La résurrection du corps
Le symbole des apôtres affirme la résurrection de la chair. Le symbole de Nicée confesse la résurrection des morts. Paul nous parle de la résurrection du corps (soma en grec). Ces différentes formulations montrent la difficulté d'exprimer un mystère qui échappe aux sciences. Le corps de résurrection échappe radicalement au monde de nos représentations terrestres.
L’ambiguïté du mot « corps »
Qu'est-ce que le corps ? Nous avons tendance à le réduire à un organisme physique. Alors qu'en réalité, il définit l'identité de la personne.
Voir l'étude sur le corps comme identité de la personne.
Voir l'étude sur le corps, âme et l'esprit dans la Bible.
L’âme, survivance du moi
L’Église affirme la survivance et la subsistance après la mort d’un élément spirituel qui est doué de conscience et de volonté en sorte que le « moi » humain subsiste. Pour désigner cet élément, l’Église emploie le mot « âme », consacré par l’usage de l’Écriture et de la Tradition. Congrégation pour la doctrine de la foi, Lettre sur quelques questions concernant l’eschatologie, 17 mai 1979.
L’âme est façonnée par l’histoire personnelle. Elle « emporte » avec elle tout le mémorial de la vie.
Le corps lieu de la reconnaissance à travers les liens tissés
Le visage est la partie du corps qui permet de reconnaître quelqu'un parmi les autres. On peut supposer que dans l'au-delà, le visage restera le lieu de la reconnaissance et de l'oblativité. Certains passages bibliques montrent un visage transfiguré au contact de Dieu. Dans ce sens est celui de Moïse, dont le visage « rayonnait» parce qu’il avait parlé avec l’Éternel (Ex 28.35). Lors de la transfiguration, Jésus était resplendissant (Mt 17,2).
Le récit des disciples d’Emmaüs (Lc 24,13-35) nous montre comment deux disciples reconnaissent le Christ ressuscité. Tout commence par la parole. Jésus leur explique les écritures pour ce qui le concerne. La suite du récit nous donne la clé de la reconnaissance. La parole de bénédiction et le geste eucharistique ouvrent les yeux des disciples. Un fait marquant de leur histoire personnelle, en l’occurrence la cène, vient ranimer la flamme de leur mémoire et de leur devenir.
Notre corps terrestre : une semence pour l’au-delà
Paul nous rappelle qu’il existe un lien entre notre corps terrestre et notre corps de résurrection (1Co 15,35-47). Comme toute semence, il n’y aura pas de ressemblance entre la graine et le fruit, mais un principe de continuité, discontinuité. La graine contient en elle le schéma de développement de la plante qui grandira plus tard. De même notre corps terrestre contient quelque chose qui assure le lien avec l'au-delà. La Tradition appelle ce quelque chose l'âme (voir infra).
1Co 15,35-38. Mais, dira-t-on, comment les morts ressuscitent-ils ? Avec quel corps reviennent-ils ? Insensé ! Ce que tu sèmes, toi, ne reprend vie s'il ne meurt. Et ce que tu sèmes, ce n'est pas le corps à venir, mais un simple grain, soit de blé, soit de quelque autre plante ; et Dieu lui donne un corps à son gré, à chaque semence un corps particulier.
Un corps incorruptible, glorieux et spirituel (1Co 15,39-44)
1Co 15,39. Toutes les chairs (sarx, caro) ne sont pas les mêmes, mais autre est la chair (sarx, caro) des hommes, autre la chair des bêtes, autre la chair des oiseaux, autre celle des poissons. Il y a aussi des corps (soma, corpora) célestes et des corps terrestres, mais autre est l'éclat des célestes, autre celui des terrestres. Autre l'éclat du soleil, autre l'éclat de la lune, autre l'éclat des étoiles. Une étoile même diffère en éclat d'une étoile. Ainsi en va-t-il de la résurrection des morts : on est semé dans la corruption, on ressuscite dans l'incorruptibilité ; on est semé dans l'ignominie, on ressuscite dans la gloire ; on est semé dans la faiblesse, on ressuscite dans la force ; on est semé corps psychique (soma psysichon, corpus animale), on ressuscite corps spirituel (soma pneumatichon, corpus spiritale).
