de la création de l’humanité « à l’image et à la ressemblance de Dieu » (Gn 1). Car Dieu est, en son être même, mystère de communion et de donation réciproque. Luc de Bellescize

Dieu procède à une triple séparation : la lumière des ténèbres (Gn 1,4b), les eaux du ciel et celles de la terre (Gn 1,7), le jour et la nuit (Gn 1,14). La création de l’univers repose sur une chronologie et un agencement harmonieux. La disposition successive des éléments à travers un processus de séparation permet l’apparition des plantes, des espèces animales et enfin, apothéose de la création, de l’humanité en deux êtres distincts, mâle et femelle, créés à l’image de Dieu.

Le texte yahviste de la création reprend cette idée de séparation en mettant l’accent sur l’homme et la femme. L’humanité est originellement créée en un adam, c’est-à-dire en un être humain, sans que nous sachions si celui-ci est mâle ou femelle. Même si le texte suggère la masculinité, se reconnaître homme, au sens sexué du terme, est inconcevable sans présence féminine. La femme dévoile le masculin et l’homme révèle le féminin. L’identité sexuelle n’apparaît explicitement qu’après la création de la femme :

Alors l’Éternel Dieu fit tomber un profond sommeil sur l’adam, qui s’endormit ; il prit une de ses côtes, et referma la chair à sa place. L’Éternel Dieu forma une femme de la côte qu’il avait prise de l’adam, et il l’amena vers l’adam. Et l’adam dit : voici cette fois celle qui est os de mes os et chair de ma chair ! On l’appellera femme (isha), parce qu’elle a été prise de l’homme (ish). (Gn 2,21-23).

L’opération chirurgicale sous anesthésie générale est un langage imagé pour signifier d’une part que la création de la femme échappe à la connaissance de l’homme et, d’autre part, que les deux êtres sont de même nature, contrairement aux animaux que l’adam se contente de nommer (Gn 2,20). Nous voilà en présence d’un homme et d’une femme couramment appelés Adam et Ève et non d’un mâle et d’une femelle. La séparation révèle l’autre sexe. Le masculin naît en même temps que le féminin.

Prolongeons cette idée de séparation en comparant la création à un accouchement divin. L’enfantement suggère une conception préalable. Dieu conçoit la création en son sein à l’image de parents en attente d’un nouveau-né.

L’enfantement marque l’aboutissement de la conception originelle, à l’image d’un cordon ombilical qui serait désormais coupé. Dans le sein maternel, sorte de paradis in utero, tous les besoins sont satisfaits immédiatement, sans effort et sans avoir à demander ou à remercier. L’expulsion hors du sein divin symbolise la naissance de l’humanité appelée à prendre ses responsabilités. L’homme et la femme ont à construire leur vie dans l’exercice de cette liberté.

L’humanité est ainsi séparée de Dieu, non pas au sens d’un divorce, mais comme distance qui rend la relation possible. Tout comme l’homme et la femme se différencient en deux êtres distincts, de même, l’humanité est séparée de Dieu pour se rencontrer dans le cadre d’une alliance.

À l’image de Dieu

L’humanité constitue l’apogée de la création divine. Elle bénéficie d’une attention particulière aux yeux de Dieu, parce qu’elle est créée à son image contrairement aux espèces végétales et animales. Qui oserait prétendre en se voyant nu dans un miroir qu’il est à l’image de Dieu ? La bible ose affirmer cette extraordinaire similitude entre Dieu et l’adam :

Puis Dieu dit : faisons l’adam à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre. Dieu créa l’adam à son image, il le créa à l’image de Dieu, il les créa mâle et femelle . (Gn 1,26-27).

Nous avons l’habitude de confesser que Dieu nous crée à son image et à sa ressemblance. Le récit comporte une nuance. Dieu crée l’adam à son image et laisse la ressemblance en suspens. La délibération initiale « faisons » comportait bien les deux termes. Dieu aurait-il changé d’avis après avoir consulté la cour céleste ? L’image nous est donnée alors que la ressemblance relève de notre vocation. Nous sommes créés mâles et femelles appelés à devenir hommes et femmes.

