Statut de l'embryon
Etre humain et personne
Le code civil précise : " La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie (II - Art 16). Nul ne peut porter atteinte à l'intégrité de l'espèce humaine (II - Art 16-4) ".
Le droit civil distingue la personne de la chose. Nous n'abordons pas ici la question des animaux. La première bénéficie de droits et d'obligations alors que la seconde reste au niveau des objets dont nous pouvons disposer, acheter, vendre, détruire, dans la limite de la législation. Les choses ont généralement un propriétaire, ce qui n'est pas le cas des persones. Sommes-nous propriétaire d'un fœtus ou d'un embryon ? L'embryon et le fœtus ne bénéficient pas de la protection et des droits moraux des personnes.
Mais qu'est-ce qu'une personne ? Boèce (470-525), philosophe latin, dit de la personne qu'elle est « une substance individuelle de nature rationnelle (naturae rationabilis individua substantia) » (Boèce, Contre Eutychès et Nestorius). Emmanuel Kant reprend l'argument de la raison et précise que la personne est « un être entièrement différent, par le rang et la dignité, de choses comme le sont les [êtres] dépourvus de raison, dont on peut disposer à sa guise. » (Anthropologie du point de vue pragmatique (1984), p. 17). Ce philosophe estime que la capacité pertinente est la conscience de soi ; l'enfant devient une personne vers l'âge de 2 ans avec l'émergence de la notion de 'sujet', lorsqu'il ne parle plus de lui à la 3e personne, mais dit « je » face à un « tu ». Dans ce sens, l’embryon n'est pas une personne, car on ne saurait dire qu'il est doué de raison ou qu'il soit conscient d'être un "je".
Le concept de personne suppose la conscience de soi, la conscience d’être un individu distinct des autres ; cette définition (de Wiggin)s, assez large et juste, présente l’inconvénient de ne pas mettre suffisamment en relief les caractéristiques centrales de la personne humaine. Ainsi, la question demeure de savoir si, s’agissant des fœtus, des nourrissons ou des adultes très handicapés mentalement, dont la conscience de leur individualité et la capacité à orienter leur vie par des décisions libres sont inexistantes, nous avons affaire ou non à des personnes. Au regard de leurs capacités immédiates, il nous faut répondre par la négative. Mais nous pouvons introduire ici le concept de « personne en puissance » , et dire que le fœtus et le nourrisson sont appelés à devenir des personnes. La durée du déploiement de l’existence humaine donne toute sa signification au terme de « devenir » : posséder en germe une capacité et ne pas pouvoir la déployer n’est pas équivalent au fait de ne pas avoir du tout cette capacité. En outre, si tout être humain détient la capacité de devenir une personne et se distingue en cela de l’animal, il ne faut surtout pas oublier que le concept de « personne » représente un idéal et un achèvement de l’être humain. Aussi l’aptitude à prendre des décisions libres – caractéristique essentielle de la personne – paraît-elle bien modeste au regard d’un examen minutieux de tous les conditionnements qui affectent l’être humain. Celui-ci demeure sa vie durant, pour une part, « personne en puissance »... Le fait d’avoir pour parents des membres de l’espèce humaine inscrit tout nouvel être dans une communauté dont la grandeur est justement de préserver et de respecter la vie de ses membres les plus faibles, que ce soit au début ou à la fin de l’existence. Eric Charmetant, La personne et l'être humain (voir bibliothèque).
Pendant longtemps les théologiens définissent le moment de l'animation (du latin anima, âme) comme critère déterminant. Il s'agit de l'instant où l'âme entre dans le corps. Pour Basile de Césarée, l'âme pénétre dans le corps à la conception. Thomas d'Aquin considère que cet événement se produit entre le 40e et le 80e jour de la gestation, tandis qu'Augustin d'Hippone le place à la première respiration.
