L’origine du prophétisme

Dans toutes les religions l’homme cherche à savoir ce que les dieux attendent de lui et plus particulièrement quel est son avenir, puisque ce sont les dieux qui font la pluie, le beau temps et le destin. Qui n’a pas consulté son horoscope avec croyance, détachement ou ironie ? Saül n'hésite pas à faire appel à une nécromancière pour connaître son avenir.

1S 28,7-8 Et Saül dit à ses serviteurs : Cherchez-moi une femme qui évoque les morts, et j'irai la consulter. Ses serviteurs lui dirent: Voici, à En-Dor il y a une femme qui évoque les morts. Alors Saül se déguisa et prit d'autres vêtements, et il partit avec deux hommes. Ils arrivèrent de nuit chez la femme. Saül lui dit: Prédis-moi l'avenir en évoquant un mort…

Au début de l'histoire religieuse, le peuple hébreu découvre et expérimente des pratiques divinatoires des cultures qu'il fréquente de gré ou de force. Sa lointaine origine en Mésopotamie, sa période en Egypte, sa conquête de Canaan, ses multiples invasions, avec notamment l'exil à Babylonne, sont autant de terrains d'expérience des techniques divinatoires qui progressivement vont céder la place au prophétisme biblique.

En Mésopotamie

Certaines personnes bénéficient du pouvoir d’entrer en contact avec les dieux. Tel est le cas du baru qui vit au temple et annonce l'avenir. Le livre des Nombres trace le portrait de l'un d'eux, Balaam (Nb 22-24). Il en est de même pour le muhhu qui entre en communication avec les dieux par l'extase. L’état de transe qui en résulte provoque une sorte de suggestion hypnotique avec à la clé des expériences mystiques.

En Mésopotamie, on parle du baru (voyant, devin), mais aussi du muhu (extasié). Sur la forme, rien ne les distingue des prophètes bibliques. Les tablettes d’oracles découvertes à Mari (1800 av. J.-C.) traitent des mêmes sujets, avec les mêmes formules adressées au roi. En revanche, le rapport au pouvoir et au culte est bien différent des prophètes bibliques : dans les textes de Mari, à aucun moment on ne trouve de critique de l’institution monarchique en tant que telle. Bien plus, le culte est toujours le moyen primordial pour entrer en relation avec la divinité, alors que les prophètes de la Bible, comme le souligne, l’exégète Jesus Asurmendi, privilégient la justice, l’attention au frère comme moyen premier de rétablir la relation avec Dieu. Ils n’hésitent pas à dénoncer avec le ton virulent qui leur est propre, holocaustes et sacrifices. Céline Hoyeau. La Croix, 3/12/2015.

Les Mésopotamiens attribuaient régulièrement l’origine des maladies à des divinités ou des démons précis, donc deviner la maladie revenait à deviner qui en était à l’origine, et qu’il importait surtout de déterminer à quel rituel procéder pour obtenir la guérison, et pour cela la divination était jugée comme étant la méthode la plus efficace.

Lorsque le voyant (l’exorciste) se rend à la maison d’un malade, s’il voit un cochon noir : ce malade mourra ; (ou bien) il souffrira fortement puis recouvrera la santé. S’il voit un cochon blanc : ce malade guérira ; (ou bien) la détresse le saisira. S’il voit un cochon rouge : ce malade mourra dans le troisième mois (ou bien) le troisième jour. S’il voit un cochon à pois : ce patient mourra d’hydropisie ; c’est préoccupant, il ne faut pas s’approcher de lui.

Les signes terrestres, tout comme les signes célestes, sont porteurs d’avertissements. Ciel et terre produisent des présages. Bien qu’ils se manifestent séparément, ils ne sont pas séparés, car ciel et terre sont en relation mutuelle.