La liberté

La création d’une liberté

Dieu met au monde une liberté :

Mettre au monde, donner naissance, surtout quand il s’agit d’une liberté, voilà une œuvre de toute-puissance infiniment plus grande que de créer des galaxies ou d’ordonner les entrailles de la matière. C’est quelque chose de beaucoup plus imprévisible .

Le mouvement des planètes, la force du vent, la vitesse de la lumière sont des événements mesurables, quantifiables et prévisibles que les savants sont désormais capables de mettre en équations. Mais la liberté humaine échappe à toute emprise et à toute puissance. Sans doute que la torture ou la manipulation obligent quelqu’un à penser et à agir contre son gré, mais Dieu ne dispose pas de ces pouvoirs. La liberté est la plus grande trace de la dignité humaine à l’égard de Dieu. Elle est inviolable.

L’acte de créer implique une liberté nouvelle et imprévisible. Toute création est risquée, car elle inaugure une nouveauté radicale, inconnue jusqu’alors et qui bouleverse l’existant. Comme les parents face à un nouveau-né, Dieu accepte de ne plus être seul maître à bord. En remettant à l’homme des pouvoirs, les siens, Dieu renonce à gouverner tout seul. En acceptant de donner naissance à un être différent de lui-même, pourtant à son image, Dieu choisit de ne plus être maître de toute chose. En créant l’humanité, Dieu met un frein à l’exercice de sa souveraineté. Dieu s’autolimite. Et l’amour n’est jamais que la rencontre de deux libertés.

Façonner notre liberté

Dieu nous façonne comme une glaise à partir de la poussière du sol. Tel un potier, il nous donne forme à son image. Comme nous l’avons déjà évoqué, la ressemblance relève de notre liberté. Alors que l’image nous est offerte, la ressemblance est à construire dans l’exercice de nos décisions et de nos responsabilités. Mais notre liberté, n’est-elle pas également « façonnable » ?

Reconnaissons tout d’abord que notre milieu de vie, notre éducation et nos expériences nous conditionnent. Nous naissons et grandissons au sein d’une culture. Nous héritons aussi d’une religion qui façonne notre relation à Dieu. La religion familiale devient souvent la nôtre, qu’il s’agisse du christianisme, du judaïsme ou de l’islam pour ne citer que les religions monothéistes. Comment choisir librement sa propre route dans ces conditions ?

Pour aborder cette question, commençons par définir la liberté. Pour beaucoup de personnes, elle consiste à pouvoir faire une chose ou son contraire sans considération de bien ou de mal. Ainsi dans le cadre d’une union conjugale nous sommes libres de tromper notre partenaire ou de lui demeurer fidèles. Nous sommes tout-puissants pour décider du bien et du mal. Mais serons-nous vraiment libres une fois l’adultère commis ? Ne serons-nous pas enchaînés au mensonge et à la fuite en avant au risque de tout perdre et donc de provoquer la mort comme Adam et Ève ? La possibilité de choisir relève du libre arbitre. Notre choix conditionne notre liberté.

Dieu ne pouvait-il pas nous rendre libres et heureux dès l’origine, sans que le mal ne vienne ternir ce bonheur ? Serions-nous seulement en capacité de recevoir un tel don du fait de notre humanité ? Dieu nous offre la liberté comme un état à conquérir avec notre libre arbitre. Être obligé de faire le bien déprécie le bien. Celui-ci n’a de valeur que dans la possibilité du mal. La lumière n’éclaire que par rapport aux ténèbres. Comme le souligne Beaumarchais, « Sans la liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flatteur. » L’éloge perd sa portée si notre interlocuteur n’est pas libre de nous blâmer. De même l’amour perd son sens sous la contrainte ou dans la peau d’un automate. Serions-nous vraiment heureux dans le corps d’une marionnette dont Dieu tirerait les ficelles ?

