Le décalogue

Présentation des textes

Le décalogue, aussi appelé "dix commandements", est le texte de lois le plus connu de la Torah. Il forme le socle de la vie sociale et religieuse du peuple Hébreu.

La Bible nous propose deux versions du décalogue : Ex 20,1-21 et Dt 5,1-22. La différence principale, c'est la justification du jour du sabbat. Ex 20 insiste sur la mémoire de la création du monde et du Dieu créateur. En Dt 5,15 c'est la libération d'Égypte qui justifie le sabbat.

Le contexte est celui d'une théophanie :

Ex 19,18 Le mont Sinaï n'était que fumée, parce que Yahvé y était descendu dans le feu ; sa fumée monta, comme la fumée d'une fournaise, et toute la montagne trembla violemment. 19 La voix du cor s'amplifia : Moïse parlait et Dieu lui répondait par la voix du tonnerre...

Dt 4,12 Et Yahvé vous a parlé du milieu du feu : une voix parlait, et vous l'entendiez, mais vous n'aperceviez aucune forme, il n'y avait rien d'autre que la voix. 13 Il vous a communiqué son alliance, les dix paroles qu'il vous a ordonné de mettre en pratique, et il les a écrites sur deux tables de pierre. 14 Et à moi, Yahvé m'a ordonné alors de vous apprendre les lois et les coutumes pour que vous les mettiez en pratique dans le pays où vous allez passer pour en prendre possession.

Exode 20,1-17 Deutéronome 5,6-21
1 Et Dieu prononça toutes ces paroles :
2 C’est moi Yahvé, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude 5 Je suis Yahvé ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, de la maison de servitude
1 3 Tu n’auras pas d’autres dieux face à moi. 7 Tu n'auras pas d'autres dieux devant moi.
2 4 Tu ne te feras pas d’idole, ni rien qui ait la forme de ce qui se trouve au ciel là-haut, sur terre ici-bas ou dans les eaux sous la terre. 5 Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux et tu ne les serviras pas, car c’est moi Yahvé, ton Dieu, un Dieu exigeant, poursuivant la faute des pères chez les fils sur trois et quatre générations – s’ils me haïssent – 6mais prouvant sa fidélité à des milliers de générations – si elles m’aiment et gardent mes commandements. 8 Tu ne te feras aucune image sculptée de rien qui ressemble à ce qui est dans les cieux là-haut, ou sur la terre ici-bas, ou dans les eaux au-dessous de la terre. 9. Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux ni ne les serviras. Car moi, Yahvé, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui punis la faute des pères sur les enfants, les petits-enfants et les arrière-petits-enfants, pour ceux qui me haïssent, 10. mais qui fais grâce à des milliers, pour ceux qui m'aiment et gardent mes commandements.
3 7 Tu ne prononceras pas à tort le nom de Yahvé, ton Dieu, car Yahvé n’acquitte pas celui qui prononce son nom à tort. 11 Tu ne prononceras pas le nom de Yahvé ton Dieu à faux, car Yahvé ne laisse pas impuni celui qui prononce son nom à faux.
4 8 Que du jour du sabbat on fasse un mémorial en le tenant pour sacré. 9 Tu travailleras six jours, faisant tout ton ouvrage, 10 mais le septième jour, c’est le sabbat de Yahvé, ton Dieu. Tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, pas plus que ton serviteur, ta servante, tes bêtes ou l’émigré que tu as dans tes villes. 11 Car en six jours, Yahvé a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, mais il s’est reposé le septième jour. C’est pourquoi Yahvé a béni le jour du sabbat et l’a consacré. 12 Observe le jour du sabbat pour le sanctifier, comme te l'a commandé Yahvé, ton Dieu. 13. Pendant six jours tu travailleras et tu feras tout ton ouvrage, 14. mais le septième jour est un sabbat pour Yahvé ton Dieu. Tu n'y feras aucun ouvrage, toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bœuf, ni ton âne ni aucune de tes bêtes, ni l'étranger qui est dans tes portes. Ainsi, comme toi-même, ton serviteur et ta servante pourront se reposer. 15. Tu te souviendras que tu as été en servitude au pays d'Égypte et que Yahvé ton Dieu t'en a fait sortir d'une main forte et d'un bras étendu ; c'est pourquoi Yahvé ton Dieu t'a commandé de garder le jour du sabbat.
5 12 Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent sur la terre que te donne Yahvé, ton Dieu. 16 Honore ton père et ta mère, comme te l'a commandé Yahvé ton Dieu, afin que se prolongent tes jours et que tu sois heureux sur la terre que Yahvé ton Dieu te donne.
6 13 Tu ne commettras pas de meurtre. 17. Tu ne tueras pas.
7 14 Tu ne commettras pas d’adultère. 18 Tu ne commettras pas l'adultère.
8 15 Tu ne commettras pas de rapt. 19 Tu ne voleras pas.
9 16 Tu ne témoigneras pas faussement contre ton prochain. 20 Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain.
10 17 Tu n’auras pas de visées sur la maison de ton prochain. Tu n’auras de visées ni sur la femme de ton prochain, ni sur son serviteur, sa servante, son bœuf ou son âne, ni sur rien qui appartienne à ton prochain. 21 Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, tu ne désireras ni sa maison, ni son champ, ni son serviteur ou sa servante, ni son bœuf ou son âne : rien de ce qui est à ton prochain.
    Les principales caractéristiques de ces textes
  • Dix paroles
  • Dieu prend l’initiative
  • Tutoiement contrairement à un texte législatif (il est interdit de…)
  • Deux parties : dimension verticale et dimension horizontale
  • 8 formules négatives ; 2 positives
  • La convoitise ne peut pas être prouvée
    Le décalogue se divise en deux grandes parties :
  • La relation à Dieu : dimension verticale
    • Unicité de Dieu
    • Respect du nom
    • Respect du sabbat
  • La relation aux autres : dimension horizontale
    • Les parents (origine de la vie – lien à l’histoire)
    • Les interdits
      • Le meurtre
      • L’adultère
      • Le vol
      • Le faux témoignage
      • La convoitise (cœur)
        • De la femme du prochain
        • Des biens du prochain

