Église et contraception

L’Église autorise-t-elle la contraception ? Si oui, sous quelles conditions ? Si non, pourquoi ?

La Lettre encyclique Humanae vitae (Paul VI, 25 juillet 1968) marque un tournant dans la position de l’Église dans ce domaine, car jamais l’Église ne s’était exprimée face à la révolution culturelle qui frappe le monde. La liberté sexuelle provoque la morale millénaire ancrée dans les mentalités.

Le rapide développement démographique, le sens de la sexualité, la maîtrise de la fécondité fait naître de nouvelles questions. Le moment n’est-il pas venu pour confier à la raison et à la volonté humaine, plutôt qu’aux rythmes biologiques de son organisme, le soin de régler la natalité ?

Une commission pontificale composée de théologiens et d’experts se penche sur la question durant trois ans, de 1963 à 1966.

La réflexion de la commission

Très vite s’opposèrent les partisans de la continuité de la Tradition et ceux qui voulaient partir des réalités présentes pour définir la morale. Les partisans de la nature, refusant l’intervention artificielle d’un moyen contraceptif, ne surent pas convaincre les hésitants de plus en plus nombreux qui n’arrivaient pas à comprendre pourquoi le donné naturel biologique serait une norme morale contraignante. Les théologiens déclarèrent alors par 15 voix pour et quatre contre que la contraception n’était pas en soi intrinsèquement mauvaise. Avec l’audition des médecins et des démographes, l’évolution se précipita. Tous les médecins, sauf un, se félicitèrent de la possibilité d’un changement de la morale conjugale qui permettrait de mieux aider les couples tout en réaffirmant les valeurs fondamentales. Tous étaient persuadés de l’inapplicabilité et de l’inefficacité des méthodes fondées sur l’observation du rythme féminin. En revanche, les démographes se montrèrent en retrait sur les conclusions précédentes, mais furent peu écoutés. Le témoignage d’un couple fut lu deux fois de suite à la demande des théologiens et provoqua un choc affectif important en ce domaine. Quant aux autres laïcs, quinze sur dix-sept, au cours de leur témoignage, déclarèrent successivement que la loi de l’Église créait une situation insoluble pour les foyers chrétiens et qu’il valait mieux que l’Église ne recommande pas une méthode particulière de régulation des naissances.

Six théologiens préparèrent un texte final qui se terminait ainsi pour le passage consacré aux méthodes de régulation des naissances : « Quant aux moyens que les époux pourraient employer légitimement, il leur appartient d’en décider ensemble, sans se laisser aller à l’arbitraire, mais en ayant toujours présents à l’esprit et à la conscience des critères objectifs de moralité. Tous les moyens choisis, sans en exclure bien au contraire pour la maîtrise de soi et l’effort d’ascèse qu’ils comportent, la continence périodique décidée d’un commun accord, devront, outre l’efficacité, respecter la santé. . . ». Ce texte fut adopté lors du vote du 24 juin par neuf oui et cinq non. La licéité de l’intervention contraceptive dans les termes employés par la majorité des théologiens experts de la commission y est déclarée conforme à la doctrine et « dans la continuité avec la Tradition et les déclarations du Magistère suprême ».

Michel Rouche. Voir le lien dans la bibliothèque.

Le texte final reconnaît la licéité de la contraception artificielle. Il est remis à Paul VI le 28 juin 1966 par son vice-président, l’archevêque de Munich, le cardinal Döpfner.

Humanae vitae

La Lettre encyclique Humanae vitae ne suit pas les recommandations de la commission.

10. L’amour conjugal exige des époux une conscience de leur mission de " paternité responsable ", par rapport aux processus biologiques, par rapport aux tendances de l’instinct et des passions, par rapport aux conditions physiques, économiques, psychologiques et sociales.

11. Dieu a sagement fixé des lois et des rythmes naturels de fécondité qui espacent déjà par eux-mêmes la succession des naissances. Mais l’Église, rappelant les hommes à l’observation de la loi naturelle, interprétée par sa constante doctrine, enseigne que tout acte matrimonial doit rester ouvert à la transmission de la vie.