Notre libre arbitre nous expose à des risques. Faisons nôtre cette prescription divine :

J’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta postérité, pour aimer l’Éternel. (Dt 30,19-20).

Être libre, c’est choisir le bien pour la vie, c’est orienter nos décisions vers le bonheur de soi-même et des autres. C’est choisir la voie qui nous préservera de la prison. La liberté est donc exigeante et réclame un discernement intérieur face aux multiples sollicitations de la vie. Elle se conquiert avec prudence. Comment un loup pourrait-il rester sage dans un poulailler ? Mieux vaut ne pas entrer dans le poulailler. Tous les panneaux d’interdiction n’y changeront rien si nous n’apprenons pas à lire ou si nous fermons notre regard. Un sacré programme, d’autant plus que le chemin des écoliers est parfois bien agréable à emprunter.

Si Dieu ne choisit pas à notre place, il ne nous laisse pas totalement orphelins de nos décisions. Il met un esprit divin en nous. En d’autres termes, il inspire ou éclaire notre conscience, avec beaucoup de discrétion. La conscience est le lieu de la rencontre avec Dieu dans les décisions à prendre. Elle est plus qu’un vague sentiment moral ; elle agit comme une voix intérieure qui exerce sur nous une autorité ou un conseil :

Au fond de sa conscience, l’homme découvre la présence d’une loi qu’il ne s’est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d’obéir. Cette voix, qui ne cesse de le presser d’aimer et d’accomplir le bien et d’éviter le mal, au moment opportun résonne dans l’intimité de son cœur : « fais ceci, évite cela ». Car c’est une loi inscrite par Dieu au cœur de l’homme ; sa dignité c’est de lui obéir et c’est elle qui le jugera. La conscience est le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa Voix se fait entendre (Gaudium et spes, 16/1).

Dieu confie la création à l’humanité

Le repos de Dieu inaugure le temps de l’homme

Dieu acheva au septième jour son œuvre, qu’il avait faite : et il se reposa au septième jour de toute son œuvre, qu’il avait faite. Dieu bénit le septième jour, et il le sanctifia, parce qu’en ce jour il se reposa de toute son œuvre qu’il avait créée en la faisant. (Gn 2,2-3)

Le repos de Dieu devient modèle pour l’homme :

La fin du premier récit de la création est donc placée sous le signe du repos de Dieu. Repos qui est modèle pour l’homme, repos où Dieu attend l’homme. Le repos de Dieu est le temps où Dieu cesse d’agir, où il s’arrête, où il se retire pour laisser toute initiative à l’homme. Il est donc aussi le temps de la patience de Dieu (André Thaise).

Le sabbat convoque le repos de l’humanité dans le repos de Dieu. Il est un temps de contemplation de l’œuvre achevée. Il est un temps de joies. Le Talmud précise d’ailleurs que le délice du sabbat (oneg shabbat), est une invitation à profiter pleinement de ce jour et de s’en réjouir à travers un bon repas et une belle tenue vestimentaire (Is 58,13-14).

Des missions

Le repos de Dieu signifie aussi que Dieu confie la création à l’homme. Dieu s’arrête, au sens du mot « sabbat », en confiant une mission à l’humanité :

Dieu les bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. (Gn 1,28).
L’Éternel Dieu prit l’adam, et le plaça dans le jardin d’Éden pour le cultiver et pour le garder. (Gn 2,15).

La création est donc loin d’être achevée ; en réalité tout commence à partir de cet instant où Dieu passe le témoin à l’humanité. Dieu nous donne la création et nous invite à poursuivre son œuvre. Il accorde une confiance inouïe à un partenaire qui vient tout juste de naître. Quel est donc ce Dieu qui se dessaisit d’une telle puissance pour la confier à un partenaire pas toujours très fiable ? Qui d’entre nous oserait une telle aventure ? Sa toute-puissance est à la mesure de sa confiance : infinie. Dieu se retire pour mieux donner.

