Église et pratiques sexuelles
Lors d’une session de formation sur la vie conjugale, animée par un prêtre et une conseillère conjugale, un couple pose la question " Est-ce que toutes les pratiques sexuelles sont autorisées au sein d’un couple marié ? Le prêtre leur demande de préciser la question. Le jeune homme répond "Excusez-moi de la crudité de mes propos ; il s’agit de la fellation, du cunnilingus et de la sodomie". Le prêtre et la conseillère conjugale s’accordent pour répondre qu’il s’agit d’une affaire de couple. Certains couples s’insurgent et rétorquent que des textes officiels condamnent ces pratiques.
Ces cas ne sont pas isolés. Bien des chrétiens se demandent si l’Église permet telle ou telle pratique sexuelle. Un pasteur (John Piper) témoigne "Au cours de ce dernier mois, dix questions nous sont parvenues à propos du sexe oral. La question est toujours la même : Pasteur John, cette pratique est-elle permise dans le cadre d’un mariage chrétien, ou est-ce que c’est toujours un péché ?" Voir le lien dans la bibliothèque.
Cette question traduit un besoin de points de repère, ainsi qu’un manque de maturité dans le discernement. Si nous avons besoin de normes pour guider nos choix et pour vivre en société, est-il opportun de demander à un curé si telle position du Kama-sutra ou telle pratique convient à un chrétien ?
Longtemps, l’Église a énoncé des principes en ce domaine et si le Catéchisme de l’Église catholique ne rentre plus dans le détail des pratiques, comme ce fut le cas avec les pénitentiels du Moyen Âge, il fixe les orientations générales de la sexualité.
Nous envisageons ici la question des pratiques sexuelles dans le cadre d’un couple majeur et consentant. Nous laissons de côté la question de la masturbation solitaire, ainsi que la sodomie, ces thèmes sont abordés dans une autre étude.
La doctrine officielle
La sexualité ne se conçoit que dans le cadre d’un couple hétérosexuel marié, avec une double finalité : l’union et la procréation.
2351 La luxure est un désir désordonné ou une jouissance déréglée du plaisir vénérien. Le plaisir sexuel est moralement désordonné, quand il est recherché pour lui-même, isolé des finalités de procréation et d’union.
2353 La fornication est l’union charnelle en dehors du mariage entre un homme et une femme libres. Elle est gravement contraire à la dignité des personnes et de la sexualité humaine naturellement ordonnée au bien des époux ainsi qu’à la génération et à l’éducation des enfants. En outre c’est un scandale grave quand il y a corruption des jeunes.
2362 " Les actes qui réalisent l’union intime et chaste des époux sont des actes honnêtes et dignes. Vécus d’une manière vraiment humaine, ils signifient et favorisent le don réciproque par lequel les époux s’enrichissent tous les deux dans la joie et la reconnaissance " (GS 49, § 2). La sexualité est source de joie et de plaisir :
Le Créateur lui-même (…) a établi que dans cette fonction [de génération] les époux éprouvent un plaisir et une satisfaction du corps et de l’esprit. Donc, les époux ne font rien de mal en recherchant ce plaisir et en en jouissant. Ils acceptent ce que le Créateur leur a destiné. Néanmoins, les époux doivent savoir se maintenir dans les limites d’une juste modération (Pie XII, discours 29 octobre 1951).
2363 Par l’union des époux se réalise la double fin du mariage : le bien des époux eux-mêmes et la transmission de la vie. On ne peut séparer ces deux significations ou valeurs du mariage sans altérer la vie spirituelle du couple ni compromettre les biens du mariage et l’avenir de la famille.
Rajoutons que seules les méthodes naturelles de régulation des naissances sont admises (CEC 2367s).
Le Catéchisme n’entre pas dans le détail des pratiques sexuelles. Si par ailleurs, il soumet la sexualité à la vertu de chasteté, jamais il n’expose une liste d’interdits. Mais les propos enferment la sexualité dans une finalité qui se réduit en un coït verge vagin dont les possibilités de procréation ne sont pas exclues. Une conseillère conjugale résume la doctrine :
Si une femme masturbe son époux sans qu’il y ait ensuite une union sexuelle et donc si, volontairement, il éjacule hors du vagin de sa femme, il s’agit d’un acte sexuel détourné de l’union normale des époux et de l’ouverture à la procréation. De même si un homme masturbe sa femme sans que cela soit suivi par une union sexuelle normale (celle où les organes génitaux se rejoignent et qui peut permettre de concevoir un enfant).