Le Décalogue est composé de phrases plus ou moins courtes dont la plupart sont sur le mode négatif : « Tu ne (feras) pas ». Pourquoi une telle importance accordée au mode négatif ? Peut-être parce que c'est plus libérateur. Dire « Ne prends pas ce chemin », c'est laisser ouverts tous les autres ! Comme dans le récit de la Genèse où Adam et Eve sont privés d'un seul arbre. Le commandement positif est plus contraignant, il oblige à prendre un seul chemin ! En matière législative, définir le négatif est propre à la démocratie. Les dictatures ne définissent que ce qui est permis. Le Décalogue comporte deux commandements positifs, contraignants, celui sur le Sabbat et celui sur les parents.

Le fait que la plupart des paroles du décalogue soient négatives peut également donner à penser. Comme l'écrit P. Beauchamp, «"Dire ce qu'il faut faire" emprisonne plus que "dire ce qu'il ne faut pas faire". En lisant le décalogue, on entend ce que Dieu interdit. Mais l'autre face, corrélative de la première, c'est le fait que Dieu n'oblige pas. Que ne pas faire? Ces violences qui s'appellent meurtre, violence, adultère, vol, faux témoignage. Ce qui empêche d'être libre, c'est cela qui est interdit. Que faire? Ce que tu veux. Les interdits du décalogue font le vide devant un espace où Dieu ne demande rien», rien que de vivre sa liberté. En effet, comment mieux obéir à un Dieu qui libère et donne vie qu'en exerçant sa liberté en vue de la vie ? Wénin André. Le décalogue, révélation de Dieu et chemin de bonheur . In: Revue théologique de Louvain, 25ᵉ année, fasc. 2, 1994. pp. 145-182.

Commentaire

Dans les grandes lignes, on pourrait dire que les dix paroles indiquent à Israël comment ne pas retourner en Egypte en s'engageant dans une alliance avec ce Dieu qui lui donne liberté et vie.

A. La libération de l'esclavage d'Egypte

Les deux versions du décalogue commencent par une parole où il est fait mémoire de la libération du peuple (Ex 20,2 et Dt 5,6). Cet événement est donc structurellement lié au don de la loi que représente le décalogue.