En tant que donataires, nous sommes invités à nous tourner vers l’artisan et à y reconnaître sa divine inspiration.

Car la grandeur et la beauté des créatures conduisent par analogie à contempler leur Créateur. (Sg 13,5).

La création : un talent à faire fructifier

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Un projet paradisiaque

Dans le cadre du projet initial, Dieu nous propose de vivre nus dans un jardin paradisiaque. Tous les couples rêvent de ce paradis terrestre dans lequel ils pourraient vivre insouciants et nus en parfaite harmonie avec la nature. Qui n’a pas feuilleté un catalogue de voyage en s’imaginant seul à deux sur une île déserte ou tous les désirs seraient assouvis sans aucune entrave au bonheur 1? La bible n’échappe pas à ce mythe puisque dès les premières pages du livre de la Genèse elle invite le lecteur à pénétrer dans le jardin d’Éden. Nous y découvrons le premier homme et la première femme en tenue d’Adam et d’Ève, c’est-à-dire dans leur parure naturelle, sans honte aucune :

L’homme et sa femme étaient tous deux nus, et ils n’en avaient point honte. (Gn 2,25).

La volonté inaugurale du créateur de l’univers est d’offrir à l’homme et à la femme un cadre paradisiaque. On n’en attendait pas moins de la part d’un Dieu tout-puissant. Éden signifie « délices » en hébreu. « Jardin d’Éden » se traduit par « jardin de plaisir » ou « paradis » dans la bible des Septante en langue grecque. Le mot grec paradeisos est tiré du persan apiri-daeza qui désigne un verger entouré d’un mur. La Vulgate de saint Jérôme, en langue latine, traduit « jardin d’Éden » par paradisum voluptatis (Gn 2,8). Ce qualificatif latin est à la racine du mot français « volupté ». Nous retrouvons ce sens dans le livre du prophète Amos 1,5 : domo voluptatis, c’est-à-dire « maison des plaisirs ». Les livres d’Isaïe et d’Ézéchiel interprètent l’Éden comme « jardin de Dieu » (Is, 51,3 ; Ez 28,13).

Etre comme des dieux

L'inter-dit originel

Nous sommes tous des Adam et des Ève à un moment donné de l’histoire humaine. Le texte de la Genèse s’intéresse, comme beaucoup de mythologies, au pourquoi de la vie, de l’amour et de la mort. Il nous éclaire tout particulièrement sur l’origine universelle du mal que chacun traverse personnellement. Nous reproduisons chacun à notre manière la naissance de l’humanité, la tentation de manger le fruit défendu, la chute et l’expulsion du paradis :

Ce qui se passe en ce Jardin, avec un serpent et un Arbre mythologiques et une femme archétype, c’est notre propre histoire éternellement recommencée, en chaque peuple, chaque génération et chaque individu – moi, toi, nous tous3.

Rappelons que Dieu place Adam et Ève dans un jardin paradisiaque pour le cultiver. Il les autorise à manger de tous les fruits du jardin, sauf celui de la connaissance du bien et du mal (Gn 2,16-17). Cet arbre pousse dans tous les espaces de liberté, en tout lieu et en tout temps. Il est le symbole de la liberté humaine. Si cet arbre n’existait pas, nous ne serions pas libres de nos décisions. Un inter-dit, écrit en deux mots, n’est pas quelque chose de défendu, mais une parole entre deux personnes. Un feu rouge n’est jamais qu’une parole entre deux automobilistes pour que chacun puisse circuler et surtout rester en vie. L’inter-dit que pose Dieu est une parole entre lui-même et l’humanité, parole qui fixe les limites à ne pas franchir sous peine de mort. C’est d’ailleurs la première parole que Dieu adresse à l’adam. Nous retrouvons ici le principe de séparation nécessaire à toute vie.

