La théologie de la rétribution
C’est bien fait ! C’est le bon Dieu qui t’a puni ! Nous connaissons tous cette affirmation qui suggère que Dieu récompense les justes et punit les méchants. Comment interpréter cette idée qui a traversé les siècles ?
Dieu punit et récompense
Ps 7,9-11 Yahvé est l’arbitre des peuples. Juge-moi, Yahvé, selon ma justice et selon mon intégrité. Mets fin à la malice des impies, confirme le juste, toi qui sondes les cœurs et les reins, ô Dieu le juste ! Dieu le juste juge, lent à la colère, mais Dieu en tout temps menaçant ».
La Bible nous présente l’image d’un Dieu juge qui délibère en sa transcendance et sa souveraineté. En tant que magistrat suprême, Dieu porte un jugement sur les actions humaines. Quels sont ses verdicts ? Dans une perspective humaine, il paraîtrait logique que les bons soient récompensés et que les méchants soient punis, que le juste vive dans la prospérité et la santé et que le méchant vive dans l’indigence et la souffrance, que la vierge Marie soit au paradis et que Judas aille en enfer. La bible n’échappe pas à une telle vision du jugement. Dieu juge à la fois les bonnes et les mauvaises actions. Dieu paye chacun suivant ses œuvres ; il punit et récompense, selon que l’homme est pécheur ou juste. Ce principe de la rétribution se répète inlassablement dans la bible à travers une logique comptable, avec des débits et des crédits. Dieu rétribue l’homme en fonction d’un code de bonne conduite :
Ez 18,26 Si le juste se détourne de sa justice pour commettre le mal et meurt, c'est à cause du mal qu'il a commis qu'il meurt. 27. Et si le pécheur se détourne du péché qu'il a commis, pour pratiquer le droit et la justice, il assure sa vie. 28. Il a choisi de se détourner de tous les crimes qu'il avait commis, il vivra, il ne mourra pas.
Jb 4,7 Rappelle-toi : quel innocent a jamais péri, où vit-on des hommes droits disparaître ? 8 Je l’ai bien vu : les laboureurs de gâchis et les semeurs de misère en font eux-mêmes la moisson. 9 Sous l’haleine de Dieu ils périssent, au souffle de sa narine ils se consument.
2 Ch 6,23 Toi, écoute depuis le ciel ; agis, juge entre tes serviteurs, punis le coupable en faisant retomber sa conduite sur sa tête, et déclare juste le juste en le traitant selon sa justice.
Pr 11,18 Le méchant recueille un salaire décevant, une récompense est assurée à qui sème la justice.
Pr 13,21 Le mal poursuit les pécheurs et le bien récompense les justes.
Pr 12,21 Aucun malheur n’arrive au juste, mais les méchants sont accablés de maux.
Pr 5,22-23 Le méchant est pris dans ses propres iniquités, il est saisi par les liens de son péché. Il mourra faute d’instruction, il chancellera par l’excès de sa folie.
L’Ancien Testament affirme à plusieurs endroits que c’est sur terre que Dieu punit les méchants ou récompense les justes. Mais Job, et d’autres auteurs bibliques affirment que les méchants prospèrent et que le malheur touche tous les hommes.
Jb 21,7-13a. Pourquoi les méchants vivent-ils ? Pourquoi les voit-on vieillir et accroître leur force ?… Ils se réjouissent au son du chalumeau. Ils passent leurs jours dans le bonheur.
Qo 7,15. J’ai vu tout cela pendant les jours de ma vanité. Il y a tel juste qui périt dans sa justice, et il y a tel méchant qui prolonge son existence dans sa méchanceté.
Qo 8.14 Il est un fait, sur la terre, qui est vanité: il est des justes qui sont traités selon le fait des méchants, et des méchants qui sont traités selon le fait des justes.
Mt 5,45b. Il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes.
Alors naît progressivement cette conviction que la rétribution se déroulera dans l’au-delà.
Si Dieu ne récompense pas le juste ici-bas, alors il aura sa récompense après la mort.
Cette espérance en un au-delà prend corps vers la fin de l’Ancien Testament avec la persécution des frères Macchabées sous le règne d’Antiochus IV Épiphane (175-164 av. J.-C.).
Si un homme reste fidèle à la loi jusqu’au martyre, plutôt que de rendre un culte aux idoles, alors Dieu le ressuscitera pour une vie éternelle.
2M 7,9. Au moment de rendre le dernier soupir : Scélérat que tu es, dit-il, tu nous exclus de cette vie présente, mais le Roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle, nous qui mourons pour ses lois.