Le corps ressuscité ne sera plus soumis à la corruption. Il ne vieillira pas et ne sera plus sujet à la mort ni aux maladies. Le mot gloire est souvent employé dans la bible dans le sens de la lumière qui émane de la personne de Dieu. Nos corps glorieux resplendiront d’une lumière divine.
Dn 12,2-3. Un grand nombre de ceux qui dorment au pays de la poussière s'éveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour l'opprobre, pour l'horreur éternelle. Les doctes resplendiront comme la splendeur du firmament, et ceux qui ont enseigné la justice à un grand nombre, comme les étoiles, pour toute l'éternité.
Mt 13,43. Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le Royaume de leur Père.
Mt 17,2. Et il fut transfiguré devant eux : son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière.
Tout ce qui touche aux limites physiques et psychologiques de notre humanité mourra en même temps que notre organisme.
Nous ne connaîtrons plus la maladie, la fatigue et l’épuisement, la faiblesse et la tristesse, la souffrance et la douleur.
Les obstacles qui nous empêchent d’avancer et d’aller vers les autres s’aplaniront. En définitive, tout ce qui entrave l’amour disparaîtra.
Nous pourrons aimer en vérité et en toute liberté dans la plénitude de l’amour divin.
Notre corps sera spirituel. Cela ne signifie pas qu’il sera fait d’esprit, mais qu’il sera adapté à la vie «spirituelle», à la vie dans la présence divine. Le corps de résurrection sera parfaitement adapté à la vie sur la nouvelle terre auprès de Dieu.
Un corps asexué ?
Lorsqu’on ressuscite d’entre les morts, on ne prend ni femme ni mari (Mc 12,25).
Les enfants de ce monde prennent femme ou mari ; mais ceux qui auront été jugés dignes d’avoir part à l’autre monde et à la résurrection d’entre les morts ne prennent ni femme ni mari... Ils ne peuvent plus mourir parce qu’ils sont pareils aux anges et ils sont fils de Dieu étant fils de la résurrection (Lc 20,34-40).
Oui, vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n’y a plus ni juif, ni grec ; il n’y a plus ni esclave ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme (litt. Ni mâle ni femelle, termes de Gn 1,27) ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ » (Ga 3,27-28).
Ces versets affirment la suppression du mariage. L'union conjugale appartient exclusivement « à ce monde ». Le mariage et la procréation ne constituent pas le futur eschatologique de l’homme et de la femme. Avec la résurrection, ils perdent leur raison d’être. Cet « autre monde » signifie l’accomplissement définitif du genre humain, la clôture quantitative de l'espèce humaine créée à l’image et ressemblance de Dieu.
Dans une société patriarcale où la femme était considérée comme mineure sur le plan religieux et inférieure en droit, Paul proclame ici l'égale dignité de l’homme et de la femme qui concourent aux mêmes droits et mêmes devoirs. L’abolition des rapports hierarchiques n’implique pas un nivellement des différences ni la suppression de l’altérité. Au contraire, en Christ, et par l’œuvre de l’Esprit, non seulement la différence entre l’homme et la femme n’est pas abolie, mais elle est restaurée pour qu’ils redeviennent ensemble le signe de l'amour de Dieu, comme en témoigne toute la Bible.
Ces versets confirment la persistance de la masculinité et de la féminité. Nous sommes homme ou femme pour l'éternité. Il ne s’agit pas ici de transformation de la nature de l’homme en celle des anges, c’est-à-dire en une nature purement spirituelle. Le contexte indique clairement que l’homme conservera dans l’« autre monde » sa propre nature humaine psychosomatique.
Dans l’au-delà, nous serons « comme » des anges (Mt 22,28-30), mais nous ne deviendrons pas pour autant de purs esprits. Jésus souligne simplement que le mariage ainsi que sexualité disparaîtront dans l’au-delà. Mais les liens tissés et l’identité subsisteront. Le Pape Jean-Paul dans sa catéchèse du 2 décembre 1981 (TDC 66) mentionne que notre corps est ressuscité homme et femme.
(TDC 66- 4) Les paroles « ils ne prendront ni femme ni mari » semblent affirmer à la fois et en même temps que les corps humains retrouvés et aussi renouvelés dans la résurrection conserveront leurs caractéristiques masculines ou féminines et que le sens d'être par le corps masculin ou féminin sera constitué et entendu dans l' « autre monde » d'une manière différente de celle qui a été « depuis l'origine », puis dans toute la dimension de l'existence terrestre.
