Ézéchiel, le temps de l’exil

Ézéchiel est le prophète de l’exil à Babylone (587-538).

La chute des deux royaumes

Situé en plein croissant fertile, Israël a toujours été un enjeu stratégique pour les grandes puissances du Moyen-Orient. En 721 av. J-C, Salmanasar, roi d’Assyrie, prend Samarie. C’est la fin du royaume du nord. La déportation est vécue comme un châtiment divin.

2R 18,9 La quatrième année du règne d’Ezékias (roi du Sud), la septième d’Osée, fils d’Ela, roi d’Israël, Salmanasar, roi d’Assyrie, monta contre Samarie et l’assiégea. 10 Les Assyriens s’en emparèrent au bout de trois ans. La sixième année du règne d’Ezékias, la neuvième d’Osée, roi d’Israël, Samarie fut prise. 11 Le roi d’Assyrie déporta Israël en Assyrie et les conduisit à Halah ainsi que sur le Habor, fleuve de Gozân, et dans les villes de Médie, 12 parce qu’ils n’avaient pas écouté la voix de Yahvé, leur Dieu, et qu’ils avaient transgressé son alliance : tout ce que Moïse, serviteur de Yahvé, avait prescrit, ils ne l’avaient pas écouté ni ne l’avaient pratiqué.

En -597, Nabuchodonosor, roi de Babylone, assiège Jérusalem et déporte une partie de la population. Sédécias, roi de Judée, va entrer en révolte ouverte contre les Babyloniens. La riposte de ces derniers sera impitoyable : Jérusalem va être prise une seconde fois en -587. Sédécias est exécuté et une portion importante de la population déportée. Le Temple, déjà pillé en -597, est cette fois complètement rasé, de même que les murailles de la ville. Cette fois, Juda perd définitivement son indépendance et devient une province babylonienne. En -582 enfin, Nabuchodonosor réalise une troisième déportation. C’est la fin du royaume de Juda !

2R 25,1 La neuvième année du règne de Sédécias, le dixième jour du dixième mois, Nabuchodonosor, roi de Babylone, vint attaquer Jérusalem, lui et toute son armée. Il installa son camp devant la ville pour l’assiéger, et les Babyloniens construisirent des terrassements d’assaut autour de la ville. 2 La ville resta assiégée jusqu’à la onzième année de son règne. 3 La famine était devenue terrible dans la ville ; il n’y avait plus de quoi nourrir la population. Le neuvième jour du quatrième mois, 4 les Babyloniens ouvrirent une brèche dans la muraille de la ville. À la nuit tombée, tous les combattants de Juda s’enfuirent. 7 Ils égorgèrent les fils de Sédécias sous ses yeux. Et l’on creva les yeux de Sédécias, on le lia par une double chaîne de bronze, et on l’emmena à Babylone… 8 Nebouzaradân, chef de la garde personnelle de Nabuchodonosor, déporta le reste du peuple qui demeurait encore dans la ville et les déserteurs qui s’étaient ralliés au roi de Babylone, ainsi que le reste de la population. 12 Le chef de la garde personnelle laissa une partie des petites gens du pays pour cultiver les vergers et les champs… 27 La trente-septième année de la déportation de Yoyakîn, roi de Juda, le douzième mois, le vingt-sept du mois, Ewil-Mérodak, roi de Babylone, l’année même où il devint roi, fit grâce à Yoyakîn, roi de Juda et le libéra. 28 Il lui parla en ami et lui accorda un siège plus élevé que celui des autres rois qui partageaient son sort à Babylone. 29 Il lui fit quitter ses vêtements de prisonnier et Yoyakîn prit ses repas constamment en présence du roi, tous les jours de sa vie. 30 Sa subsistance, la subsistance quotidienne, lui fut assurée par le roi chaque jour, tous les jours de sa vie.

À Babylone, tout paraît démesuré aux exilés. La ville est gigantesque, les bâtiments sont immenses (le champ de ruines actuel s’étale sur 975 ha, soit deux fois le Paris de Henri IV). Au début de chaque année, la ville célèbre son dieu Mardouk : sa statue se déplace à travers la ville et le roi lui rend hommage.

