Livre du prophète Jérémie

Tout le monde connaît le mot "jérémiades". Il nous vient du prophète Jérémie. Est-ce justifié ?

Contexte

Avant l’exil à Babylone (587-538). Le premier verset précise :

Aux jours de Josias, fils d’Amon, roi de Juda, la treizième année de son règne; 3 puis aux jours de Joiaqim, fils de Josias, roi de Juda, jusqu’à la fin de la onzième année de Sédécias, fils de Josias, roi de Juda, jusqu’à la déportation de Jérusalem, au cinquième mois.

Soit de 627 (treizième année de Josias) à 587 (seconde déportation de Jérusalem).

Plan

Général

  • Ch. 1 – Appel de Jérémie
  • Ch. 2–25 – Jugement sur Juda
  • Ch. 26–45 – Vie et lutte de Jérémie + promesse de restauration
  • Ch. 46–51 – Jugement contre les nations
  • Ch. 52 – Récit final de la chute de Jérusalem

Détaillé

    I. Appel du prophète et oracles de jugement contre Juda (Chapitres 1–25)
  • 1. Appel de Jérémie (1)
    • Dieu appelle Jérémie dès sa jeunesse
    • Mission : annoncer la parole de Dieu au peuple
    2. Accusation contre Israël et Juda (2–6)
    • Infidélité, idolâtrie, injustice sociale
    • Appel à la repentance
    • Annonce d’un jugement imminent
    3. Messages à Jérusalem et au Temple (7–10)
    • Illusion d’être en sécurité dans le Temple
    • Vraie religion vs culte hypocrite
    4. Oracles symboliques et sermons (11–20)
    • Ceinture pourrie, vase brisé, célibat de Jérémie
    • Persécutions du prophète
    5. Jugement contre les rois et faux prophètes (21–24)
    • Critique des dirigeants corrompus
    • Parabole des deux paniers de figues
    6. Annonce de l’exil babylonien (25)
    • Exil annoncé pour 70 ans
    • La coupe de la colère de Dieu
    II. Conflits de Jérémie et événements historiques (Chapitres 26–45)
  • 1. Persécutions du prophète (26–29)
    • Procès de Jérémie
    • Conflits avec Hanania, faux prophète
    • Lettre aux exilés à Babylone
    2. L’Alliance Nouvelle et promesses de restauration (30–33)
    • Le "livre de la consolation"
    • Retour d’exil, restauration du peuple
    • Annonce de la nouvelle alliance (31:31–34)
    3. Derniers jours de Jérusalem (34–39)
    • Prophéties à Sédécias
    • Siège et chute de Jérusalem
    • Jérémie emprisonné
    4. Après la chute : Jérémie reste en Juda puis forcé d’aller en Égypte (40–45)
    • Gouverneur Guedaliah assassiné
    • Fuite en Égypte malgré l’avertissement de Dieu
    • Prophétie à Baruch
    III. Oracles contre les nations (Chapitres 46–51)
  • Égypte (46)
  • Philistins (47)
  • Moab (48)
  • Ammon, Édom, Damas, Kédar, Hatsor, Élam (49)
  • Babylone (50–51) : annonce de sa chute future
    IV. Appendice historique (Chapitre 52)
  • Chute de Jérusalem rappelée
  • Destruction du Temple
  • Exil à Babylone
  • Libération de Yoyakîn (roi exilé) par Évil-Merodak, roi de Babylone

Message

    Le message principal du prophète Jérémie est centré sur plusieurs grands thèmes, qui tournent autour de l’appel à la repentance, l’annonce du jugement divin, mais aussi une espérance future.
  • 1. Appel à la repentance. Jérémie exhorte le peuple d’Israël (en particulier Juda et Jérusalem) à revenir à Dieu, à abandonner l’idolâtrie et l’injustice. Il insiste sur la nécessité de la conversion du cœur, pas seulement des rites extérieurs.

    Jérémie 3:22 — "Revenez, enfants rebelles, je guérirai vos infidélités."