12. L’homme ne peut rompre de son initiative, entre les deux significations de l’acte conjugal : union et procréation.

13. un acte conjugal imposé au conjoint sans égard à ses conditions et à ses légitimes désirs, n’est pas un véritable acte d’amour et contredit par conséquent une exigence du bon ordre moral dans les rapports entre époux. De même, qui réfléchit bien devra reconnaître aussi qu’un acte d’amour mutuel qui porterait atteinte à la disponibilité à transmettre la vie, que le Créateur a attachée à cet acte selon des lois particulières, est en contradiction avec le dessein constitutif du mariage et avec la volonté de l’auteur de la vie. User de ce don divin en détruisant, fût-ce partiellement, sa signification et sa finalité, c’est contredire à la nature de l’homme comme à celle de la femme et de leur rapport le plus intime, c’est donc contredire aussi au plan de Dieu et à sa volonté.

14. Est absolument à exclure, comme moyen licite de régulation des naissances, l’interruption directe du processus de génération déjà engagé, et surtout l’avortement directement voulu et procuré, même pour des raisons thérapeutiques.

Est pareillement à exclure, comme le Magistère de l’Église l’a plusieurs fois déclaré, la stérilisation directe, qu’elle soit perpétuelle ou temporaire, tant chez l’homme que chez la femme.

Est exclue également toute action qui, soit en prévision de l’acte conjugal, soit dans son déroulement, soit dans le développement de ses conséquences naturelles, se proposerait comme but ou comme moyen de rendre impossible la procréation. 17. Les hommes droits pourront encore mieux se convaincre du bien-fondé de la doctrine de l’Église en ce domaine, s’ils veulent bien réfléchir aux conséquences des méthodes de régulation artificielle de la natalité.

Qu’ils considèrent d’abord quelle voie large et facile ils ouvriraient ainsi à l’infidélité conjugale et à l’abaissement général de la moralité. Qu’on réfléchisse aussi à l’arme dangereuse que l’on viendrait à mettre ainsi aux mains d’autorités publiques peu soucieuses des exigences morales. On peut craindre aussi que l’homme en s’habituant à l’usage des pratiques anticonceptionnelles, ne finisse par perdre le respect de la femme et, sans plus se soucier de l’équilibre physique et psychologique de celle-ci, n’en vienne à la considérer comme un simple instrument de jouissance égoïste, et non plus comme sa compagne respectée et aimée.

Si donc on ne veut pas abandonner à l’arbitraire des hommes la mission d’engendrer la vie, il faut nécessairement reconnaître des limites infranchissables au pouvoir de l’homme sur son corps et sur ses fonctions; limites que nul homme, qu’il soit simple particulier ou revêtu d’autorité, n’a le droit d’enfreindre. Et ces limites ne peuvent être déterminées que par le respect qui est dû à l’intégrité de l’organisme humain et de ses fonctions.

Voir l’encyclique.

Note pastorale des évêques de France

Dès les mois d’octobre 1968, les évêques de France firent paraître une « Note pastorale sur Humanae Vitae » qui voulait aider à l’accueil de l’encyclique. Dans cette note, les évêques rappelaient un élément traditionnel de la réflexion morale de l’Église catholique, à savoir le « conflit de devoirs ».

Nul n’ignore les angoisses spirituelles où se débattent des époux sincères, notamment lorsque l’observance des rythmes naturels ne réussit pas « à donner une base suffisamment sûre à la régulation des naissances » (Humanae Vitae, 24).

D’une part, ils sont conscients du devoir de respecter l’ouverture à la vie de tout acte conjugal ; ils estiment également en conscience devoir éviter ou reporter à plus tard une nouvelle naissance, et sont privés de la ressource de s’en remettre aux rythmes biologiques. D’autre part, ils ne voient pas, en ce qui les concerne, comment renoncer actuellement à l’expression physique de leur amour sans que soit menacée la stabilité de leur foyer.

À ce sujet, nous rappellerons simplement l’enseignement constant de la morale : quand on est dans une alternative de devoirs où, quelle que soit la décision prise, on ne peut éviter un mal, la sagesse traditionnelle prévoit de rechercher devant Dieu quel devoir, en l’occurrence, est majeur. Les époux se détermineront au terme d’une réflexion commune menée avec tout le soin que requiert la grandeur de leur vocation conjugale.

