Mâle et femelle, il les créa (Gn 1,27)

Ce verset (Gn 1,27) est un des plus importants de la bible en ce qui concerne la définition de l’être humain, puisqu’il nous dit d’une part notre origine divine « il », « il les créa », et d’autre part que nous sommes des êtres sexués et différenciés sous deux formes « mâle et femelle ».

1 – Quel est le contexte ?

Replaçons tout d'abord le verset "homme et femme, il les créa" dans son contexte.
La bible nous propose deux récits de la création. Le premier dans la bible, de tradition sacerdotale (Gn 1-2,4), a été écrit aux alentours de l’exil à Babylone (VIe siècle av. J.-C.). Dieu nommé Élohim en hébreu, crée et ordonne l'univers en 6 jours, puis se repose et sanctifie le septième jour. L'apogée de cette création est l'adam, homme et femme créés à son image.

Le second récit de la création dans la bible, de tradition yahviste (Gn 2,5-3,24), plus ancien, sans doute composé vers le VIIIe siècle av. J.-C.. Dieu nommé YHWH en hébreu, crée l'adam à partir de la glaise et le place dans le jardin d'Éden. L’adam nomme les animaux, mais ne trouve pas de compagne qui lui soit assortie (accordée). Alors Dieu façonne la femme à partir d'une côte de l'adam.

Il faut lire ces récits comme une révélation sur Dieu, sur l’humanité et sur le projet de Dieu pour l’homme et la femme. Ces textes sont porteurs d’un sens, un sens toujours d’actualité et que nous avons à déchiffrer.

Repartons du premier récit sacerdotal pour voir précisément ce qui est dit dans l’expression « homme et femme, il les créa ».

2 – Quelle est la formule originelle ?

Nous avons l'habitude de dire "homme et femme, il les créa". Mais le texte hébreu est plus subtil.

Gn 1,26-27 Élohim dit : Faisons adam à notre image, selon notre ressemblance, ... Élohim créa l’adam (ha adam = substantif collectif ; l'humanité) à son image, à l’image d'Élohim il le créa ; mâle (zakar) et femelle (uneqebah) il les créa.

3 – Que signifie ce « Faisons » ?

Une première remarque : avant de créer l’adam, Dieu se parle à lui-même "faisons". Alors que pour les autres éléments de la création, le texte utilise un subjonctif de souhait à la troisième personne : « Que la lumière soit ? Qu’il y ait ceci ou cela ». Au moment de créer l’adam, Dieu se parle à lui-même : « Faisons l’adam à notre image, selon notre ressemblance ».
Ce pluriel peut s'interpréter de différentes manières. Les uns pensent que Dieu interroge des êtres divins au sein de la cour céleste (cf le prologue de Job où Dieu convoque les êtres célestes pour une audience générale); d’autres pensent à l’idée de trinité ou encore un reste de polythéisme. Nous sommes à une période où le monothéisme commence à s’affirmer. Nous pouvons aussi l’interpréter comme un pluriel de majesté.
Elohim désigne en somme un dieu unique et pluriel qui établit une relation avec lui-même, comme pour signifier qu’Il va créer un être de relation. Pour l’auteur sacerdotal, l’humanité existe en communauté, en relation, l’un à côté de l’autre, l'un vis-à-vis de l'autre, dans un même projet, ce que confirme le second récit de la création sur lequel nous reviendrons.

4 – Adam, quel est le sens de ce mot ?

Ici adam, qui n’est pas déterminé, est traduit improprement par ‘l’homme’... Il nous faudrait traduire ce verset « Faisons un humain », respectant en cela l’indétermination de cette première conception de l’idée d’humanité. Le début de ce récit de création n’introduit pas de distinction de genre ; le nom masculin adam pouvant valoir pour l’unité de l’espèce humaine qui domine les autres espèces animales. Michèle Bitton, Adam et Ève et les autres expressions du masculin et du féminin dans les premiers chapitres hébraïques de la Genèse ? https://books.openedition.org/pup/6977?lang=fr

Le second récit de la création confirme l'indétermination originelle :

Gn 2,7 Yahvé Élohim modela l’adam avec de la poussière prise du sol. Il insuffla dans ses narines l’haleine de vie, et l’adam devint un être vivant.
Yahvé Élohim modela l’adam avec l’adama
Le SEIGNEUR Dieu modela l’humain avec l’humus…

Nous sommes tirés de la terre. Nous sommes faits de poussière et nous retournerons à la poussière. Dieu crée d’abord un être humain, adam, le « terreux », puisque formé à partir de la terre, adamâ. Alors que, dans les mythes mésopotamiens, les humains sont formés par un mélange d’argile et de sang divin, en Gn 2, la composante divine est le « souffle » de Yahvé.