  • 2. Annonce du jugement imminent. Parce que le peuple persiste dans le mal, Jérémie annonce que Dieu va envoyer un châtiment : la destruction de Jérusalem, l’exil à Babylone, et la ruine du temple.

    Jérémie 25:11 — "Toute cette contrée deviendra une ruine, un désert ; et ces nations seront asservies au roi de Babylone pendant soixante-dix ans."

  • 3. Souffrance du prophète. Jérémie est souvent appelé le prophète pleureur, car il est profondément attristé par l’état du peuple et les jugements à venir. Il souffre aussi personnellement à cause de l’incompréhension, du rejet, des persécutions qu’il subit. Voir infra.

  • 4. Espérance et restauration. Malgré le ton sévère, Jérémie annonce aussi un message d’espérance. Dieu promet de ramener les exilés, de restaurer la nation, et surtout de faire une alliance nouvelle.

    Jérémie 31:33 — "Je mettrai ma loi au-dedans d’eux, je l’écrirai dans leur cœur ; et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple."

Des jérémiades ?

1. Jérémie 15:10 – Une plainte personnelle

"Malheur à moi, ma mère, de ce que tu m’as enfanté, homme de dispute et de querelle pour tout le pays ! Je ne prête ni n’emprunte, et tous me maudissent."

Jérémie se lamente de sa mission prophétique qui l’isole et le rend détesté par tous. C’est une plainte très humaine, marquée par la solitude.

2. Jérémie 4:19-21 – L’angoisse du prophète

"Mes entrailles, mes entrailles ! Je souffre au dedans de moi ; les battements de mon cœur me bouleversent, je ne puis me taire, car tu entends, mon âme, le son de la trompette, le cri de guerre."

Il exprime ici une douleur viscérale face au jugement imminent de Dieu contre son peuple.

3. Jérémie 8:18–22 – Tristesse et compassion pour le peuple

"Je voudrais soulager ma douleur, mon cœur souffre au dedans de moi." (…) "La moisson est passée, l’été est fini, et nous ne sommes pas sauvés."

Il pleure l’aveuglement spirituel du peuple, incapable de voir venir la catastrophe.

4. Jérémie 20:7–9 – Crise intérieure et reproches à Dieu

"Tu m’as persuadé, Yahvé, et je me suis laissé persuader ; tu m’as saisi et tu m’as vaincu." (…) "Je disais : Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en son nom. Mais c’était dans mon cœur comme un feu brûlant…"

Jérémie accuse Dieu de l’avoir trompé en le poussant à prophétiser, alors que cela lui attire la haine du peuple. Ce passage est un exemple typique de lamentation intense.

5. Jérémie 20:14–18 – Désespoir profond

"Maudit soit le jour où je suis né !"

Il va jusqu’à maudire sa naissance, comme Job (voir Job 3). C’est une lamentation très noire, qui a contribué à forger l’image d’un prophète constamment accablé.

Les "jérémiades" ressortent également du Livre des Lamentations, longtemps attribué au prophète Jérémie.

Un message d’espérance

Vers 586 av. J.-C., une nouvelle catastrophe s’abat sur le peuple hébreu (après l’invasion du royaume du Nord par l’Assyrie en 721). Le petit royaume de Juda voit arriver les armées de Nabuchodonosor. Le siège de Jérusalem commence et s’achève par la prise et la destruction de la ville et de son temple.

De grandes questions qui taraudent le cœur humain.

Tout est pillé, détruit, brûlé. Du temple qui constituait le point central autour duquel se rassemblait tout un peuple et se formait son identité, il ne restera qu’un champ de ruine. C’est le point de départ d’une série de lourdes questions qui visent à chercher le sens de cet événement. Yahvé a-t-il abandonné son peuple ? Est-il trop faible pour le sauver ? Pourquoi le livre-t-il au malheur et à la violence ? Quelle en est la raison ? D’où vient cette violence qui se déchaîne parfois et frappe si durement les hommes ?