Le serpent

Un curieux personnage, ou plutôt un animal parlant, fait son apparition dans le jardin d’Éden : le serpent. Sommes-nous dans un conte avec ce serpent dans le rôle du méchant ? C’est le premier animal identifié et nommé dans la bible. L’auteur biblique choisit ce reptile à cause de sa valeur symbolique. Il est quasiment invisible et frappe à l’improviste. Il grimpe dans les arbres et se tapit dans le creux des rochers. Il symbolise la sagesse et la sexualité. Avec ses mues de peau, il suggère un constant renouvellement, voire un rajeunissement. En Égypte, le serpent symbolise la force politique dans la coiffure royale du pharaon qui se prétend être dieu. En Assyrie, il est relié à la déesse de l’amour et de la fertilité Ishtar ; de même en Palestine avec Qadesh. En Canaan, il représente les organes sexuels. Dans l’Épopée de Gilgamesh, le serpent dérobe la plante de l’immortalité. Dans la bible, le serpent possède de multiples facettes. Moïse utilise à deux reprises le serpent pour manifester la puissance de Dieu. Dans le livre de l’Exode, le serpent de Moïse engloutit celui de Pharaon (Ex 7,12). Dans le livre des Nombres, le serpent d’airain est un signe de salut pour ceux qui se font mordre par les serpents du désert (Nb 21,7-9). Il est présent dans le caducée des pharmacies et des médecins ; son venin fait même partie de certaines préparations pharmaceutiques. Le serpent est symbole de vie et de mort.

Manger de tous les arbres sauf un

Repartons de l’interdit originel pour comprendre comment le serpent tente Adam et Ève de devenir comme des dieux, c’est-à-dire immortels. Dieu fait germer tous les arbres ; il fait pousser l’arbre de vie au milieu du jardin et l’arbre de la connaissance du bien et du mal (Gn 2,9). Dieu nous autorise à manger de tous les arbres à l’exception d’un seul :

L’Éternel Dieu donna cet ordre à l’adam : tu pourras manger de tous les arbres du jardin ; mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras. (Gn 2,16-17).

L’interdiction porte uniquement sur le manger et non sur le regard, le sentir, le toucher. Cet interdit est la clé de voûte de la liberté humaine, car il affirme que nous ne sommes pas des marionnettes accrochées aux doigts de Dieu, mais des êtres capables et obligés de choisir nos chemins.

Le serpent commence le travail sournois en modifiant légèrement la parole originale. Il s’adresse à la femme et non pas à l’homme, parce qu’elle symbolise la vie et la fécondité ; c’est elle qui transmet ces valeurs :

Dieu a-t-il réellement dit : vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? (Gn 3,1b).

Notons la subtilité et la ruse du serpent. L’adverbe « réellement » que nous pouvons aussi rendre par « vraiment » est en lui-même une insinuation : « Êtes-vous bien sûrs que Dieu a dit cela ? N’aurait-il pas dit autre chose ? » Par ailleurs, le serpent pose une question en modifiant les propos originaux. Pour Dieu nous pouvons manger de tous les arbres à l’exception d’un seul et pour le serpent nous ne pouvons pas manger de tous les arbres. La nuance est tout en finesse, mais elle suffit pour embrumer l’esprit de la femme. Ève ne reprend pas textuellement les mots de Dieu. Elle se focalise sur l’interdiction et rajoute l’interdit de toucher dans sa réponse au serpent :

La femme répondit au serpent : nous mangeons du fruit des arbres du jardin. Mais quant au fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : vous n’en mangerez point et vous n’y toucherez point, de peur que vous ne mouriez. (Gn 3,2-3).

La femme se défend très mal et l’homme ne lui est visiblement d’aucun secours. Le serpent poursuit son attaque en transformant l’avertissement salutaire de Dieu en un mensonge :

Alors le serpent dit à la femme : Vous ne mourrez point ; mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. (Gn 3,4-5).

