Comment communier ?
Aujourd’hui nous assistons à plusieurs manières de recevoir l’hostie : debout et dans la main, debout et dans la bouche, à genoux et dans la main, à genoux et dans la bouche. Par ailleurs, certains fidèles souhaitent uniquement recevoir la communion du prêtre.
L’histoire
Les récits de la cène rapportent simplement que Jésus « donne » le pain, sans plus de précision.
Jésus donne le pain et le vin consacrés alors que ses disciples sont allongés et accoudés au sol, sur des coussins, près d’une table basse. Jésus n’a donc probablement pas donné la communion ni sur la langue ni dans la main à chacun de ses disciples. Les apôtres ont « pris » : « Prenez et mangez », « Prenez et buvez ». Cela veut dire que Jésus n’a pas privilégié l’une de nos manières de communier, Il a fait autrement, selon les coutumes de l’époque et les circonstances de la Cène. Il était libre ! (François Lapointe, voir les liens ci-dessous).
N'oublions pas que l'institution de l'eucharistie se déroule durant un repas, dans une "salle à manger" et non dans un temple sacré.
Un des premiers témoignages de communion est celui de Cyrille de Jérusalem écrit vers 365 :
Quand donc tu approches, ne t’avances pas les paumes des mains étendues, ni les doigts disjoints ; mais fais de ta main gauche un trône pour ta main droite puisque celle-ci doit recevoir le Roi, et, dans le creux de ta main, reçois le corps du Christ disant : Amen. Cyrille de Jérusalem : Catéchèses mystagogiques, V, 21, Paris, Cerf, Sources chrétiennes, 126, 1966.
A la même époque, Théodore de Mopsueste affirmait que c’est en étendant les deux mains et en baissant la tête avec humilité que le communiant manifestait son respect pour le corps du Christ (Homélie II sur la messe », §27-28).
Telle est la pratique des premiers siècles de l’Église. Celle-ci s’est transformée du VIe au XXe siècle au profit du geste de recevoir l’hostie directement sur la langue. La réception de l’hostie dans les mains des communiants cesse par crainte qu’ils en fassent un usage sacrilège, et aussi par sentiment de respect croissant. Après 800, sa réception dans la main n'est plus attestée que comme un privilège du clergé. Le concile de 878 affirme qu’« à aucun laïc ou femme on ne mettra l’eucharistie dans les mains, mais seulement dans la bouche ». C’est à cette même période que l’on est passé à l’usage du pain azyme, préparé en petites pièces : on évitait ainsi d’avoir des miettes.
Depuis la réforme liturgique de Vatican II, ce n’est plus le seul geste possible, puisque la réception de la communion dans la main a été autorisée par la plupart des conférences épiscopales, suite à l’instruction « Memoriale Domini » de la congrégation pour le culte divin en 1969. Cette instruction précise :
De plus, cette façon de faire, qui doit déjà être considérée comme traditionnelle, assure plus efficacement que la Sainte Communion soit distribuée avec le respect, le décorum et la dignité qui lui conviennent ; que soit écarté tout danger de profanation des espèces eucharistiques.
- 1. La nouvelle manière de communier (dans la main) ne devra pas être imposée d’une manière qui exclurait l’usage traditionnel. Il importe notamment que chaque fidèle ait la possibilité de recevoir la Communion sur la langue, là où sera concédé légitimement le nouvel usage et lorsque viendront communier en même temps d’autres personnes qui recevront l’Hostie dans la main. En effet, les deux manières de communier peuvent coexister sans difficulté dans la même action liturgique. Cela, pour que personne ne trouve dans le nouveau rite une cause de trouble à sa propre sensibilité spirituelle envers l’Eucharistie et pour que ce Sacrement, de sa nature source et cause d’unité, ne devienne pas une occasion de désaccord entre les fidèles.