Paul-Alain Beaulieu. Voir le lien dans la bibliothèque.

foies Mésopotamie À cette époque la divination se faisait essentiellement avec l’hépatoscopie, la lecture du foie des animaux. Un traité (la 16e tablette de l’hépatoscopie) porte ce titre : « Si le foie est le miroir du ciel. »

L’animal occupait dans cette forme de divination une place de choix, car le mouton ou l’agneau que l’on sacrifiait afin d’inspecter ses entrailles jouissait du statut de véhicule du signe envoyé par les dieux. À ce titre, non seulement son foie et ses viscères, où le signe était inscrit, devaient être consultés par le devin, mais on tirait même des prédictions de son comportement à l’occasion des rituels qui précédaient son immolation. Une fois ces rituels accomplis, le devin inspectait minutieusement le foie et les autres parties de l’exta, se rapportant au besoin aux manuels divinatoires afin d’étayer sa lecture et son interprétation des signes oraculaires. Il s’agissait là d’une science complexe, appuyée sur une pratique millénaire et sur une quantité d’écrits scolastiques qui, dans leur majorité, n’ont pas encore été reconstitués. Outre ces écrits, il nous est parvenu un nombre assez important de textes de la pratique, comme des foies inscrits, des rapports d’haruspices, ou des lettres de devins, qui s’étendent de la période paléo-babylonienne jusqu’à l’époque hellénistique. Paul-Alain Beaulieu, op. cit.

Le devin sacrifiait la bête en adressant des prières aux divinités (par exemple Shamash de Sippar et Adad) et examinait les viscères et le foie. Le baru disposait de modèles de foie, généralement en argile mais parfois également en bronze, sur lesquels étaient inscrits les signes à reconnaître.

L’astrologie est née en Mésopotamie. Si, aujourd’hui, des millions de gens à travers le monde lisent leur horoscope, persuadés que leur destin est inscrit dans les astres et qu ’ils peuvent le connaître, c’est parce qu’ily a 5 000 ans, en Mésopotamie, les Babyloniens ont inventé l’astrologie. Ils pensaient en effet que la carte du ciel révélait la volonté des dieux.

Exemple d’astrologie : Au Roi des pays, mon seigneur : ton serviteur Bel-ushezib (parle) : Que Bêl, Nabû et Shamash bénissent le Roi, mon seigneur ! Si une étoile éclaire comme une torche depuis l’est et s’établit à l’ouest : l’armée principale de l’ennemi sera en déroute. Si un éclat lumineux apparaît et apparaît encore au sud, fait un cercle, et fait à nouveau un cercle, s’arrête et à nouveau reste arrêté, puis se ternit et se ternit à nouveau, et se disperse : (alors) le souverain va capturer de nombreux biens lors de son expédition. Laura Battini. Voir le lien dans la bibliothèque.

La tradition mésopotamienne connaît des prophètes de types divers. C'est d'abord le baru ou voyant. Cet homme vit près du temple ; avec ceux qui pratiquent le même art que lui, il forme une section du personnel occupé au service du sanctuaire. Sa spécialité est d'annoncer l'avenir. Monopole des dieux, la science de l'avenir à laquelle le profane n'entend rien, est partagée par le baru qui reçoit communication des secrets de la divinité. Le baru est éclairé par le jeu des diverses techniques décrites plus haut. Il arrive cependant que, libre de ces machinations complexes, il reçoive la communication du dieu par une illumination directe de l'esprit. Le livre des Nombres conserve le souvenir d'un baru qui dut être célèbre en son, temps : c'est Balaam. Sa silhouette a été redessinée plusieurs fois par les générations successives ; à travers ces tableaux accumulés ressortent quelques lignes du dessin primitif. Citons quelques versets

