Le pardon
Le mot « pardon » appartient au quotidien de l’existence comme « bonjour, s’il te plait, merci ». Tout le monde pratique une forme de pardon, souvent sans en être conscient, comme M. Jourdain faisait de la prose. Il s’agit des petites demandes quotidiennes de se faire pardonner, que l’on fait spontanément, consciemment ou inconsciemment, et qui s’habillent d’expressions telles « Excusez-moi !», « Je vous demande pardon ».
Questions et citations
- Que signifie pardonner ?
- Qu’est-ce qu’on pardonne ?
- Quel est le but du pardon ?
- Quels sont les étapes qui conduisent au pardon ?
- Peut-on se pardonner à soi-même ?
- Qui doit entreprendre la démarche du pardon ?
- Le pardon est-il un acte unilatéral ?
- Suffit-il de dire « je te pardonne »
- Faut-il exiger réparation ?
- Y a-t-il des actes impardonnables ?
- Est-ce un concept chrétien, une thérapie psychologique, un signe de faiblesse ?
- Que nous dit la bible sur le pardon ?
- Dieu pardonne-t-il toutes nos fautes ?
- Pourquoi un sacrement du pardon ?
- Notre vengeance sera le pardon (Tomas Borge).
- Pardon ne guérit pas la bosse (Proverbe guadeloupéen).
- L’erreur est humaine, le pardon divin (Alexander Pope).
- Un pardon sincère n’attend pas d’excuses. (Sara Paddison).
- Possible ou impossible, le pardon nous tourne vers le passé. Il y a aussi de l'à-venir dans le pardon. (Jacques Derrida).
- Sans pardon, la vie est gouvernée par un parcours sans fin de ressentiment et de vengeance. (Roberto Assagioli).
- Rien n'obtient le pardon plus promptement que le repentir. (Proverbe oriental).
- Le pardon n'est pas au bout du chemin ; il est le chemin. (Françoise Chandernagor).
- Un pardon qui conduit à l'oubli, ou même au deuil, ce n'est pas, au sens strict, un pardon. Celui-ci exige la mémoire absolue, intacte, active - et du mal et du coupable. (Jacques Derrida).
- L’homme qui pardonne ou qui demande pardon comprend qu’il y a une vérité plus grande que lui. (Jean-Paul II).
- Le pardon est un choix que tu fais, un cadeau que tu donnes à quelqu’un même s’il ne le mérite pas. Cela ne coûte rien, mais tu te sens riche une fois que tu l’as donné. (Lurlene McDaniel).
Etymologie
« Par (un) don, pouvez-vous me remettre ma dette ? » Ces propos renvoient à l’origine du mot pardon ; du latin per, et donare : La particule « per » renvoie à l’idée de totalité, par exemple dans « par-courir », « per-clusion », « par-fait ». Pardonner signifie donc «donner complètement, tout donner, remettre ».
Dans la langue française : d'abord perdonner (v. 980) puis pardoner (1050), est issu du latin tardif perdonare, formé du préverbe intensif per- (par) et de donare qui signifie spécialement, en contexte abstrait, « faire remise de ».
Le verbe est d'abord attesté dans l'ancienne expression perdonner vide (vie) a « faire grâce,
laisser la vie sauve à (un condamné) ». Il a très tôt son sens actuel, « remettre à (qqn) la punition
d'un péché » (fin Xe s.) dans un contexte chrétien, puis signifie « tenir une offense comme non
avenue » (1080).
Dans la seconde moitié du XVIe s., il entre dans la formule de politesse « pardonnez-moi » et, au XVIIe s., dans « vous êtes tout pardonné » (1694). Avec le sens d'« épargner » (1573), il est limité à quelques emplois dont la locution familière « ça ne pardonne pas ».
Au XVIIe s., se développent les sens affaiblis de « considérer avec indulgence (une erreur, un défaut,
une imperfection) en lui trouvant une excuse » (1616-1620). Le pronominal se pardonner,
d'abord employé avec le sens ancien de « se ménager » (1520), a pris ses valeurs modernes passive
et réciproque au cours du XVII siècle.
Le déverbal PARDON n. m. (1130-1140), « action de pardonner une offense », passe dans le
vocabulaire social et entre au cours du XVIe s. dans la formule de politesse « je vous demande
pardon », avec un sens atténué. L'interjection « pardon ! », demande de clémence (v. 1540), est devenue au XXe s. une exclamation populaire emphatique (1943) exprimant souvent l'admiration et la surprise.