La science est dans l'incapacité de déterminer à quel moment se déroule cette "fusion" de l'âme et du corps. Si l'âme se définit comme 'principe de vie', alors le monozygote est un cellule vivante. Il ne s'agit là que d'une vie "animale" dans son sens étymologique. Mais le monozygote est-il un être ? Un être humain ? Sur le plan génétique, la permière cellule comporte tout le patrimoine génétique d'un être humain. A quel moment devient-il un être humain ? au moment de la fécondation ? de la nidation ? du premier battement de coeur ? de la formation du cerveau ? Ou bien à la naissance, avec l'ouverture des poumons au souffle ? Mais la définition d'un être humain dépasse le génétique et le biologique. Et il est impossible d’établir la liste des critères nécessaires et suffisants pour définir ce qu’est un être humain.
Soit nous accordons le statut d’être humain à l’embryon. Soit nous refusons l’humanité à l’embryon, et il sera alors très difficile, et peut-être impossible, de justifier le moment du passage à l’humanité : serait-ce l’apparition du fœtus, à huit semaines d’existence, que nous devrions considérer comme l’avènement de l’être humain ? Là encore, nous nous heurterons à la parfaite continuité du passage de l’embryon au fœtus, c’est-à-dire précisément à l’arbitraire de cette durée de huit semaines qui ne marque aucun saut qualitatif que l’on pourrait identifier à la transition du non humain à l’humain. Il en sera de même pour toutes les étapes ultérieures, progressives elles aussi et souvent difficiles à définir précisément, surtout si elles sont culturelles, comme l’acquisition de la pensée, de la conscience ou du langage. Marc Anglaret, L’être humain n'existe pas (voir bibliothèque).
Le développement de l’embryon est continu. C’est une vie qui n’est ni celle du père, ni celle de la mère, mais celle d’un être humain unique. Le patrimoine génétique est présent dès le commencement. L’embryon est un être inachevé, qui n’a pas dès le début forme humaine, mais a en lui, de manière active, les principes de son devenir.
« Dès que l’ovule est fécondé se trouve inaugurée une vie qui n’est ni celle du père,
ni celle de la mère, mais d’un nouvel être humain qui se développe par lui-même. Il
ne sera jamais rendu humain s’il ne l’est pas dès lors. » Donum Vitae, Jean Paul II,
1987.
« L’embryon humain, à quelque stade de son développement qu’on le prenne, est
un être engagé dans un processus continu, coordonné et graduel depuis la constitution du zygote jusqu’au petit enfant prêt à naître. » Mgr André Vingt-Trois, 2006.
« Le corps d'un être humain, dès les premiers stades de son existence, n'est jamais
réductible à l'ensemble de ses cellules. Ce corps embryonnaire se développe progressivement selon un « programme » bien défini et avec une finalité propre qui se manifeste à la naissance de chaque enfant. » Dignitas Personae, Benoit XVI, 2008.
« Tout enfant est dans le cœur de Dieu, depuis toujours, et au moment où il est conçu, se réalise l’éternel rêve du Créateur. Pensons à ce que vaut cet embryon dès l’instant où il est conçu ! Il faut le regarder de ces yeux d’amour du Père, qui voit au
-delà de toute apparence. » Amoris Laëtitia, N°168, Le Pape François, 2016.
Conclusion
En conclusion, ni la science, ni la philosophie, ni la théologie ne définissent "l'instant" du passage du zygote à l'être humain, puis à la personne. Le principe de potentialité ou de puissance ne fait qu'affirmer un devenir. Mais dans ce cas ne faut-il pas appliquer le principe de précaution si souvent mis en avant dans d'autres domaines ? La vertu de prudence trouverait ici ses lettres de noblesse.
Le comité consultatif national d'éthique (CCNE) n'a, comme son nom l'indique, qu'une fonction consultative. Les sages s'effacent devant le juridique et le politique.
La question de l'inscription du droit de l'IVG dans la constitution nous paraît donc bien secondaire au regard des sujets philosophiques et théologiques que suscite le jaillissement de la vie. Mais ces sujets n'intéressent que peu de politiciens dont le rôle est de faire de la politique.