Être comme des dieux, la tentation est bien grande. Qui pourrait y résister ? Le serpent est un vendeur de drogue qui fait miroiter un paradis artificiel. Il hypnotise la femme. Par ailleurs, il sous-entend que Dieu ne veut pas partager sa condition divine. Les deux tourtereaux, seuls au monde et aveuglés par un soleil artificiel, ne résistent pas à la tentation et croquent le fruit défendu :

La femme vit que l’arbre était bon à manger et agréable à la vue, et qu’il était précieux pour ouvrir l’intelligence ; elle prit de son fruit, et en mangea ; elle en donna aussi à son mari, qui était auprès d’elle, et il en mangea. (Gn 3,6).

Croquer dans la pomme est une expression bien connue de tous les couples pour désigner les ébats érotiques. Mais cette image est faussement biblique, car aucun pommier ne se dresse dans le jardin d’Éden, ni d’ailleurs de faute sexuelle, bien que la pomme soit restée en travers de la gorge d’Adam. Quel sens donner à cet acte tiré de la vie de tous les jours ? Lisons l’interprétation que nous en donne Marie Balmary :

L’acte interdit, ce n’est pas de toucher l’arbre – comme l’ajoutera la femme, preuve qu’elle n’en a pas compris le sens -, c’est uniquement d’en manger… Manger c’est défaire la différence ; ce que je mange devient mien au point de disparaître en moi… Ne pas manger, lorsqu’il s’agit d’un sujet, c’est la seule façon de le bien connaître, puisque c’est la seule façon de ne pas le détruire, de ne pas le différencier de soi.

Manger, c’est assimiler ! Or en assimilant le fruit défendu, l’homme et la femme étouffent l’interdit fondateur ; la pomme est belle et bien restée coincée dans la gorge de l’humanité. Adam et Ève rejettent la parole de Dieu et s’instituent juges du bien et du mal. Par cet acte, ils mangent le pouvoir qui les différencie du créateur. La faute d’Adam et d’Ève est de vouloir s’approprier une prérogative divine. Ils veulent acquérir une connaissance réservée à Dieu. Or la connaissance est bien plus qu’un savoir livresque, elle signifie une relation intime.

Adam et Ève cherchent à pénétrer l’intimité même de Dieu et donc à supprimer toute distance avec leur créateur. Ce n’est cependant pas la connaissance elle-même que condamne le récit, puisque Dieu la reconnaît à l’homme :

L’Éternel Dieu dit : Voici, l’adam est devenu comme l’un de nous, pour la connaissance du bien et du mal. (Gn 3,22a).

C’est le mode d’acquisition en violation de la prescription divine qui est en cause. L’homme et la femme prennent et mangent le fruit. Ils s’attribuent par eux-mêmes une prérogative divine. Ils se laissent tenter par l’idée d’être l’égal de Dieu par leurs propres forces. Ils veulent être des dieux au lieu de se recevoir de Dieu. L’humanité est effectivement appelée à être divinisée, mais cette communion à Dieu est un don que l’humanité ne saurait prendre par elle-même :

L’homme est incapable d’accomplir par lui-même sa déification ; cela dépasse ses propres forces, car l’homme ne peut pas s’octroyer lui-même un état qui se situe au-delà de sa nature (Jean-Claude LARCHET).

Le récit de la tour de Babel prolonge cette idée (Gn 11,1-7). Ce texte décrit des hommes cherchant à se faire une place au ciel par leur propre initiative et par leurs seules forces. Les hommes montent au ciel pour s’approcher de Dieu afin de s’en faire une image sur mesure. Ils veulent se faire un nom à l’égal de Dieu. Le mot « Babel » signifie « porte de Dieu ». Les hommes forcent le ciel pour y pénétrer par effraction ; une sorte de viol de l’intimité divine.