Ils ne peuvent jamais oublier ni mépriser aucun des devoirs en conflit. Ils garderont donc leur cœur disponible à l’appel de Dieu, attentifs à toute possibilité nouvelle qui remettrait en cause leur choix ou leur comportement d’aujourd’hui. Sans jamais perdre de vue la mission que Dieu leur a confiée et qu’ils aiment humblement, ils entendront comme il convient et avec reconnaissance la parole que saint Augustin, en d’autres circonstances, adressait aux fidèles de son temps « Paix aux époux de bonne volonté! »

Voir la note.

Le Catéchisme de l’Église Catholique

Le Catéchisme de l’Église catholique (1992) reprend les conclusions de l’Encyclique Humanae vitae.

2366 La fécondité est un don, une fin du mariage, car l’amour conjugal tend naturellement à être fécond. L’enfant ne vient pas de l’extérieur s’ajouter à l’amour mutuel des époux ; il surgit au cœur même de ce don mutuel, dont il est un fruit et un accomplissement. Aussi l’Église, qui " prend parti pour la vie " (FC 30), enseigne-t-elle que " tout acte matrimonial doit rester par soi ouvert à la transmission de la vie " (HV 11). " Cette doctrine, plusieurs fois exposée par le magistère, est fondée sur le lien indissoluble que Dieu a voulu et que l’homme ne peut rompre de son initiative entre les deux significations de l’acte conjugal : union et procréation " (HV 12 cf. Pie XI, enc. " Casti connubii ").

2367 Appelés à donner la vie, les époux participent à la puissance créatrice et à la paternité de Dieu (cf. Ep 3,14-15 Mt 23,9). " Dans le devoir qui leur incombe de transmettre la vie et d’être des éducateurs (ce qu’il faut considérer comme leur mission propre), les époux savent qu’ils sont les coopérateurs du Dieu créateur et comme ses interprètes. Ils s’acquitteront donc de leur charge en toute responsabilité humaine et chrétienne " (GS 50, § 2).

2368 Un aspect particulier de cette responsabilité concerne la régulation de la procréation. Pour de justes raisons (cf. GS 50), les époux peuvent vouloir espacer les naissances de leurs enfants. Il leur revient de vérifier que leur désir ne relève pas de l’égoïsme, mais est conforme à la juste générosité d’une paternité responsable. En outre ils régleront leur comportement suivant les critères objectifs de la moralité :

Lorsqu’il s’agit de mettre en accord l’amour conjugal avec la transmission responsable de la vie, la moralité du comportement ne dépend pas de la seule sincérité de l’intention et de la seule appréciation des motifs ; mais elle doit être déterminée selon des critères objectifs, tirés de la nature même de la personne et de ses actes, critères qui respectent, dans un contexte d’amour véritable, la signification totale d’une donation réciproque et d’une procréation à la mesure de l’homme ; chose impossible si la vertu de chasteté conjugale n’est pas pratiquée d’un cœur loyal (GS 51, § 3). 2369 " C’est en sauvegardant ces deux aspects essentiels, union et procréation, que l’acte conjugal conserve intégralement le sens de mutuel et véritable amour et son ordination à la très haute vocation de l’homme à la paternité " (HV 12).

2370 La continence périodique, les méthodes de régulation des naissances fondées sur l’auto-observation et le recours aux périodes infécondes (cf. HV HV 16) sont conformes aux critères objectifs de la moralité. Ces méthodes respectent le corps des époux, encouragent la tendresse entre eux et favorisent l’éducation d’une liberté authentique. En revanche, est intrinsèquement mauvaise " toute action qui, soit en prévision de l’acte conjugal, soit dans son déroulement, soit dans le développement de ses conséquences naturelles, se proposerait comme but ou comme moyen de rendre impossible la procréation " (HV 14) :

Au langage qui exprime naturellement la donation réciproque et totale des époux, la contraception oppose un langage objectivement contradictoire selon lequel il ne s’agit plus de se donner totalement l’un à l’autre. Il en découle non seulement le refus positif de l’ouverture à la vie, mais aussi une falsification de la vérité interne de l’amour conjugal, appelé à être un don de la personne tout entière. Cette différence anthropologique et morale entre la contraception et le recours aux rythmes périodiques implique deux conceptions de la personne et de la sexualité humaine irréductibles l’une à l’autre (FC 32).