« Balaq envoya des messagers mander Balaam, fils de Béor, à Pétor, sur le Fleuve, au pays des fils d’Ammav lui disait : « Viens donc, je te prie, et maudis-moi ce peuple... Car je le sais : celui que tu bénis est béni, celui que tu maudis est maudit ». Balaam dit aux envoyés : « Passez ici la nuit et je vous répondrai selon ce que m’aura dit Yahvé » ... Au matin Balaam se leva et dit aux princes envoyés par Balaq « Partez pour votre pays, car Yahvé refuse de me laisser aller avec vous ». Balaam dit à Balaq « Me voici arrivé près de toi. Pourrai-je maintenant dire quelque chose ? La parole que Dieu me mettra dans la bouche, je la dirai. Balaq immola du gros et du petit bétail, et il en présenta les morceaux à Balaam et aux princes qui l'accompagnaient. Balaam dit à Balaq : « Bâtis-moi ici sept autels, et fournis-moi ici sept taureaux et sept béliers ». Balaq fit comme avait dit Balaam et offrit en holocauste un taureau et un bélier sur chaque autel. Balaam dit alors à Balaq « Tiens-toi debout près de tes holocaustes, tandis que j'irai. Peut-être Yahvé fera-t-il que je le rencontre ? Ce qu'il me fera voir, je te le révélerai ». Et il s'en alla sur une colline dénudée. Il prononça son poème : « Qui pourrait évaluer la poussière de Jacob ? Qui pourrait estimer la nuée d'Israël ». Balaam dit à Balaq « Tiens-toi debout près de tes holocaustes, tandis que moi, j'irai attendre ». Balaam vit que Yahvé trouvait bon de bénir Israël. Il n'alla pas, comme les autres fois, à la recherche de présages, mais il se tourna face au désert. Levant les yeux, Balaam vit Israël campé par tribus ; l'esprit de Dieu vint sur lui et il prononça son poème. (Voir Nb chapitres 22-24).

La dernière phrase citée doit rappeler une illumination subite, faite sous la pulsion du souffle-esprit de Dieu ; elle fait moins penser au baru qu'à un autre type de devin, également connu de l'ancienne Mésopotamie. C'est le muhhu. On voit en lui un professionnel de l'extase. Il est chargé de communiquer les avis de la divinité au service de laquelle il est attaché. Ainsi le temple de la déesse Ishtar, à Arbéla, en Assyrie, connaît des prophètes de ce genre qui remplissaient des fonctions cultuelles. Par leur bouche, Ishtar délivre des oracles. La forme littéraire de ces proclamations prophétiques souligne leur origine divine ; parce que le prophète n'est que la « bouche » d'Ishtar, la déesse s'exprime par lui à la première personne. Qu'il s'agisse de guerre ou de paix, de l'édification d'un temple ou de la construction d’une maison pour la prêtresse, qu'il s'agisse encore de doter les murailles de la cité d'une nouvelle porte, ou d'engager des négociations avec quelque état voisin, il a son mot à dire. Aucune de ces activités ne peut être engagée sans que soit consultée la divinité. Au prophète d'opérer cette consultation et de se faire, auprès des hommes, l'interprète de la volonté de son dieu. On procède de la sorte, à Mari, aux environs du deuxième millénaire. Par le truchement du prophète, on soumet au jugement de la divinité les projets les plus communs.

Comment fonctionne le muhhu

Lettres de Kibri-Dagan à Zimri-Lim (citées par A. Neher, L'essence du prophétisme, Paris, 1955, p. 24 s.). À mon seigneur dis ceci : ainsi parle Kibri-Dagan, ton serviteur... Selon ce qu'auparavant mon seigneur m'a écrit, au sujet de la maison où la prêtresse de Dagan doit habiter, j'ai fait prendre les présages ; pour la maison de la prêtresse précédente, mes présages ont été favorables et le dieu m'a répondu affirmativement, si bien que je me suis mis à l'œuvre pour mettre cette maison en état, et surveiller son arrangement. Dans cette maison pourra habiter la prêtresse que mon seigneur veut donner à Dagan. J'ai fait prendre les présages pour le bien-être de Kunshimatum ; les présages sont favorables. Que le cœur de mon seigneur ne s'inquiète en rien ! Quant à moi-même, je n'ai pas été négligent pour faire prendre les présages continuellement en vue du bien-être du district.

