La soumission

Paul exhorte les femmes à être soumises à leur mari. Peut-on encore parler de soumission de l’épouse à son mari en ce début de XXIe siècle ? Le sujet paraît incongru dans notre monde moderne qui prône la parité et l’égalité des sexes ? Imaginez un instant notre président de la République prononcer un discours solennel en disant « Femmes soyez soumises à vos maris ! » Imaginez votre curé vous prodiguer ce conseil pour votre vie de couple. Il faut assurément replacer les propos de Paul dans le contexte culturel du 1er siècle pour le comprendre et l’accepter.

Le contexte de l’époque

Dans le monde hébraïque, comme dans tout le Moyen-Orient, la femme occupe une situation tout à fait subalterne. Elle passe de l’autorité du père à celle de son mari comme en témoignent les verbes utilisés pour l’institution de la vie conjugale : prendre (Lv 21,13, Rt 1,4 ; Rt 4,13) et donner (Gn 29,21). L’homme prend une fille pour qu’elle devienne sa femme ; une femme est donnée pour devenir l’épouse d’un homme. L’inverse ne se produit jamais. Dans le livre de Ruth, Booz « acquiert » Ruth avec une parcelle de terre en vertu de la clause du droit de rachat (Rt 4,9-10). Un autre verbe fait ressortir le pouvoir masculin : enlever, prendre de force (Gn 31,31 ; Gn 34,2 ; Jg 21,21-23). Enfin, la femme s’acquiert par rapt ou fait partie du butin de guerre (Dt 21,10-14). Noël Higel, La bonne nouvelle de la sexualité, BookEdition.

Le Nouveau Testament ne remet pas en cause le statut social de la femme. L’exhortation par laquelle l’apôtre Paul demande aux épouses de se soumettre à leur mari appartient à ces recommandations qui visaient à maintenir un certain ordre dans les divers rapports entre gens vivant dans la domus, ce qu’on pourrait appeler la « maisonnée », ou la famille élargie.

On retrouve un enseignement semblable concernant les rapports entre les diverses catégories de personnes chez divers auteurs grecs, à commencer par Aristote, ainsi que dans la littérature juive (Philon, Josèphe). On ne doit donc pas s’étonner de voir les apôtres et l’Église primitive reprendre une forme d’enseignement qui était commune aux deux mondes culturels au sein desquels est né le christianisme : ils ont jugé que cet enseignement correspondait à l’éthique chrétienne et l’ont justifié par des motifs spécifiquement chrétiens.

Paul adresse aux églises naissantes une exhortation morale invitant chacun à bien tenir son rôle particulier. Ce genre d’exhortation s’inspire des grands traités stoïciens qui indiquaient les règles morales qui présidaient aux diverses relations sociales ; entre époux, parents et enfants, maîtres et esclaves, autorités civiles et citoyens. Dans ces « manuels du foyer", la soumission de la femme était un thème constant qui résumait le statut de l'épouse dans la vie domestique.

Paul ne remet pas en cause le système social supposé par cette morale populaire, mais il le christianise, invitant chacun à vivre ces relations dans le Seigneur. Paul n’est pas un révolutionnaire, pas même un réformateur social ; il veut dans le système existant, indiquer à chacun les moyens de vivre la perfection évangélique (Jean-Claude POMPANON, Le sacrement de mariage, Artège, 2015, pp. 55-56).

Un peu d’exégèse. Le verbe grec utilisé pour parler de soumission est hupotassomai (passif) ou hupotassô (actif) désigne toujours en grec l’attitude que l’on a, ou que l’on doit avoir, envers un supérieur hiérarchique, envers une personne ayant autorité sur celle qui lui est soumise, ou exerçant sur elle une responsabilité du type de celle d’un chef ou d’un dirigeant. Il désigne donc la soumission, ou la subordination à une autorité : il s’agit de reconnaître l’autorité de quelqu’un sur soi, et de laisser ce quelqu’un exercer cette autorité. Quelques exemples tirés du Nouveau Testament :

Col 3,18-22 Femmes, soyez soumises à vos maris, comme il se doit dans le Seigneur. Maris, aimez vos femmes, et ne leur montrez point d'humeur. Enfants, obéissez en tout à vos parents, c'est cela qui est beau dans le Seigneur. Parents, n'exaspérez pas vos enfants, de peur qu'ils ne se découragent. Esclaves, obéissez en tout à vos maîtres d'ici-bas, non d'une obéissance tout extérieure qui cherche à plaire aux hommes, mais en simplicité de cœur, dans la crainte du Maître.