La résurrection de la chair
Comment comprendre cette expression du credo, car le mot chair désigne aujourd'hui la "Substance molle du corps humain ou animal (muscles et tissu conjonctif)", selon le Le Robert.
Le mot hébreu « basar » (chair) signifie la viande ou la partie corporelle d'un être humain. Mais, il désigne aussi par extension la personne tout entière en complémentarité avec la néfesh (l’âme).
Le terme grec « σάρξ » (« sarx ») — désigne fondamentalement, dans les textes de saint Paul un corps vivant, et d’abord la matière organique dont ce corps est fait, en tant que cette matière est référée à la vie. Pour Paul, la chair est aussi le siège de la passion et du péché.
En affirmant la résurrection de la chair, les premiers penseurs chrétiens combattent les gnostiques qui méprisent et rejettent la réalité charnelle de Jésus :
"Si l’Eglise des premiers siècles a affirmé avec tant de netteté "J’attends la résurrection de la chair", c’est qu’elle avait compris la menace énorme que constituait la gnose pour la foi et pour le sens chrétien de l’homme : Irénée de Lyon, face aux gnostiques de Valentin ou de Marcion, consacrera un livre entier de son Traité contre les hérésies à démontrer que c’est l’homme tout entier, tel qu’il est sorti des mains de Dieu, qui est appelé à la résurrection. Cette résurrection de la chair, expliquera-t-il, se situe dans le sillage de l’acte créateur du Père ; et, en même temps, elle prolonge l’Incarnation du Verbe qui s’achève dans la Résurrection du Christ." (Claude Dagens, citation sur le site de Marie-Christine Hazaël-Massieux (voir bibliothèque).
Il faut rappeler certains chrétiens du IIe siècle qui, sous l’influence des gnostiques, s’opposaient au « salut de la chair », appelant « résurrection » la simple survie de l’âme dotée d’une certaine corporéité. Une autre exception est le « thnétopsychisme » de Tatien et de quelques hérétiques arabes qui ont pensé que l’homme meurt totalement, de telle sorte que l’âme non plus ne survit pas. La résurrection finale était alors conçue comme une nouvelle création, à partir du néant, de l’homme mort. https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/cti_documents/rc_cti_1990_problemi-attuali-escatologia_fr.html#_ftnref87
Un corps parfaitement spirituel
Sur terre nous sommes déjà corps et âme. L'Esprit de Dieu irrigue déjà notre être. Alors quelle sera la transformation ? À la suite du péché originel, l’homme et la femme font l’expérience de multiples imperfections de ce système de forces, comme cela est exprimé :
J’aperçois dans mes membres une autre loi qui lutte contre la loi de mon esprit (Rm 7,23).
L'esprit est fort, mais la chair est faible (Mt 26,41).
En effet, sous l’empire de la chair, on tend à ce qui est charnel, mais sous l’empire de l’Esprit, on tend à ce qui est spirituel : la chair tend à la mort, mais l’Esprit tend à la vie et à la paix (Ro 8, 5).
On les connaît les œuvres de la chair : libertinage, impureté, débauche […] ; mais voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi (Ga 5, 19.22).
Celui qui sème pour sa propre chair récoltera ce que produit la chair : la corruption. Celui qui sème pour l’Esprit récoltera ce que produit l’Esprit : la vie éternelle (Ga 6, 8).
Écoutez-moi : marchez sous l’impulsion de l’Esprit et vous n’accomplirez plus ce que la chair désire » (Ga 5, 16).
Car la chair, en ses désirs, s’oppose à l’Esprit, et l’Esprit à la chair ; entre eux, c’est l’antagonisme ; aussi ne faites-vous pas ce que vous voulez (Ga 5, 17).
Ma vie présente, je la vis dans la chair » (Ga 2,20)
L’homme « eschatologique » sera libéré de cette « opposition ». Dans la résurrection, le corps retrouvera la parfaite unité et harmonie avec l’esprit : l’homme n’éprouvera plus l’opposition entre ce qui, en lui, est spirituel et ce qui est corporel. La « spiritualisation » ne signifie pas seulement que l’esprit dominera le corps, mais qu’il imprégnera totalement le corps et que les forces de l’esprit animeront les énergies du corps en plénitude.
