Éros est naturel, alors que le mariage est culturel et religieux.
Éros n’est pas institutionnel. On l’offense en le réduisant au contrat, au devoir conjugal ; son lien naturel ne se laisse pas analyser en devoir dette ; sa loi qui n’est plus loi est la réciprocité du don. Par là il est infra-juridique, para-juridique, supra-juridique (Paul RICŒUR, La merveille, l’errance, l’énigme, Esprit, 289, 1960, p. 1676).
Le triomphe d’Éros, c’est celui de la vie, du jeu, de la fantaisie, de la création permanente, sans entrave. Éros n’est séduisant qu’en liberté. Comme les fauves, et comme les oiseaux, il meurt en cage. Sa cage à lui, c’est la loi, l’institution, le mariage (Jacques JULLIEN, Éros libéré ou Éros aliéné, Nouvelle revue théologique, 3, 1976, p. 227).
Le mariage ne transforme pas la nature du baiser, de la caresse, de l’acte sexuel, mais il les englobe dans un projet. Il leur donne sens.
Pour qu’il y ait « signifiance » encore faut-il que les gestes soient susceptibles de « signifier », c’est-à-dire que la relation, non réductible à la satisfaction d’un besoin, soit en tension vers un signifié toujours absent, toujours à distance, toujours à venir (telle la rencontre). On sait que le sens naît de l’écart entre le signifiant et le signifié. Où il n’y a qu’immédiateté et coïncidence, meurt le sens (et meurt la rencontre). L’insignifiance peut être non seulement l’effet, mais déjà la cause de la précipitation dans l’expression sexuelle de la relation. Il est des cas où le face à face est aussi difficile à assumer que la solitude. Dans telle relation non sous-tendue par une histoire commune, non étayée par une éthique partagée, peu nourrie de vie culturelle et des ressources du langage verbal, la présence des corps pourra devenir envahissante, troublante. Chacun sera renvoyé à sa faiblesse, à ses angoisses et à son doute sur soi. Xavier Lacroix, Le corps de chair, p. 44-45.
Les gestes de tendresse sont à comprendre comme un langage, et non seulement comme des moyens pour parvenir à une fin connue d’avance, qui serait l’orgasme. C’est ainsi qu’une poétique de la caresse, de l’étreinte, du baiser est en mesure de percevoir ceux-ci comme façonnement, célébration, apprivoisement mutuel, promesse. Le double mouvement qui se dessine à l’horizon est alors celui de don et d’accueil. Aussi l’acte ultime de l’union, le coït, réalisant l’union la plus intime du plus intime des corps, accompagné de sensations qui envahissent ces derniers tout entiers, trouve-t-il son meilleur contexte, c’est-à-dire le lieu d’accomplissement le plus plénier de son sens, dans l’alliance conjugale qui est elle-même le lieu du don mutuel de deux libertés, de l’enlacement de deux histoires. (...) Que le plus charnel (l’union sexuelle) exprime ainsi le plus spirituel (l’alliance des cœurs), n’est-ce pas là un témoignage extraordinaire de l’unité entre ces deux ordres, unité que le christianisme est particulièrement apte à saisir ? (Xavier Lacroix, Revue Alliance, Le Corps et le Cœur n°106-107).
L’érotisme vécu dans le mariage se déploie au cœur d’un paradoxe : l’intensité du plaisir érotique s’oppose à l’habitude or le mariage réclame l’habitude. La répétition des mêmes gestes atténue leur dimension érotique et leur capacité à provoquer l’excitation. La même caresse prodiguée inlassablement au fil des ans perd de son pouvoir érotique. Mais le changement mène aussi à la frustration. Il empêche tout approfondissement de la relation. Dom Juan est tombé dans cette impasse du changement perpétuel. Éros se meurt dans la dispersion. Or la vie sexuelle s’épanouit dans la secrète complicité des corps. Une relation furtive ne peut s’organiser. Elle n’offre pas de temps et d’espace à la parole pour qu’elle puisse dire les désirs. L’érotisme s’épanouit à la fois dans la créativité et la répétition. Le corps n’est pas d’emblée offert à la passion du langage érotique. L’érotisme ne se résume pas à un simple coït vécu au hasard d’une rencontre. Comme toute passion, il exige du temps pour se dire et se construire.
