Noël

Un nouveau-né, une étable, un âne et un bœuf, trois rois mages, le 25 décembre... Regard sur le récit biblique, la légende et l'histoire.

La Bible

Luc 2,1-7 Or, en ce temps-là, parut un décret de César Auguste pour faire recenser le monde entier. Ce premier recensement eut lieu à l’époque où Quirinius était gouverneur de Syrie. Tous allaient se faire recenser, chacun dans sa propre ville ; Joseph aussi monta de la ville de Nazareth en Galilée à la ville de David qui s’appelle Bethléem en Judée, parce qu’il était de la famille et de la descendance de David, pour se faire recenser avec Marie son épouse, qui était enceinte. Or, pendant qu’ils étaient là, le jour où elle devait accoucher arriva ; elle accoucha de son fils premier-né, l’emmaillota et le déposa dans une mangeoire, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle d’hôtes.

Matthieu 1,25-2,1 ;11 Mais Joseph ne la connut pas jusqu’à ce qu’elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus. Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent... Entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe.

Origine

Noël célèbre la Nativité, c'est-à-dire la naissance de Jésus de Nazareth. Il faut attendre le IVe siècle pour que cette naissance prenne un caractère festif, grâce à des controverses théologiques sur la nature de Jésus. Les conciles œcuméniques, notamment Nicée en 325, entérinent la nature à la fois divine et humaine de Jésus. Ce mystère amène les chrétiens à célébrer l'incarnation.

Quelle date choisir ? Les évangiles ne fournissent aucune indication précise. Dès le IIe siècle, les chrétiens d'Orient fêtent l'épiphanie, c'est-à-dire la manifestation de Dieu, le 6 janvier. Mais l'occident préfère retenir le 25 décembre, jour du solstice d’hiver selon le calendrier julien en vigueur à l’époque. Au IVe siècle, la fête de la Nativité prend peu à peu la place de nombreuses fêtes populaires célébrées au mois de décembre, au moment du solstice d'hiver, comme pour conjurer le froid et la nuit, et peut-être la mort de la nature.
- Dans les pays germains : de la fête germanique de Yule au cours de laquelle le dieu Heimdall récompensait par des cadeaux les enfants qui avaient bien agi ;
- A Rome : de la fête de Mithra une divinité solaire importée de Perse, ainsi que des Saturnales, en l'honneur de Saturne, le dieu des semailles et de la fertilité. Une fête appelée Dies Natalis Solis Invicti, « jour de la naissance du soleil invaincu » avait été fixée au 25 décembre par l'empereur romain Aurélien en 274, comme grande fête du culte de Sol Invictus (le soleil invaincu). Aurélien choisit ainsi une date proche du solstice d'hiver, correspondant au lendemain de la fin des traditionnelles Saturnales romaines, mais aussi au jour où la naissance de la divinité solaire Mithra est fêtée.

Le jour du solstice d'hiver en effet, si l'on entre véritablement dans l'hiver, c'est aussi le moment où les jours commencent à rallonger, le soleil renaît... Et les hommes ont toujours voulu célébrer ce temps. Peut-être pour mieux espérer le retour du printemps, de la lumière et de la vie.

Le Christ est présenté comme la « lumière du monde » (Jean 8, 12) et le « soleil de justice » (Malachie 4, 2) d'une nouvelle ère.

La première mention d'une célébration chrétienne un 25 décembre date de l'an 336 à Rome. L’Église apostolique arménienne fête toujours Noël le 6 janvier.

En 325, Constantin fait ériger à Bethléem, la basilique de la Nativité, sur le lieu de la naissance du Christ. En 506, le concile d’Agde fait de Noël une fête d’obligation. En 529, par décret de l’empereur Justinien, le 25 décembre devient un jour chômé.

L'hospitalité

Joseph retourne à Bethléem sur la terre de ses ancêtres. L'hospitalité revêt une grande importance pour ce peuple arrivé comme étranger sur la terre de Canaan et ballotté par l'histoire.

A lire : Le motif de l’hospitalité dans la Bible (Gérard Billon)

Marie et Joseph ont trouvé refuge à Bethléem dans une maison privée ; probablement avec des proches. Le mot, qui en allemand est souvent traduit par "auberge", est plus susceptible de faire référence à une chambre haute, une pièce supplémentaire dans une maison normale. Dans la chambre d'amis de la maison, cependant, il n'y avait probablement plus de place, le couple a donc dû rester dans la pièce centrale de la maison.
La maison typique en Israël ne se composait généralement que de cette seule pièce dans laquelle les gens vivaient, cuisinaient et dormaient.
L'entrée de la maison était un demi-mètre plus bas que le reste de la pièce. Les animaux de la ferme qui étaient dehors pendant la journée se tenaient ici la nuit. Ils étaient donc protégés des animaux sauvages la nuit et pouvaient agir comme des radiateurs naturels pour la maison. Pour le bétail, il y avait des mangeoires creusées dans le sol.
La naissance de Jésus était donc assez normale. Il est né au milieu de l'agitation d'un espace de vie surpeuplé. Il a trouvé place dans une mangeoire à l'entrée de la maison. Les résidents de la maison ont regardé, aidé et étaient heureux pour le nouveau-né. Comme beaucoup d'autres bébés de leur époque. Traduit de l'allemand : das ganz normale Weihnachten (pdf à télécharger).