Le mot hébreu « adam » utilisé pour parler de l’être humain peut aussi se traduire par « glaise ». En tant que glaise, nous sommes pétris de chair et non de pierre. Nous sommes donc capables d’éprouver, de ressentir, de nous laisser transformer par une caresse, un sourire, une parole ; capable de jouir et de souffrir. En somme, nous sommes des êtres de relation et nous sommes même "capax déi", selon l'expression de saint Augustin, c'est-à-dire capable d'entrer en relation avec Dieu et nous laisser diviniser. Le souffle de Dieu irrigue notre chair. Ce que confirme le premier texte sacerdotal puisque celui-ci affirme que nous sommes créés à l’image de Dieu, concept sur lequel nous reviendrons.

Mais avant de préciser ce concept d’image, rappelons que Dieu crée un mâle et une femelle et non pas un homme et une femme.

5 - Mâles et femelles : comme des animaux ?

Gn 1,26-27 Élohim dit : Faisons adam à notre image, selon notre ressemblance, ... Élohim créa l’adam (ha adam = substantif collectif ; l'humanité) à son image, à l’image d'Élohim il le créa ; mâle (zakar) et femelle (uneqebah) il les créa.

Faut-il en conclure que l’homme et la femme ne sont que des géniteurs appelés à se reproduire. Le récit de la Genèse semble le suggérer, car les animaux et les humains sont placés sur le même plan :

Gn 1,22 Dieu les bénit, en disant : Soyez féconds, multipliez, et remplissez les eaux des mers ; et que les oiseaux multiplient sur la terre.

Gn 1,28 Dieu les (le mâle et la femelle) bénit et leur dit : Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la ».

Concernant le mâle et la femme, Dieu « leur dit ». Nous sommes des êtres capables d’entendre la voix de Dieu. Mais le récit de la Genèse apporte une autre nuance fondamentale : Les animaux ne sont pas créés à l’image de Dieu. L’être humain mâle et femelle est créé à l’image de Dieu.

Voir l'étude sur l'image de Dieu.

En hébreu, comme en français, les correspondants lexicaux pour ‘mâle’ et ‘femelle’, ont des radicaux différents. Ils ne sont pas reliés étymologiquement, ni grammaticalement, comme le sont par exemple gardien et gardienne. De plus, les deux termes hébraïques renvoient à des notions très éloignées l’une de l’autre.

Le radical du substantif zakhar est celui du verbe hébraïque ‘penser’, ‘se rappeler’, dont dérivent différents vocables désignant le souvenir et la mémoire. Dans la Genèse, la première création du principe masculin désigné par zakhar, par son association avec la notion de mémoire, renvoie immédiatement à une idée de trace, de tension intellectuelle pour se souvenir du passé. Littéralement, zakhar pourrait se traduire par ‘celui qui se souvient’. En grammaire hébraïque, zakhar désigne aussi le genre masculin.

Pour neqeva, le radical est celui d’un verbe qui désigne l’action de ‘trouer’, ‘perforer’. En hébreu, on trouve donc d’emblée dans le récit de cette première création d’un principe féminin, une idée de creux et de pénétration, avec pour corollaire l’idée d’ouverture et de profondeur. Le même radical n-q-b désigne aussi l’action de nommer, de définir, qui est une manière active d’agir sur le monde.

Ainsi, si étymologiquement, la racine de zakhar relie le mâle à l’intellect, celle de neqeva associe la femelle à un acte de perforation aux implications psychanalytiques évidentes. Toutefois, la construction du mot neqeva est à un mode actif, comme celle de zakhar. De même, en grammaire, c’est également neqeva qui désigne le genre féminin. Dans ce mot hébraïque, on n’entend pas l’action passive d’être trouée, mais plutôt le sens actif de nommer et de définir au féminin. Littéralement, neqeva pourrait aussi se traduire par ‘celle qui nomme’. Michèle Bitton, op. cit.