La création ex nihilo

Dieu a-t-il créé l’univers à partir de rien (ex nihilo) ou à partir d’une matière pré-existante ? Les textes bibliques apportent un premier éclairage, mais le concept "ex-nihilo" a surtout été développé par les Pères de l’Église à partir du 2e siècle.

La Bible

L’Ancien Testament hébreu ne connaît pas la notion de création à partir de rien au sens strict de ce terme. La Genèse affirme que Dieu crée, sans plus de précision ; puis il organise le ciel et la terre à partir d’un chaos primordial.

Gn 1,1 Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. 2 La terre était un chaos, elle était vide ; il y avait des ténèbres au-dessus de l’abîme, et le souffle de Dieu tournoyait au-dessus des eaux.

Un texte grec de l’Ancien Testament affirme une création "ex ontôn" que la TOB traduit "à partir de rien".

2M 7,28 Je t’en prie, mon enfant, contemple les cieux et la terre, regarde tout ce qui s’y trouve. Reconnais que Dieu a fait tout cela à partir de rien et qu’il a créé les humains de la même façon.
ἀξιῶ σε, τέκνον, ἀναβλέψαντα εἰς τὸν οὐρανὸν καὶ τὴν γῆν καὶ τὰ ἐν αὐτοῖς πάντα ἰδόντα γνῶναι ὅτι οὐκ ἐξ ὄντων ἐποίησεν αὐτὰ ὁ θεός, καὶ τὸ τῶν ἀνθρώπων γένος οὕτω γίνεται.

La doctrine de la création ex nihilo prolonge la conception du Dieu Créateur : Dieu a tout créé librement. Cela signifie d’une part que l’univers visible et invisible (du credo) a son origine en Dieu. Dieu précède toute création matérielle et spirituelle. D’autre part que la création ne relève d’aucune nécessité. Dieu n’avait pas besoin de la création.

Nous avons pu nous rendre compte que l’idée d’une création réalisée par Dieu à partir du néant ne correspondait ni à la pensée du Proche-Orient ancien ni à celle de l’Ancien Testament. Les textes se concentrent plutôt sur l’affirmation selon laquelle Dieu a créé le monde. Ainsi il est créateur et il soutient le monde où vit l’être humain. S’il y a quelque chose qui précède cet acte créateur, il est certain que la nature de ce « quelque chose » échappe à la connaissance de l’homme. En outre, pour le judaïsme rabbinique, il est formellement interdit de spéculer à son propos. Nous lisons dans le Talmud : « ce qu’il y a au-dessus de nous au ciel, ce qu’il y a au-dessous, ce qu’il y a devant nous, et ce qu’il y a derrière ; il vaudrait mieux n’être pas né si l’on n’a pas soin d’honorer son Créateur.
Big Bang ou création ex nihilo ? A propos de la relation entre un état préexistant du monde et la création en Gn 1/1-3 Michaela Bauks. https://www.persee.fr/doc/ether_0014-2239_1996_num_71_4_3426

Les Pères de l’Église

Nous avons appris qu’à l’origine, ce Dieu étant bon, fit sortir l’univers de la matière informe à cause des hommes (Justin, 1 ère Apologie, 10,2).

C’est à nos docteurs, nous voulons dire à l’enseignement des prophètes que Platon emprunte sa théorie, lorsqu’il enseigne que Dieu façonna la matière informe pour en faire le monde (cf. Introd., 11). Pour vous en convaincre, écoutez les paroles mêmes de Moïse, le premier des prophètes, plus ancien que les écrivains de la Grèce, comme nous l’avons déjà dit. L’Esprit prophétique déclare par lui en ces termes comment et de quels éléments Dieu fit le monde à l’origine. « [2] Au commencement, Dieu fit le ciel et la terre. [3] La terre était invisible et informe. et les ténèbi'es étaient sur l’abîme ; .e l’esprit de Dieu était porté sur les eaux. [4] Et Dieu dit : Que la lumière soit, et il en fut ainsi. » [5] Le Verbe de Dieu tira donc le monde de cette matière dont parle Moïse ; c’est de lui que Platon et ses disciples l’ont appris, et nous avec eux ; vous pouvez vous en convaincre.
(Justin, 1ere Apologie, 49,1-5). Voir lien dans la bibliothèque.

En effet, attribuer la matière des êtres créés à la puissance et à la volonté du Dieu de toutes choses, c’est croyable, admissible et cohérent. C’est ici qu’on peut dire avec raison : "Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu" (Lc 18,27). Les hommes ne peuvent pas faire quelque chose de rien, mais seulement à partir d’une matière préalable ; Dieu l’emporte sur les hommes en ceci d’abord qu’il pose lui-même la matière de son ouvrage alors qu’elle n’existait pas auparavant.
(Irénée de Lyon, IIe, Contre les Hérésies 2,10,4). Voir lien dans la bibliothèque.

L’homme, en effet, qui est si petit, est obligé de commencer par en bas l’édifice qu’il veut bâtir ; il ne peut élever le faîte ou le toit sans avoir posé d’abord le fondement. Mais la puissance de Dieu consiste à créer de rien ce qu’il veut, et à le créer selon son bon plaisir. "Car ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu." C’est pourquoi le prophète nous apprend qu’il créa d’abord le ciel en forme de voûte, comme le couronnement et le faîte de l’édifice : "Au commencement, dit-il, Dieu créa le ciel." (Théophile d’Antioche, IIe, A Autolycus, 2,13).