En revanche, le mot est employé avec son sens fort dans la locution aujourd'hui très
littéraire (être) sans pardon (1802) « (être) impitoyable ».
Sa détermination religieuse se fait également sentir dans les sens d'« absolution religieuse » (1160-1174), et par métonymie (au pluriel) « fête où se gagnaient les indulgences » (1240) et « prière qui les fait obtenir » (1458).
En Bretagne, « Pardon » désigne en particulier une fête patronale avec pèlerinage religieux (1834).
Le mot est employé dans la religion juive pour désigner le Kippour, fête de l'expiation, la plus importante de l'année, généralement appelée Grand Pardon (1721).
Dictionnaire étymologique Alain REY
Le pardon n'est pas
Le pardon n’est pas l’excuse
Le langage courant utilise aussi bien l’expression « je vous demande pardon » que « excusez-moi ». Mais l’excuse n’est pas le pardon. Dans l’excuse il n’y a pas de faute volontaire. L’étymologie du mot le confirme « ex causa » c’est-à-dire hors de cause. On ne pardonne pas à quelqu’un qui nous marche sur les pieds par inadvertance, on l’excuse. Dans le cas de la demande du pardon, on se situe dans le champ des actes volontaires reconnus comme tels par leur auteur.
Mais dans la culpabilité il y a toujours une part d’excusable qui prépare le pardon. En essayant d’expliquer le comportement à travers l’éducation, le milieu social, l’ignorance, on recherche tout ce qui pourrait excuser l’acte de l’offenseur. C’est ce que la justice appelle les circonstances atténuantes. Mais cette disposition n’est que le prélude du pardon.
Le pardon n’est pas l’oubli
L’oubli consiste à ne plus se souvenir d’un événement passé. Celui-ci est effacé de la mémoire. Quand on a oublié la faute, comme si elle n’existait plus, où serait-il donc le pardon ? Quoi pardonner ? Ou alors on fait comme si la faute n’avait jamais existé. On enfouit bien profondément la faute au fil des ans ; mais dans ce cas on court le risque de voir ressurgir le ressentiment tel un volcan en sommeil depuis bien longtemps. Les blessures mal cicatrisées ne demandent qu’à se réveiller.
Écoutons Tim Guénard, cet ancien enfant battu, dont la vie fut un itinéraire de pardon. "Pardonner", écrit-il, ce n’est pas effacer avec une baguette magique. « Pardonner, ce n’est pas oublier, mais c’est savoir vivre avec... »
Pape François. Redisons le avec force, pardonner, ce n’est pas oublier. Il ne s’agit pas de tenter de reconstruire la relation avec l’autre en oubliant ce qu’il a fait. J’ai en mémoire tant de visages d’enfants maltraités, sur le plan physique, moral, sexuel, à qui il serait insensé de demander d’oublier et qui ont raison de demander que justice soit faite. Le pardon ne peut être synonyme d’impunité pour l’auteur, mais doit être associé à la justice et à la mémoire, parce que pardonner ne signifie pas oublier, mais, « renoncer à la force destructrice du mal et de la violence ».
Oublier est impossible, et peut même être dangereux. Je songe à cette parole que l’on attribue à Goethe : "Celui qui oublie son passé est condamné à le répéter". Nous avons tous un devoir de mémoire. Pardonner ne doit donc jamais dispenser l’auteur de répondre de ses actes devant la justice des hommes. Il ne s’agit jamais de faire en sorte de les gommer.
Antoine Nouis (pasteur) : Non, pardonner n'est pas oublier. Le pardon est un commandement, tandis que l'oubli ne peut pas se commander. L'oubli peut être une grâce ou une maladie, ce n'est pas un commandement. Enzo Bianchi, le prieur de la communauté œcuménique de Bose en Italie, a dit que Dieu pardonne en oubliant, mais que l'homme pardonne en gardant la mémoire. Peut-être Dieu peut-il oublier, mais nous ne sommes pas maîtres de l'oubli. Et nous devons pardonner sans oublier, car le pardon est un commandement.
Mais il y a deux manières de garder et d’user de la mémoire de ces blessures et de ces réconciliations. Soit on décide de se souvenir pour tenir l’autre à notre merci. Et alors on se tient l’un l’autre. Constamment on est sous la menace d’un coup bas. Soit on se soutient l’un l’autre pour que l’on ne retombe pas ou moins vite dans nos faiblesses. Se tenir ou se soutenir, c’est là toute la différence entre l’enfer et le paradis. On pourrait encore dire que l’on choisit de préférer une mémoire éthique qui cherche à éviter le renouvellement de la faute à une mémoire juridique qui cherche à faire payer la faute.
