La mort
La mort, ultime scandale
La mort est l’ultime scandale de la vie, celui qui met fin à notre existence terrestre, celui qui nous arrache les êtres qui nous sont chers, celui qui nous laisse à notre solitude dans le cri déchirant d’une espérance en l’au-delà. Certaines morts sont acceptables, comme celle d’une personne âgée ayant accompli son existence et qui s’éteint paisiblement dans son lit. D’autres sont abominables et révoltantes, comme celle d’une enfant violée et assassinée. Nos erreurs ou nos fautes nous mènent parfois au bord de l’abîme. Celles des autres aussi ! Nous sommes solidaires dans la vie comme dans la mort. Si la vie nous est donnée, la mort peut hélas, aussi être donnée.
La mort est le dernier événement de notre vie. Certains la considèrent comme la fin de tout ; d'autres la voient comme un passage vers l'au-delà. Certains l'appellent parce qu'accablés par la souffrance et la solitude ; d'autres la craignent par peur de l'inconnu ; d'autres encore souhaitent la reculer indéfiniment.
Les plus tristes sont ceux qui restent. Accablés par le chagrin, nous pleuront la perte d'un être cher. L'amour quel qu'en soit le degré ne supporte pas la séparation.
Une loi de la nature
Au-delà des causes plus ou moins tragiques ou injustes, la loi de la mort est inscrite dans notre humanité. Elle est nécessaire au renouvellement des générations. Sans elle nous serions environ 40 milliards d’individus en ne comptant que les deux derniers millénaires. Mourir est nécessaire pour que les autres vivent à leur tour. La mort appartient à notre nature humaine, à notre biologie, à notre finitude de créature. Nous sommes faits de poussière et nous retournerons en poussière. Le psalmiste compare l’homme à l’herbe des champs qui passe inexorablement :
L’homme, ses jours sont comme l’herbe, il fleurit comme la fleur des champs. Lorsqu’un vent passe sur elle, elle n’est plus, et le lieu qu’elle occupait ne la reconnaît plus. (Ps 103,15-16)
Qohélet nous rappelle que le sort de l’homme est identique à celui de l’animal :
Car le sort des fils de l’homme et celui de la bête sont pour eux un même sort ; comme meurt l’un, ainsi meurt l’autre, ils ont tous un même souffle, et la supériorité de l’homme sur la bête est nulle ; car tout est vanité. Tout va dans un même lieu ; tout a été fait de la poussière, et tout retourne à la poussière. (Qo 3,19-20).
La mort est un fait naturel qui relève de la structure du vivant . Elle est une composante de la vie biologiquement reçue. La vie est un don absolument gratuit. Mais ce don est assorti de la peine de mort. Quel paradoxe ! Nous mourrons parce que nous vivons. Nous recevons un cadeau pour une durée limitée.
La mort signe la fin de notre vie biologique, la fin de notre présence sur terre. Est-elle la fin de tout ? La foi en une toute-puissance ouvre la porte d’une espérance, celle de la résurrection.
La mort se présente comme un événement biologique auquel chaque membre de l’espèce humaine ne saurait échapper, du fait de son appartenance au règne des vivants. C’est un événement naturel au double sens du mot : il s’inscrit dans la nature de l’homme, comme dans la Nature à laquelle il appartient. Comme la naissance, la mort est un événement unique dans la vie d’un individu. Les biologistes ont coutume d’en faire une exigence de la vie en rappelant que la mort fait partie du système sélectionné dans le monde animal et dans son évolution. La mort est un événement naturel au sens où elle est conforme aux lois de la nature, affirme-t-on souvent. Elle est la condition du renouvellement de la vie et un lien apparaît évident entre la sexualité et la mort. L’espèce se perpétue parce que la sexualité permet la reproduction avant le vieillissement, prélude de la mort. On naît, donc on meurt, on meurt donc on naît. Jacques Ricot, Philosophie et fin de vie, p. 85.
Epicure. Prends l’habitude de penser que la mort n’est rien pour nous. Car tout bien et tout mal résident dans la sensation : or la mort est privation de toute sensibilité. Par conséquent, la connaissance de cette vérité que la mort n’est rien pour nous, celui de tous les maux qui nous donne le plus d’horreur, la mort, n’est rien pour nous, puisque, tant que nous existons nous-mêmes, la mort n’est pas, et que, quand la mort existe, nous ne sommes plus. Donc la mort n’existe ni pour les vivants ni pour les morts, puisqu’elle n’a rien à faire avec les premiers, et que les seconds ne sont plus. Mais la multitude tantôt fuit la mort comme le pire des maux, tantôt l’appelle comme le terme des maux de la vie. Le sage, au contraire, ne fait pas fi de la vie et il n’a pas peur non plus de ne plus vivre : car la vie ne lui est pas à charge, et il n’estime pas non plus qu’il y ait le moindre mal à ne plus vivre. De même que ce n’est pas toujours la nourriture la plus abondante que nous préférons, mais parfois la plus agréable, pareillement ce n’est pas toujours la plus longue durée qu’on veut recueillir, mais la plus agréable. Quant à ceux qui conseillent aux jeunes gens de bien vivre et aux vieillards de bien finir, leur conseil est dépourvu de sens, non seulement parce que la vie a du bon même pour le vieillard, mais parce que le soin de bien vivre et celui de bien mourir ne font qu’un. On fait pis encore quand on dit qu’il est bien de ne pas naître, ou, « une fois né, de franchir au plus vite les portes de l’Hadès ». Car si l’homme qui tient ce langage est convaincu, comment ne sort-il pas de la vie ? C’est là en effet une chose qui est toujours à sa portée, s’il veut sa mort d’une volonté ferme. Que si cet homme plaisante, il montre de la légèreté en un sujet qui n’en comporte pas. Rappelle-toi que l’avenir n’est ni à nous ni pourtant tout à fait hors de nos prises, de telle sorte que nous ne devons ni compter sur lui comme s’il devait sûrement arriver, ni nous interdire toute espérance, comme s’il était sûr qu’il dût ne pas être. Épicure (-342 - -270), Lettre à Ménécée. Les Échos du Maquis (versions ePub et PDF), janvier 2011.