À mon seigneur dis ceci : ainsi parle Kibri-Dagan, ton serviteur : le jour où j'ai fait porter cette mienne tablette à mon seigneur, le muhhu de Dagan est venu et il m'a exposé l'affaire comme il suit : « Le dieu m'a mandé : hâte-toi d'écrire au roi, afin que l'on consacre des repas funéraires aux mânes de Iahdun-Lin ». Voilà ce que le muhhu m'a dit et je l'écris à mon seigneur. Que mon seigneur fasse ce que bon lui semble ! À propos de la nouvelle porte à construire, le muhhu est venu ; puis, le jour ù j'ai fait porter cette mienne tablette à mon seigneur, ce muhhu est revenu et il a dit... Il a parlé dans les termes catégoriques que voici : « Cette porte, vous ne pouvez la construire... Vous ne parviendrez pas ». Voilà ce que le muhhu a dit.

Lancé par quelque devin attaché au service du roi de Mari, l'oracle suivant rappelle étonnamment un texte biblique.

Par oracles, Adad, le seigneur de Kalassu, a parlé en ces termes : « Ne suis-je pas Adad, le seigneur de Kalassu, qui l'ai élevé sur les genoux et qui l'ai ramené sur le trône de la maison de son père ? Depuis que je l'ai ramené sur le trône de son père, je lui ai donné en outre une résidence. Maintenant, de même que je l'ai ramené sur le trône de la maison de son père, je puis reprendre Nihlatum hors de sa main. S'il ne fait pas la livraison, je suis le maître du trône, du territoire et de la ville, et ce que j'ai donné, je puis l'enlever. Si au contraire il accomplit mon désir, je lui donnerai trônes sur trônes, maisons sur maisons, territoires sur territoires, villes sur villes, et le pays, de l'Est à l'Ouest, je le lui donnerai ».

L'auteur des Actes des Apôtres connaît, entre les années cinquante à quatre-vingts, le quolibet qui explique, par une consommation excessive de « vin doux », l'extase prophétique des « glossolales », ces gens qui « parlent en langues » (Ac 2, 13). Le quolibet ne serait pas colporté si, encore au début de notre ère, des prophètes, quelquefois, n'avaient donné prise à l'accusation d'ivresse.

La comparaison du texte cité ci-dessus avec le chapitre 7 du second livre de Samuel est instructive ; elle fait découvrir les préoccupations de ces prophètes anciens. Vivant dans l'entourage du souverain, ils se savent obligés de rappeler au roi ses obligations religieuses. Elles sont strictes, mais elles sont la contrepartie de l'élection préférentielle dont le monarque est l'objet de la part de son dieu. Strictes, elles deviennent occasion de châtiments exemplaires pour qui les transgresse, ou de séduisantes récompenses pour qui les suit fidèlement. De ces comportements qui viennent d'être décrits peuvent être rapprochés les gestes de plusieurs héros bibliques. Au moment de partir en guerre, Saül (1 S 14, 18), David (2 S 2, 1), Achab (1 R 22, 5-12) « consultent Dieu ».

Des prophètes jouent un rôle dans cette consultation ; ils ont l'air de fonctionnaires attachés au palais et chargés de certaines questions religieuses... En un moment dramatique, Sédécias interroge Dieu de la même façon par l'intermédiaire de Jérémie (Jr 21, 2 ; 37, 17). Certaines paroles, certains gestes d'Elisée rappellent les gestes ou les paroles de tel ou tel devin mésopotamien. Alors que les rois de Juda et d'Israel veulent rencontrer « un prophète de Yahvé », afin de « consulter Yahvé pour lui, un des serviteurs du roi d'Israël lui dit : "Il y a Elisée, fils de Shaphat, qui versait de l'eau sur les mains d'Elle". Le roi de Juda lui dit : « Il a la parole de Yahvé ». Interrogé, Elisée oppose une fin de non-recevoir. Pressé de répondre, il en vient finalement à ce geste : « Amenez-moi un joueur de flûte », demande-t-il ; comme le musicien jouait, la main de Yahvé fut sur Elisée ; il dit : « Ainsi parle Yahvé... » (2 R 3, 1 1-16).