Les exilés ne sont pas réduits à l’esclavage. Ils ont sans doute été affectés à des travaux urbains ou architecturaux, comme la grande tour de Babylone, ou Ziggourat, la « tour de Babel » de la Bible. D’autres exilés sont devenus agriculteurs, sur des terres qui leur étaient affectées. La lettre de Jérémie laisse entendre qu’ils peuvent s’installer, bâtir, cultiver la terre. Certains auront de hautes fonctions à la cour. Quand ils auront la liberté de retourner au pays, beaucoup choisiront de rester sur place. Cette période est aussi celle d’un profond désarroi spirituel. Une question centrale taraude le petit reste : Dieu est-il encore avec son peuple ? En outre, l’image de Dieu des Juifs s’est enrichie, la théologie a fait un pas en avant : si Dieu était là, en terre étrangère, il était donc Dieu partout dans l’univers. Tous les hommes pouvaient devenir ses messagers, tous pouvaient croire en lui. Il était aussi créateur du cosmos, du monde, de toute la nature. C’est l’affirmation centrale du récit de Genèse 1, écrit pendant cette période.

À cette question centrale s’ajoute le désarroi causé par la perte des piliers traditionnels de la foi juive : la terre, le roi, le temple. Autour de quoi la foi allait-elle maintenant se structurer ? Trois nouveaux piliers se sont fondés dans l’expérience de l’exil : l’Écriture, tout d’abord, est devenue un texte rédigé, une référence sûre pour la foi. C’est en effet pendant et après l’exil que les grands textes ont été regroupés dans la Torah. Les synagogues, ensuite, deviennent les lieux où l’on entend la parole de Yahvé. Enfin le sabbat a été institué comme ce moment où la foi commune pouvait s’exprimer.

Ézéchiel

Ézéchiel, fils de Bouzi (1,3), fut emmené en Babylonie en 597 (1,2). Il fut installé dans une colonie de Juifs exilés à Thel-Abib près du fleuve Kebar.

Ézéchiel vécut là dans sa propre maison (3,24 ; 8,1). Il était marié, mais il perdit sa femme, celle qui était “le désir de ses yeux” (24,16), Nous disposons de fort peu de détails sur sa vie.

Quatre ans après sa déportation, en 593 av. J.-C., il fut appelé à servir comme prophète. A ce moment-là, il avait environ 30 ans (1,1). Comme Jérémie son contemporain, Ézéchiel était aussi un sacrificateur (1,3). Voilà sans doute pourquoi la ville de Jérusalem et tout ce qui se rattache au temple et à son service jouent un rôle central dans son livre. Le dernier oracle daté se situe en 571 av. J.-C. (29,17). Le service de ce prophète s’étendit donc sur une période d’au moins 22 ans.

Le livre d'Ézéchiel appartient au genre "apocalyse", comme le montre les récits du tétramorphe et des ossements desséchés.