Aux origines de l'Eglise, concernant la validité de l’engagement, le droit civil de chaque pays s’applique. L’Église ne retient pas le modèle juif en deux étapes, parce que le christianisme se développe essentiellement dans l’Empire romain. L’Église hérite donc naturellement du cadre juridique romain pour lequel le mariage se fonde sur le consentement des deux époux.
Dans l’histoire des mentalités, cela doit être considéré comme un progrès en matière de liberté individuelle, et notamment pour la liberté de la femme. La jeune fille n’est plus l’objet d’un rapt, elle n’est pas non plus accordée par son père sans que son consentement soit requis. Il est inutile d’insister sur ce que ce progrès a de purement théorique, puisqu’une fille « en puissance » n’a aucun moyen de résister vraiment à la volonté paternelle, si ce n’est en mettant fin à ses jours (Dominique LHUILLIER-MARTINETTI, L’individu dans la famille à Rome au IVème siècle).
Mais peut-il y avoir un mariage sans l’union physique des époux. Les premiers Pères de l’Église se demandent si Joseph et Marie ont été véritablement mariés dans la mesure où Marie est restée vierge. Pour Jérôme (IVe), la copula revêt un caractère indispensable, contrairement à Augustin (Ve) et Ambroise (IVe).
C’est lorsque se contracte le mariage qu’intervient le nom de mariage ; ce n’est pas la perte de la virginité qui fait le mariage, mais le pacte conjugal. Bref il y a mariage lorsque la jeune fille se donne, non pas lorsqu’elle est connue et approchée par l’homme (AMBOISE, De institutione virginis, 41).
Mais les traditions issues des peuples Germains et Francs privilégient l’union charnelle ; la relation sexuelle entérine l’engagement conjugal ; elle prend la valeur juridique de signature du contrat matrimonial. Mais à une époque où le rapt est répandu, ainsi que les mariages clandestins, il paraît difficile de privilégier l’union charnelle dans la définition du sacrement de mariage. La question trouve finalement son épilogue avec le pape Alexandre III (XIIe) : l’échange des consentements crée le lien matrimonial, mais il ne devient indissoluble que par la consommation de l’union. L’actuel Code de droit canonique reprend cette doctrine dans les canons 1057 et 1141.
Canon1057 - § 1. C’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage ; ce consentement ne peut être suppléé par aucune puissance humaine. § 2. Le consentement matrimonial est l’acte de la volonté par lequel un homme et une femme se donnent et se reçoivent mutuellement par une alliance irrévocable pour constituer le mariage.
Canon 1141 - Le mariage conclu et consommé ne peut être dissous par aucune puissance humaine ni par aucune cause, sauf par la mort.
Le consentement fait le mariage et l’union des corps lui appose un sceau définitif. En somme, le sacrement de mariage s’enracine dans la nature humaine. Il élève des actes ordinaires à une signification « extra-ordinaire ».
La consommation scelle définitivement le mariage religieux. En effet le mariage peut être dissous tant que les époux n’ont pas eu de relation sexuelle. Le code de droit canonique prévoit d’ailleurs que l’impuissance antérieure au mariage dirime celui-ci, ce qui n’est pas le cas de la stérilité.
L’impuissance antécédente et perpétuelle à copuler de la part de l’homme ou de la part de la femme, qu’elle soit absolue ou relative, dirime le mariage de par sa nature même (canon 1084 - § 1).
Le consentement inaugural suppose le don total de soi. Si l’un des époux refuse de se donner sexuellement, alors il manquerait une composante fondamentale au mariage.
L’amour éros et agapè est un mystère. Une vie ne suffit pas pour l’épuiser. Le sacrement de mariage vient nous révéler ce mystère à travers cinq dimensions :
1 – La création : chaque union est le signe de notre vocation originelle à ne former qu’une seule chair.
2 – L’alliance : chaque union est le signe de l’alliance de Dieu avec l’humanité, le signe du don du Christ pour son Église.
3 – La mort/résurrection : l’union homme/femme est signe de la mort/résurrection de Jésus. Nous mourons en célibataires pour renaître en mariés dans le Christ.
4 – La rédemption : l’union homme/femme est un chemin de sanctification. Nous sommes invités à faire grandir l’autre (Ep 5).
5 – La Trinité : l’union homme/femme symbolise la Trinité, parce que lorsque deux personnes s’unissent dans l’amour, le Christ est présent au milieu d’eux (Mt 18,20). Dans l’amour, 1+1=3.