C’est donc une spiritualisation parfaite où se trouve complètement éliminée la possibilité qu’« une autre loi lutte contre la loi de l’esprit » (cf. Rm 7,23). Ce nouvel état qui est différent de ce que nous expérimentons dans la vie terrestre ; il ne signifie cependant pas une « désincarnation » du corps ni une « déshumanisation » de l'être humain. Bien au contraire, elle signifie sa parfaite « réalisation » de son humanité. En effet, dans l’être composé, psychosomatique, qu’est l’homme, la perfection ne peut consister dans une opposition réciproque de l’esprit et du corps, mais dans une profonde harmonie entre eux.
Suite à la résurrection se réalisera pleinement cette affirmation :
Ne savez-vous pas que votre corps (sôma) est le temple du Saint Esprit (1Co 6,19). Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps (sômata) mortels, par son Esprit qui habite en vous (Ro 8,11).
Un corps divinisé
(TDC 67-3) Les paroles des Synoptiques attestent que l’état de l’homme dans l’« autre monde », ne sera pas seulement un état de parfaite spiritualisation, mais aussi de « divinisation » fondamentale de son humanité. Les « fils de la résurrection » – comme nous le lisons dans Luc 20,36 – ne sont pas seulement « égaux aux anges » mais également « fils de Dieu ». On peut en conclure que le degré de spiritualisation propre à l’homme « eschatologique » aura sa source dans le degré de sa « divinisation », incomparablement supérieur à celui qu’il est possible d’atteindre dans la vie terrestre. Il faut ajouter qu’il s’agit ici non seulement d’un degré différent mais en un certain sens d’un autre genre de « divinisation ». La participation à la nature divine, la participation à la vie intérieure de Dieu lui-même, pénétration et imprégnation de ce qui est essentiellement humain par ce qui est essentiellement divin, atteindra alors son sommet de telle sorte que la vie de l’esprit humain parviendra à une plénitude qui lui était absolument inaccessible auparavant. Cette nouvelle spiritualisation sera donc un fruit de la grâce, c’est-à-dire de la communication de Dieu dans sa divinité même, non seulement à l’âme mais à toute la subjectivité psychosomatique de l’homme. Nous parlons ici de la « subjectivité » (et pas seulement de la « nature ») parce que cette divinisation doit être entendue non seulement comme un « état intérieur » de l’homme (c’est-à-dire du sujet) capable de voir Dieu « face à face », mais aussi comme une nouvelle formation de toute la subjectivité personnelle de l’homme à la mesure de l’union avec Dieu dans son mystère trinitaire et de l’intimité avec Lui dans la parfaite communion des personnes. Cette intimité – avec toute son intensité subjective – n’absorbera pas la subjectivité personnelle de l’homme, mais bien au contraire, elle la fera ressortir d’une manière incomparablement plus large et plus pleine. Pascal Ide, Commentaire des TDC de Jean-Paul II.
Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu. St Athanase, Sur l’Incarnation 54,3 : PG 25,192B.
Le Verbe s’est fait homme, et le Fils de Dieu, Fils de l’homme, pour que l’homme, en se mélangeant au Verbe et en recevant ainsi la filiation adoptive, devienne fils de Dieu. St Irénée, Contre les hérésies, Contre les hérésies, III, 19, 1.
La résurrection finale
Viendra le jour du triomphe du Christ, lors de son avènement. Puis ce sera la fin (I Co 5,23s.). Depuis les origines, l'Église croit à une manifestation du Christ au terme de l'histoire, où s'imposera la puissance de sa résurrection (Ph 3,20s). Lorsqu'il se manifestera, nous lui serons semblables (1 Jn 3,2). Mais comment se représenter la résurrection finale ? L'Écriture parle souvent un langage d'images, qui ne doit pas être pris à la lettre. A un signal donné, à la voix d'un archange, au son de la trompette de Dieu, le Seigneur en personne descendra du ciel et les morts en Christ se lèveront (1 Th 4,16). Parfois, elle parle en paradoxes L'heure vient, et c'est maintenant, où les morts entendront la voix du Fils de l'homme, et ceux qui auront entendu vivront (Jn 5,25). La résurrection est future — « L'heure viendra, ils vivront » — et se réalise maintenant. Le paradoxe où deux contraires s'affirment, est une manière d'exprimer le mystère que les concepts ne réussissent pas à saisir. Qui dira ce que l'ultime intervention ajoutera à l’existence céleste dont bénéficieront déjà ceux qui se sont endormis par Jésus ? (1 Th 4,14). La résurrection finale constitue le sommet de l'œuvre de création : qui peut se représenter ce que l'oeil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas entendu ; ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment (1Co 2,9), ce qui jamais n'a encore eu lieu ? Ce que nous serons n’a pas encore été manifesté (1Jn 3,2). Dès lors, comment se le représenter ?
