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Dans le bonheur et dans les épreuves

L'homme et la femme s'engagent à s'aimer mutuellement dans le bonheur comme dans les épreuves, pour le meilleur et pour le pire. La vie conjugale est jalonnée de plaisirs et de joies. La découverte de l'autre, la rencontre charnelle ou la naissance d'un enfant appartiennent à ces événements irremplaçables qui font que l'homme et la femme sont heureux de vivre ensemble. Mais la vie conjugale n'est pas une éternelle lune de miel. D'inévitables épreuves surgissent comme des épines douloureuses, et aussi comme des lieux de vérification de l'authenticité de la relation 81.

Le mot «épreuve» désigne d'une façon générale un événement mettant en jeu la stabilité du couple. L’homme et la femme sont éprouvés dans leur relation. L’issue dépend de la valeur de leur engagement : superficiel, il risque de conduire à la désunion, profond il fera grandir l’union. «Éprouver», c'est tester quelque chose, afin d'en déterminer la valeur. Dieu met Abraham à l'épreuve (Gn 22, 1). Il éprouve son peuple dans le désert pour savoir s'il observe sa loi (Ex 15, 25). L'épreuve révèle la fragilité ou la force d'une alliance. Elle mesure la capacité de résistance et de transformation. L'épreuve dévoile les possibilités et les limites. Elle comporte la menace d'un anéantissement. Le triomphe entraîne une libération. Celle-ci n'est jamais un simple redevenir, mais une transfiguration.

L'épreuve atteste la solidité de l'engagement. Elle met l’homme et la femme devant une situation nouvelle qui met en jeu la relation elle-même. Elle autorise une prise de conscience des capacités, des limites, et de l'authenticité de la parole donnée. Se donner à l’autre pour l’aimer est une loi facile dans le bonheur, mais dans l’épreuve elle devient tranchante comme le glaive.

«La loi sans l'épreuve, sans l'essai, c'est le bien, mais sans la conscience», note M. Balmary 82.

C’est l’épreuve de l’infidélité qui vérifie l’authenticité de la fidélité. La crise ouverte par l’épreuve offre l'occasion d'une prise de conscience de la distance et de la différence qui séparera toujours de l'autre et d'un dépassement de soi-même. Le don de soi dans l’épreuve consiste à porter secours à son partenaire, à l’épauler, à ne jamais l’abandonner, ou tout simplement à être présent avec sa parole et son corps. La vie elle-même se présente comme une épreuve quotidienne avec son lot de contrariétés et de fatigues. La dignité humaine se manifeste dans la capacité à assumer ces épreuves et non pas à les subir. L'épreuve est une chance lorsqu'elle est maîtrisée et orientée vers une relation plus authentique avec l'autre. Elle ne devient bénéfique que si elle apporte une valeur ajoutée; que si elle suscite un dynamisme de renouvellement. Elle est un échec lorsqu'elle détruit la relation. L'épreuve de la vie collabore à la création continuelle de l'alliance.

À côté de l'épreuve quotidienne de la vie surgissent des événements plus dramatiques qui bousculent profondément la quiétude et la routine de l'existence. L'adultère, la perte d'un emploi, une maladie, un accident ou la mort d'un être cher remettent en cause le sens de ses engagements, voire de la vie elle-même. Un accident et toute une vie bascule dans un autre univers rempli de questions. Cet autre, loué pour ses qualités physiques, devient en quelques secondes une charge que seul l'amour parvient à ne pas traîner comme un boulet. Cet enfant unique perdu dans un accident : une vie à recomposer et à laquelle il faut trouver un nouveau sens. L'ultime épreuve est bien la mort. Quelle réponse donner à la mort sinon celle de l'espérance chrétienne en la résurrection ? Le silence définitif d'une personne aimée est l'épreuve la plus pénible, où la chair est déchirée dans ses fibres les plus intimes. Une telle épreuve est un moment de vérité. Mal vécue, elle engendre la perte du désir de vivre et avec elle, le désespoir. Le désespéré rompt toute communication, il se coupe du monde dans un désoeuvrement et un désengagement aigus. Désespérer de la vie, des autres et de soi : autant d'attitudes dont l'ultime étape est le suicide.

Toutes les épreuves, quel que soit leur degré, en appellent à une parole d'amour. Seul l'amour triomphe des tensions, des contrariétés, des infidélités et de la mort. Il faut ici citer ce témoignage de J. Beaucarne dont la compagne a été assassinée :

«Ce fut comme une trombe d'eau, un séisme mental. Se venger, non. Cela ne sert à rien. Il y avait deux solutions. Soit je me suicidais, soit je choisissais la vie. J'ai donc choisi d'aller dans le sens de la vie, ce qui voulait dire exclure la haine... À travers mes dires, vous retrouverez ma bien-aimée; il n'est de vrai que l'amitié et l'amour. Je pense de toutes mes forces qu'il faut s'aimer à tort et à travers 83.»

L'amour n'apporte pas une réponse rationnelle à l'épreuve. Il ne répond pas à la question : «Pourquoi cela nous arrive-t-il ?» L'amour ne supprime pas la souffrance. Mais l'amour, en tant que don et communion à l'autre, maintient et fortifie la relation au-delà des contingences et de la souffrance. L'amour est plus fort que la mort : mort physique et morts symboliques dans la quotidienneté des expériences humaines. Ce n'est que dans l'amour, dans ce corps donné et reçu sous de multiples formes, que l'homme et la femme traversent les épreuves de leur vie conjugale, jusque dans cette fidélité à celui qui est parti le premier. L’amour surmonte l’épreuve parce qu’il croit en la résurrection.

Citations

81. Je reviendrai plus longuement sur la rencontre charnelle, le plaisir et la fécondité dans le chapitre 6 consacré à l'union des corps.
82. M. BALMARY, La divine origine, Grasset, 1993, p. 87.
83. J. BEAUCARNE, interviewé par Th. LYONNET, dans L'actualité religieuse, 41, 15 novembre 1996, p. 42.

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