Le charme est rompu

À jouer à être des dieux, Adam et Ève commettent une faute aux conséquences dramatiques. Ils prennent conscience de leur méfait. Leur premier réflexe est de cacher leur sexe :

Les yeux de l’un et de l’autre s’ouvrirent, ils connurent qu’ils étaient nus, et ayant cousu des feuilles de figuier, ils s’en firent des ceintures. (Gn 3,7).

Comment interpréter cette initiative ? Apparemment Adam et Ève ne savent rien de leur nudité avant leur faute. D’ailleurs Dieu demande à Adam qui lui a révélé sa nudité (Gn 3,11). Tout est dans le regard. Leurs yeux s’ouvrent parce qu’après leur faute, l’homme et la femme ne s’acceptent plus tels qu’ils sont. Ils se sentent obligés de voiler leur différence, de cacher leurs faiblesses. Le sexe devient désormais les « parties honteuses ». Si la première faute n’est pas d’ordre sexuel, la conséquence immédiate se porte sur les parties génitales, parce qu’elles symbolisent tout à la fois la fragilité et le désir humains. Le sexe, il est vrai, n’est pas un organe comme les autres, car il provoque le désir et le plaisir. Nul autre organe ne possède autant ce pouvoir de susciter l’excitation. Sa seule vue stimule l’imagination et suggère l’acte sexuel. Mais la nudité elle-même n’est pas en cause ici. Le mal est dans la manducation du fruit défendu et cet acte transforme le regard sur la nudité.

La faute entraîne un renversement de valeurs. Quels amoureux n’ont pas fait cette expérience d’un tout petit défaut, presque perçu comme une qualité au début de l’aventure amoureuse et qui, au fil du temps, devient gênant et finalement exacerbant ? Le charmant petit bouton sur le visage finit par se transformer en grosse verrue hideuse. Parce qu’un serpent est venu mettre un grain de sable dans les rouages de leur passion.

L’amour rend aveugle dit-on communément, parce qu’il voile les défauts en les couvrant du baume de la passion. Mais le temps finit par éroder la passion et les yeux s’ouvrent progressivement. L’épisode du jardin d’Éden retrace en un événement capital ce que tous les amoureux vivent en un laps de temps plus ou moins long. Alors qu’ils étaient destinés à s’aider et à se soutenir mutuellement dans l’amour, ils deviennent l’un pour l’autre objet de désir et cause de perversion. La parole d’émerveillement et de reconnaissance lors de la première rencontre (Gn 2,23) devient une accusation et un rejet de ses responsabilités :

L’homme répondit : la femme que tu as mise auprès de moi m’a donné de l’arbre, et j’en ai mangé. Et l’Éternel Dieu dit à la femme : pourquoi as-tu fait cela ? La femme répondit : le serpent m’a séduite, et j’en ai mangé. (Gn 3,12-13).

La faute d’Adam et Ève engendre un mal qui se propage comme la peste. Juger et condamner son partenaire, son voisin ou l’étranger prend la forme d’un jeu sournois et malsain. Ce proche demeure ce qu’il est avec ses qualités et ses défauts, mais le regard le perce sous le prisme de ses faiblesses. L’homme rejette la faute sur la femme qui fait de même à l’égard du serpent. Ce dernier se tait. Son silence résonne comme un aveu de culpabilité. Le silence du serpent montre aussi que la responsabilité ne saurait être imputée à Dieu :

Dieu n’est pour rien dans la responsabilité du mal. Sinon il serait un Dieu « néronien », capable de contempler dans une sorte d’indifférence les catastrophes subies comme les atrocités perpétrées par l’humanité.

Autre conséquence de la faute, au désir réciproque se substitue le besoin de la femme et la domination de l’homme. La force physique de l’homme, gage de sécurité, se transforme en domination (Gn 3,16). La vie devient un combat parce que l’harmonie est rompue. Le mal rend les choses pénibles. Il transforme le regard sur les événements. Ainsi lors d’une naissance, la souffrance est mise en avant plutôt que la joie d’une nouvelle vie :

Il dit à la femme : j’augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur. (Gn 3,16).

