Marie, mère de Dieu

Marie est-elle mère de Dieu ? La question est avant tout christologique et tourne autour de l’humanité et de la divinité de Jésus. Des hérésies apparaissent durant les premiers siècles de l’Eglise et les Pères de l’Eglise doivent défendre et argumenter la vrai nature du Christ : vrai Dieu et vrai homme sans confusion ni séparation. C’est à partir de ces réflexions qu’ils s’intéressent à Marie puisque c’est elle qui met au monde Jésus. La question qui se pose alors : met-elle au monde uniquement un petit garçon ou également le fils de Dieu ?

Voir l'étude sur la divinité de Jésus.

Grégoire de Naziance (329-390) pose les bases de la réflexion qui seront développées au Concile d'Éphèse :

Si quelqu'un ne croit pas que sainte Marie est Mère de Dieu, il est séparé de la divinité. Si quelqu'un vient à dire que le Christ est passé à travers la Vierge comme à travers un canal sans avoir été formé en elle d'une manière à la fois divine, parce que ce fut sans l’action d’un homme, et humaine, parce que ce fut selon le processus normal de la grossesse -, celui-là est tout aussi bien étranger à Dieu. Si quelqu'un vient à dire que l’homme a d’abord été formé et qu’ensuite Dieu s’est glissé en lui, il est digne de condamnation. […] Si quelqu'un introduit deux Fils, l’un étant celui du Dieu et Père et le second étant celui de la mère, au lieu d’un seul et même Fils, que celui-là soit déchu de l’adoption promise aux hommes qui ont la foi droite. Les natures, en effet, sont au nombre de deux, celle de Dieu et celle de l’homme […] mais il n’y pas deux fils. Lettre 101, (PG 36, 181, dans sources chrétiennes 208, par M.JOURJON, Paris, Cerf, 1974, pp. 43-51).

Le concile d'Éphèse (431). Rappelons que le concile d’Éphèse n’est pas centré sur une approche mariale mais christologique : l’enjeu est de tenir la réalité de l’union des natures – divines et humaines – dans le Christ face à une pensée nestorienne cherchant à distinguer le Verbe de Dieu de l’homme Jésus. En effet pour Nestorius Marie ne pouvait pas être Θεοτόκος (théotokos) mais seulement Chritotokos (« mère du Christ »), c’est à dire mère de l’homme en qui a résidé le logos :

Cyrille d’Alexandrie (376-444) : Celui, en effet, qui a été engendré par le Père, est dit né d’une femme selon la chair, non pas dans le sens qu’il ait reçu le début de son existence dans la sainte Vierge, mais parce que, en ayant uni à soi la nature humaine selon l’hypostase, il est né d’une femme. C’est pourquoi on dit souvent qu’il est né selon la chair. Voici ce qu’enseigne la doctrine de la foi plus sûre, ce qu’avaient retenu les saints Pères : en effet ils n’ont pas craint d’appeler la sainte Vierge Theotokos (mère de Dieu), non pas en ce sens que la nature du Verbe et sa divinité ait eu de la sainte Vierge le début de son origine, mais qu’en ayant tiré d’elle ce corps sacré perfectionné par l’âme intelligente à qui il était uni selon l’hypostase, se déclare né selon la chair.

Le concile d'Ephèse (431) entérine que Marie est "théotokos". Lors de ce concile, deux points de vue s’opposent, l’un soutenu par le patriarche Nestorius de Constantinople, l’autre par Cyril d’Alexandrie. Nestorius estime que Marie devait être appelée Christotokos, “Mère du Christ” (litt. “Celle qui porta le Christ” ou “Celle qui engendra le Christ”). Nestorius employait là un terme qui laissait entendre que le Christ était constitué de deux entités distinctes, l’une divine et l’autre humaine. Dès lors, la Vierge Marie, en donnant chair à Jésus, devait être appelée Mère du Christ mais pas Mère de Dieu. Cyril et de nombreux évêques considèrent que le terme adéquat pour désigner la Vierge devait être Theotokos, la Mère de Dieu. Cette terminologie permet d’attester que Jésus est bien “une personne de deux natures qui sont unies”. Une écrasante majorité se prononce en faveur de l’appellation Theotokos et Nestorius est déchu de son statut de patriarche de Constantinople.

Le concile de Chalcédoine (451) précise : "un seul même Christ, Fils, Seigneur, Monogène, reconnu en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division et sans séparation, la différence des deux natures n'étant nullement supprimée à cause de l'union, la propriété de l'une et l'autre nature étant bien plutôt sauvegardée et concourant à une seule personne et une seule hypostase, un Christ ne se fractionnant ni se divisant en deux personnes, mais en un seul et même Fils, unique engendré, Dieu Verbe, Seigneur Jésus-Christ."

Puisqu’il n’y a en Jésus-Christ qu’une seule personne, Marie est la mère de cette personne, et puisque cette personne est la mère du fils de Dieu, Marie est véritablement Mère de Dieu. À l’instant même où elle acquiesça à la parole de l’archange, le Saint-Esprit forma de sa chair virginale une chair capable de recevoir une âme humaine et, à ce même instant, cette chair, vivifiée par cette âme raisonnable, fut unie substantiellement au Verbe divin. Puisque la nature humaine du Seigneur entra ainsi, dès que formée au sein de Marie, dans la personne du Verbe, cette personne est née de Marie. Certes, Marie n’a pas enfanté la nature divine du Verbe incarné, ce qui n’empêche pas, qu’à cause de l’unité de la personne de Jésus-Christ, le Père a pu dire de l’homme que Jean-Baptiste baptisait dans les eaux du Jourdain : Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis toute ma faveur. Christian-Philippe Chanut, « Marie, Mère de Dieu », https://claves.org/saint-cyrille-dalexandrie-defenseur-de-la-maternite-divine/

La divinité du Verbe n’a pas son début en Marie, mais il a pris d’elle et en elle cette nature humaine complète qu’il avait fait sienne selon l’hypostase. Theotokos, donc, ne signifie pas théologiquement "mère de la divinité" mais "mère du Verbe incarné." Etymologiquement théotokos désigne « celle qui enfante Dieu » Hypostase désigne une subsistance fondamentale, un principe premier. L'étymologie donne, pour le mot grec hupostasis : hupo = « dessous » et stases = « station, position ». Les hypostases sont des principes premiers, des réalités fondamentales, dont l'étude relève de la métaphysique ou de la théologie.