D’autres livres prolongent cette idée. Le livre de Daniel promet la vie éternelle pour les justes (Dn 12,2). Le livre de la Sagesse atteste de l’immortalité (Sg 3,1-4) et de l’incorruptibilité (Sg 2,23).
Dn 12,2. Un grand nombre de ceux qui dorment au pays de la poussière s’éveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour l’opprobre, pour l’horreur éternelle.
Sg 2,23. Oui, Dieu a créé l’homme pour l’incorruptibilité, il en a fait une image de sa propre nature.
Sg 3,1 Les âmes des justes, elles, sont dans la main de Dieu et nul tourment ne les atteindra plus.
2Aux yeux des insensés, ils passèrent pour morts, et leur départ sembla un désastre,
3leur éloignement, une catastrophe. Pourtant ils sont dans la paix.
4Même si, selon les hommes, ils ont été châtiés, leur espérance était pleine d’immortalité.
5Après de légères corrections, ils recevront de grands bienfaits.
Dieu les a éprouvés et les a trouvés dignes de lui ;
6comme l’or au creuset, il les a épurés, comme l’offrande d’un holocauste, il les a accueillis.
7Au temps de l’intervention de Dieu, ils resplendiront, ils courront comme des étincelles à travers le chaume.
8Ils jugeront les nations et domineront sur les peuples, et le Seigneur sera leur roi pour toujours.
9Ceux qui se confient en lui comprendront la vérité, ceux qui restent fermes dans l’amour demeureront auprès de lui. Car il y a grâce et miséricorde pour ses élus.
Sg 5,15 Mais les justes vivent pour toujours ; leur salaire dépend du Seigneur et le Très-Haut prend soin d’eux.
La loi du Lévitique
Le chapitre 26 du livre du Lévitique propose un regard saisissant sur ce Dieu promettant d’une part monts et merveilles en cas de respect des commandements divins et, d’autre part, les pires châtiments en cas de péché, avec en épilogue le verset de l’espérance. Toutes les formes de souffrance sont passées en revue : maladies, cultures stériles, bétail anéanti par des bêtes sauvages, ennemis, déportation…
Lv 26,1 Ne vous fabriquez pas de faux dieux, n’érigez à votre usage ni idole ni stèle, et dans votre pays ne placez pas de pierre sculptée pour vous prosterner devant elle ; car c’est moi, Yahvé, votre Elohim. 2 Observez mes sabbats, et révérez mon sanctuaire. C’est moi, Yahvé.
D) Bénédictions
3 Si vous suivez mes lois, si vous gardez mes commandements et les mettez en pratique, 4 je vous donnerai les pluies en leur saison ; la terre donnera ses produits et les arbres des champs donneront leurs fruits ; … 6 je mettrai la paix dans le pays ; vous vous coucherez sans que rien vienne vous troubler ; je ferai disparaître du pays les animaux malfaisants ; l’épée ne passera plus dans votre pays ; 7 vous poursuivrez vos ennemis, qui tomberont sous votre épée ; 8 cinq d’entre vous en poursuivront cent, et cent en poursuivront dix mille, et vos ennemis tomberont sous votre épée ; … 11 je mettrai ma demeure au milieu de vous ; je ne vous prendrai pas en aversion ; 12 je marcherai au milieu de vous ; pour vous je serai Dieu, et pour moi vous serez le peuple. 13 C’est moi, Yahvé, votre Elohim, qui vous ai fait sortir du pays des Egyptiens, afin que vous ne soyez plus leurs serviteurs ; c’est moi qui ai brisé les barres de votre joug et qui vous ai fait marcher la tête haute.
E) Malédictions
14 Si vous ne m’écoutez pas et ne mettez pas tous ces commandements en pratique, 15 si vous rejetez mes lois, si vous prenez mes coutumes en aversion au point de ne pas mettre tous mes commandements en pratique, rompant ainsi mon alliance, 16 eh bien ! voici ce que moi je vous ferai : Je mobiliserai contre vous, pour vous épouvanter, la consomption et la fièvre, qui épuisent les regards et grignotent la vie. Vous ferez en vain vos semailles, ce sont vos ennemis qui s’en nourriront. 17 Je tournerai ma face contre vous et vous serez battus par vos ennemis ; ceux qui vous haïssent domineront sur vous, et vous fuirez sans même qu’on vous poursuive.
18 Si vous ne m’écoutez pas davantage, je vous infligerai pour vos péchés une correction sept fois plus forte. … je vous infligerai des coups sept fois plus forts, à la mesure de vos péchés. 22 J’enverrai contre vous les animaux sauvages, qui vous raviront vos enfants, qui anéantiront votre bétail et qui vous décimeront au point de rendre vos chemins déserts.