Ez 1,4 Je regardai : un vent de tempête venait du nord, une grande nuée et un feu fulgurant et, autour, une clarté ; en son milieu, comme un étincellement de vermeil au milieu du feu. 5 En son milieu, la ressemblance de quatre êtres vivants ; tel était leur aspect : ils ressemblaient à des hommes. 6 Chacun avait quatre visages et chacun d’eux quatre ailes. 7 Leurs jambes étaient droites ; leurs pieds : comme les sabots d’un veau, scintillants comme étincelle l’airain poli. 8 Des mains d’homme, sous leurs ailes, étaient tournées dans les quatre directions, ainsi que leurs visages et leurs ailes, à tous les quatre ; 9 leurs ailes se joignaient l’une à l’autre. Ils n’avançaient pas de biais, mais chacun droit devant soi. 10 Leurs visages ressemblaient à un visage d’homme ; tous les quatre avaient, à droite une face de lion, à gauche une face de taureau, et tous les quatre avaient une face d’aigle : 11 c’étaient leurs faces. Quant à leurs ailes, déployées vers le haut, deux se rejoignaient l’une l’autre et deux couvraient leurs corps. 12 Chacun avançait droit devant soi ; ils allaient dans la direction où l’esprit le voulait. Ils n’avançaient pas de biais. 13 Ils ressemblaient à des êtres vivants. Leur aspect était celui de brandons enflammés ; c’était comme une vision de torches ; entre les vivants c’était comme un va-et-vient ; et puis il y avait la clarté du feu, et sortant du feu, des éclairs. 14 Et les vivants s’élançaient en tous sens : une vision de foudre. 15 Je regardai les vivants et je vis à terre, à côté des vivants, une roue, pour chaque face. 16 Voici quels étaient l’aspect des roues et leur structure : elles étincelaient comme de la chrysolithe et elles étaient toutes les quatre semblables. C’était leur aspect. Quant à leur structure, elles étaient imbriquées l’une dans l’autre. 17 Lorsqu’elles avançaient, elles allaient dans les quatre directions ; elles n’obliquaient pas en avançant. 18 La hauteur de leurs jantes faisait peur ; et c’était un foisonnement d’étincelles sur leur pourtour à toutes quatre. 19 Quand les vivants avançaient, les roues avançaient à leurs côtés ; et quand les vivants s’élevaient de dessus la terre, les roues s’élevaient. 20 Ils allaient dans la direction où l’esprit voulait aller, et les roues s’élevaient en même temps ; c’est que l’esprit des vivants était dans les roues. 21 Quand ils avançaient, elles avançaient et quand ils s’arrêtaient, elles s’arrêtaient ; et quand ils s’élevaient au-dessus de la terre, les roues s’élevaient en même temps, car l’esprit des vivants était dans les roues. 22 Au-dessus de la tête des vivants, la ressemblance d’un firmament, étincelant comme un cristal resplendissant ; il s’étendait sur leurs têtes, bien au-dessus. 23 En dessous du firmament, leurs ailes étaient tendues l’une vers l’autre. Chacun en avait deux qui le couvraient, chacun en avait deux qui lui couvraient le corps. 24 Et j’entendis le bruit que faisaient leurs ailes quand ils avançaient : c’était le bruit des grandes eaux, la voix de Shaddaï ; bruit d’une multitude, bruit d’une armée. Quand ils s’arrêtaient, ils laissaient pendre leurs ailes. 25 Il vint une voix depuis le firmament qui était au-dessus de leurs têtes. 26 Et par-dessus le firmament qui était sur leurs têtes, telle une pierre de lazulite, il y avait la ressemblance d’un trône ; et au-dessus de cette ressemblance de trône, c’était la ressemblance, comme l’aspect d’un homme, au-dessus, tout en haut. 27 Puis je vis comme l’étincellement du vermeil, comme l’aspect d’un feu qui l’enveloppait tout autour, à partir et au-dessus de ce qui semblait être ses reins ; et à partir et au-dessous de ce qui semblait être ses reins, je vis comme l’aspect d’un feu et d’une clarté, tout autour de lui. 28 C’était comme l’aspect de l’arc qui est dans la nuée un jour de pluie : tel était l’aspect de la clarté environnante. C’était l’aspect, la ressemblance de la gloire de Yahvé. Je regardai et me jetai face contre terre ; j’entendis une voix qui parlait.

Le tétramorphe, ou les « quatre vivants », ou encore les « quatre êtres vivants », représente les quatre animaux ailés qui tirent le char de la vision d’Ézéchiel (Ez 1, 1-14). D’abord décrit dans le Livre d’Ézéchiel, il est repris avec saint Jean dans l’Apocalypse (Apoc 4,7-8). Plus tard, les Pères de l’Église y ont vu l’emblème des quatre évangélistes : le lion pour Marc, le taureau pour Luc, l’homme pour Matthieu et l’aigle pour Jean.

En Égypte, plusieurs temples représentent quatre « gardiens du créateur ». Chargés de constituer un rempart vivant autour de la demeure de Rê, ils ont l’apparence d’un rapace, d’un lion, d’un serpent et d’un taureau. On retrouve aussi ce symbolisme dans la figure du sphinx, animal mythique au corps de lion et à la tête humaine (mais parfois aussi de faucon ou de bélier…).

Toutefois, c’est probablement en Mésopotamie, où Ézéchiel prêche au début du VIe siècle av. J.-C. auprès des exilés juifs de Babylone, qu’il faut trouver l’origine des quatre vivants. Le panthéon assyro-babylonien comporte en effet des demi-dieux, les kéroubs, gardiens des villes et des palais et munis de nombreuses ailes (ainsi les monumentaux taureaux de Khorsabad visibles au Louvre). Ces demi-dieux étaient représentés dans quatre constellations diamétralement opposées dans le ciel babylonien : le Lion (sud), le Taureau (est), l’Aigle (ouest) et le Scorpion (en fait, l’Homme-Scorpion, au nord)…

Ces kéroubs seront repris dans la littérature biblique : ce sont les keroubim (chérubins), gardiens de l’arche d’alliance. Ils peuvent aussi être rapprochés des séraphins (les « brûlants ») de la vision du trône céleste qu’a Isaïe dans le temple de Jérusalem. (Nicolas Seneze, La croix, 2015-10-17).

Ézéchiel entretient l'espoir. Il décrit la "résurrection" du peuple élu.