1P 5,5 Les jeunes, soyez soumis aux anciens

1P 2,18 Vous les domestiques, soyez soumis à vos maîtres

Ti 3,1 Il faut être soumis aux magistrats et aux autorités

Ti 2,9 Que les esclaves soient soumis en tout à leurs maîtres

Ro 13,3 Que chacun se soumette aux autorités en charge

Lc 2,51 Jésus redescendit alors avec eux (ses parents) et revint à Nazareth ; et il leur était soumis

1Co 15,28 Et lorsque toutes choses auront été soumises au Fils, alors le Fils lui-même se soumettra au Père qui lui a tout soumis, afin que Dieu soit tout en tous

1Co 11,3 Je veux cependant que vous le sachiez : le chef de tout homme, c'est le Christ ; le chef de la femme, c'est l'homme ; et le chef du Christ, c'est Dieu.

Même Jésus est soumis, tout d’abord à l’autorité de ses parents qui ont pour mission de le faire grandir, ensuite à l’autorité de son père céleste à travers la mission qui lui est confiée : Jésus est l’envoyé du Père.

En ce qui concerne l’homme et la femme, nous pouvons conclure que la notion de « soumission » telle qu'elle se présente dans le Nouveau Testament et plus particulièrement dans les écrits pauliniens est sans rapport avec une soumission sado-masochiste. Il ne s’agit en aucun cas de jouer 50 Nuances de Grey ou de réduire son (sa) partenaire à un objet sexuel.

L’amour exclut toute espèce de soumission par laquelle la femme deviendrait la servante ou l’esclave du mari, un objet de soumission unilatérale (Jean-Paul II, TDC89).

C’est vrai que dans les premiers siècles de l’Église, les Pères de l’Église s’intéressent de près à la sexualité et vont jusque dans le détail des positions sexuelles. Une seule position est admise : la position naturelle, c'est-à-dire la femme allongée sous l'homme. Elle permet selon les théologiens une meilleure diffusion et rétention de la semence. De plus, l'homme étant supérieur à la femme, il est normal que celui-ci soit au-dessus. L'homme doit dominer la femme (Gn 3,16).

Revenons à Ephésiens 5. Il s’agit d’un rapport d’autorité légale que Paul se contente de rapporter. L’exhortation du verset 21 « Soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ » est une exhortation générale, adressée aux membres de la communauté chrétienne. Ensuite, l’auteur considère certaines relations spécifiques et précise que celles-ci doivent fonctionner selon un ordre qui suppose des rapports de subordination et d’autorité entre les personnes concernées. La femme est à ce titre sous l’autorité légale de son mari. En France l’égalité des époux n’est que très récente. Ce n’est que depuis 1965 que la femme peut gérer ses biens, ouvrir un compte en banque, exercer une profession sans l'autorisation de son mari. Le viol entre époux n’a été reconnu qu’en 1990 par la Cour de Cassation.

Il ne faut pas conclure de notre texte d’Éphésiens que le système patriarcal doive demeurer en vigueur en notre temps et que l’épouse doive encore soumission à son mari dans notre monde culturel contemporain.

La sous-mission réciproque

Jean-Paul II invite les couples à vivre une soumission réciproque. Comment faut-il comprendre cette invitation ? Couper le mot en deux nous permet d’en saisir la portée : être sous la mission de l’autre. Le mot con-joint est significatif à cet égard, car il signifie « même joug". Dans la fiancée de Lucky Luke, vous pouvez lire la morale de l’histoire : « le mariage est une merveilleuse institution qui permet à deux êtres de porter ensemble les difficultés qu’ils n’auraient jamais connues seuls ». C’est une vision quelque peu négative du mariage. Le mot époux est plus heureux puisqu'il désigne étymologiquement celui avec lequel on s’engage.

Concernant les missions, certaines tâches sont interchangeables et je laisse à chacun le soin d’en définir les modalités et les limites. Nous n’en sommes plus à l’époque des cavernes où l'homme partait à la chasse et la femme gardait les enfants et entretenait le feu. Bon nombre de missions sont simples et relèvent de la vie quotidienne. Lorsque la femme demande à l’homme : « Chéri peux-tu sortir les poubelles », l’homme est sous la mission de la femme. C'est bien connu, les hommes sont soumis à leur femme.