Les caresses sexuelles sont tout à fait normales entre époux. La masturbation du conjoint, si elle est un préliminaire à une union sexuelle entre les époux, n’est qu’une forme de caresses intimes entre époux. Il faut veiller à ce que l’homme ait l’orgasme au moment où il est uni à sa femme.
En ce qui concerne le fait de lécher les organes génitaux de son conjoint, il n’y a pas de texte officiel. Je ne vois pas en quoi cela pourrait être condamnable, tant que cela ne devient pas une forme de masturbation qui ne s’achèverait pas par une union sexuelle. Catherine. Voir le lien dans la bibliothèque.
Un autre site précise que la sexualité est ordonnée au don des époux.
Reste que la masturbation, seul ou en couple, reste de la masturbation. Le fait que cela soit en couple ne change pas la nature de l'acte.
Or cet acte est mauvais car il ne peut pas être ordonné au don des époux. Prêter sa main pour donner du plaisir, ce n'est nullement se donner, c'est devenir l’instrument du désir de l'autre, qui se repliant sur son propre plaisir ne se donne pas.
Quand bien même l'autre, dans une certaine réciprocité, rendrait la pareille, ce n'est pas du don, ce n'est qu'une instrumentalisation mutuelle des personnes au services de plaisirs solitaires.
Les gestes que l'on pose dans la sexualité sont réellement chastes lorsqu'ils sont ordonnés au don des époux, qui implique une montée du désir sexuel, c'est-à-dire la préparation des corps en vue de la pénétration et de l'orgasme. Ainsi les caresses vécues dans cette finalité ne sont pas de la masturbation, ce qui est important à comprendre.
Il faut ajouter que dans une pratique de la masturbation en couple, celui-ci connaîtra peut-être une certaine intensité sexuelle, mais aucune véritable joie conjugale, et cela risque à terme de lasser la femme, et qu'elle en conçoive un certain dégoût pour la sexualité.
Voir le lien dans la bibliothèque.
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Le pasteur John Piper est plus nuancé et propose 4 axes de réflexion :
- Ce serait mal si la Bible l’interdisait.
- Ce serait mal si ce n’était pas naturel.
- Ce serait mal si la pratique était malsaine ou, en d’autres termes, nuisible.
- Ce serait mal si c’était une pratique forcée.
La réalité du corps à corps
La réalité du terrain montre une diversité des pratiques sexuelles.


Enquête de l’INSERM. Voir le lien dans la bibliothèque.
La sexualité est le lieu d’une incarnation très particulière, qui doit être reconnue dans sa crudité. C’est la condition de son authenticité. Les corps parlent de manière très concrète, ils font du bruit, libèrent des odeurs, dégagent du liquide… ils sont parfois transportés par la volupté, languissants ou alertes, tantôt impuissants, parfois incapables de plaisir, parfois celui-ci est obtenu de manière besogneuse, dans des artifices qui démentent les canons habituels de la performance sexuelle. Il me semble que c’est à la condition expresse de reconnaître d’abord cette réalité concrète que l’on peut oser une parole authentiquement spirituelle sur la sexualité. Croire que Dieu se manifeste à travers les nombreuses médiations d’un corps, en particulier d’un corps de plaisir, est certainement un acte de foi plus grand que de se précipiter directement vers un discours idéalisant. Anne Soupa. Voir le lien dans la bibliothèque.
L’idéal de pureté proposé par l’Église provoque un rejet chez de nombreux non-croyants, car le sens demeure incompréhensible en dehors de toute théologie du corps. Cet idéal risque aussi de questionner les catholiques qui se trouvent confrontés à la réalité du corps à corps avec ses pulsions, ses hésitations et ses ratés, avec un sentiment de culpabilité à la moindre entrave. L’accusation de péché de luxure jaillit alors au moindre téton qui s’échappe au vent des caprices.
Nos derniers papes proposent une vision plus positive de l’éros. Ainsi, Benoît XVI compare l’éros à une montée en extase vers le divin.
Selon Friedrich Nietzsche, le christianisme aurait donné du venin à boire à l’éros qui, si en vérité il n’en est pas mort, en serait venu à dégénérer en vice[1]. Le philosophe allemand exprimait de la sorte une perception très répandue : l’Église, avec ses commandements et ses interdits, ne nous rend-elle pas amère la plus belle chose de la vie ? N’élève-t-elle pas des panneaux d’interdiction justement là où la joie prévue pour nous par le Créateur nous offre un bonheur qui nous fait goûter par avance quelque chose du Divin ? (BENOIT XVI, Dieu est amour, 3).
L’éros veut nous élever « en extase » vers le Divin, nous conduire au-delà de nous-mêmes (BENOIT XVI, Dieu est amour, 5).
