Le pardon, signe de salut
Le pardon, un don gracieux qui ouvre un avenir
L’insolvabilité humaine
Le Larousse donne la définition suivante du pardon « Fait de ne pas tenir rigueur d'une faute ; rémission d'une offense ». Le Notre Père d’autrefois parlait de remise d’une dette : « Remets-nous nos dettes, comme nous remettons aussi à ceux qui nous doivent ». Lorsque nous commettons une faute, nous sommes débiteurs à l’égard de l’offensé. Dans le cas d’un mensonge, nous devons la vérité. Dans le cas d’un vol, nous devons le bien volé. Dans le cas d’un adultère, nous devons la fidélité ; dans le cas d’un crime, nous devons la vie.
La gravité de la faute nous fait prendre conscience que nous ne pourrons jamais restaurer le passé tel qu’il était avant la faute. Nous sommes insolvables. Certaines conséquences sont irréversibles. Ainsi il est impossible d’effacer de la mémoire une infidélité ou de rendre la vie. Le pardon se situe à un autre niveau que la restauration littérale d’un passé ou le paiement d’une dette.
Au-delà du mérite personnel
Le pardon est un don gracieux, un cadeau gratuit. Il s'agit là de pléonasmes: on dit deux fois la même chose. Mais il est peut-être nécessaire ici de dire deux fois la même chose! Le pardon est une grâce. L'offenseur n'y a pas droit. Il n'y a pas de droit au pardon, de droit à la grâce.
« Le scandale du pardon et la folie de l'amour ont ceci en commun d'avoir pour objet celui qui ne le "mérite" pas (B. SESBOÜE, Invitation à croire, Des sacrements crédibles et désirables, Cerf, 2009, p 193)».
Un don qui s’adresse à la personne
Le pardon est dépassement de la faute pour s’intéresser à la personne. On ne pardonne pas la faute, on pardonne la personne. Lorsque le pardon aboutit, suite à une faute, autant l’acte est condamnable, autant la personne est pardonnée. Le pardon ne signifie pas que nous éliminons les conséquences de la faute dans la vie des gens. Elle signifie que nous les aidons à travers les conséquences afin qu'ils puissent marcher sur la voie de la guérison.
Le pardon est un événement de notre histoire qui ouvre l’avenir
Le pardon est un acte volontaire qui fait suite à une décision personnelle. Donc, le pardon est un événement historique, une décision, une écriture dans la mémoire qui, seuls, permettront, non pas de reprendre la vie comme avant, comme si rien ne s'était passé, mais de bâtir une nouvelle vie.
Un des objectifs du pardon est de guérir la mémoire par un travail intérieur et parfois douloureux afin d’effacer le ressentiment qui nous empêche d’aller de l’avant, qui nous bloque l’accès à l’avenir. Si le coupable s’enferme dans le remords, il ne trouvera pas la paix en lui. Si la victime entretient la rancune, il n’aura de cesse de ruminer. Le pardon ouvre les portes de l’avenir en proposant une voie de guérison intérieure. Cet acte exige un temps à la mesure de la gravité de la faute et de ses conséquences. Un pardon qu’il n’est pas possible de donner aujourd’hui le sera peut être demain. Il est impossible de poser sa main sur une blessure trop vive ; le réflexe tout à fait humain est de se retirer afin de se protéger de la douleur.
« Le vrai pardon est un événement daté qui advient à tel instant du devenir historique, le vrai pardon en marge de toute légalité, est un don gracieux de l’offensé à l’offenseur ; le vrai pardon est un rapport personnel avec quelqu’un… Le remords est un soliloque, mais le pardon est un dialogue entre deux partenaires dont l’un attend quelque chose de l’autre (V. JANKELEVITCH, Le pardon, Aubier-Montaigne, 1967, p. 204) ».
Le plus difficile dans le pardon, c’est que parfois, l’offense qui nous a été faite oblige à changer de vie. Ainsi tel chauffard ivre qui vous accidente et voilà que le sportif que vous étiez ne pourra plus jamais faire de sport. Ou encore tel couple qui rêvait d’avoir des enfants formidables a dû en chercher un au commissariat pour un délit. Ou encore tel couple qui pensait vivre la fidélité jusqu’au bout constate que l’un des deux a commis un adultère. Le pardon qui est possible en chacune de ses situations suppose non seulement de préférer encore la vie commune, non seulement de se soutenir mais aussi, et sans doute est-ce là le plus dur, de consentir à la nouvelle identité que la faute de l’autre m’a obligé à prendre, ou que ma propre faute m’oblige à assumer désormais. Dans tout vrai pardon, il y a un travail de deuil sans lequel l’ouverture à une autre vie est vraiment difficile. (Bruno Feillet)
Le pardon, symbole du salut
Le pardon fait renaître. Il vient chercher le pécheur dans la mort afin de le relever. « Mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé ». Le pardon inaugure une nouvelle naissance. Il permet de briser les chaînes du passé et de garder l'avenir ouvert.
Le pardon « est un instant créateur d’une nouveauté insoupçonnable, une heure de renaissance, l’avènement d’une vérité où tout masque déposé, l’expérience de Dieu jaillit au regard de celui qui lui prête attention (B. SESBOÜE, Invitation à croire, Des sacrements crédibles et désirables, Cerf, 2009, p 193) ».