- 2. Le rite de la Communion donnée dans la main du fidèle ne doit pas être appliqué sans discrétion. En effet, puisqu’il s’agit d’une attitude humaine, elle est liée à la sensibilité et à la préparation de celui qui la prend. Il convient donc de l’introduire graduellement, en commençant par des groupes et des milieux qualifiés et plus préparés. Il est nécessaire surtout de faire précéder cette introduction par une catéchèse adéquate, afin que les fidèles comprennent exactement la signification du geste et accomplissent celui-ci avec le respect dû au Sacrement. Le résultat de cette catéchèse doit être d’exclure quelque apparence que ce soit de fléchissement dans la conscience de l’Église sur la foi en la présence eucharistique, et aussi quelque danger que ce soit ou simplement apparence de danger de profanation.
- 3. La possibilité offerte au fidèle de recevoir dans la main et de porter à la bouche le Pain eucharistique ne doit pas lui offrir l’occasion de le considérer comme un pain ordinaire ou une chose sacrée quelconque ; elle doit, au contraire, augmenter en lui le sens de sa dignité de membre du Corps Mystique du Christ, dans lequel il est inséré par le Baptême et par la grâce de l’Eucharistie, et aussi accroître sa foi en la grande réalité du Corps et du Sang du Seigneur qu’il touche de ses mains. Son attitude de respect sera proportionnée à ce qu’il accomplit.
- 4. Quant à la manière de faire, on pourra suivre les indications de la tradition ancienne, qui mettait en relief la fonction ministérielle du prêtre et du diacre, en faisant déposer l’Hostie par ceux-ci dans la main du communiant. On pourra cependant adopter aussi une manière plus simple, en laissant le fidèle prendre directement l’Hostie dans le vase sacré [NOTA]. En tout cas, le fidèle devra consommer l’Hostie avant de retourner à sa place, et l’assistance du ministre sera soulignée par la formule habituelle : « Le Corps du Christ », à laquelle le fidèle répondra : « Amen ».
- NOTA. On remarquera utilement que :
- a) cette phrase : « On pourra cependant adopter aussi une manière plus simple, en laissant le fidèle prendre directement l’Hostie dans le vase sacré » est omise au n. 21 de De sacra Communione et de cultu mysteria eucharistici extra Missam (21 juin 1973) ;
- b) cette pratique est formellement interdite dans l’édition 2002 de Missale Romanum, au n. 160 de la Présentation générale ;
- c)cette interdiction est rappelée le 25 mars 2004 au n. 94 de Redemptionis Sacramentum.
- 6. Dans le cas de la Communion sous les deux espèces distribuée par intinction, il n’est jamais permis de déposer dans la main du fidèle l’Hostie trempée dans le Sang du Seigneur.
Communier dans la bouche ou dans la main ?
Le rapport au sacré
L’instruction ci-dessus rappelle le caractère sacré d’une hostie, signe visible de la présence du Christ. Pour le cardinal guinéen Robert Sarah, la seule manière appropriée de recevoir la communion est sur la langue et à genoux :
La liturgie est faite de nombreux petits rites et gestes – chacun d’eux est capable d’exprimer ces attitudes chargées d’amour, de respect filial et d’adoration de Dieu. C’est précisément pour cette raison qu’il est opportun de promouvoir la beauté, l’adéquation et la valeur pastorale d’une pratique développée au cours de la vie et de la longue tradition de l’Église, c’est-à-dire l’acte de recevoir la Sainte Communion sur la langue et à genoux. La grandeur et la noblesse de l’homme, ainsi que la plus haute expression de son amour pour son Créateur, consiste à s’agenouiller devant Dieu. On comprend comment l’attaque la plus insidieuse du diable consiste à essayer d’éteindre la foi en l’Eucharistie, semant des erreurs et favorisant une manière inadaptée de la recevoir, poursuit le prélat. La cible de Satan est le sacrifice de la Messe et la présence réelle de Jésus dans l’hostie consacrée. https://www.cath.ch/newsf/cardinal-sarah-communier-main-manque-de-respect/
Suite à ces propos, le pape François rappelle :
Selon la pratique ecclésiale, le fidèle s’approche normalement de l’Eucharistie en procession, comme nous l’avons dit, et il communie debout, ou bien agenouillé, selon ce qui est établi par la conférence épiscopale, en recevant le sacrement dans la bouche ou bien, là où cela est autorisé, dans la main, comme il le préfère. Audience générale du 21 mars 2018.
