La situation sociale de la femme au temps de Jésus
Introduction
La condition sociale de la femme au temps de Jésus est un sujet qui se situe à la croisée de l’histoire, de la religion et de la culture. Comprendre la place des femmes dans la société palestinienne du Ier siècle nécessite de prendre en compte le contexte multiculturel du monde méditerranéen antique, influencé à la fois par les traditions juives, les lois gréco-romaines et les coutumes orientales.
L’étude de cette question permet de mieux percevoir la portée du message de Jésus, dont l’attitude envers les femmes fut perçue par beaucoup de chercheurs comme révolutionnaire pour son époque. Cet essai analysera successivement le cadre juridique et social de la femme dans la Judée du Ier siècle, sa place dans la religion juive, puis la manière dont Jésus interagit avec elles, transformant leur rôle spirituel et moral.
I. Le cadre socio-historique : la femme dans la société du Ier siècle
1. Un monde dominé par le patriarcat
La Palestine du Ier siècle évoluait dans un système profondément patriarcal. Le père de famille — le pater familias dans le monde romain ou l’équivalent juif, l’« ’ish » — détenait l’autorité sur l’ensemble du foyer. La femme, considérée comme mineure du point de vue juridique, passait de la tutelle de son père à celle de son mari. Cette dépendance légale reflétait la vision dominante d’une société où l’homme incarnait la raison et l’autorité, tandis que la femme représentait la fragilité et la sphère domestique. Les « fiancailles » préparaient le passage de la jeune fille du pouvoir du père à celui du mari ; une sorte "d'acquisition". « On acquiert la femme par argent, contrat et rapports sexuels », de même « on acquiert l'esclave païen par argent, contrat et prise de possession ».
Les lois juives codifiées plus tard dans la Mishnah ou le Talmud traduisent cette hiérarchisation : la femme ne pouvait pas témoigner au tribunal ni hériter à égalité avec les hommes. Dans le droit gréco-romain, même si certaines femmes libres pouvaient posséder des biens, elles étaient souvent placées sous la tutelle d’un homme (père, mari ou tuteur). Ainsi, dans la quasi-totalité des cultures méditerranéennes contemporaines, la femme était perçue comme socialement et juridiquement inférieure à l’homme.
2. Mariage et vie domestique
Le mariage était essentiel à la structure sociale juive. L’union, arrangée par les familles, engageait des accords économiques : la dot et le mohar (le prix donné par le fiancé) constituaient des éléments contractuels. Les femmes se mariaient jeunes, parfois dès 13 ans, et leur rôle principal consistait à enfanter et à gérer le foyer. La fidélité conjugale pesait plus lourdement sur la femme : l’adultère féminin était puni de mort selon la Loi mosaïque (Lévitique 20:10), tandis que les fautes masculines étaient traitées plus souplement. Une femme répudiée sans raison valable devenait particulièrement vulnérable, dépourvue de moyens de subsistance si sa famille ne l’accueillait pas.
Sur le plan juridique, le droit de divorcer ne valait que pour l'homme. Seul le mari pouvait répudier sa femme pour des motifs plus ou moins sérieux.
Deutéronome 24, 1-4 Lorsqu'un homme prend et épouse une femme, mais qu'un jour elle cesse de lui plaire, car il a quelque chose à lui reprocher, il rédige une attestation de rupture (un acte de répudiation), il la lui remet en main propre et la renvoie de chez lui…
Quant à la polygamie, l'épouse se devait parfois de tolérer que son mari ait des concubines. Un rabbin posait la question suivante : « Quelle est la différence entre une épouse et une concubine? » À cela il répondait : « L'épouse a un contrat de mariage, la concubine n'en a point ».
La maternité représentait son honneur et son identité. L’infécondité était perçue comme une malédiction, tandis qu’une femme qui donnait naissance à des fils était socialement valorisée. L’idéal féminin était donc celui de la mère soumise, fidèle et laborieuse, reflet d’un ordre patriarcal centré sur la continuité de la lignée.