C'est un phénomène démographique, médical et, dans ce cas, la mort est la chose la plus banale du monde. Elle est aussi la tragédie personnelle, unique en son genre, incomparable, pour celui qui a perdu son enfant, sa femme, ses parents, etc. Il y a donc un contraste entre l'unicité d'un malheur qui fait perdre le goût de vivre, et l'insignifiance de l'accident... Pour le médecin, la mort devient très rapidement quelque chose de banal. Un mort est vite remplacé. La vie bouche les trous au fur et à mesure. Tout le monde est remplaçable. Quelqu'un disparaît, un autre occupe la place. C'est la mort à la troisième personne, la mort de n'importe qui, un passant frappé d'embolie... C'est la mort sans mystère. Au total, non seulement il n'y a pas de diminution dans la quantité d'êtres humains, mais au contraire l'humanité prospère et foisonne. Il y a de plus en plus d'hommes. Les tragédies individuelles ne nuisent aucunement au genre humain. Il y aura je ne sais combien de milliards d'êtres humains en l'an 2000. Le genre humain se porte bien, malgré Auschwitz. En ce qui concerne la mort à la première personne, c'est-à-dire la mienne, eh bien, je ne peux plus en parler puisque c'est ma mort. J'emporte mon secret, si secret il y a, dans la tombe. Il reste la mort à la deuxième personne, la mort du proche, qui est l'expérience philosophique privilégiée parce qu'elle est tangente aux deux autres. Elle ressemble le plus à la mienne sans être la mienne, et sans être non plus la mort impersonnelle et anonyme du phénomène social. C'est un autre que moi, alors je survivrai. Je peux le voir mourir. Je le vois mort. C'est un autre que moi et, en même temps, c'est ce qui me touche de plus près. Au-delà, ce serait ma mort, à moi. La philosophie de la mort est faite pour nous par le proche qui est à nos côtés. C'est une expérience que personne ne cherche, mais enfin tout le monde l'a faite un jour ou l'autre, malgré soi. Cette mort a une autre importance, parce que, quand disparaissent vos parents, disparaît la dernière barrière biologique. Après, c'est votre tour. Ce qui n'est pas une idée très plaisante... Vladimir Yankélévitch, Penser la mort.
La mort dans les religions
Globalement, les religions ont sur la mort un discours commun qui affirme que la mort, si elle est bien le terme de la vie terrestre, n’est pas la fin ultime de la destinée de l’homme. La mort est passage vers un autre état, vers un autre monde, vers un autre mode de vie. Jamais la mort n’est acceptée, elle est toujours scandale, aussi, précisément, le rôle des religions est de donner du sens à l’insensé. Le sens est donné dans le cadre d’une conception globale du monde et de la vie. La mort est ainsi l’un des éléments de l’existence et non pas le terme final absurde. En parlant de mort, les religions parlent avant tout de la vie. La mort est appréhendée, non comme accident personnel mais comme un moment de l’existence. La mort est intégrée à la vie.
Dans les religions orientales, le temps est cyclique avec création et destruction permanente, l’univers est sans fin, il n’y a pas de dieu créateur. L’homme vit, meurt et renaît sans cesse. Cette éternité des renaissances est le drame humain majeur dont la religion aide à sortir. La mort d’un individu n’est donc pas une fin totale, mais une simple étape dans ces cycles infernaux de renaissance. Dans ces conceptions, l’au-delà ne peut être qu’un lieu transitoire où l’ « âme » attend pour se réincarner. La sortie du cycle infernal est l’extinction des réincarnations où l’ « âme » vient se résorber dans l’énergie primordiale. C’est l’état de moksha (libération) pour l’hindouisme ou de nirvana (extinction) pour le bouddhisme.
Pour l’hindouisme et le bouddhisme, il faut sortir du cycle éternel des renaissances, et donc des morts, pour se fondre dans l’Absolu afin de trouver la paix. Lors de la mort, l’espoir consiste à renaître mieux afin de se rapprocher de ce but ultime.
Pour les trois monothéismes qui croient en la résurrection, certes avec des variantes, la perception de l’univers où vit l’homme est fort différente. Le dieu unique créateur de l’univers et des hommes mettra fin à sa création. La conception du temps est donc linéaire, avec un commencement et une fin – la fin du monde-. Le temps et l’homme ne reviennent jamais en arrière, la mort est bien la fin d’une vie terrestre, il n’y a pas de réincarnation. Par contre, le dieu créateur est le dieu de la vie. Après sa mort terrestre, l’homme peut espérer accéder à un stade supérieur de vie, avec dieu pour l’éternité, c’est la résurrection. Christian Bernard.
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Est-il seulement possible de parler de la mort ?
On ne s'étonnera cependant jamais assez de ce que tout le monde vive comme si personne « ne savait ». C'est qu'en réalité, il n'y a pas d'ex- périence de la mort. Au sens propre, n'est expérimenté que ce qui a été vécu et rendu conscient. Ici, c'est tout juste s'il est possible de parler de l'expérience de la mort des autres. Albert Camus, Le mythe de Sisyphe. https://www.anthropomada.com/bibliotheque/CAMUS-Le-mythe-de-sisyphe.pdf