Approche anthropologique du « prendre »
Prendre signifie dans son sens premier « se saisir de ». Sur un plan anthropologique, la main est l’organe du « prendre » notamment dans le cadre de l’alimentation. Seuls les bébés ou les personnes séniles prennent les aliments directement à la bouche sans passer par l’intermédiaire de la main.
Le "prebdre" s’applique plus particulièrement aux objets ; par exemple prendre un morceau de pain. Dans ce cas, la main se saisit du pain. De même prendre un enfant par la main signifie la serrer dans sa propre main pour « l’emmener vers demain » comme le chante par exemple Yves Duteil. On peut aussi prendre un verre pour dire que l’on va boire un coup. Enfin dernier exemple, on prend un(e) époux(se). Le sens est ici beaucoup plus symbolique, car il ne signifie pas se saisir de, mais le recevoir pour entrer dans une alliance.
Enfin, le "prendre" n'est possible que dans la mesure où il s'agit d'une réception. Nous prenons l'hostie parce que quelqu'un nous la donne. L'eucharistie se différencie de l'épisode du Jardin d'Eden où l'homme et la femme prennent le fruit sans l'avoir reçu.
Une vision différente de Dieu
Avant d’être une revendication identitaire, la manière de communier est d’abord d’une expérience spirituelle et une manière de se situer devant Dieu. Dans la communion à genoux dans la bouche, nous adoptons une attitude d’adoration et d'humilité devant un Dieu transcendant ; dans la communion debout dans la main, nous accueillons un Dieu incarné. La première établit une distance que la main n’a pas le droit de franchir. La seconde tend la main pour recevoir la nourriture divine.
A maintes reprises, Jésus se laisse toucher par des personnes, parfois par des personnes impures. Ainsi, une prostituée se met à mouiller les pieds de Jésus avec ses larmes. Ensuite, elle les essuie avec ses cheveux, elle les embrasse et elle verse du parfum dessus (Luc 7:36-49).
Nos mains ne sont pas plus impures que nos bouches. Les disciples ne prennent-ils pas leur repas avec des mains impures (Mc 7,1-13). Par contre, la langue est un feu impossible à dompter :
Jc 3,4 Voyez aussi les bateaux : si grands soient-ils et si rudes les vents qui les poussent, on les mène avec un tout petit gouvernail là où veut aller celui qui tient la barre. 5 De même, la langue est un petit membre et se vante de grands effets. Voyez comme il faut peu de feu pour faire flamber une vaste forêt ! 6 La langue aussi est un feu, le monde du mal ; la langue est installée parmi nos membres, elle qui souille le corps entier, qui embrase le cycle de la nature, qui est elle-même embrasée par la géhenne. 7 Il n'est pas d'espèce, aussi bien de bêtes fauves que d'oiseaux, aussi bien de reptiles que de poissons, que l'espèce humaine n'arrive à dompter. 8 Mais la langue, nul homme ne peut la dompter : fléau fluctuant, plein d'un poison mortel ! 9Avec elle nous bénissons le Seigneur et Père ; avec elle aussi nous maudissons les hommes, qui sont à l'image de Dieu ; 10 de la même bouche sortent bénédiction et malédiction. Mes frères, il ne doit pas en être ainsi. 11La source produit-elle le doux et l'amer par le même orifice ? 12 Un figuier, mes frères, peut-il donner des olives, ou une vigne des figues ? Une source saline ne peut pas non plus donner d'eau douce. 13 Qui est sage et intelligent parmi vous ? Qu'il tire de sa bonne conduite la preuve que la sagesse empreint ses actes de douceur.
Depuis l’incarnation, Dieu s’est rendu accessible à nos sens. La résurrection puis l’ascension changent évidemment la donne, mais Jésus n'en demeure pas moins vrai homme, et vrai Dieu bien sûr. Le rideau du temple est définitivement déchiré pour que nous puissions voir et toucher le Verbe incarné.
