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Les juges

Contexte historique et culturel

Le livre des Juges nous donne un aperçu de la vie des tribus pendant une période obscure de l’histoire d’Israël : celle qui suit la conquête et précède l’apparition de l’institution royale.

Moïse avait libéré un peuple du joug égyptien, Josué avait conquis la terre promise. Mais ce peuple ne formait pas encore un état institué, c’est-à-dire une nation et un territoire avec un gouvernement à sa tête.

C’est un ensemble de 12 tribus plus ou moins animées par un même dessein qui s’installe en Canaan. Les 12 tribus ont pour ancêtre les 12 fils de Jacob (Israël). Elles étaient unies par le pacte de Sichem. Chaque tribu a son territoire qui lui est propre avec un chef de tribu. Il n’y a pas d’autorité politique.

Jg 21.25 En ces jours-là, il n'y avait pas de roi en Israël. Chacun faisait ce qui lui plaisait.

Cette anarchie facilita les entreprises malveillantes de leurs voisins : Moabites, Ammonites, Edomites, Amalécites, Madianites et surtout les Philistins, peuples de la mer (Palestine). Certaines de ces tribus s’éteignirent très vite. L’une d’elles Juda aura un essor tout particulier, car ce sera la souche de David.

Le cadre historique se situe entre 1200 et 1020 av. J.-C. Il n’est pas possible de tenir compte de la chronologie relatée dans les livres, car on n’arriverait à une durée de 410 ans, ce qui est incompatible avec les autres données historiques.

Le contexte culturel n’est évidemment pas le nôtre. La prostitution sacrée, les rites de sacrifice et toutes sortes d’abominations font partie de cet univers. Lire 19, 24-29 : un homme reçoit l’hospitalité dans un clan ennemi, et les lois sur l’hospitalité sont plus importantes que celles sur le viol.

Le plan du livre

Le livre des juges est situé après le livre de Josué et avant celui de Samuel. Il a vraisemblablement été écrit fin du VIIIe siècle av. J.-C..

Une introduction présente l’installation des tribus en pays de Canaan avec ses succès et ses échecs. Elle récapitule aussi toute la confession de foi (message théologique) qui se dégage du livre. Puis on nous présente douze juges. Enfin, deux appendices montrent l’anarchie qui règne en Israël avant l’instauration de la monarchie.

Le message théologique

Le livre des juges nous donne une leçon religieuse des événements rapportés. C’est ce qu’on appelle la lecture théologique de l’événement. Il n’est pas possible de décrire avec précision les différentes étapes de l’évolution historique du peuple d’Israël. Mais ils ont vu ces événements avec le regard de la foi. Le message manque totalement d’objectivité historique. Non seulement il est subjectif, mais en plus il est relaté dans le cadre d’une expérience de foi qui se schématise en quatre étapes.

1er temps : Les fils d’Israël firent ce qui est mal aux yeux du Seigneur (2,11 ; 3,7 ; 3,12 ; 4,1 ; 6,1 ; 10,6 ; 13,1). Ce constat est précisé par une autre formule : ils abandonnèrent le Seigneur et ils servirent Baal et les Astartés (2,11 ; 2,13 ; 3,7 ; 10,6 ).

2è temps : La conséquence de infidélité est alors précisée : le Seigneur les livra aux mains de tel ou tel ennemi (2,14 ; 3,8 ; 4,2 ; 6,1 ;10,7).

3ème temps : la supplication : les fils d’Israël crièrent vers le Seigneur (3,9 ; 3,15 ; 4,3 ; 6,6 ; 10,10).

4ème temps : À cette supplication de son peuple, le Seigneur répond en suscitant des juges (2,16) ou un sauveur (3,9 ; 3,15). Il s’y ajoute parfois certaines formules de conclusion du type : l’ennemi fut abaissé sous la main d’Israël (3,30 ; 8,28) ; ou encore : le pays fut en repos pendant x années (3,11 ; 3,30 ; 5,31 ; 8,28).

De ces différentes formules se dégage une leçon religieuse de l’histoire à quatre termes : le péché entraîne le châtiment, mais le repentir amène l’envoi d’un sauveur. Cette théologie s’applique à toute l’histoire d’Israël.