Le pardon n’est pas d’ordre juridique
La justice n’est pas du même ordre que le pardon. Pardon et justice vont ensemble mais ne peuvent se substituer l’un à l’autre. La justice au sens civil et pénal du terme consiste à déterminer si une personne est juridiquement coupable d’un acte. Elle se base sur les faits et sur la loi en toute objectivité. Le champ d’application de la justice et du pardon ne se recouvre pas toujours ; ainsi la convoitise n’est pas du ressort de la justice.
L’indépendance entre justice et pardon rappelle aussi que la justice n’a pas le dernier mot, qu’elle n’est pas le jugement dernier. Face à un tribunal, l’homme est condamné selon la loi, mais il reste un homme avec cette possibilité d’être pardonné et donc réhabilité sur le plan de son humanité. Le pardon nous dit que personne n’est définitivement enchaîné à un acte. Un coupable peut se voir condamné à la prison tout en étant pardonné par sa victime.
Emmanuel Lévinas écrit dans une de ses leçons talmudiques : « si un homme commet une faute à l'égard d'un homme, [...] il faut qu'un tribunal terrestre fasse justice entre les hommes ! Il faut plus que la réconciliation entre l'offenseur et l'offensé - il faut la justice et le juge. Et la sanction. Le drame du pardon ne comporte pas seulement deux personnages, mais trois ». Quatre leçons talmudiques, Editions de Minuit, p.41.
Par principe la justice est donc étrangère au pardon. Néanmoins il y a des formes juridiques d'effacement de la peine. Telles sont la grâce, l'amnistie et la prescription. Le cas de la grâce présidentielle est particulièrement intéressant car il s'agit en fait d'une forme de pardon que l'on pourrait être tenté de considérer comme une forme de pardon social puisqu'elle est constitutionnelle. Tout autre est l'amnistie, celle des faits comme celle des peines. Elle relève d'un dispositif législatif mettant en œuvre un mécanisme d'effacement de la faute par décision d'oublier. Quant à la prescription, elle décide de ne plus engager de poursuites ou de ne plus demander l'exécution des peines après un certain délai (par ex. 20 ans pour viol sur majeur).
Le pardon n’est pas une négociation
Le pardon n’est pas négociable, surtout avec Dieu. Sur le plan humain, des négociations sont néanmoins parfois nécessaires pour amorcer ou pour conclure le processus de la réconciliation suite à une faute. L’objectif est de réparer autant que possible les conséquences de la faute et d’éviter la récidive.
Le pardon déborde la compréhension
« Comprendre, c’est pardonner » nous dit Madame de Staël. La compréhension aide à pardonner, dans la mesure où elle cherche la part d’excusable dans la faute. Elle répond au « comment » et au « pourquoi » le coupable en est arrivé là.
Mais la compréhension, n’enlève-t-elle pas une part de gratuité au pardon ?
Par ailleurs certains actes sont hors compréhension, hors de toute logique humaine que ni les circonstances, ni la maladie n’expliquent.
Enfin, le pardon ne se laisse pas réduire à l’explication des actes commis.
Se pardonner à soi-même
«Je regrette amèrement tout ce qui s'est passé. Mes amis, mes parents, mes enfants, m'ont pardonné. Moi, je ne me pardonnerai jamais moi-même d'avoir fait ça.»
Penaud, se décrivant comme «très repentant» depuis six mois, l'ex-ingénieur de la Ville de Montréal, Gilles Surprenant y est allé d'un acte de contrition sans détour ce matin devant la commission Charbonneau, pour sa dernière journée de témoignage devant les tribunaux. Il a décrit les 10 dernières années de sa carrière, au cours desquelles il a reçu plus de 700 000$ en pots-de-vin, comme «catastrophiques». «Je n'aurais jamais dû faire ça, ç'a été tellement l'enfer!»
Nul ne peut se pardonner à soi–même : Non pas qu'un tel pardon serait trop facile ; le pardon à soi, lorsqu'il existe vraiment, est la chose la plus difficile et la plus dure. Lévinas écrit dans Quatre Lectures talmudiques : "Peut– être que les maux qui doivent se guérir à l'intérieur de l'âme sans le secours d'autrui, sont précisément les maux les plus profonds (...) Qu'un mal exige une réparation de soi par soi, cela mesure la profondeur de la lésion."