Ez 37,1 La main de Yahvé fut sur moi ; il me fit sortir par l’esprit de Yahvé et me déposa au milieu de la vallée : elle était pleine d’ossements. 2 Il me fit circuler parmi eux en tout sens ; ils étaient extrêmement nombreux à la surface de la vallée, ils étaient tout à fait desséchés. 3 Il me dit : « Fils d’homme, ces ossements peuvent-ils revivre ? » Je dis : « Adonaï Yahvé, c’est toi qui le sais ! » 4 Il me dit : « Prononce un oracle contre ces ossements ; dis-leur : Ossements desséchés, écoutez la parole de Yahvé. 5 Ainsi parle Adonaï Yahvé à ces ossements : Je vais faire venir en vous un souffle pour que vous viviez. 6 Je mettrai sur vous des nerfs, je ferai croître sur vous de la chair, j’étendrai sur vous de la peau, je mettrai en vous un souffle et vous vivrez ; alors vous connaîtrez que je suis Yahvé. » 7 Je prononçai l’oracle comme j’en avais reçu l’ordre ; il y eut un bruit pendant que je prononçais l’oracle et un mouvement se produisit : les ossements se rapprochèrent les uns des autres. 8 Je regardai : voici qu’il y avait sur eux des nerfs, de la chair croissait et il étendit de la peau par-dessus ; mais il n’y avait pas de souffle en eux. 9 Il me dit : « Prononce un oracle sur le souffle, prononce un oracle, fils d’homme (ben adam) ; dis au souffle : Ainsi parle Adonaï Yahvé : Souffle, viens des quatre points cardinaux, souffle sur ces morts et ils vivront. » 10 Je prononçai l’oracle comme j’en avais reçu l’ordre, le souffle entra en eux et ils vécurent ; ils se tinrent debout : c’était une immense armée. 11 Il me dit : « Fils d’homme (ben adam), ces ossements, c’est toute la maison d’Israël. Ils disent : “Nos ossements sont desséchés, notre espérance a disparu, nous sommes en pièces.” 12 C’est pourquoi, prononce un oracle et dis-leur : Ainsi parle Adonaï Yahvé : Je vais ouvrir vos tombeaux ; je vous ferai remonter de vos tombeaux, ô mon peuple, je vous ramènerai sur le sol d’Israël. 13 Vous connaîtrez que je suis Yahvé quand j’ouvrirai vos tombeaux, et que je vous ferai remonter de vos tombeaux, ô mon peuple. 14 Je mettrai mon souffle en vous pour que vous viviez ; je vous établirai sur votre sol ; alors vous connaîtrez que c’est moi Yahvé qui parle et accomplis – oracle de Yahvé. »

La vallée représente le lieu de la défaite. Les ossements sont ceux du peuple décimé et vaincu. Le temps est passé. Ces personnes ne sont pas récemment décédées… il s’agit d’ossements blanchis (v. 2), dispersés (v. 7). Ces personnes n’ont plus aucune chance d’être réanimées : nos os sont desséchés, notre espoir s’est évanoui (v. 11). D’où la question : ces os pourront-ils revivre ? (v. 3).

Ils le pourront grâce au souffle de YHWH qui agit sur le prophète (v. 1) et à travers sa parole pour redonner au peuple, la vie, et le ramener sur la terre promise (v. 14). Comme l’action de Dieu est parfaite, il y a sept mentions du souffle dans le texte. Comme l’Esprit de Dieu épouse les confins de l’univers, il souffle des quatre vents (v. 9) symbolisant les quatre points cardinaux. Conformément à cette réalité, Dieu intime donc au prophète quatre fois de parler (v. 9). Ézéchiel participe à l’éveil du peuple. Il joue, dans cette vision, un rôle actif. Sa parole prophétique, qui permet au souffle de Dieu d’advenir, est au centre de l’événement (v. 7-8) départageant l’action entre un avant et un après : à la désespérance (v. 1-3), répond l’espérance (v. 11-14) ; à l’annonce de l’intervention de Dieu (v. 4-6), répond l’intervention de Dieu (v. 9-10). Le souffle de Dieu qui avait jadis donné la vie au premier homme de la terre (Gn 2,7), redonnera la vie au peuple d’Israël : Je mettrai mon souffle en vous et vous vivrez (v. 14). Comme dans le deuxième récit de création, la formation du corps précède le don de l’esprit. Yolande Girard. https://www.interbible.org/interBible/decouverte/comprendre/2009/clb_091106.html

Ultime question : Dieu entend-il encore les cris de son peuple ? La défaite de Nabuchodonosor face au Perse Cyrus apporte la réponse. Cyrus permet en effet le retour de l’exil et la reconstruction du Temple. Cyrus sera qualifié de "messie" (Is 45,1).