Quant à Platon et à ses sectateurs, ils reconnaissent, il est vrai, un Dieu incréé, père et créateur de toutes choses ; mais ils établissent en même temps deux principes incréés, Dieu et la matière qu’ils disent coéternels. Si ces deux principes sont également incréés, il s’en suit que Dieu n’a pas fait toutes choses et que sa domination n’est point absolue, comme le prétendent les platoniciens. D’ailleurs, si la matière était incréée comme Dieu, elle serait égale à lui et comme lui immuable, puisqu’il n’est lui-même immuable que parce qu’il est incréé ; car ce qui est créé est sujet au changement et aux vicissitudes, l’être incréé est le seul qui ne change pas. Où serait donc la puissance de Dieu, s’il eût créé le monde d’une matière déjà existante ? Donnez, en effet, à un de nos ouvriers la matière qui lui est nécessaire, et il fera tout ce que vous voudrez. La puissance de Dieu consiste à tirer du néant tout ce qu’il veut, et nul autre que lui ne peut donner le mouvement et l’être. L’homme, il est vrai, peut bien faire une statue, mais il ne peut donner à son ouvrage la raison, la respiration et le sentiment ; Dieu seul a cette puissance : et déjà, de ce côté, la puissance de Dieu surpasse celle de l’homme. Elle lui est encore bien supérieure sous un autre rapport, c’est qu’il tire et qu’il a tiré du néant tout ce qu’il a voulu et de la manière qu’il l’a voulu.
(Théophile d’Antioche, IIe, A Autolycus, 2,4).

Ils ont tous enseigné, d’un commun accord, que Dieu avait tiré toutes choses du néant. Car aucun être n’existait de toute éternité avec Dieu ; mais comme il est à lui-même le lieu qu’il habite, qu’il n’a besoin de rien, qu’il est plus ancien que les siècles, il fit l’homme pour que l’homme le connût ; il lui a préparé le monde pour être son séjour, parce que celui qui est créé a besoin de tout, tandis que l’être incréé n’a besoin de rien. Dieu, qui de toute éternité portait son Verbe dans son sein, l’a engendré avec sa sagesse avant la création. Il s’est servi de ce Verbe comme d’un ministre, pour l’accomplissement de ses œuvres, et c’est par lui qu’il a créé toutes choses. On l’appelle principe, parce qu’il a l’empire et la souveraineté sur les êtres qu’il a lui-même créés. L’Esprit saint, le principe, la sagesse et la vertu du Très-Haut, descendit dans les prophètes et nous apprit, par leur bouche, la création du monde et les choses passées, qui n’étaient connues que de lui... Voilà ce que nous apprennent d’abord les livres sacrés, afin qu’il soit bien reconnu que Dieu lui-même avait fait cette matière, dont il a créé le monde.
(Théophile d’Antioche, IIe, A Autolycus, 2,10). Voir lien dans la bibliothèque.

Commentaires

Dans le Symbole de Nicée-Constantinople, nous confessons notre foi « en un seul Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre » ; « en un seul Seigneur, Jésus-Christ […] par qui tout a été fait » ; et en l’Esprit Saint « qui est Seigneur et qui donne la vie » (DS 150). La foi chrétienne parle donc non seulement d’une création ex nihilo, à partir du néant, mais aussi d’une création faite avec l’intelligence, la sagesse de Dieu (le Logos par lequel tout a été fait (Jn 1, 3)) et d’une création ex amore (GS 19), fruit de la liberté et de l’amour qui est Dieu, l’Esprit Saint qui procède du Père et du Fils. Par conséquent, les processions éternelles des Personnes sont à la base de leur action créatrice.
Santiago Sanz. https://opusdei.org/fr-fr/article/la-creation/

La création ex nihilo pose un redoutable problème de description. Comment décrire conceptuellement cette action créatrice qui n’agit sur rien de préexistant ? On dira alors, créer n’est pas agir sur, c’est donner l’existence. Problème : donner l’existence ne suppose-t-il pas l’existence du donataire, du récipiendaire de l’existence ? Et ce récipiendaire, quel est-il : une chose non-existante, un possible, une essence ? En outre, est-ce que l’existence est quelque chose qui se confère, une propriété qui se transmet ? Qu’est-ce qui, au cours de la création, passerait de l’agent qui opère dans la réalité créée ? L’existence ? Mais laquelle ? Et dans quoi passe-t-elle au juste ? D’où sort la réalité créée ? De l’agent créateur ? Auquel cas elle préexistait en lui, elle en serait une émanation, ou une pièce détachée, or c’est ce que veut éviter la conception de la création ex nihilo… Du néant ? Mais qu’est-ce qui peut bien provenir du néant ? Athanase d’Alexandrie posait déjà le problème : « Personne ne parle à ce qui n’existe pas (oudéis dé tô mè onti lalei), et on ne s’adresse pas à ce qui n’existe pas encore (tô mèdépô génoménô) pour lui ordonner de venir à l’existence (prostattei éis to génésthai) » [Athanase d’Alexandrie, 1971, p. 128].

Luther, dans sa dernière dispute publique a soutenu que : « l’article de la création des choses ex nihilo est plus difficile à croire que l’article de l’incarnation [Tamen articulus de creatione rerum ex nihilo difficilior est creditu quam articulus de incarnatione] ». En effet « l’incarnation bénéficie avant elle [habet ante se] de la nature elle-même ou de la chair créée.
La création ex nihilo : un concept inanalysable ? Paul Clavier, https://doi.org/10.4000/theoremes.281