Définitions
Le mot français "prophète" est un décalque du mot grec "prophêtês", composé de πρό (pro/devant/de la part de) et φημί (phèmi/parler). Pour les Grecs, le mot signifie « celui qui s’avance (pro) pour parler (phèmi) ». Cette étymologie suppose une prise de parole devant un auditoire. Toute personne qui prend la parole devant une assemblée peut-elle être qualifiée de prophète. La prise de parole nécessite un contenu avec un message pour le présent et/ou pour l’avenir. Les lanceurs d’alerte climatique sont-ils des prophètes ?
Selon le Larousse, il s’agit d’un interprète de la volonté d’une divinité pour le présent ou pour l’avenir. Synonymes : augure - devin - visionnaire - voyant.
De par le baptême, tous les chrétiens sont prêtres, prophètes et rois. Mais ne faudrait-il pas réserver ce titre aux personnes qui parlent avec autorité, qui annoncent la bonne nouvelle de l’évangile avec leurs mots et leurs actes, des personnes telles que mère Teresa ou Sœur Emmanuelle ?
La culture populaire définit le prophète comme quelqu’un qui annonce l’avenir. Cette perception se fonde trop hâtivement sur l’usage que les premiers chrétiens ont fait des paroles des prophètes. Les premiers chrétiens ont fait une relecture de l’histoire du salut dans le but de comprendre comment Jésus y avait sa place. Ils ont ainsi découvert l’unité et la continuité du projet de Dieu, depuis les premières manifestations aux patriarches jusqu’à la pleine révélation apportée par Jésus. Ils ont exprimé cette continuité par la formule « comme l’avaient annoncé les prophètes », ou de manière plus générale « pour que s’accomplisse l’Écriture ». Évidemment que cet « accomplissement » ne pouvait être saisi qu’à la lumière de ce que Dieu avait accompli en Jésus. Si nous prenons à la lettre de telles formules, nous en arrivons à faire des prophètes quasiment des devins, ce qu’ils ne sont pas en réalité si on fait attention au rôle qu’ils jouent dans la vie quotidienne du peuple de Dieu.
Les prophètes apparaissent comme des gens qui sont doués d’une capacité hors du commun pour discerner le sens des événements. Soutenus par l’Esprit de Dieu, les prophètes jettent un regard d’une grande acuité sur les conditions de vie des membres du peuple de Dieu. Ils sont en mesure de prévoir les conséquences des gestes et des comportements et d’y projeter la parole de Dieu, c’est-à-dire de faire voir la volonté de Dieu pour son peuple. Les prophètes ont joué un rôle important dans l’approfondissement de la foi et de la spiritualité de la relation à Dieu. L’authenticité et la vérité de leurs comportements témoignent du lien privilégié qu’ils entretiennent avec Dieu.
Yves Guillemette. Voir le lien dans la bibliothèque.
Le prophète est un homme qui a une expérience immédiate de Dieu, qui a reçu la révélation de sa sainteté et de ses volontés, qui juge le présent et voit l’avenir à la lumière de Dieu et qui est envoyé par Dieu aux hommes pour rappeler ses exigences et les ramener dans la voie de son obéissance et de son amour. (R. de VAUX, Introduction aux Prophètes, en BJ, p. 1073).
L’essentiel du prophétisme n’est pas la prédiction de l’avenir, mais le dévoilement progressif du dessein de Dieu sur le monde. (L.-J. RONDELEUX, Isaïe, [Maîtres spirituels], p.150).
André Neher, dans son étude "L’essence du prophétisme", montre bien que le prophète n’est pas l’homme ou la femme qui prévoit, qui prédit l’avenir. « La prophétie n’est que très accessoirement anticipatrice. Sa voyance n’est pas nécessairement liée à l’avenir ; elle a sa valeur propre, instantanée. » Le prophète dévoile les incohérences et les errements du présent qui conditionnent et peut-être hypothèquent l’avenir.
Bien plus que des philosophes qui spéculeraient sur Dieu, ou des « Madame Soleil » devinant l’avenir au moyen de techniques irrationnelles, les prophètes dessinent l’image d’un Dieu qui cherche à rencontrer l’homme dans sa condition humaine. Si en certaines circonstances les prophètes annoncent un événement à venir, ils le font toujours en jugeant le présent. Leur rôle est de rappeler les exigences de l’alliance dans tous les compartiments de la vie sociale et individuelle.
Ils le font en politique, en avertissant des risques qu’entraîneraient des projets alliances avec d’autres nations toujours porteuses de fausses divinités. Ils s’engagent fermement en matière religieuse en rejetant les idoles. Ils dénoncent les injustices sociales. Les prophètes s’investissent également en morale pour rappeler les commandements de Dieu.
À côté de ces exigences politiques, religieuses, sociales et morales, le prophétisme préserve l’image d’un Dieu fidèle à son alliance. L’originalité du mouvement prophétique en Israël est de garantir l’unité d’une communauté réduite à un petit reste dans les moments difficiles et notamment celui de l’exil. Divisé, harcelé, envahi et déporté, le peuple hébreu conserve son identité grâce aux prophètes qui redonnent des couleurs à une image de Dieu ternie par les épreuves et le découragement. Ils ont entretenu l’espérance dans le cœur d’un peuple en annonçant cette folle promesse divine qu’un jour un sauveur viendrait les délivrer.