Un autre épisode n'est pas moins étrange : Quand Elisée fut frappé de la maladie dont il devait mourir, Joas, le roi d'Israël, descendit vers lui ; il pleura sur son visage et dit : 2 R 13, 14 Elisée tomba malade de la maladie dont il devait mourir. Joas, roi d'Israël, descendit vers lui, pleura contre son visage et dit : « Mon père ! Mon père ! Chars et cavalerie d'Israël ! » 15Elisée lui dit : « Prends un arc et des flèches ! » Joas prit un arc et des flèches. 16Elisée dit au roi d'Israël : « Tends l'arc ! », et il le tendit. Elisée mit ses mains sur celles du roi 17 et dit : « Ouvre la fenêtre qui donne vers l'orient ! » Joas l'ouvrit. Elisée lui dit : « Tire ! », et il tira. Elisée dit : « C'est la flèche de la victoire du SEIGNEUR, la flèche de la victoire sur Aram. Tu frapperas Aram à Afeq jusqu'à extermination. » 18 Elisée dit à Joas : « Prends les flèches ! » Il les prit. Elisée dit au roi d'Israël : « Frappe la terre ! » Il frappa trois fois et s'arrêta. 19 L'homme de Dieu s'irrita contre lui et dit : « Si tu avais frappé cinq ou six fois, tu aurais frappé Aram jusqu'à extermination. Maintenant, c'est trois fois seulement que tu frapperas Aram. » .

Louis Monloubou, Cahiers Evangile 43, les prophètes de l'Ancien Testament.

En Égypte

Les Égyptiens croyaient que les dieux communiquaient avec les humains à travers des signes, des rêves ou par l’intermédiaire de leurs statues. Les prêtres jouaient un rôle essentiel dans l’interprétation de ces messages, notamment dans les temples.

Exemple réel d’oracle de l’Égypte ancienne (Nouvel Empire, XIXe-XXe dynastie), basé sur des inscriptions retrouvées à Deir el-Médineh, un village d’artisans proche de la Vallée des Rois.

Les habitants du village demandaient justice ou conseils aux dieux, en particulier à Amon-Rê, via sa statue portée en procession. La statue donnait une réponse par des mouvements interprétés comme "oui" ou "non".

Exemple d’oracle judiciaire. Un ouvrier du village (vers 1150 av. J.-C.), Amennakht, accuse un collègue, Pentuakhte, de s’être emparé de biens funéraires illégalement. N’ayant pas gain de cause auprès des autorités humaines, il fait appel à l’oracle d’Amon-Rê. La statue d’Amon est sortie en procession du temple, sur une barque sacrée ou un palanquin. Elle était portée par plusieurs prêtres, souvent cachés derrière des tentures ou voiles. La plainte est lue à voix haute devant la statue. Le dieu est censé « répondre » par : un mouvement vers l’avant = oui ; un mouvement vers l’arrière = non ; parfois silence = ambiguïté. La réponse est consignée par un scribe.

"Le serviteur Amennakht dit devant Amon : « Est-ce Pentuakhte qui a volé les objets de la tombe ? ». Le dieu fit un mouvement vers l’avant."

Ces mouvements étaient exécutés par les porteurs, sur la base de signaux invisibles ou d’un consensus interprétatif.

Source archéologique : Stèle CGC 58095, Musée du Caire. Traduction et analyse dans : Wilkinson, Richard H. — The Complete Temples of Ancient Egypt, Thames & Hudson, 2000. Koenig, Yvan — L’oracle dans l’Égypte ancienne, Revue d’égyptologie, 1990.