Jg 3.7 Les fils d'Israël firent ce qui est mal aux yeux du SEIGNEUR : ils oublièrent le SEIGNEUR, leur Dieu, et ils servirent les Baals et les Ashéras.
Jg 3.8 La colère du SEIGNEUR s'enflamma contre Israël et il les vendit à Koushân-Rishéataïm, roi d'Aram-des-deux-Fleuves; les fils d'Israël servirent Koushân-Rishéataïm pendant 8 ans.
Jg 3.9 Les fils d'Israël crièrent vers le SEIGNEUR et le SEIGNEUR suscita pour eux un sauveur qui les sauva: Otniel, fils de Qenaz, frère cadet de Caleb.
Jg 3.10 L'esprit du SEIGNEUR fut sur lui et il jugea Israël. Il partit en guerre et le SEIGNEUR lui livra Koushân-Rishéataïm, roi d'Aram, et sa main fut puissante contre Koushân-Rishéataïm.
Jg 3.11 Le pays fut en repos pendant 40 ans, puis Otniel, fils de Qenaz, mourut.

La fonction du juge

Les juges sont chefs de clans, qui combattent l’ennemi. Une personne qui est suscitée, appelée ou choisie par Dieu. Il s’agit donc d’une authentique vocation. Leur rôle est de rendre justice, de gouverner, de commander ; c’est le sens hébraïque du verbe juger.

Jg 4.4-5 Or Débora, une prophétesse, femme de Lappidoth, jugeait Israël en ce temps-là. Elle siégeait sous le Palmier de Débora, entre Rama et Béthel, dans la montagne d'Ephraïm, et les fils d'Israël montaient vers elle pour des questions d'arbitrage.

Mais, à côté de cette autorité, ils ont également la fonction de « sauveur ».

Jg 3.31 Après Ehoud il y eut Shamgar, fils de Anath. Il battit les Philistins, au nombre de 600 hommes, avec un aiguillon à boeufs; lui aussi sauva Israël.
Jg 6.15 Mais Gédéon lui dit: «Pardon, mon seigneur, comment sauverai-je Israël? Mon clan est le plus faible en Manassé, et moi, je suis le plus jeune dans la maison de mon père»!
Jg 10.1 Après Abimélek ce fut Tola, (fils de Poua, fils de Dodo, homme d'Issakar), qui se leva pour sauver Israël; il habitait Shamir dans la montagne d'Ephraïm.

En fait, Dieu est celui qui sauve son peuple en faisant choix d’un homme qui réalise concrètement ce salut :

Jg 3.9 Les fils d'Israël crièrent vers le SEIGNEUR et le SEIGNEUR suscita pour eux un sauveur qui les sauva: Otniel, fils de Qenaz, frère cadet de Caleb.
Jg 10.13, Mais vous, vous m'avez abandonné et vous avez servi d'autres dieux. C'est pourquoi je ne recommencerai pas à vous sauver.
Jg 6.36-37 Gédéon dit à Dieu: «Si tu veux sauver Israël par ma main, comme tu l'as dit, voici je vais étendre sur l'aire une toison de laine: s'il n'y a de la rosée que sur la toison et si tout le terrain reste sec, je saurai que tu veux sauver Israël par ma main, comme tu l'as dit».
Jg 7.7 Le SEIGNEUR dit à Gédéon: «C'est avec les 300 hommes qui ont lapé que je vous sauverai et que je livrerai Madiân entre tes mains. Que le gros du peuple rentre chacun chez soi».

La fonction de sauveur reste donc très guerrière. Nous sommes encore loin du salut proposé par Jésus-Christ. La pédagogie de Dieu tient compte des capacités de l’homme à accueillir la révélation.

Le rôle de l’Esprit

Le livre des juges nous révèle cette conviction profonde : le Dieu d’Israël est celui qui soutient son peuple aux heures difficiles. Il insiste sur la faiblesse d’Israël et sur la patience de Dieu, qui inlassablement envoie des hommes pour délivrer les tribus de l’oppression. La culture et les mœurs d’alors ne sont pas les nôtres. Le meurtre de Sisera par Yaël, le sacrifice de la fille de Jephté peuvent nous choquer, et ne pas correspondre au Dieu d’amour du Nouveau Testament. Mais ces récits nous apprennent progressivement à découvrir l’action de Dieu qui conduit un peuple en lui donnant des chefs animés par l’Esprit :

