Suzanne - Le regard lubrique de deux anciens
L’histoire
Le récit de Suzanne appartient au corpus des textes deutérocanoniques. Il n'existe donc que dans les bibles catholiques et protestantes. Il figure au chapitre 13 du Livre de Daniel.
Suzanne est renommée pour sa beauté, sa piété et sa droiture. Son nom signifie « lys ». Elle est l'épouse d'un homme riche Joackim, propriétaire d'un jardin. Joackim mettait son jardin à la disposition des Anciens chargés de juger et d’arbitrer les problèmes de la communauté juive. La beauté de Suzanne enflamme deux « anciens » qui viennent d'être élus juges. Ils s'efforcent de se cacher l'un à l'autre le désir qui les ronge, mais ils finissent par se l'avouer. Suzanne, afin de combattre la chaleur, décide de prendre un bain. Les deux anciens, qui s'étaient cachés, se jettent sur elle et lui enjoignent de satisfaire leur passion, sinon ils l'accuseront d'adultère. Elle refuse de céder au chantage. Elle est alors traînée devant l'assemblée et, sur le témoignage des deux anciens, elle est condamnée à mort.
Le jeune Daniel s'indigne contre la foule. Puis, s'érigeant en juge, il emprisonne les deux anciens et, les prenant chacun à part, il les interroge : sous quel arbre avez-vous vu cette jeune femme se livrer à la d'adultère ? Chacun d'eux désigne un arbre différent. Ainsi se découvre leur fourberie et ils reçoivent le châtiment qu'ils méritent pour faux témoignage, la mort (Ex 20,16).
Lire le passage biblique.
Le non-consentement
13,20b Nous sommes pris de désir pour toi ; consens donc à avoir des rapports avec nous.
Suzanne refuse, car elle veut préserver sa pureté et son honnêteté. Elle préfère la honte et la mort au péché. Mariée, tout adultère l'exposerait à la condamnation à mort. Suzanne est alors victime du chantage de deux anciens au regard lubrique. La mort est finalement la seule issue honorable. Lors du procès, on la dévoile pour faire apparaître sa beauté au grand jour, pour faire retomber la honte sur son visage. Son silence résonne comme un appel vers Dieu.
13,42 Suzanne alors cria d'une voix forte et dit : « O Dieu éternel ! Toi qui connais les secrets et sais toutes choses avant leur origine ! 43 Tu sais bien qu'ils ont porté un faux témoignage contre moi ; et voici que je meurs sans avoir rien fait de ce qu'ils ont méchamment inventé contre moi. » 44 Le Seigneur entendit sa voix.
Quel poids aurait la parole d'une femme face à deux anciens respectés. Elle se tait et attend son verdict, comme beaucoup de femmes dans l'Ancien Testament. Ici l'histoire se termine dans le respect de la justice grâce à l'intervention d'un Daniel divinement inspiré. Mais beaucoup de femmes n'ont pas cette chance.
Voir l'étude sur la violence faite aux femmes dans la Bible.
L’histoire oppose l’âge mûr ou avancé des deux notables, chargés de rendre la justice, à la jeunesse du justicier, leur réputation et leur reconnaissance sociale injustifiées à l’esprit de sagesse et de discernement à effet immédiat qu’un messager de Dieu livre à Daniel au moment propice.
Puisque l’antithèse oppose les deux juges indignes au bouillant Daniel, la caractérisation du motif passe par l’examen de leur fonction typologique. Le grec les appelle presbuteroi et kritai. Le texte précise qu’ils viennent d’être choisis kritai, « juges », et qu’ils ont été choisis comme kritai, parce que ce sont des presbuteroi... Presbuteros est le comparatif de presbus. Il signifie « plus âgé », « aîné », et de lui dérive le substantif presbuter qui a donné le français « prêtre » [14]. Toute l’équivoque du terme réside dans la tension entre ces deux pôles. Le presbuteros est donc « plus âgé » et, par extension de sens, « plus expérimenté », « respectable », « vénérable ».
Cette année-là, les deux presbytres avaient été choisis comme kritai, « juges », par la communauté. Le substantif vient de la racine du verbe krinein, dont le sens propre « séparer » donne le sens dérivé « juger ». Un relevé des termes de la même racine au fil du récit permet de prendre la mesure de la place, essentielle, qu’occupe la problématique dans le récit. Le texte comporte quatorze termes de la racine krinein pour quarante-deux versets effectifs [28], avec, par ordre d’apparition dans le texte, kritai aux v. 5 (x2), 29, 34 et 41, krinomenoi au v. 6, krimata au v. 9, anakrinein aux v. 13-14, 48 et 52, apokrinein au v. 48, kriseis, krinein et katakrinein au v. 53.
Interroger en justice c’est-à-dire instruire le procès, marquer d’un signe distinctif ou exclure, prononcer un jugement à charge soit condamner : les préfixes ana-, apo- et kata- apposés au verbe krinein décrivent le déroulement du procès, avant même que Daniel ne confonde les deux juges menteurs. Parallèlement, le ton se durcit, allant du reproche formulé à l’adresse de deux hommes oublieux des jugements justes, au v. 9, à la dénonciation de leurs jugements porteurs de mort, au v. 53.
Le juge est au sens propre celui qui sépare, en l’occurrence, le vrai du faux. La confusion est l’ennemi de la justice. C’est pourquoi, d’emblée, Daniel demande qu’on sépare les deux complices, pour les interroger l’un après l’autre (v. 51). C’est chose faite au v. 52, et force est de constater que l’opération permet de donner la touche finale au processus judiciaire, tel qu’il s’exprime au fil du texte et des occurrences du radical krinein, dont les trois ultimes figurent au v. 53. Dès ce moment, justice est rendue, séparer les coupables revient à les condamner. Il est clair dès lors que leur autorité reposait sur du vent, alors que l’esprit de discernement a soufflé sur Daniel. Hélène Koehl (voir lien ci-dessous).
Un grand sujet artistique
La scène du bain a inspiré de nombreux peintres, sans doute à cause de son caractère érotique qui juxtapose la pureté et la lubricité.