Pour comprendre ces questions, il faut se souvenir de la conception du divin à l’époque. La divinité que vénérait un peuple était généralement censée se battre aux côtés de ce peuple. La victoire des armées lui était attribuée, ainsi que la défaite perçue comme une faiblesse. C’est la raison pour laquelle, les peuples conquis adoptaient généralement les dieux de leurs vainqueurs. Il en alla différemment pour Israël. Contrairement aux autres, ce petit peuple parvient à garder son identité et découvre une nouvelle facette du visage de son Dieu. Il le fait grâce au message de deux hommes particuliers, Jérémie d’abord, puis Ezéchiel, le prêtre visionnaire qui accompagne les déportés de Jérusalem à Babylone. Quelle parole vont-ils apporter ?

Pour ressentir un peu le désarroi face à la violence inouïe et la tragédie qui les frappe, écoutons la complainte de Jérémie :

Tu leur diras cette parole (dit le Seigneur Dieu) : Que mes yeux ruissellent de larmes nuit et jour, sans s’arrêter ! Elle est blessée d’une grande blessure, la vierge, la fille de mon peuple, meurtrie d’une plaie profonde. Si je sors dans la campagne, voici les victimes de l’épée ; si j’entre dans la ville, voici les souffrants de la faim.

Même le prophète, même le prêtre parcourent le pays sans comprendre. As-tu donc rejeté Juda ? Es-tu pris de dégoût pour Sion ? Pourquoi nous frapper sans remède ? Nous attendions la paix, et rien de bon ! le temps du remède, et voici l’épouvante ! Seigneur, nous connaissons notre révolte, la faute de nos pères : oui, nous avons péché contre toi ! À cause de ton nom, ne méprise pas, n’humilie pas le trône de ta gloire ! Rappelle-toi : ne romps pas ton alliance avec nous ! (Jérémie 14,17-21)

Annoncer l’alliance lorsque tout s’effondre

Le traumatisme face à la violence est immense. Jérémie ne comprend pas. Dieu a-t-il rejeté son peuple ? Ou bien, comme certains disent aujourd’hui, Dieu ne serait-il qu’une illusion, lui qui ne fait rien contre le déchaînement de la violence qui affecte les humains ? Jérémie ne doute pas de Dieu. Il prend conscience que l’homme en est le premier responsable et la première victime. Il rappelle les révoltes et la faute de tout un peuple… oui, nous avons péché contre toi ! Cette prise de conscience n’empêche pas le prophète de rappeler à Dieu l’alliance conclue avec lui. Rappelle-toi : ne romps pas ton alliance avec nous ! Jérémie est mû par une foi indéfectible. Alors que tout s’effondre autour de lui, il annonce déjà une alliance nouvelle. Il n’a pas d’illusions sur les capacités de l’homme à se sortir lui-même de la violence qu’il génère. Mais Jérémie ne doute pas du dessein de Dieu. Son amour pour son peuple est premier et se montrera le plus fort :

Écoutez, nations, la parole du Seigneur ! Annoncez dans les îles lointaines : Celui qui dispersa Israël le rassemble, il le garde, comme un berger son troupeau. Le Seigneur a libéré Jacob, l’a racheté des mains d’un plus fort. Ils viennent, criant de joie, sur les hauteurs de Sion : ils affluent vers les biens du Seigneur, le froment, le vin nouveau et l’huile fraîche, les génisses et les brebis du troupeau. Ils auront l’âme comme un jardin tout irrigué ; ils verront la fin de leur détresse. La jeune fille se réjouit, elle danse ; jeunes gens, vieilles gens, tous ensemble ! Je change leur deuil en joie, les réjouis, les console après la peine. (Jr 31,10-13)

Si Jérémie assiste impuissant à la mise à sac de Jérusalem par les troupes de Nabuchodonosor, s’il décrit le pillage de la ville et la main mise « des païens » sur tous les objets du temple et la destruction du sanctuaire par le feu, il n’accompagnera pas les exilés à Babylone. Un autre homme va prendre sa place, un ancien prêtre du temple, Ezéchiel. C’est de ce prophète que nous parlerons dans la prochaine chronique.

Roland Bugnon. Voir le lien dans la bibliothèque.