3. Le travail et la sphère économique
Les femmes juives participaient activement à l’économie domestique : elles filaient, tissaient, préparaient le pain et s’occupaient des enfants. Certaines exerçaient des métiers en dehors du foyer, notamment dans l’agriculture, la vente sur les marchés ou la fabrication artisanale. Des textes comme ceux du Nouveau Testament indiquent aussi la présence de femmes aisées, veuves ou commerçantes, disposant de leurs biens — par exemple Jeanne, femme de Chuza, intendant d’Hérode, ou Lydie, marchande de pourpre à Philippes.
Cependant, ces exemples demeuraient marginaux : l’immense majorité des femmes travaillait dans un cadre domestique sans reconnaissance publique. Leur participation à la vie politique, administrative ou juridique était inexistante. La sphère publique appartenait aux hommes ; la sphère privée était celle des femmes.
II. La femme dans la religion juive
1. Les prescriptions de la Loi
La Loi mosaïque (Torah) réglementait minutieusement la vie quotidienne, y compris les comportements féminins. La pureté rituelle constituait un point crucial : selon le Lévitique, les femmes devenaient impures pendant leurs menstruations ou après l’accouchement, impliquant des périodes d’isolement temporaire (Lévitique 15). Ces règles, bien que religieuses, renforçaient la perception de la femme comme source potentielle d’impureté.
Dans la prière et la vie cultuelle, les femmes occupaient une position secondaire : elles n’étaient pas tenues d’accomplir certaines obligations religieuses quotidiennes (comme la prière publique ou la lecture de la Torah à la synagogue), car leur rôle domestique primait. Les rabbins considéraient souvent qu’une femme pieuse devait se concentrer sur son foyer plutôt que sur les études scripturaires. Une maxime du Talmud affirmait même : « Mieux vaut brûler les paroles de la Torah que de les confier à une femme. » Cette vision, typique des milieux patriarcaux, traduisait la crainte de voir les frontières entre rôles sexués se brouiller.
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Au plan religieux, ses droits et ses devoirs étaient très limités :
- Elle n'est pas tenue d'étudier la loi (la Torah) : les écoles sont réservées aux garçons.
- L'intérieur du Temple lui est interdit.
- Dans les Synagogues, on lui assigne un emplacement spécial, derrière des barrières.
- Dans le service liturgique, un seul rôle lui est confié : écouter.
- À la maison, elle ne compte pas parmi les personnes invitées à prononcer la bénédiction après le repas.
Ainsi, autant dans le monde civil que religieux, la femme occupait un rôle de subordination et de sujétion.
Mentionnons quelques enseignements juifs et dictons du monde oriental :
Loué soit celui, qui ne m'a pas créé païen; loué soit celui qui ne m'a pas créé femme, loué soit celui qui ne m'a pas créé esclave »
Heureux celui dont les enfants sont mâles, mais malheur à celui dont les enfants sont femelles
Là où il y a beaucoup de femmes, il y a beaucoup de sortilèges
Dix 'qabs' de tête-vide ont fait leur apparition dans le monde, neuf ont été reçus par les femmes, et un par le reste du monde
2. Les figures féminines de l’Ancien Testament
Malgré ces restrictions, la tradition juive offrait des modèles féminins puissants. Des figures comme Sara, Rébecca, Rachel, Myriam ou Déborah témoignaient d’un idéal de foi et de courage. Déborah, par exemple, fut prophétesse et juge en Israël (Juges 4:4), exerçant un rôle de leadership exceptionnel. Esther sauva son peuple de l’extermination. Ruth incarna la fidélité et la compassion. Ces exemples démontrent que la religion hébraïque reconnaissait une valeur spirituelle profonde aux femmes, bien que leur accès au pouvoir profane fût rare. Cette ambivalence entre respect et subordination traverse tout le judaïsme antique.
3. Les femmes dans la synagogue
À l’époque de Jésus, la synagogue était devenue le centre spirituel et social du judaïsme. Cependant, les femmes y occupaient des places séparées, souvent derrière une cloison ou en galerie. Elles ne lisaient pas publiquement la Torah, mais pouvaient y assister avec leurs enfants. Certaines sources suggèrent toutefois qu’elles contribuaient au financement et à la vie communautaire, notamment comme donatrices ou mécènes.