Jésus est né dans une « étable » car ses parents n'ont pas trouvé un espace approprié dans la καταλυματι (kataluma, « salle haute, salle de séjour »), terme qui désigne probablement la chambre prévue pour les hôtes, ce qui suggère que la Famille logeait chez des proches. L'évangile utilise le terme grec φάτνῃ, « phatnê », traduit en latin dans la Vulgate par praesepium qui désigne l'étable à l'étage inférieur d'une maison israélite ou en plein air dans sa cour. L'étable fournissait chaleur et discrétion nécessaires pour un accouchement alors que la chambre d'hôte était pleine ou trop petite.

Jésus est-il né à Bethléem ?

Les mages

Le texte évangélique ne mentionne pas leur nombre, pas plus que les noms de ces « sages » (en grec : μάγοι, magoï), et ne les qualifie pas de rois.

La figure des mages observateurs d’étoiles est déjà présente dans les traditions perse et mazdéenne où ils sont les observateurs des étoiles. Les Rois mages représentent la sagesse du vaste monde qui vient rendre hommage au Messie qui vient de naître. Le texte biblique ne leur donne ni de nom ni de race. Ce ne sont pas des rois mais des savants qui symbolisent que ce Messie sera celui du monde entier. Thomas Römer, La Croix, 22/12/2024.

L'idée de leur origine royale apparaît chez Tertullien au début du IIe siècle et leur nombre est évoqué un peu plus tard par Origène. Certaines traditions chrétiennes, dont témoignent pour la première fois vers le VIIIe siècle les Excerpta latina barbari, les popularisent sous les noms de Melchior, Gaspard et Balthazar. A lire, une étude complète.

La crèche

La mangeoire pour les animaux est désignée par le francique krippia, le latin cripia, d'où est issu le mot « crèche ». Une tradition veut que François d'Assise ait créé à Greccio, en Italie, la nuit de Noël 1223 la première crèche vivante alors que ces scènes étaient déjà jouées depuis plusieurs siècles par des acteurs dans les mystères de la Nativité dans les églises puis sur leurs parvis, tableaux animés à l'origine des crèches spectacles.

Les premières crèches qui ressemblent à celles que nous connaissons aujourd’hui ne sont apparues qu’aux alentours du XVIe siècle, dans les églises, puis dans les familles un siècle plus tard. Les jésuites seraient à l’origine des premières crèches en format réduit. Histoire de la crèche.

L'âne et le bœuf

Le premier témoin de la présence du bœuf et de l’âne dans la crèche est un bas-relief du IVe siècle (ci-contre). Sur le sarcophage de Stilicon à Milan, on voit Jésus entre deux animaux qu’on suppose être un âne et un bœuf.

Là où les quatre évangiles officiels sont restés muets, les Apocryphes prennent volontiers la parole. L'Apocryphe le plus riche en faits concernant la Nativité est celui que l'on désigne sous le nom de Pseudo-Mathieu qui relate la nativité en ces termes :

Or, deux jours après la naissance du Seigneur, Marie quitta la grotte, entra dans une étable et déposa l'enfant dans une crèche, et le bœuf et l'âne, fléchissant les genoux, adorèrent celui-ci. Alors furent accomplies les paroles du prophète Isaïe disant : « Le bœuf a connu son propriétaire et l'âne la crèche de son maître », et ces animaux, tout en l'entourant l'adoraient sans cesse. Alors furent accomplies les paroles du prophète Habacuc disant : « Tu te manifesteras au milieu de deux animaux ». Et Joseph et Marie, avec l'enfant, demeurèrent au même endroit pendant trois jours. (Pseudo-Mt XIV).

La représentation de l’âne et du bœuf dans la crèche de Bethléem est inspirée du prophète Isaïe qui reproche au peuple d’Israël de ne pas connaître son Dieu au contraire de l’âne et du bœuf. Le texte transmis par la traduction grecque d’Habacuc (3,2) parlait d’une manifestation du Seigneur entre deux animaux qu’anticipait le prophète :

Isaïe 1,2-3 Ecoutez, cieux ! Terre, prête l’oreille ! C’est le SEIGNEUR qui parle : J’ai fait grandir des fils, je les ai élevés, eux, ils se sont révoltés contre moi. Un bœuf connaît son propriétaire et un âne la mangeoire chez son maître : Israël ne connaît pas, mon peuple ne comprend pas.

Habacuc 3,2 SEIGNEUR, j’ai entendu ce que tu as annoncé, je suis saisi de crainte. SEIGNEUR, vivent tes actes au cours des années ! Au cours des années, fais-les reconnaître, mais dans le bouleversement, rappelle-toi d’être miséricordieux !

Les premiers chrétiens utilisent la traduction grecque des Septante qui disait « au milieu de deux animaux », à cause d'une ambiguïté du texte hébreu. Les premières versions latines antérieures à la Vulgate de Jérôme (Ve) reprennent cette traduction.