Jg 3.10 L'esprit du SEIGNEUR fut sur lui et il jugea Israël. Il partit en guerre et le SEIGNEUR lui livra Koushân-Rishéataïm, roi d'Aram, et sa main fut puissante contre Koushân-Rishéataïm.
Jg 6.34 L'esprit du SEIGNEUR revêtit Gédéon, qui sonna du cor, et le clan d'Avièzer fut convoqué à le suivre.
Jg 11.29 L'esprit du SEIGNEUR fut sur Jephté. Jephté passa par le Galaad et Manassé, puis par Miçpé-de-Galaad, et de Miçpé-de-Galaad il franchit la frontière des fils d'Ammon. Jg 13.25 C'est à Mahané-Dan, entre Çoréa et Eshtaol, que l'esprit du SEIGNEUR commença à agiter Samson.
Jg 14.6 L'esprit du SEIGNEUR pénétra en lui et Samson, sans avoir rien en main, déchira le lion en 2 comme on déchire un chevreau, mais il ne raconta pas à son père et à sa mère ce qu'il avait fait.
Jg 14.19 Alors l'esprit du SEIGNEUR pénétra en lui. Samson descendit à Ashqelôn, tua 30 de ses habitants…
Jg 15.14 Lorsqu'il arriva près de Lèhi, les Philistins vinrent à sa rencontre en poussant des cris, mais l'esprit du SEIGNEUR pénétra en lui: les cordes qui étaient sur ses bras devinrent comme des fils de lin consumés par le feu et ses liens se décomposèrent autour de ses mains.

Caractéristiques de l’Esprit :
- Il pénètre ; il est sur ; il agite
- Il donne une force
- Il pousse à l’action
- On le reçoit pour se donner
C’est en l’homme que se manifeste l’Esprit. Le corps est le temple de l’Esprit dira saint Paul.

4 exemples

Gédéon : Dans le pays écrasé par les Madianites, Gédéon est suscité par dieu comme chef de guerre. Il rassemble une armée de plus de 20000 hommes que Dieu lui fait réduire à 300 guerriers ; attaque par surprise et victoire de Gédéon.

Jephté : Bâtard rejeté par sa tribu et devenu chef de bande, il repousse les ammonites. Victorieux, il fait le vœu imprudent d’offrir en holocauste le premier être qu’il trouvera à son retour. Hélas ! Ce sera sa fille unique…

Samson : Sa force herculéenne en fait la terreur des Philistins. Il est trahi par une belle courtisane, Dalila. Finalement il se venge en faisant s’effondrer un édifice où se pressent 3000 Philistins.

Débora : Devant la menace de Siséra de Haroshet ha-Goyîm, vraisemblablement le chef d'un des peuples de la mer, les Hébreux s'allient avec la prophétesse Débora. Ils battent Siséra près du torrent de Qishôn, grâce à une pluie torrentielle qui provoque l'enlisement des chars ennemis (bataille des eaux de Megiddo).

Les rites de fécondité

Les rites sexuels et la prostitution sacrée étaient largement pratiqués dans les temples de la déesse de l'amour. Ils avaient pour finalité d'imiter la fécondation de la terre et de s'accaparer la puissance divine. Le monothéisme du peuple élu a rompu avec ces traditions. Les rites sexuels sont désormais interdits (Dt 23, 18; 2R 23, 7). Le sexe n'est pas au service de la religion; il ne relève d'aucun rite. La sexualité n'est pas à accomplir comme offrande à Dieu pour attirer sa bienveillance. Elle est désacralisée, sans pour autant être sécularisée. Elle est démythologisée, sans devenir profane. Elle conserve un caractère sacré dans le sens où elle est voulue et ordonnée par Dieu. La sexualité est un don de Dieu. Dans le dessein de la création, l'homme et la femme sont appelés à ne former qu'une seule chair et à être féconds.

En Chanaan, où Israël s'était établi, on pratiquait surtout des cultes de fécondité (Ex 34, 15-16). La sexualité et la reproduction y étaient ressenties comme des réalités mystérieuses appartenant à la sphère du divin. Les dieux qu'on honorait présidaient aux forces naturelles et au cycle de fécondité de l'homme et de la nature... Les hommes essayaient de s'assurer par des rites magiques la bienveillance de ces divinités dont dépendaient toute force vitale et toute fécondité, celle de la terre et celle de la femme. Ces cultes s'achevaient dans les orgies de la prostitution sacrée (E. SCHILLEBEECKX, Le mariage, Cerf, 1966, p. 40).