Le pape François compare le plaisir de manger au plaisir sexuel. « Le plaisir de manger sert à vous maintenir en bonne santé en mangeant, tout comme le plaisir sexuel est fait pour rendre plus beau l’amour et garantir la perpétuation de l’espèce ». Il se dit opposé à « une moralité bigote » refusant la notion de plaisir, « une mauvaise interprétation du message chrétien ». Cette vision « a fait d’énormes dommages, qui se ressentent encore fortement aujourd’hui dans certains cas », déplore le pape François, qui insiste en rappelant qu’« au contraire le plaisir de manger comme le plaisir sexuel viennent de Dieu. Le plaisir n’est ni catholique, ni chrétien, ni autre chose, il est simplement divin. »
Par conséquent, nous ne pouvons considérer en aucune façon la dimension érotique de l’amour comme un mal permis ou comme un poids à tolérer pour le bien de la famille, mais comme un don de Dieu qui embellit la rencontre des époux. Étant une passion sublimée par un amour qui admire la dignité de l’autre, elle conduit à être « une pleine et authentique affirmation de l’amour » qui nous montre de quelle merveille est capable le cœur humain, et ainsi pour un moment, « on sent que l’existence humaine a été un succès »(La joie de l’amour, 2016, 152).
Proposer une norme universelle en matière de pratiques sexuelles relève de l’utopie, car chaque personne véhicule une histoire avec ses désirs, ses peurs et ses répugnances. Éros se façonne au quotidien dans des choix toujours à renouveler tout en reconnaissant que chacun grandit à son rythme.
En croyant que tout est blanc ou noir, nous fermons parfois le chemin de la grâce et de la croissance, et nous décourageons des cheminements de sanctifications qui rendent gloire à Dieu. Rappelons-nous qu’un petit pas, au milieu de grandes limites humaines, peut être plus apprécié de Dieu que la vie extérieurement correcte de celui qui passe ses jours sans avoir à affronter d’importantes difficultés (Pape FRANÇOIS, La joie de l’amour, 305).
Par ailleurs, une chose permise n’est pas forcément opportune ; de même, interdire une pratique n’est pas toujours approprié. Un catalogue nierait la spécificité de chaque couple et la singularité de chaque personne. L’éthique conjugale ne consiste pas à respecter une norme formelle extérieure, mais à rechercher le bon, le beau et le bien pour le couple.
Quel est le meilleur chemin pour le couple ? Il revient à la conscience éclairée de prendre une décision. Mais le discernement n’est pas toujours facile dans un monde qui offre désormais une pluralité de chemins.
La norme ne s’applique pas à tous les cas particuliers, mais le cas particulier ne saurait s’ériger en norme. Mais ne sommes-nous pas tous des cas particuliers dans la singularité de notre histoire ? Le choix repose toujours sur une décision prudentielle confrontée à la réalité des faits.
Avant de poser un acte, l’homme et la femme devraient toujours se demander : « Quelle est mon intention ? » « Est-ce que cela va me faire grandir et faire grandir notre couple » ?
Noël Higel, La bonne nouvelle de la sexualité, p. 146-168.
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Les critères de la moralité d’un acte humain se déclinent dans :
- L’acte lui-même (certains actes sont intrinsèquement mauvais, d’autres neutres, d’autres bons, mais la frontière n’est pas toujours facile à fixer)
- L’intention (qu’est-ce que je recherche)
- Les circonstances (éducation, enfance,…)
- Les conséquences (à court et à long terme)
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Quels sont les critères qui me permettent de dire que ma sexualité est bonne ?
- Ce qui fait grandir mon couple
- Ce qui me révèle en tant qu’homme ou femme
- Ce qui donne du sens
- Ce qui apporte la paix et la joie
- Ce qui procure du plaisir à l’autre
- Ce qui est source de fécondité
En conclusion.
Les chrétiens ont à témoigner sereinement, et sans fausse pudeur, que la sexualité est belle et bonne pour peu qu’elle soit humanisée ; qu’il peut suffire d’un regard de tendresse pour transformer un acte physique de possession en mélodie amoureuse ; que l’épanouissement sexuel du couple est compatible avec le mariage et qu’il survient toujours un moment de vérité, dans l’histoire d’un homme et d’une femme, où ils découvrent que la seule manière d’échapper à l’impasse de leur étreinte est de l’ouvrir au don de la vie. Face aux illusions du sexe sans conséquence et sans contrainte, l’image d’un couple amoureux, fidèle et épanoui est sans doute plus efficace que bien des leçons de morale. René Poujol, Editorial de Pèlerin, 15 mars 2002.