La résurrection, bien que réelle dès la mort, n'est cependant pas achevée : Nous attendons la bienheureuse espérance, l'apparition de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur (Tt 2,13). Pour moi qui suis sur terre, la résurrection des êtres qui me sont chers n'a pas eu lieu dans leur mort. De celle-ci, je n'ai perçu que les apparences, j'ai vu en elle un mal. Il faut qu'ils me soient rendus, pour qu'à mes yeux ils soient ressuscités.
Pour eux non plus, la résurrection n'est pas complète. Leur relation avec les amis de la terre est imparfaite : Dieu leur permet de veiller sur eux, mais dans le secret. Le salut de ces amis n'est pas encore réalisé, ce salut qui est aussi le leur par l'amitié qui les attache à eux. De plus, cette amitié se porte désormais sur tous les hommes de la terre, par l'amour universel qui, au ciel a envahi leur cœur. Les meilleurs chrétiens ont été torturés sur terre par le désir de voir l'entière humanité sauvée. Tant que ce désir n'est pas exaucé, la joie dont parle Jn 16,24 n'est pas parfaite : « en ce jour vous demanderez... et vous recevrez et votre joie sera parfaite ». Une sainte moderne (Thérèse) a protesté avec force que son bonheur ne sera complet qu’au dernier jour : Si le bon Dieu exauce mes désirs, mon ciel se passera sur la terre, jusqu’à la fin du monde. Oui je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre. Je ne puis pas me faire une fête de jouir, je ne veux pas me reposer tant qu'il y aura des âmes à sauver. Mais lorsque l’ange aura dit : « le temps n'est plus », alors je me reposerai, je pourrai jouir, parce que le nombre des élus sera complet ».
Ni d'un côté ni de l'autre, la pleine relation entre ciel et terre n'est donc établie. Or, le bonheur est dans la relation, Saint Jean le dit (Jn 1,3), le bonheur de chacun est conditionné par celui de tous. La fête du ciel ne peut pas battre son plein tant que la construction du ciel est inachevée : ensemble nous serons avec le Seigneur (1Th 4,17) : celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus, nous ressuscitera nous aussi avec Jésus, et nous placera près de lui avec vous (2 Co 4,14). Les saints du ciel attendent avec impatience que le jour se lève (Ap 6,9-11).
Non seulement la joie des saints n'est pas parfaite, tant que leur nombre est incomplet, Leur propre salut est inachevé : Nous attendons la filiation, la rédemption de notre corps (Rm 8,23). L'homme arrivera à sa pleine humanité avec l'humanité entière. En attendant, le concert céleste se prépare. L'assemblée se constitue peu à peu, on accorde les instruments, on s'exerce pour la partie qui revient à chacun. Vient enfin le jour où le chef d'orchestre se lève sur le monde, où le Christ st manifeste tel qu'il est (cf. 1Jn 3.2), et donne le signal de la symphonie universelle.
François-Xavier Durrwell, Regards chrétiens sur l'au-delà, Médiaspaul, 1994, p. 97s
Un temps intermédiaire
Il existe un temps intermédiaire, une tension, entre la mort individuelle et la résurrection générale. Les morts attendent « le moment où la création tout entière sera créée à nouveau par le Saint- Esprit » (O. Cullmann. Immortalité de l'âme ou résurrection des morts ? p. 48). « Ils dorment », suivant l'expression souvent employée par Paul. L'état des morts reste un état « imparfait », avant « le nouvel acte créateur qui saisira l'univers ». Cependant, souligne à la fin M. Cullmann, « les morts vivent déjà auprès du Christ ».