De même pour la culture du sol, l’effort initialement consenti devient labeur et sueur. La terre demeure ce qu’elle était, mais elle est désormais hostile avec des épines et des chardons, symboles d’un dérèglement et d’une mésalliance (Gn 3,17-19).

Gn 3,17 Il dit à Adam : « Parce que tu as écouté la voix de ta femme et que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais formellement prescrit de ne pas manger, le sol sera maudit à cause de toi. C’est dans la peine que tu t’en nourriras tous les jours de ta vie, 18 il fera germer pour toi l’épine et le chardon et tu mangeras l’herbe des champs. 19 A la sueur de ton visage tu mangeras du pain jusqu’à ce que tu retournes au sol car c’est de lui que tu as été pris. Oui, tu es poussière et à la poussière tu retourneras. »

Qui n’a pas déjà souffert dans son travail ? Qui n’a pas déjà œuvré à la sueur de son front ? Nous aspirons tous au repos, au week-end, aux vacances, aux loisirs et aux passions, davantage synonymes de paradis que le travail. L’ultime conséquence de cette première faute est la mort. L’événement naturel devient une sanction. Soulignons que Dieu n’a pas voulu la mort, mais que l’homme ne l’a pas inventée pour autant ; il l’a provoquée.

La faute provoque de multiples ruptures : en l’homme dans la honte de son corps, entre l’homme et la femme dans l’accusation et la domination, entre l’humanité et la nature qui devient hostile jusque dans l’enfantement, enfin entre l’humanité et Dieu dans le drame de la mort. Mais ne faisons donc pas une fausse interprétation de ce récit. Dieu n’invente pas les ronces, ni les douleurs de l’enfantement, ni la mort pour punir l’humanité de sa première faute. Le paradis terrestre à deux sur une île déserte sans aucun souci n’existe que dans les rêves ou les mythes. Le texte de la Genèse montre les limites de l’exercice de la liberté dans la vie relationnelle. Dès son plus jeune âge, l’enfant apprend que les feux rouges sont des codes de liberté pour lui-même et pour les autres qu’il croisera sur sa route. Comme le souligne Daniel Louys :

Ève a violé ce qui lui est apparu un interdit, alors qu’il n’était qu’un panneau signalant un danger mortel, comme on en voit tant le long de nos routes et autoroutes. Un panneau disant « danger de mort » (Daniel LOUYS).

En définitive, quel sort réserver aux mauvais locataires ? Les expulser ! Dieu ne plaisante pas avec les règles du jeu ; il tire toutes les leçons de la transgression et joue les huissiers du paradis en expulsant ses locataires comme de mauvais payeurs (Gn 3,23). Dieu chasse Adam et Ève du jardin des plaisirs pour un monde de labeur et de souffrance :

La sortie d’Éden est littéralement « sortie du jardin de jouissance », lieu secret de l’intériorité de l’Homme et de sa rencontre avec Dieu (Annick de SOUZENELLE).

L’expulsion du paradis signifie que Dieu est le maître de son jardin et que le mal n’y a pas sa place. Ses créatures n’en jouissent qu’avec son accord en y respectant les règles du jeu. Paul dit en d’autres termes que la corruption n’entrera pas dans le royaume de Dieu. Les dépravés, les impudiques, les idolâtres, les gens de mauvaises mœurs, les adultères, les cupides et les ivrognes n’y ont pas leur place. Jardin et royaume de Dieu ont un point fondamental de commun : le mal, quelle que soit sa forme en est exclu (1Co 6,9-10).

L’expulsion du paradis marque l’épilogue du processus de séparation que nous avons évoqué. Le cordon ombilical qui reliait l’humanité avec Dieu est désormais rompu. L’homme et la femme vont grandir dans l’exercice de leur liberté avec cette possibilité de rencontrer Dieu dans le cadre d’une alliance. Nous développerons ce point dans le prochain chapitre.

L'origine du mal

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