L’âne a également une présence particulière dans les Évangiles : il mène Marie de Nazareth à Bethléem pour le recensement. Il est une monture humble. Un autre passage important de la Bible évoque sa présence : lors des Rameaux, à l’entrée de Jésus à Jérusalem, avant sa Passion (Mt 21,1-10).

Le sapin de Noël

Histoire du sapin de Noël.

Le Père Noël

Le Père Noël n'est assurément pas chrétien. Le 23 décembre 1951, l'effigie du Père Noël est brûlée devant le parvis de la cathédrale de Dijon... Une surprenante affaire qui témoigne des résistances du clergé face à un folklore d'inspiration païenne — et américaine. Mais le Père Noël fait partie des traditions qui forgent une société. Et cette tradition coïncide avec celle de la Nativité. Faut-il y voir la paganisation d'une fête religieuse ou simplement l'expression d'une quête de fête et de sens ? Avec Noël nous redevenons tous des enfants en attente de cadeaux et le royaume de Dieu appartient à ceux qui ont un cœur d'enfant (Mt 18,1-5).

Histoire du Père Noël.

La galette des rois

La galette des rois tire son origine des Saturnales durant lesquelles les Romains désignaient un esclave comme « roi d’un jour » selon Tacite. Ces fêtes Saturnales favorisaient l’inversion des rôles afin de déjouer les jours néfastes de Saturne. Au cours du banquet au sein de chaque grande familia, les Romains utilisaient la fève d’un gâteau comme pour tirer au sort le « roi d'un jour ». Celui-ci disposait du pouvoir d’exaucer tous ses désirs pendant la journée (comme donner des ordres à son maître) avant d’être mis à mort, ou plus probablement de retourner à sa vie servile. Cela permettait de resserrer les affections domestiques.

Pour assurer la distribution aléatoire des parts de galette, il était de coutume que le plus jeune se place sous la table et nomme le bénéficiaire de la part qui était désigné par la personne chargée du service.

Étienne Pasquier a décrit dans ses Recherches de la France les cérémonies qui s’observaient en cette occasion :

« Le gâteau, coupé en autant de parts qu’il y a de conviés, on met un petit enfant sous la table, lequel le maître interroge sous le nom de Phébé (Phœbus ou Apollon), comme si ce fût un qui, en l’innocence de son âge, représentât un oracle d’Apollon. À cet interrogatoire, l’enfant répond d’un mot latin domine (seigneur, maître). Sur cela, le maître l’adjure de dire à qui il distribuera la portion du gâteau qu’il tient en sa main, l’enfant le nomme ainsi qu’il lui tombe en la pensée, sans acception de la dignité des personnes, jusqu’à ce que la part soit donnée où est la fève ; celui qui l’a est réputé roi de la compagnie, encore qu’il soit moindre en autorité. Et, ce fait, chacun se déborde à boire, manger et danser ». (Eugène Cortet, Essai sur les fêtes religieuses et les traditions populaires qui s’y rattachent, Paris, E. Thorin, 1867, 283 p., p. 32.)

Dieu bébé

Terminons ce tour d'horizon par une question théologique. Comment accueillir Dieu tout-puissant dans un bébé qui vient de naitre ?

Jésus bouleverse Hérode, jaloux de son petit pouvoir… Il bouleverse des hiérarchies : les bergers sont les premiers à la crèche. Plus profondément encore, il bouleverse l’idée que l’on se fait de Dieu : un Dieu puissant, un Dieu qui résout les problèmes, un Dieu magique. La philosophie s’est interrogée sur cette puissance de Dieu ; la réponse est donnée par ce que dit Dieu de lui-même : un petit enfant, fragile, et qui, devenu adulte le restera, jusqu’à la croix. Mgr Wintzer : « Le cléricalisme est une théologie ».

La Nativité, dans la Bible, c’est d’abord l’histoire d’une jeune fille de rien qui tombe enceinte hors mariage, d’un fiancé désemparé sur le point de la répudier et d’un accouchement dans le froid au milieu des bêtes. Néanmoins, c’est là que Dieu s’en remet à des bras humains, en la personne d’un nouveau-né. Il épouse les contours de l’existence dans ce qu’elle a de plus concret et de plus fragile.
L’incarnation est, pour moi, le mystère le plus incompréhensible du christianisme. Elle implique que Dieu rejoint les humains dans leurs limites pour montrer ce qu’elles ont de digne et d’estimable. L’incarnation ne dit rien du mérite humain, de la ferveur de leur foi ou de la perfection de leur vie. Elle révèle seulement un Dieu qui croit en eux. Noriane Rapin : Noël, c'est Dieu qui croit en l'humain

Quand le Verbe s’est fait chair, il a emprunté le chemin commun des hommes, qu’ils partagent avec les autres mammifères : il s’est formé dans le sein d’une femme et, le moment venu, il a franchi le passage obscur et périlleux qui mène à la lumière ; il s’est donné la peine de naître (Marie-Hélène Congourdeau, Communio (Tome 47/2, 2002).