Réflexions
Mettre une main dans l’autre pour accueillir le Christ dans sa paume, comme cela a été fait aux débuts de l’Église, signifie que l’on reçoit le Christ, présent sacramentellement. Le geste de porter ensuite à sa bouche le Corps du Christ, comme l’acte de la manducation, et ensuite de l’ingestion, exprime notre participation active à cette réception de la grâce et notre désir en retour du don entier de notre vie – corps, esprit et âme – à Celui que nous venons d’ingérer. Recevoir, accueillir, rendre grâce : voilà ce qui rend droite et bonne notre démarche de communion eucharistique. C’est pourquoi le fidèle ne doit pas se communier lui-même, ne doit pas prendre lui-même l’hostie dans la patène ou le ciboire. Lorsqu’on porte la communion à un malade en dehors de la messe, il reçoit d’un autre, mandaté par l’Église, le précieux don qui vient du Seigneur. Ce qui importe, c’est de recevoir ce que Dieu nous donne. Mgr Laurent Camiade.
La communion eucharistique consiste à recevoir le Christ, notre Sauveur en nourriture. Il s’agit d’un pain qui nous est entièrement donné. La meilleure manière de manifester la réalité de ce mystère n’est-elle pas de recevoir ce pain-là en sa bouche, comme le nourrisson reçoit dans sa bouche le lait de sa mère ? Enfant, puis adulte, on reçoit, certes, le pain que l’on vous sert et que peut-être on a gagné ; puis on le porte soi-même à sa bouche. Par là, on le prend pour se le donner à soi-même. La communion reçue directement dans la bouche me paraît donc plus expressive de ce que l’homme est tout accueil devant le salut de Dieu manifesté dans le corps de Jésus-Christ. Les vrais adultes dans la foi sont ceux qui deviennent comme des enfants. Jean-Christophe de Nadai. Série ThéoDom : « L’Eucharistie, c’est la vie ! » série no.26, Automne 2023.
Les mains. Elles sont presque des êtres animés. Des servantes ? Peut-être. Mais douées d'un génie énergique et libre, d'une physionomie —visages sans yeux et sans voix, mais qui voient et qui parlent. Certains aveugles acquièrent à la longue une telle finesse de tact qu'ils sont capables de discerner, en les touchant, les figures d'un jeu de cartes, à l'épaisseur infinitésimale de l'image. Mais les voyants eux aussi ont besoin de leurs mains pour voir, pour compléter par le tact et par la prise la perception des apparences. Elles ont leurs aptitudes inscrites dans leur galbe et dans leur dessin : mains déliées expertes à l'analyse, doigts longs et mobiles du raisonneur, mains prophétiques baignées de fluides, mains spirituelles, dont l'inaction même a de la grâce et du trait, mains tendres.
Quel est ce privilège ? Pourquoi l'organe muet et aveugle nous parle-t-il avec tant de force persuasive ? C'est qu'il est un des plus originaux, un des plus différenciés, comme les formes supérieures de la vie. Articulé sur des charnières délicates, le poignet a pour armature un grand nombre d'osselets. Cinq rameaux osseux, avec leur système de nerfs et de ligaments, cheminent sous la peau, puis se dégagent comme d'un jet pour donner cinq doigts séparés, dont chacun, articulé sur trois jointures, a son aptitude propre et son esprit. Une plaine bombée parcourue de veines et d'artères, arrondie sur les bords, unit au poignet les doigts dont elle recouvre la structure cachée. Son revers est un réceptacle. Dans la vie active de la main, elle est susceptible de se tendre et de se durcir, de même qu'elle est capable de se mouler sur l'objet. Ce travail a laissé des marques dans le creux des mains, et l'on peut y lire, sinon les symboles linéaires des choses passées et futures, du moins la trace et comme les mémoires de notre vie ailleurs effacée, peut-être aussi quelque héritage plus lointain. De près, c'est un paysage singulier, avec ses monts, sa grande dépression centrale, ses étroites vallées fluviales, tantôt craquelées d'incidentes, de chaînettes et d'entrelacs, tantôt pures et fines comme une écriture. On peut rêver sur toute figure. Je ne sais si l'homme qui interroge celle-ci a la chance de déchiffrer une énigme, mais j'aime qu'il contemple avec respect cette fière servante.
Henri Focillon, Victoria Charles, Éloge de la main.
Deux articles
- Article sur France catholique
- Article sur le Portail catholique suisse