Le rôle religieux féminin se manifestait surtout dans le domaine privé : l’éducation religieuse des enfants, la pratique du sabbat, la préparation des repas rituels. La femme transmettait ainsi la foi domestique, même si elle restait en marge de la sphère cultuelle publique.
III. Jésus et la transformation du statut des femmes
1. L’attitude de Jésus envers les femmes
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Contrairement aux coutumes sociales de son temps, Jésus porte une attention particulières aux femmes à travers une parole libératrice.
- il parle en public avec la samaritaine, une étrangère de surcroît (Jn 4,7) :
Une femme de Samarie vint puiser de l'eau. Jésus lui dit: Donne-moi à boire.
- il enseigne publiquement à une femme (Lc 10,38-39) : Comme Jésus était en chemin avec ses disciples, il entra dans un village, et une femme,
nommée Marthe, le reçut dans sa maison. Elle avait une soeur, nommée Marie, qui, s'étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa
parole.
- il permet même à des femmes de le suivre et, de fait, elles lui seront fidèles jusqu'à sa mort sur la croix (Mc 15,40-41) : Il y avait aussi des femmes qui regardaient de loin. Parmi elles étaient Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques le mineur et de Joses, et Salomé, qui le suivaient et le servaient lorsqu'il était en Galilée, et plusieurs autres qui étaient montées avec lui à Jérusalem.
- il prend leur défense (Mc 14,6) : Mais Jésus dit: Laissez-la. Pourquoi lui faites-vous de la peine? Elle a fait une bonne action à
mon égard.
- il interdit absolument le divorce (Lc 16,18). Quiconque répudie sa femme et en épouse une autre commet un adultère, et quiconque
épouse une femme répudiée par son mari commet un adultère.
- Il prend la défense de la femme adultère (Jn 8,1-11) : Et Jésus lui dit: Je ne te condamne pas non plus: va, et ne pèche plus.
Les Évangiles synoptiques témoignent de façon frappante d’une rupture avec les normes sociales du temps. Jésus interagit librement avec les femmes, ce qui choquait souvent ses contemporains.
Jésus reconnaît publiquement la dignité et la foi des femmes. À plusieurs reprises, il présente des femmes comme des modèles spirituels supérieurs à certains hommes. La foi de la Cananéenne, la générosité de la veuve du Temple, ou l’amour de Marie de Béthanie surpassent ceux des disciples. En relativisant les critères patriarcaux, Jésus fonde une nouvelle échelle de valeurs fondée non sur le sexe ou le statut, mais sur la foi et la charité.
2. Les femmes dans la communauté de Jésus
Les Évangiles mentionnent explicitement la présence de femmes parmi les disciples. Luc 8:1-3 évoque un groupe de femmes accompagnant Jésus et soutenant son ministère par leurs ressources. Ces femmes — Marie Madeleine, Jeanne, Suzanne — illustrent un nouveau type de relation spirituelle, fondée sur la participation active à la mission divine.
Au moment le plus crucial, les femmes se distinguent par leur fidélité. Alors que les apôtres fuient, elles restent présentes au pied de la croix ; elles assistent à la mise au tombeau et deviennent les premières témoins de la résurrection. Ce privilège de témoin accorde aux femmes une autorité spirituelle inédite. Dans Jean 20, Jésus confie à Marie Madeleine la mission d’annoncer sa résurrection, faisant d’elle la première messagère de l’Évangile.
3. Une révolution silencieuse
L’attitude du Christ vis-à-vis des femmes ne constitue pas une revendication politique au sens moderne, mais une révolution intérieure. Il renverse la hiérarchie sociale en mettant l’accent sur l’égalité spirituelle des âmes devant Dieu. Le Royaume annoncé par Jésus inclut indistinctement hommes et femmes, pauvres et riches, étrangers et enfants.
Cette vision s’oppose radicalement à la culture du Ier siècle : elle accorde à la femme une valeur morale et spirituelle indépendante de son rôle domestique. Les disciples et les premières communautés chrétiennes s’inspireront de cet héritage pour affirmer progressivement une place active des femmes dans la foi.