Personnellement, je pense que la vie continue après la mort, ce n’est bien entendu pas obligatoire d’en être persuadé pour être chrétien. Ensuite, quant à savoir comment cela se passe, cela me parait une question difficile puisque nous n’avons absolument pas les moyens de comprendre comment vivre autrement qu’en ce monde, dans ce corps et dans ce temps. Mais en tant que scientifique, je pense qu’en dehors de la matière le rapport au temps est de toute façon complètement différent, il me semble donc que la question du délai entre la mort et notre résurrection ne se pose même pas. Marc Pernot, pasteur.
Quand cela se produira-t-il? Après notre mort déjà ou à la fin des temps ? Cette question est liée à celle du jugement, jugement particulier et jugement général. La résurrection des corps ne se produira qu'à la fin des temps, au jugement général, quand la gloire du Christ sera pleinement manifestée. En attendant, nos morts qui ont « subi » le jugement particulier ne sont nullement privés de corps, donc de communication et de relation, puisqu'ils sont dans le corps du Christ. La gloire du Christ est présentement, et jusqu'au jour de son retour à la fin des temps, voilée. Quand le Christ sera manifesté dans toute sa gloire à la fin des temps, tous, alors, seront ressuscités, les bons comme les méchants. Ceux qui auront choisi le Christ (les élus) seront, avec lui, glorifiés dans leur âme et dans leur corps. Ceux qui l'auront rejeté (les damnés) seront, eux aussi, ressuscités, mais ne pourront être glorifiés. Pierre Bougie. Voir le lien dans la bibliothèque.
Rappelons que le mot âme est la traduction du grec « psuchè » utilisé pour traduire l'hébreu « nephesh » Un même vocable peut avoir des résonnances bien différentes selon le contexte dans lequel il est employé. C'est pourquoi la thèse de E. Boismard sur la prédominance de l'immortalité de l'âme dans le Nouveau Testament ne nous parait pas entièrement convaincante. En témoigne l'opposition que Paul fait entre corps psychique (de psuchè, âme) et corps spirituel (pneumatique, de pneuma, esprit). Aux objections de ceux qui ironisaient sur la résurrection des corps. Paul oppose le corps psychique (traduit par animal dans la TOB) au corps spirituel : celui-ci nait du corps psychique comme la plante lève de la semence ; cette germination ne peut se faire que par la mort de la semence. Paul oppose ces deux corps car c'est en Christ seulement que l'humanité accède à l'incorruptibilité. L'être humain n'est pas de sol incorruptible. Il ne le sera que lorsqu'il aura revêtu le corps spirituel à la fin des temps. Entre ces deux mondes, il y a continuité et rupture. Continuité puisque la résurrection est transformation du corps corruptible en corps incorruptible. Rupture car cette transformation n'est pas un processus d'évolution par soi du corps, mais le fruit d'une intervention du Christ. Les Pères de l'Église parlent tous de la résurrection de la chair, et certains, Irénée de Lyon notamment insistent particulièrement pour lutter contre la gnose. Cependant, immergés dans la culture grecque, ils admettent également l'immortalité de l’âme. Citons Tertullien (IIe siècle) :
Aucune âme absolument ne peut accéder au salut si elle n'a eu la foi tant qu'elle était dans la chair, tellement la chair est le gond du salut : lorsque l'âme est choisie par Dieu en vue de ce salut, c'est la chair qui fait que L'âme peut être ainsi choisie par Dieu.