Le concile de Chalcédoine en 451 précise l'union hypostatique, c'est à dire l'union de la nature humaine et de la nature divine dans une seule personne, le Christ :

En suivant les saints Pères, nous enseignons tous unanimement que soit confessé un seul et même Fils, Seigneur, l'unique engendré, reconnu en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division et sans séparation. La différence des natures n'est pas enlevée par l'union, mais au contraire la propriété de chaque nature demeure, et chacune concoure dans une unique personne et une seule hypostase.

"Je trouve très surprenant qu’il y ait des gens pour se demander vraiment si la Sainte Vierge doit être appelée Mère de Dieu. Car si notre Seigneur Jésus est Dieu, comment la Vierge qui l’a engendré ne serait-elle pas la Mère de Dieu ? Telle et la foi que nous ont transmise les saints Apôtres, même s’ils n’ont pas employé cette expression. C’est l’enseignement que nous avons reçu des saints Pères, en particulier notre Père de glorieuse mémoire, Athanase […] Au troisième livre de l’ouvrage qu’il a composé sur la Trinité sainte et consubstantielle, il donne constamment à la Sainte Vierge le titre de Mère de Dieu. Je dois citer ses propres paroles. Les voici : "La sainte Ecriture, nous l’avons fait remarquer bien souvent, se caractérise principalement en ceci, qu’elle présente, au sujet du Sauveur, une double affirmation : d’une part qu’il est le Dieu éternel, le Fils, le Verbe, le Resplendissement et la Sagesse du Père ; d’autre part que dans les derniers temps, pour notre salut, il a pris chair de la Vierge Marie, Mère de Dieu, et s’est fait homme." […] On doit donc confesser que l’Emmanuel est constitué de deux éléments : la divinité et l’humanité. Cependant, il y a un seul Seigneur, Jésus Christ, un seul vrai Fils, qui est tout ensemble Dieu et homme ; non pas un homme divinisé, comme ceux qui le sont par la grâce, mais vrai Dieu qui s’est manifesté dans la forme humaine pour notre salut. C’est ce que nous affirme à ce sujet le bienheureux Paul : Lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils ; il est né d’une femme, il a été sujet de la Loi juive pour racheter ceux qui étaient sujets de la Loi et pour faire de nous des fils adoptifs." (Lettre attribuée à St Cyrille à tous les moines d’Egypte avant le concile d’Ephèse (431), Livre des Jours, pp. 1464-1465)

St Jean Damascène († vers 750). Comme celui que nous adorons est Dieu, [...] qui dépasse toute cause, parole, idée soit de temps soit de nature, c'est la Mère de Dieu que nous honorons et vénérons…Et s'incarnant, il naît de cette Vierge sacrée sans union humaine, restant lui-même Dieu tout entier, et tout entier devenu homme, pleinement Dieu avec sa chair, et pleinement homme avec son infinie divinité. Nous ne l'appelons pas une déesse - loin de nous ces fables de l'imposture grecque - puisque nous annonçons aussi sa mort. Mais nous la reconnaissons pour la Mère de Dieu incarné. Qu'y a-t-il de plus glorieux que d'avoir donné accueil au dessein de Dieu ?

Dans la foi de l’Ancien Testament, la femme ne tient positivement aucune place, a-t-on conclu ; une théologie de la femme n’existe pas ou ne peut pas exister, puisque bien plus il s’agit précisément d’exclure la femme de la théo-logie, du discours sur Dieu. La mariologie ne serait alors considérée que comme l’intrusion d’un modèle non biblique. Par conséquent, le Concile d’Éphèse (431) qui confirma le titre de Marie comme Mère de Dieu et le défendit, a assuré en réalité une place dans l’Église à la grande génitrice de la piété païenne, autrefois repoussée. Mais précisément,les présupposés vétérotestamentaires de cette approche sont erronés, car si la foi prophétique refuse le modèle de « Syzygies», c’est à dire des divinités représentées en couple et de leur correspondance cultuelle dans la prostitution sacrée, elle attribue cependant à sa façon, par son modèle de foi et de vie, une place indispensable à la femme, correspondant au mariage dans la vie humaine (Zur théologie der Ehe, in GREEVEN, RATZINGER, SCHNAKENBURG, WENDLAND, Theologie der Ehe, Ratisbonne-Göttingen, 1969).

Marie est la seule mère qui ait pu, librement, en pleine connaissance, choisir l’enfant que Dieu voulait lui donner. Et le Très-Haut a attendu son fiat, son consentement pour lui accorder son Fils... Si Marie a choisi son Fils, il est encore beaucoup plus vrai de dire que le Fils a choisi sa Mère et ce choix est souverainement libre. Comme nous l’avons déjà noté, la Maternité divine se distingue des autres maternités, car elle ne se termine pas seulement à une âme créée directement par Dieu, mais à une Personne divine préexistante. Thomas Philippe, Des Ressources incomparables de la Maternité divine, https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/1948-v4-n1-ltp0932/1019801ar.pdf