IV. Les femmes dans les premières communautés chrétiennes
1. Une présence déterminante
Les Actes des Apôtres et les lettres pauliniennes témoignent de la présence active des femmes dans les premières communautés. Priscille, par exemple, enseigne aux côtés de son mari Aquilas ; Phoebé est qualifiée de « diakonos » (servante ou diacre) ; Junia est mentionnée parmi les apôtres (Romains 16:7). Ces références suggèrent que le christianisme primitif offrait un espace d’engagement spirituel plus large que le judaïsme traditionnel.
Les communautés domestiques (ecclesiae domesticae) — les premières Églises — étaient souvent dirigées ou financées par des femmes de rang social plus élevé. Certaines veuves ou matrones mettaient leur maison à disposition pour les assemblées liturgiques, jouant un rôle essentiel dans la diffusion du message chrétien.
2. La tension entre ouverture et tradition
Cependant, cette dynamique fut rapidement encadrée. Les lettres pastorales, écrites vers la fin du Ier siècle, réaffirment certaines normes patriarcales : on y recommande que les femmes soient modestes, silencieuses dans les assemblées, et qu’elles obéissent à leurs maris (1 Timothée 2). Cette évolution traduit l’intégration du mouvement chrétien dans un monde gréco-romain où la hiérarchie domestique restait la norme.
Malgré ce recul, la graine d’égalité plantée par Jésus demeurait. Dans Galates 3:28, Paul affirme : « Il n’y a plus ni homme ni femme, car vous êtes tous un en Jésus-Christ. » Cette phrase, d’une portée théologique majeure, consacre l’abolition spirituelle des inégalités de sexe dans le Royaume de Dieu.
V. Perspectives culturelles et symboliques
1. La femme comme symbole spirituel
Dans la pensée biblique et chrétienne, la femme acquiert une dimension symbolique. Elle incarne à la fois la faiblesse humaine et la rédemption. Marie, mère de Jésus, devient l’archétype de la foi obéissante et du service désintéressé. Son « fiat » représente l’acceptation libre du dessein divin, opposée à la désobéissance d’Ève. Marie introduit ainsi un renversement théologique majeur : la femme, autrefois associée à la chute, devient instrument du salut. Cette revalorisation spirituelle façonne profondément la conscience chrétienne et la perception du féminin dans l’histoire de l’Église.
2. L’influence du message de Jésus sur la culture occidentale
Le message du Christ, valorisant la foi, la charité et l’égalité d’âme, a lentement transformé les structures culturelles de l’Occident. Si l’institution ecclésiale a longtemps conservé des attitudes patriarcales, l’idéal évangélique a nourri une vision plus humaine et universelle du rôle des femmes. Les figures de saintes, mystiques et théologiennes médiévales — de Catherine de Sienne à Thérèse d’Avila — témoignent de la continuité de cette inspiration. Dans leurs écrits et leurs actions, on retrouve la même liberté spirituelle inaugurée par les gestes de Jésus envers les femmes de Palestine.
Conclusion
La situation sociale de la femme au temps de Jésus se caractérisait par la subordination légale et culturelle au pouvoir masculin. Enfermée dans la sphère domestique, soumise à des règles purificatrices strictes, elle demeurait marginalisée dans la vie publique et religieuse. Pourtant, dans ce contexte d’inégalité, l’enseignement et la conduite de Jésus introduisirent une nouveauté radicale : il reconnut à la femme une dignité et une valeur spirituelle identiques à celles de l’homme. Par son comportement — parlant à des femmes, les guérissant, les associant à sa mission —, il renversa les hiérarchies établies.
Ce changement n’eut pas de portée politique immédiate, mais il transforma durablement la compréhension du rôle féminin dans la religion et la société. L’égalité spirituelle prônée par Jésus ouvrit la voie à une lente évolution de la condition des femmes dans le christianisme et, plus largement, dans la civilisation occidentale.
Ainsi, l’étude de la femme au temps de Jésus révèle non seulement les contraintes d’une époque, mais aussi la naissance d’une vision spirituelle libératrice, où la foi, et non le sexe, détermine la valeur de chaque être humain.

