La naissance d'ish et isha
Dans le récit yahviste de la création, Dieu crée un adam asexué, un prototype d'humanité au sexe indéterminé.
Gn 2,7 Yahvé Elohim modela l'adam avec de la poussière prise du sol. Il insuffla dans ses narines l'haleine de vie, et l'adam devint un être vivant... Yahvé Élohim dit : Il n’est pas bon que l’adam soit seul ; je veux lui faire une aide qui soit semblable à lui. Alors Yahvé Élohim forma de l'adama tout animal des champs et tout oiseau des cieux, il les amena vers l’adam pour voir comment il les appellerait et pour que tout animal vivant ait pour nom celui dont l’adam l’appellerait. L’adam appela donc de leurs noms tous les bestiaux, les oiseaux des cieux, tous les animaux des champs. Mais pour l’adam, on ne trouva pas une aide qui fût semblable à lui. Alors Yahvé Élohim fît tomber une torpeur sur l’adam et celui-ci s’endormit. Il prit une de ses côtes et enferma de la chair à sa place. Yahvé Élohim bâtit en isha la côte qu’il avait prise de l’adam. Il l’amena vers l’adam/et l’adam dit :’Cette fois, celle-ci est l’os de mes os et la chair de ma chair. Celle-ci, on l’appellera isha, parce que d’un ish celle-ci a été prise.’ C’est pourquoi ish laissera son père et sa mère, s’attachera à sa isha et ils deviendront une seule chair. (Gen. 2,18-24)
Nous sommes en présence d'un "terrien" esseulé. L’adam vit seul et se sent désœuvré face aux animaux qui ne correspondent pas à sa nature et avec lesquels la communication reste bien limitée. L’adam erre comme une âme en peine, comme un divin terreux enfermé dans sa solitude. Dans l’attente d’une révélation, la vie de l’adam est insensée, car sans identité et sans vocation. Il lui faudra mourir pour renaître en ish et isha.
Pour que l’homme existe, la femme doit exister (Éric FASSIN, Véronique MARGRON, Homme femme, quelle différence, Salvator, 2011, p. 65).
L’adam nomme les animaux, signe d’un pouvoir sur la création, mais aucun ne répond à ses attentes. Dieu crée alors pour l’adam une aide qui lui soit accordée (ezer kenegdo).
L’adam découvre un être qui lui est de même nature après un sommeil. À partir de cet instant, l’adam devient homme face à la femme (ish et isha). La rencontre « trans-forme » l’existence.
Si vocaliquement isha et ish sont effectivement proches, ils n’ont pas la même étymologie. De fait, malgré l’affirmation du rédacteur biblique, il n’est pas certain que ces deux mots aient la même racine, isha (ou plus exactement ‘ishshâh) dérivant de enosh ‘humain, humanité’, dont le radical est associé à une idée de fatigue et de faiblesse.
L’hébreu ‘îsh comporte un yod entre les lettres aleph et shin, et ce yod n’apparaît pas dans le mot ‘ishshâh qui comporte, lui, un accent à l’intérieur du shin (qui se trouve ainsi doublé).
Isha apparait avant ish au chapitre deux de la Genèse. En Gen. 2,22 et 2,23, le mot isha précède la toute première occurrence biblique de ish, comme s’il fallait, à l’encontre du sens du récit qui dit qu’elle a été prise de l’homme, que la femme ait été créée pour que son parèdre, ish, naisse d’elle.
Michèle Bitton, Adam et Ève et les autres expressions du masculin et du féminin dans les premiers chapitres hébraïques de la Genèse ? https://books.openedition.org/pup/6977?lang=fr
Le sommeil symbolise la mort de l’adam dans son identité asexuée. La naissance et la reconnaissance de l’autre demeurent voilées par un mystère. Qui est-il (elle) ? Pourquoi cette attirance si magique, si violente, si intime ? Le livre des Proverbes souligne l’impossibilité de comprendre le chemin qui conduit de l’homme vers la femme (Pr 30,19). Aucune réponse n’épuise le sujet. Pierre Teilhard de Chardin n’hésite pas à affirmer :
L’attraction mutuelle des sexes est un fait si fondamental que toute explication biologique, philosophique ou religieuse du Monde qui n’aboutirait pas à lui trouver dans son édifice une place essentielle par construction est virtuellement condamnée (Pierre TEILHARD DE CHARDIN, L’Énergie humaine, Esquisse d’un Univers Personnel, Seuil, 1962, p. 91).