Une autre technique divinatoire, l’interprétation des rêves. Le « Livre des rêves » (Papyrus Chester Beatty III). Ce papyrus est une sorte de manuel d’oniromancie (interprétation des rêves), conservé aujourd’hui au British Museum. Il était utilisé par les prêtres et les spécialistes pour prédire des événements futurs à partir des rêves nocturnes.

    Chaque entrée suit cette structure : « Si un homme se voit en rêve… [situation], cela signifie… [interprétation]. »
  • 1. "Si un homme se voit en rêve tuant un serpent : c’est bon ; cela signifie qu’il triomphera de son ennemi."
  • 2. "Si un homme se voit en rêve en train de manger du pain d’orge : c’est mauvais ; cela signifie la misère."
  • 3. "Si un homme se voit en rêve en train d’uriner : c’est bon ; cela signifie qu’il sera débarrassé de ce qui le trouble."
  • 4. "Si un homme se voit en rêve en train de téter : c’est mauvais ; cela signifie qu’il sera emprisonné."
  • 5. "Si un homme se voit en rêve en train de regarder par une fenêtre : c’est mauvais ; cela signifie que sa femme le quittera."

Le papyrus montre que les rêves étaient considérés comme des messages codés envoyés par les dieux. Certains éléments (serpents, lait, urination, nudité) sont récurrents et ont des significations assez stables. Il révèle aussi des valeurs sociales égyptiennes : l’ordre, la hiérarchie, la virilité, la sécurité du foyer.

Source : Wente, Edward F. – The Dream Book in The Literature of Ancient Egypt, Yale University Press, 2003. Papyrus original : British Museum, Papyrus Chester Beatty III, BM 10683.

En Syrie-Phénicie-Canaan

En ces temps lointains et indécis où divers groupes hébreux se fixent en Palestine, les populations qui vivent sur la côte méditerranéenne Tyriens, Sidoniens, Syriens aussi et Cananéens, connaissent une forme de divination différente de celle que pratique le muhhu. Certes ce calme fonctionnaire royal recherchait par l'extase la communication divine, mais cette extase était justement recherchée ; et si le récit d'Elisée a quelque ressemblance avec la pratique du muhhu, la musique, pour indispensable qu'elle fût, ne jetait pas le devin dans les transes. Les populations sémitiques de l'Ouest sont très friandes de ces transes divinatoires. Le délire n'est pas nécessairement très violent. Il arrive qu'il soit produit grâce à des techniques d'une efficacité reconnue : instruments de musique aussi variés que sonores, tels que castagnettes, flûtes, tambours, harpes, etc. (1 S 10, 5), battements de mains, cris, danses, mutilations (1 R 18, 28), etc.

Plusieurs textes décrivent ces préparatifs de l’extase.

Dans les Ethiopiques, Héliodore (vers le 3e ou 4e siècle de notre ère) décrit les mouvements exécutés par des matelots.

« Quand je les quittai », raconte le héros du livre, ils en étaient encore à la musique et aux danses. C'était une danse assyrienne, accompagnée par les flûtes qui jouaient un air de vive cadence. Tantôt ils sautaient en l'air avec légèreté, tantôt, accroupis près du sol, ils tournaient sur eux-mêmes comme des possédés ».

Apulée (125-170, Egypte) décrit le cortège qui accompagne la déesse syrienne Astarté :

Ceux qui prennent part à la procession « éclatent en hululements discordants comme des fanatiques ; pendant longtemps, la tête penchée, le cou tordu en mouvements audacieux, les cheveux pendants, ils tournent en rond et attaquent parfois des dents leur propre chair. Finalement avec le glaive à double tranchant qu'ils portaient, chacun se taille les bras. Cependant, l'un d'eux plus exalté que les autres, tirant du fond de sa poitrine de fréquents soupirs comme s'il était rempli d'un esprit divin, simulait une démence maladive. Dans un oracle bruyant, il se met à se charger lui-même et à s'accuser de crimes imaginaires ». (Métamorphoses VIII/27).