Mais ce pardon n'est plus proprement un pardon éthique, c'est plutôt un travail de deuil et de rédemption. Au plan éthique, nul ne peut se pardonner à soi–même, parce que le pardon suppose la capacité de voir l'autre ou soi autrement que comme le coupable ou la victime du tort. Qui peut avoir une toute autre perception de soi, sans qu'un autre soit intervenu ? Olivier Abel (voir Bibliothèque)
En d’autres termes le pardon suppose une distance entre le coupable et la victime. Se pardonner à soi-même relève de la psychologie. Se pardonner à soi-même est libérateur parce qu’il nous permet de reprendre le contrôle de nos décisions et de nous reconnaître comme des êtres imparfaits. Il faut accepter ses erreurs et vivre avec son passé.
Pardonner à la place de
Soixante ans après la fin de la guerre d'Algérie, le Parlement a adopté un projet de loi pour demander "pardon" aux harkis, qui ouvre la voie à une indemnisation pour certaines familles. Ce texte vient concrétiser un engagement pris par le président Emmanuel Macron qui avait demandé "Pardon" à ces Algériens qui ont combattu aux côtés de l'armée française mais ont été "abandonnés" par la France après la signature des accords d'Evian le 18 mars 1962.
Le 30 septembre 1997 à Drancy, les évêques de France, évoquant la Shoah, faisaient Repentance. Quelques mois plus tard, Rome produira à son tour un texte allant dans le même sens. En effet, le 16 mars 1998, un document approuvé par Jean-Paul Il et publié par le secrétariat romain pour les relations avec le judaïsme, reconnaît que "l'enseignement du mépris" a favorisé l'antisémitisme et le génocide des Juifs. Voici la déclaration française dans son entier, telle que Monseigneur Olivier de Berranger, évêque de Seine-Saint-Denis, l'a lue à Drancy le mardi 30 septembre 1997.
Nous ne jugeons ni les consciences ni les personnes de cette époque, nous ne sommes pas nous-mêmes coupables de ce qui s’est passé hier, mais nous devons apprécier les comportements et les actes. C’est notre Église et nous sommes obligés de constater aujourd’hui objectivement que des intérêts ecclésiaux entendus d’une manière excessivement restrictive l’ont emporté sur les commandements de la conscience, et nous devons nous demander pourquoi.
Il n’en reste pas moins que, si parmi les chrétiens, clercs, religieux ou laïcs, les actes de courage n’ont pas manqué pour la défense des personnes, nous devons reconnaître que l’indifférence l’a largement emporté sur l’indignation et que devant la persécution des juifs, en particulier devant les mesures antisémites multiformes édictées par les autorités de Vichy, le silence a été la règle et les paroles en faveur des victimes, l’exception.
Pourtant, comme l’a écrit François Mauriac, « un crime de cette envergure retombe pour une part non médiocre sur tous les témoins qui n’ont pas crié et quelles qu’aient été les raisons de leur silence ». Le résultat, c’est que la tentative d’extermination du peuple juif, au lieu d’apparaître comme une question centrale sur le plan humain et sur le plan spirituel, est restée à l’état d’enjeu secondaire. Devant l’ampleur du drame et le caractère inouï du crime, trop de Pasteurs de l’Église ont, par leur silence, offensé l’Église elle-même et sa mission.
Aujourd’hui, nous confessons que ce silence fut une faute. Nous reconnaissons aussi que l’Église en France a alors failli à sa mission d’éducatrice des consciences et qu’ainsi elle porte, avec le peuple chrétien, la responsabilité de n’avoir pas porté secours dès les premiers instants, quand la protestation et la protection étaient possibles et nécessaires, même si, par la suite, il y eut d’innombrables actes de courage.
C’est là un fait que nous reconnaissons aujourd’hui. Car cette défaillance de l’Église de France et sa responsabilité envers le peuple juif font partie de son histoire. Nous confessons cette faute. Nous implorons le pardon de Dieu et demandons au peuple juif d’entendre cette parole de repentance.
Cet acte de mémoire nous appelle à une vigilance accrue en faveur de l’homme dans le présent et pour l’avenir.
À Lourdes, le 6 novembre 2021, les évêques de France, sans leurs habits liturgiques, implorent à genoux le pardon de Dieu, en présence de victimes et de laïcs. « L’Église demande pardon à Dieu, en présence des victimes ou de leurs descendants.»
En demandant pardon à Filomena Lamberti (défigurée à l’acide par son mari), le pape François a dit qu’il « prenait sur (lui) le poids d’une humanité qui ne sait pas demander pardon à celui qui est offensé ». N’est-ce pas le Christ seul qui peut prendre sur lui le péché de l’humanité ?