23 Si vous n’acceptez toujours pas ma correction, mais qu’au contraire vous vous opposiez à moi, 24moi aussi, je m’opposerai à vous, moi aussi, je vous frapperai sept fois pour vos péchés.
27 Si malgré cela vous ne m’écoutez pas et que vous vous opposiez à moi, 28 je m’opposerai à vous, plein de fureur ; je vous corrigerai moi-même sept fois pour vos péchés. 29 Vous mangerez la chair de vos fils, vous mangerez la chair de vos filles. 30Je supprimerai vos hauts lieux, je ferai disparaître vos autels à parfum ; j’entasserai vos cadavres sur les cadavres de vos idoles et je vous prendrai en aversion.
F) Perspectives de conversion
40« Mais ils confesseront leur faute et celle de leurs pères, en disant qu’ils ont commis un sacrilège envers moi, qu’ils se sont même opposés à moi, 41 que je me suis alors opposé à eux et les ai amenés dans le pays de leurs ennemis ; ou bien, un jour, leur cœur incirconcis s’humiliera et leur châtiment s’accomplira. 42 Je me souviendrai de mon alliance avec Jacob, je me souviendrai aussi de mon alliance avec Isaac, et aussi de mon alliance avec Abraham ; je me souviendrai du pays. 43 Ainsi, quand le pays sera abandonné par eux, quand il accomplira ses sabbats pendant le temps où ils le laisseront dans la désolation, quand leur châtiment s’accomplira parce qu’ils auront rejeté mes coutumes et pris mes lois en aversion, 44 même alors, quand ils seront dans le pays de leurs ennemis, je ne les aurai pas rejetés ni pris en aversion au point de les exterminer et de rompre mon alliance avec eux, car c’est moi, le SEIGNEUR, leur Dieu. 45 Je me souviendrai, en leur faveur, de l’alliance conclue avec leurs aïeux que j’ai fait sortir du pays d’Egypte sous les yeux des nations, afin que pour eux je sois Dieu, moi, le SEIGNEUR. »
Le Nouveau Testament reprend l’idée de rétribution sous la forme d’un châtiment éternel pour les méchants et de vie éternelle pour les justes : l’enfer et le paradis.
Mt 25,31-46. Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, escorté de tous les anges, alors il prendra place sur son trône de gloire. Devant lui seront rassemblées toutes les nations, et il séparera les gens les uns des autres, tout comme le berger sépare les brebis des boucs. Il placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche. Et ils s’en iront, ceux-ci à une peine éternelle, et les justes à une vie éternelle.
La maladie, conséquence du péché
Dans la Bible, la maladie est vue comme la conséquence du péché.
Si tu écoutes attentivement l’Éternel, ton Dieu (…), je ne te frapperai d’aucune des maladies dont j’ai frappé les Égyptiens. Ex 15, 26.
Crains l’éternel et détourne-toi du mal : cela apportera la guérison à ton corps. Pr 3, 7-8.
Dans la mentalité religieuse du peuple d’Israël, toute la vie est imprégnée de religion et de justice divine. La moindre maladie est analysée comme la conséquence du péché. Et si le malade est innocent, alors la cause est à chercher dans ses ascendants. Bien des générations passeront avant que ces propos de Jérémie ne deviennent réalité :
Jr 31,29-30 En ces jours-là on ne dira plus les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des fils sont agacées. Mais chacun mourra pour sa propre faute. Tout homme qui aura mangé des raisins verts, ses propres dents seront agacées.