Ici, la transe est préparée. Ailleurs, elle garde une note d'imprévu, de subit, de brutal qui apparaissent justement comme les signes les plus éloquents de la présence divine. L'histoire de Wen-Amon, si souvent citée, est significative (Voir A. Neher, L'essence du prophétisme, p. 30 s.).

Un fonctionnaire égyptien, Wen-Amon, effectue un voyage en Phénicie. Son but - obtenir du bois du Liban pour la charpente de la barque d'Amon-Ra, roi des dieux. Démuni d'argent, il offre en compensation le& bénédictions d'Amon lui-même, dont il emporte une statuette précieusement gardée... Mal reçu à Dor et à Tyr, Wen-Amon aborde à Byblos. Le roi de Byblos n'est pas plus compréhensif. Il refuse de recevoir l'Egyptien et au bout de dix-neuf jours lui intime l'ordre de quitter le port de Byblos. Mais un incident provoque un revirement dans son attitude. Le texte du papyrus qui rapporte l'anecdote, raconte ceci :

Comme le roi sacrifiait à ses dieux, le dieu saisit un de ses nobles gens et il le fit tomber en convulsions ; il dit : « Apporte le dieu ici. Amène le messager d'Amon qui le possède... Renvoie-le, fais-le partir » Tandis que le convulsionnaire était en convulsions, cette nuit-là, j'avais trouvé un navire à destination de l'Egypte, j'y avais chargé tout ce qui était à moi, et j'attendais l'obscurité disant : « Quand elle descendra, j'embarquerai le dieu, afin qu'aucun autre oeil ne l'aperçoive ! » Le maître du port vint à moi et me dit : « Reste jusqu'à demain, au gré du prince » Je lui dié : « N'es-tu pas celui qui venait à moi chaque jour disant : « Va-t-en de mon port !... » Il tourna le dos il alla dire cela au prince et le prince envoya dire au capitaine du navire : « Reste jusqu'à demain, au gré du prince ! » Quand vint le matin, il m'envoya prendre en-haut, tandis que le sacrifice avait lieu dans le château où il réside, au bord de la mer.

A l'appui de ces textes décrivant le comportement des devins, tel qu'il était reconnu et accepté dans les pays de la côte méditerranéenne, citons quelques textes bibliques.

Dans le 1er Livre des Rois, les rites décrits ne sont pas sans lien avec ceux que rapportent Héliodore et Apulée. « Jusques à quand clocherez-vous des deux côtés ? » demande Elie aux gens qui suivent la procession dansante consacrée à Yahvé et celle qui vise le Baal. Plus loin, le narrateur montre la gesticulation parvenue à son paroxysme. Cette mise en condition a pour but de conduire les prophètes à « prophétiser », plus exactement, à « vaticiner », sinon à « délirer » « Midi étant passé, ils se mirent à délirer jusqu'à l'heure où monte l'oblation ».