Toute l’histoire biblique nous montre que le péché n’a pas sa place dans l’alliance que Dieu veut conclure avec l’humanité. L’Ancien Testament insiste sur les notions de péché, de châtiment, de purification et de salut. Adam et Eve sont expulsés du paradis suite à leur première faute. Le déluge lave l’humanité de ses péchés. Les rites de purification après une faute restaurent l’alliance avec Dieu. Certains psaumes nous parlent de pardon en l’associant à l’amour de Dieu : Ps 86,5 « Seigneur, tu es pardon et bonté, plein d'amour pour tous ceux qui t'appellent. »
Le Nouveau Testament place le pardon au cœur d’une relation entre Dieu et l’homme. Il aborde le péché à partir de l'initiative divine qui vient instaurer son royaume et manifester sa miséricorde. Jésus appelle à la conversion, non pour échapper à la colère divine, mais pour accueillir la Bonne nouvelle du Royaume et du pardon (Mc 1,15). Jésus va au devant des pécheurs, car il n'est pas venu pour les bien portants, mais pour les malades. Il pardonne sans porter de jugement au paralytique (Mc 2,5), à la femme pécheresse (Luc 7,48), à la femme adultère (Jn 8,11), à Zachée (Luc 19,9-10) et sur la croix à ses bourreaux (Luc 23,34). Il montre la miséricorde divine par les paraboles de la brebis perdue et du fils prodigue (Luc 15).
Cependant, Jésus annonce aussi la condamnation et le châtiment des incrédules qui refusent d'accueillir sa parole de miséricorde (Mt 11,20-24 et Mt 13,42) et il affirme que le péché contre l'Esprit saint n'aura pas de pardon (Mc 3,28-30). Il ne peut être pardonné, car il est le refus du pardon que Dieu offre à l’homme par l’Esprit Saint. Dieu ne peut pas nous sauver sans notre accord.
Tout pécheur est susceptible d'être pardonné. On lit toutefois dans les Évangiles cette phrase qui a suscité de très nombreux commentaires: « Si quelqu'un blasphème contre l'Esprit Saint, il reste sans pardon à jamais » (Marc 3, 29). Il y aurait donc un péché qui ne serait pas pardonné. Pour comprendre cette parole, il faut la replacer dans son contexte. Les scribes viennent d'accuser Jésus d'être un possédé: c'est de Satan qu'il détiendrait son pouvoir sur les forces du mal. Jésus répond à cette accusation odieuse par la petite parabole du royaume divisé contre lui-même. Il conclut en redisant que « tout sera pardonné aux fils des hommes, les péchés et les blasphèmes aussi nombreux qu'ils en auront proféré ». Encore faut-il croire au pardon pour être pardonné! Le péché que Dieu ne peut pardonner, c'est le manque de foi dans le pardon! Mais si Dieu peut pardonner tout le reste, il attend que le pardon accordé provoque un changement de vie chez ses interlocuteurs. C'est ainsi qu'il recommande explicitement à la femme adultère de ne plus pécher désormais (Jean 8, 2-11).DE SAUTO Martine, Journal La Croix, le 22/03/2014.
La connaissance de soi-même
Parmi les fruits spirituels produits par le pardon sacramentel, le premier semble bien être la connaissance de soi-même. En recevant le pardon de Dieu, nous découvrons notre juste situation devant Dieu tel qu'il est, Lui, le Dieu trois fois Saint, Lui, le Père des miséricordes et le Dieu de toute conso-lation (2 Co 1, 3). Dans la lumière de la miséricorde qui est la science de la Croix, c'est Dieu Lui-même qui nous donne la connaissance de nous-mêmes. Cette connaissance ne résulte ni d'un examen de nous-mêmes ni d'une auto-analyse. Dieu seul peut nous donner cette connaissance qui nous révèle nos dispositions actuelles envers sa grâce La connaissance de soi-même est la condition de l'humilité. Par rapport à la connais-sance vraie de soi-même, l'humilité ajoute un consentement. Elle nous permet de nous accepter tels que nous sommes, en toute confiance, sous le regard de Dieu. La fine pointe de la connaissance de soi-même est la découverte de notre péché, telle que Dieu nous l'accorde dans la lumière de son pardon. Même quand elle ne dure qu'un instant, la découverte de notre péché par le don de Dieu demande de toute façon le temps de l'assimilation. Plus il y a réception fréquente du sacrement de réconciliation et plus il se produit un affinement de la conscience, une sensibilité plus délicate aux tentations et aux pensées qui pourraient nous détourner de Dieu. Il est malheureusement facile de constater que l'absence de pratique du sacrement de réconciliation entraîne la perte de la sensibilité spirituelle relative au péché. L'homme qui reste de longues années sans demander ce sacrement entre dans une sorte d'oubli et ne voit plus ce qu'il pourrait se reprocher. Jean Claude SAGNE, Les sacrements de la miséricorde. Médiaspaul, 2008, p. 70.
En conclusion, l’Église nous propose de vivre le pardon à travers le sacrement de réconciliation. Comme tous les sacrements, celui-ci est un symbole de salut, c’est-à-dire un acte de Dieu qui préfigure le salut éternel. Il manifeste le déjà là et le pas encore de l’au-delà. C’est dans cette perspective que Paul nous exhorte à nous réconcilier dans le Christ (2Co 5,17).