2371 " Par ailleurs, que tous sachent bien que la vie humaine et la charge de la transmettre ne se limitent pas aux horizons de ce monde et n’y trouvent ni leur pleine dimension ni leur plein sens, mais qu’elles sont toujours à mettre en référence avec la destinée éternelle des hommes " (GS 51, § 4).

2372 L’État est responsable du bien-être des citoyens. À ce titre, il est légitime qu’il intervienne pour orienter la croissance de la population. Il peut le faire par voie d’une information objective et respectueuse, mais non point par voie autoritaire et contraignante. Il ne peut légitimement se substituer à l’initiative des époux, premiers responsables de la procréation et de l’éducation de leurs enfants (cf. PP PP 37 HV 23). Dans ce domaine il ne possède pas l’autorité d’intervenir par des moyens contraires à la loi morale.

Cinquante ans plus tard, François ne rompt pas la Tradition. En janvier 2015, dans l’avion qui le ramenait de Manille, il rappelait que « l’ouverture à la vie est une condition du sacrement du mariage ». Avec une nuance restée célèbre : « cela ne signifie pas que les chrétiens doivent faire des enfants en série. (…) Certains croient, excusez-moi du terme, que, pour être de bons catholiques, ils doivent être comme des lapins ». Une manière imagée de remettre au goût du jour le concept de « paternité responsable » promu par Humanae vitae.

Réflexions

La hiérarchie de l’Église a pris sa décision seule, sans tenir compte de l’avis de la commission ni des premiers concernés. Une personne célibataire, appelée à la continence de par son sacerdoce, est-elle habilitée et compétente pour imposer un interdit sexuel aux couples ? Le rôle de l’Église est d’éclairer les consciences et non se substituer à elles. La prise de position du Pape n'en demeure pas moins légitime, car il est le chef de l'Église catholique, et les fidèles catholiques ne peuvent l'ignorer.

Les textes soulignent qu’un acte sexuel avec une contraception artificielle n’est pas un don total, mais ce don "partiel" n’est par pour autant intrinsèquement mauvais. Par ailleurs un don total n’est pas naturellement bon ; bien des égoïsmes peuvent rendre l’acte mauvais. La question de l’intention est ici primordiale. Mais la sexualité est le lieu de l’ambiguïté ou frisonne le "moi".

La sexualité humaine recouvre une triple dimension : relation, procréation et plaisir. La relation est primordiale ; les deux autres en découlent. Ce n’est pas la procréation qui doit gouverner la sexualité humaine, mais la communion d’amour.

Les méthodes naturelles supposent une connaissance de soi-même et une maîtrise de ses désirs, or le désir est tout aussi violent voire plus pour la femme, durant les périodes de fécondité.

Les méthodes artificielles rendent le corps de l’autre (surtout la femme) plus disponible, au risque d’en faire un objet de plaisir. Mais ne faut-il pas privilégier la chasteté, plutôt que la continence ?

Les méthodes naturelles sont écologiques. Sabrina Debusquat, journaliste spécialiste des questions de santé et d’écologie et auteur de "J’arrête la pilule" (2017) témoigne : « En tant que féministe, je suis agacée par cette encyclique écrite par des hommes, dit-elle. Mais je crois que la vision globale de l’Église a finalement été visionnaire : l’on ne peut pas jouer impunément avec la chimie de la nature et de nos corps. » (La Croix, 25/07/2018).

En conclusion, l’union conjugale est la première valeur à défendre au sein d’un couple. La sexualité est le lieu le plus intime de cette unité. Chaque couple avance avec ses questionnements, ses richesses et ses fragilités. Chaque chemin est différent. Les critères de bien et de mal sont à chercher ailleurs que dans une pilule ou un préservatif. Le respect de l’autre, dans toutes ses dimensions corporelles, psychiques, affectives et spirituelles, est le fondement d’une relation amoureuse.