l R 18,21 Elie s'approcha de tout le peuple et dit : « Jusqu'à quand danserez-vous d'un pied sur l'autre ? Si c'est Yahvé qui est Elohim, suivez-le, et si c'est le Baal, suivez-le ! » Mais le peuple ne lui répondit pas un mot. 22 Elie dit au peuple : « Je suis resté le seul prophète de Yahvé, tandis que les prophètes du Baal sont quatre cent cinquante. 23 Qu'on nous donne deux taureaux : qu'ils choisissent pour eux un taureau, qu'ils le dépècent et le placent sur le bûcher, mais sans y mettre le feu, et moi, je ferai de même avec l'autre taureau ; je le placerai sur le bûcher, mais je n'y mettrai pas le feu. 24 Puis vous invoquerez le nom de votre Elohim, tandis que moi, j'invoquerai le nom de Yahvé. L"Elohim qui répondra par le feu, c'est lui qui est Elohim. » Tout le peuple répondit : « Cette parole est bonne. » 25 Elie dit aux prophètes du Baal : « Choisissez-vous un taureau et mettez-vous à l'ouvrage les premiers, car vous êtes les plus nombreux ; invoquez le nom de votre Elohim, mais ne mettez pas le feu. » 26 Ils prirent le taureau qu'il leur avait donné, se mirent à l'ouvrage et invoquèrent le nom du Baal, depuis le matin jusqu'à midi, en disant : « Baal, réponds-nous ! » Mais il n'y eut ni voix ni réponse. Et ils dansèrent auprès de l'autel qu'on avait fait. 27 Alors à midi, Elie se moqua d'eux et dit : « Criez plus fort, c'est un Elohim : il a des préoccupations, il a dû s'absenter, il a du chemin à faire ; peut-être qu'il dort et il faut qu'il se réveille. » 28 Ils crièrent plus fort et, selon leur coutume se tailladèrent à coups d'épées et de lances, jusqu'à être tout ruisselants de sang. 29 Et quand midi fut passé, ils vaticinèrent jusqu'à l'heure de l'offrande. Mais il n'y eut ni voix, ni réponse, ni aucune réaction. 30 Elie dit à tout le peuple : « Approchez-vous de moi ! » Et tout le peuple s'approcha de lui. Il répara l'autel de Yahvé qui avait été démoli... 36 A l'heure de l'offrande, le prophète Elie s'approcha et dit : « Yahvé, Elohim d'Abraham, d'Isaac et d'Israël, fais que l'on sache aujourd'hui que c'est toi qui es Dieu en Israël, que je suis ton serviteur et que c'est par ta parole que j'ai fait toutes ces choses. 37 Réponds-moi, Yahvé réponds-moi : que ce peuple sache que c'est toi, Yahvé, qui es Elohim, que c'est toi qui ramènes vers toi le cœur de ton peuple. » 38 Le feu de Yahvé tomba et dévora l'holocauste, le bois, les pierres, la poussière, et il absorba l'eau qui était dans le fossé. 39 A cette vue, tout le peuple se jeta face contre terre et dit : « C'est Yahvé qui est Elohim ! c'est Yahvé qui est Elohim ! » 40 Elie leur dit : « Saisissez les prophètes du Baal ! Que pas un ne s'échappe ! » Et on les saisit. Elie les fit descendre dans le ravin du Qishôn où il les égorgea.

Isaïe présente un tableau lamentable du comportement de certains prophètes qui disaient trouver dans l'ivresse le chemin de l'extase :

Is 28, 7 De même, prêtres et prophètes sont égarés par le vin, ils titubent sous l'effet de boissons fortes, la boisson les égare, le vin les engloutit, ils titubent sous l'effet des boissons fortes, ils s'égarent dans les visions, ils trébuchent en rendant leurs sentences. 8 Toutes les tables sont couvertes de vomissements infects : pas une place nette ! 9 Et ils disent : « Qui donc veut-il enseigner ? A qui veut-il expliquer ses révélations ? A des enfants à peine sevrés ? A des bébés qui viennent de quitter la mamelle ? 10 Il répète : Sawlasaw, sawlasaw, qawlaqaw, qawlaqaw, zeér sham, zeér sham. » 11 Eh bien oui, c'est un langage haché, c'est en langue étrangère que le Seigneur va parler à ce peuple.

L'auteur des Actes des Apôtres connaît, entre les années cinquante à quatre-vingts, le quolibet qui explique, par une consommation excessive de « vin doux », l'extase prophétique des « glossolales », ces gens qui « parlent en langues » (Ac 2, 13). Le quolibet ne serait pas colporté si, encore au début de notre ère, des prophètes, quelquefois, n'avaient donné prise à l'accusation d'ivresse.

Louis Monloubou, Cahiers Evangile 43, Les prophètes de l'Ancien Testament.

Ces différentes techniques sont progressivement dénoncées par Israël, parce qu’elles sont vaines et conduisent le peuple à la ruine.