La sortie d'Egypte représente deux choses fondamentales pour Israël: d'une part, bien sûr, c'est la libération de l'esclavage et de l'oppression évoqués par l'expression «maison des esclaves»; d'autre part, on reconnaît également à la sortie d'Egypte une connotation de naissance.

Sortir d'Egypte, c'est, pour Israël, recevoir la liberté et la vie. Mais comment ces dons s'articulent-ils aux paroles d'ordres qui suivent, essentiellement des interdits? La plupart du temps, le lien effectué est le suivant: la libération d'Egypte fonde le droit de yhwh à légiférer pour Israël et réciproquement fonde la nécessité pour le peuple d'observer les lois de son Dieu.

B. Une liberté invitée à s'engager dans une alliance

Un second élément fondamental du contexte des deux versions du décalogue, c'est bien évidemment l'alliance. En Dt 5, on trouve en effet un écho direct du contexte narratif d'Ex 19-20.24 où l'on raconte comment une alliance se noue entre yhwh et Israël dans le cadre d'une théophanie.

Si le decalogue fait figure de parole issue de l'alliance entre Moïse et Dieu, il est également une parole en vue d'une alliance entre Israël et YHWH.

La théophanie a quelque chose à voir avec la Loi dont la proclamation est présentée comme le sommet de la venue de Dieu.

Car Dieu se donne à voir dans les dix paroles, puisque le narrateur ajoute, après la proclamation du décalogue, que «le peuple voyait les voix» (20,18, littéralement) qui sont comme des éclairs, des traits de lumière.

Ainsi, la nuée est le signe d'un Dieu qui se montre et se cache en même temps, d'un Dieu dont la manifestation demande à être déchiffrée et qui donc ne s'impose pas.

De même, le feu parle d'un Dieu qui vient comme lumière et chaleur, mais dont la manifestation requiert, pour avoir des effets vivifiants, qu'on en soit à la fois proche et distant, comme c'est le cas avec le feu qui ne dévore pas le buisson mais dont Moïse ne doit pas s'approcher (Ex 3,1-5). C'est un rapport similaire entre Dieu et son partenaire que le décalogue instaure. En effet, par la parole qui le manifeste, yhwh éclaire le peuple puisqu'il lui trace un chemin de liberté et de vie (cf. Ps 119,1); mais cette même parole instaure une distance entre le «tu» qui entend d'une part et le «je» qui parle ou le «il» dont on parle d'autre part, la distance étant signifiée par des interdits, comme dans le récit de la théophanie.

La liberté apparaît donc comme fondamentale dans le décalogue. C'est autour d'elle que le texte pivote principalement. On la trouve au début, dans les paroles concernant les autres dieux, les images de Dieu et l'asservissement intérieur que ceux-ci représentent; elle occupe le centre du texte puisque, dans ses deux versions, le précepte du sabbat parle de liberté reçue, vécue et accordée; enfin, c'est avec elle que le texte se conclut puisque la convoitise est un dernier esclavage - peut-être le plus fondamental - que la loi combat.

Mais si la liberté est le concept central des dix paroles, elle n'y apparaît pas comme une réalité close sur elle-même. Elle est, au contraire, ordonnée à l'alliance ou, en tout cas, invitée à l'alliance. Si Dieu cherche à garantir la liberté d'Israël, c'est que cette disposition est indispensable à l'alliance. Il n'est possible en effet de créer des liens nouveaux avec ce Dieu de liberté que dans la mesure où l'on se dégage de ce qui enchaîne, et non seulement de l'esclavage d'Egypte, mais aussi des attaches intérieures avec l'Egypte et ce qu'elle représente. Et la passion de Dieu pour la liberté du peuple est une facette de son désir d'entrer en alliance avec lui.

Mais l'alliance n'apparaît pas comme une fin en soi. Elle est en vue de la vie: «afin que se prolongent tes jours et qu'il y ait du bonheur pour toi sur le sol que yhwh ton Dieu va te donner» (Dt 5,16).

Wénin André. Le décalogue, révélation de Dieu et chemin de bonheur . In: Revue théologique de Louvain, 25ᵉ année, fasc. 2, 1994. pp. 145-182.