Jésus le rappelle :
Jn 9,1-3 En passant, il vit un homme aveugle de naissance. Ses disciples lui demandèrent : Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? Jésus répondit : « Ni lui ni ses parents n’ont péché… »
Lc 13,1 Un jour, des gens rapportèrent à Jésus l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer, mêlant leur sang à celui des sacrifices qu’ils offraient. Jésus leur répondit : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir subi un tel sort ? Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. Et ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. »
Certains versets de l’Ancien Testament laissent entendre que la désobéissance à Dieu nous assujettit à la maladie ou à la mort. Les maux apparaissent ainsi, par endroits, comme l’expression d’un châtiment divin. Difficilement soutenables pour nos mentalités contemporaines, « ces représentations de la maladie sont cohérentes avec celles du Proche-Orient ancien : elles sont liées à la manière dont les hommes pensaient, à l’époque, le monde et les forces qui le gouvernent », précise la théologienne Céline Rohmer. Une telle doctrine est aujourd’hui rejetée. Le péché est un acte mauvais voulu, alors que la maladie n’est ni un acte ni voulue : elle est un état subi. Il donc blasphématoire de dire que Dieu manipule la maladie, les troubles psychiques ou le handicap comme un instrument de punition de l’humanité pécheresse. Stigmatiser le malade en faisant de lui un pécheur revient à fourbir les armes d’un dieu punisseur qui dissout les solidarités, rompt les équilibres dans la société et autorise tous les processus d’exclusion : hier les lépreux, aujourd’hui les victimes du sida. La maladie ne relève d’aucune complicité de Dieu, la création est et reste bonne. Le monde est simplement cassé, il importe donc d’en rétablir l’harmonie. Lésion de l’alliance, la maladie dévoile le visage d’un Dieu soucieux de l’homme et pousse l’homme à un surcroît de bonté, à une « hémorragie du pour-l’autre » (Levinas). Malo Tresca, La croix, 08/06/2020.
Dans l'Ancien Orient, en Egypte et particulièrement en Assyro-Babylonie, un principe indiscuté dominait l'idée qu'on se faisait de la maladie : le mal physique, la maladie, est le symptôme d'une faute de l'homme, sa rétribution par les dieux et leurs agents, ou par les démons. Châtiment de fautes rituelles ou morales, conscientes ou même inconscientes. Aucune notion de causalité naturelle : par conséquent, les idées de l'Ancien Orient touchant la maladie ne peuvent ni ne doivent être comprises et jugées en fonction des conceptions médicales modernes, d'une mentalité scientifique, expérimentale et positive. Il n'y avait pas même un lien de causalité naturelle entre la maladie et le péché qui l'aurait provoquée : la maladie était censée due à la réaction purement surnaturelle ou magique d'êtres divins ou des morts irrités contre les fautes des humains.
A titre d'exemples, rappelons seulement que c'est Dieu qui provoque la stérilité de la maison d'Abimélek (Gen. 20,18) et qui déclenche la série de maladies énumérées dans Deut. 28, 20s. C'est Lui qui rend Anne stérile (1 Sam. 1,5s), qui afflige les Asdodiens de tumeurs (1 Sam. 5,s), qui rend malade l'enfant de Bethsabée (2 Sam. 12,15s.), qui permet au Satan de frapper Job de maladie (Job 2,5s), qui cause la maladie du psalmiste (Ps . 38,3s ; 51,10), qui suscite toutes sortes de maladies (Lév . 26,16). Ou, parfois, c'est un «esprit mauvais », mais dépêché par Yahvé, qui porte atteinte à la santé (p. ex. I Sam. 16,14s ; 18,10 ; 19,9), ou bien l'Exterminateur (Ex. 12,23), ou encore l'Ange de Yahvé (2 Rois 19,35), ou enfin une malédiction (cp. Nbres 5, 21-22 ; Lév. 26,14s., etc.), comme celle qui, après la chute, inflige à la femme les douleurs de la maternité (Gen. 3).
Par conséquent, quand l'Israélite tombait malade, il ne songeait guère à recourir à une thérapeutique tant soit peu rationnelle, mais bien plutôt à des démarches propitiatoires ou magiques (ex. 1 Rois 17,21 ; 2 Rois 4,22s) destinées à neutraliser l'influence surnaturelle et maligne, à des sacrifices expiatoires, à des gestes ou des contacts opérant miracles (Ex. 4,17 ; 7 20 ; 2 Rois 4,29) et, très particulièrement, à des complaintes rituelles notamment dans le Psautier. Paul Humbert, Maladie et Médecine dans l'Ancien Testament . Voir le lien dans la bibliothèque.
Un désir de justice
Cette théologie de la rétribution révèle un profond désir de justice : le méchant doit être puni et sa souffrance n’est finalement que justice. Le Dieu de la Bible semble correspondre à cette théorie. Dieu paye chacun suivant ses œuvres ; il punit et récompense, selon que l’homme est pécheur ou juste. Dans le tremblement de terre de Lisbonne le 1er novembre 1755, Voltaire s’interroge alors que les églises s’écroulent sur les nombreux fidèles venus célébrer la Toussaint :
Direz-vous, en voyant cet amas de victimes :
« Dieu s’est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes ? »
Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants
Sur le sein maternel écrasés et sanglants ?
Mais Dieu ne se laisse pas enfermer dans cette image. Le livre de Job dénonce la théologie de la rétribution et ouvre d’autres perspectives.