Le gond du salut, c'est-à-dire l'axe qui fait pivoter la porte ! C'est dans notre manière d'habiter la chair de ce monde et la chair de notre corps, et non dans leur négation, que se joue notre relation à Dieu. Héritière de ces deux cultures, la tradition a donc tracé un schéma qu'un texte officiel - mais non magistériel - résume ainsi :Entre la mort de l’homme et la fin du monde, un élément conscient de l’homme subsiste, qu’elle appelle « âme » (psychê), nom également employé par la sainte Écriture et qui, déjà dans cette phase, est sujet de rétribution. À la parousie du Seigneur qui surviendra à la fin de l’histoire, on espère la résurrection bienheureuse de « ceux qui sont au Christ ». Alors commence la glorification éternelle de tout l’homme déjà ressuscité. La survie de l’âme consciente, préalable à la résurrection, assure la continuité et l’identité de la subsistance de l’homme qui a vécu et de l’homme qui ressuscitera, en ceci que, grâce à elle, l’homme concret ne cesse jamais totalement d’exister. https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/cti_documents/rc_cti_1990_problemi-attuali-escatologia_fr.html
Deux étapes se dégagent : la subsistance de l’âme immédiatement après la mort et la résurrection a la fin des temps. Ce schéma permet de penser le sort des défunts attendant les derniers temps et, plus globalement, l’articulation entre le terme de l’histoire et l'éternité de Dieu. En effet, une des difficultés majeures de la réflexion sur tes fins dernières est de penser l'éternité de Dieu à partir de l'histoire. Lorsque nous pensons, nous sommes toujours liés au temps et à l'espace ; il est extrêmement difficile de faire abstraction de ces deux éléments qui sont constitutifs de notre existence. Le propre de Dieu et de son règne, est d'être hors du temps, hors de l'espace. L'éternité est bien autre chose que du temps qui se déroulerait sans cesse ; le lieu de Dieu est bien autre chose qu'un horizon infini. Il faut donc articuler deux choses complètement disproportionnées : le monde humain et le monde de Dieu. Si on dit que les défunts ressuscitent immédiatement dans une plénitude de bonheur, on oublie que l'histoire continue ; or si l'histoire a du poids pour Dieu, au point qu'il prit chair de notre chair, le bonheur dans l'Au-delà ne peut pas être déjà parvenu à sa plénitude ; s'il manque des ami(e)s au festin que j’ai préparé, la joie des convives n'est pas totale tant que ceux-ci ne sont pas arrivés. Inversement, si on dit que le défunt est, en quelque sorte, réduit à rien en attendant sa résurrection qui aura lieu à la fin des temps, on met entre parenthèses cette créature de Dieu, comme si elle avait été anéantie puis, d'un coup, sera recréé par la résurrection ; on a alors deux mondes juxtaposés, et non plus alliance de l'un avec l'autre, parce que la continuité entre ce que Je suis maintenant et ce que Je serai dans l'Au-delà n'est pas pensée.Pour autant, pour penser cette vérité-là, est-il nécessaire de recourir au vocabulaire de l'âme et du corps ? Qu'est-ce que le moi ? s'interroge Pascal. Si l'on aime quelqu'un pour sa beauté ou pour son intelligence, et qu'il vienne à perdre ces qualités l'aimera-t-on encore ? Oui, contrairement à ce qu'affirme le pessimisme pascalien, si on l'aime vraiment pour lui-même, car le moi n'est pas réductible à une somme de qualités. Qu'est-ce donc qui constitue l'être humain ? Le corps ? Je ne peux pas me penser en dehors de mon corps (je suis un corps), mais mon corps ne dit pas le tout de mon être. À partir du moment où Je me pense moi-même (j'ai un corps), c'est qu'il y a du jeu entre moi et moi-même, entre ma pensée et mon corps. Je ne peux penser sans un corps en bon état et, en même temps, je pressens que je suis plus qu'un simple réseau de tissu organique, une structure osseuse, etc. C'est cette réalité ambivalente que l'on tente de dire au moyen de différents termes, selon les cultures et les civilisations.
Le corps matériel n'est pas le tout de la vie, c'est ce que veut signifier la réutilisation de la dialectique grecque d'âme-corps ; c'est ce que le peuple hébreu tentait de dire également avec son anthropologie ternaire : l'être humain n'est pas seulement chair, il est aussi cette "nephesh", cette réalité personnelle animée par le souffle de Dieu. S’il en est ainsi, pourquoi garder l'expression « résurrection des corps » qui parait bien embarrassante, bien matérialiste ? Ne pourrait-on pas garder seulement le vocabulaire de l'âme pour désigner cette part de nous-mêmes appelée à entrer en communion définitive avec le Seigneur ? Éliminer le vocabulaire de la résurrection des corps, ce serait renoncer au sérieux de l'histoire. En effet, le corps n'est pas seulement ce vêtement dont la mort me dépouille, il est constitutif de ma personne il est ce qui exprime mon identité personnelle et ce par quoi je suis en relation avec les autres et le monde. C'est par mon corps que j'existe, parle, m'exprime, communique avec autrui, marche, etc. Le corps est ce par quoi j'habite le monde, ce qui me permet d'inscrire ma volonté, mes projets dans le mouvement du monde. Parler de résurrection des corps, c'est souligner deux choses. D'une part, il y a un lien entre ce que nous vivons ici-bas, et ce à quoi nous sommes appelés dans l'Au-delà, et ce lien est plus spécifiquement signifié par la notion de jugement. D'autre part, le salut est bien une vocation adressée à chacun(e) de nous, personnellement, mais il n'est pas un projet individualiste : le corps exprime que je suis fondamentalement un être-en-relation, et c'est cette vérité profonde de notre être qui est appelée à la communion avec Dieu qui est lui-même relation. La tradition utilise indifféremment résurrection de la chair ou résurrection du corps. Le mot « chair » souligne l'enracinement humain dans le monde créé ; Adam, c'est le terreux, celui qui est suscité du monde de la matière. Le mot « corps » insiste davantage sur l'aspect personnel : la vie n'existe que sous sa forme individuée, le vivant humain est toujours une personne. Parler de résurrection des corps, ce n'est pas transposer dans l'Au-delà des conditions de vie qui n'y ont plus cours, c'est pourquoi on parle de corps glorieux.
Isabelle Chareire, La résurrection des morts, Tout simplement, Les Editions de l'Atelier, 1999.
La résurrection atteste que le corps n’est pas seulement temporairement lié à l’âme (sa « prison » terrestre, comme l’estimait Platon)[Gorgias, 493a] mais qu’avec l’âme il constitue l’unité et l’intégrité de l’être humain. C’est précisément ce qu’enseignait Aristote [De Anima, 412 a19-22], contrairement à Platon. La résurrection affirme que la perfection eschatologique et la béatitude de l’homme et de la femme ne sauraient être comprises comme l’état de l’âme seule, séparée (libérée, selon Platon) du corps, mais qu’il faut l’entendre comme l’état de l’homme définitivement et parfaitement « intégré » par une union de l’âme avec le corps telle qu’elle qualifie et assure définitivement sa parfaite intégrité.
Le salut des animaux
Ps 36 Tu sauves, Seigneur, l’homme et les bêtes.
« Vais-je retrouver mon chien au paradis ? » Cette question en ouvre d'autres : Les animaux sont-ils dotés d'une âme ? Faut-il mettre sur le même plan, le dinosaure, le chien de compagnie, la vache, le ver de terre ?
Les animaux sont dotés d'une âme dans le sens d'un "principe de vie". Le mot animal provient d'ailleurs du latin "anima" qui signifie "âme. Dans la Genèse, les animaux et les humains sont appelés haya nephech (être vivant). Mais ils ne sont pas créés à l'image de Dieu. Par ailleurs, les animaux ne sont pas animés par une conscience morale.
Xavier Loppinet estime que « tout ce qui a eu de l’importance dans l’histoire de l’homme, Dieu en tient compte ». De même Didier Luciani, en des termes différents : « Ce qui subsistera de notre relation aux animaux relève de l’ordre du désir et sera proportionnel à la force de la relation qui aura été entretenue avec eux. » Autrement dit, ces animaux, qui ont donné du sens à des vies humaines, pourraient avoir une forme de présence au paradis plus probable que celle des moustiques ou des dinosaures. Journal La croix, 14/06/2024.
La résurrection ne sera pas la reprise de l'existant. Mais n'emporterons-nous pas au paradis tout ce qui a façonné notre histoire, tous les liens que nous avons construits, tout ce qui nous a aidés à grandir ?
En conclusion : Je deviens ce que je suis
Un exercice très révélateur consiste à se demander : qu’est-ce que nous aimerions emporter de nous-mêmes dans l’au-delà. Non pas ce que nous avons, mais ce que nous sommes. Je deviens ce que je suis ! Il est impossible de devenir autre chose que ce que nous sommes fondamentalement. Nous sommes corps et nous deviendrons corps. Notre identité corporelle ressuscitera. Dans l'au-delà, nous resterons ce que nous sommes sous des modalités renouvelées. Celles-ci nous permettront de nous ajuster et de communier au "je suis" de Dieu qu’il nous révèle à travers son nom Yahvé.