Certaines missions naturelles sont attachées à notre humanité d’homme et de femme. Les hommes disposent de plus de force physique et il est normal que ce soient à eux qu'incombent les tâches physiques les plus lourdes. Ce sont les femmes qui portent les enfants. C’est une mission attachée à leur nature de femme.

Il y a aussi des missions qui nous sont confiées à titre personnel. Au sein de l'Église, nous pouvons recevoir des missions différentes. Se mettre sous la mission de l'autre signifie accepter que l'autre soit différent de ce que je suis et aussi l'accompagner dans sa mission propre. Nous avons tous besoin d’une aide qui nous soit assortie. C’est ce qui ressort du texte de la Genèse : Dieu crée une aide qui soit assortie à l’homme.

Dans le cadre du couple en général et du mariage en particulier le masculin révèle le féminin et le féminin révèle le masculin. C’est face à la femme que l'homme prend pleinement conscience de sa masculinité et c'est face à l’homme que la femme prend la pleine mesure de sa féminité. Nous avons pour mission de révéler à l’autre son identité d’homme ou de femme. Nous en reparlerons lorsque nous aborderons le thème de l’union des corps.

La sous-mission réciproque se comprend aussi à travers l’étymologie du mot autorité. Ce mot vient de « augere » : verbe latin signifiant « augmenter ». De ce verbe est tiré le nom "auctoritas" qui désigne la capacité d’augmenter, d’où la capacité de faire grandir. L’autorité a donc la capacité de faire grandir quelqu'un. Le chef a pour mission de faire grandir ses subordonnés. Le parent a pour mission de faire grandir ses enfants. L'époux a pour mission de faire grandir son épouse et réciproquement. Le Christ a pour mission de faire grandir son Église.

Cette autorité légitime suppose une obéissance. Comme pour le mot « autorité », l’étymologie nous donne le sens profond de l’obéissance. Le latin "oboedire" signifie « prêter l'oreille", « se mettre sous l’écoute de ». L’écoute est un art difficile, nous en faisons l'expérience tous les jours. Mais la vie conjugale ne se construit qu’à travers une écoute réciproque.

Des missions différentes dans la lettre de Paul

Chez Paul, l’exhortation du verset 21 "soyez soumis les uns aux autres" n'implique pas égalité entre les époux. Paul assigne des missions différentes à l’homme et à la femme. La femme doit être sous l'autorité de l’homme et l’homme doit aimer sa femme comme son propre corps jusqu’à donner sa vie à l’image du Christ qui s’est livré à l’Église. Il ne demande pas à la femme d’être la cheffe de l’homme et il ne demande pas à la femme d'aimer son mari. De telles exhortations auraient été rejetées dans le contexte de l'époque. Il n’y a qu'un seul cas dans la bible où il est dit qu'une femme aime son mari, c'est dans 1S 18,20 : "Mikal fille de Saül s'éprit de David". D'ailleurs, selon l’historien Jean-Louis Flandrin, l’amour n'est une composante du mariage que depuis le XVIIIe siècle.

Paul semble d’abord s’adresser aux hommes. C’est pour cela que, de manière astucieuse, il commence par rappeler aux femmes qu’elles doivent se soumettre à leurs maris. Pourquoi ? Parce qu’une prédication qui aurait proclamé la fin de la soumission de la femme et l’abolition de toute hiérarchie n’aurait pas été entendue ! En énonçant d’abord ce qui était admis par tous, l’auteur de ce passage savait qu’il ne rebuterait personne et que son auditoire, conquis, écouterait la suite. Or c’est là que tout change : délaissant les prérogatives masculines, l’auteur ne parle que de leurs obligations. Elles sont autrement astreignantes que celles de leurs épouses : " Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Église et s'est livré pour elle ; il a voulu ainsi la rendre sainte en la purifiant avec l'eau qui lave et cela par la Parole ; il a voulu se la présenter à lui-même splendide, sans tache ni ride, ni aucun défaut ; il a voulu son Église sainte et irréprochable. C'est ainsi que le mari doit aimer sa femme, comme son propre corps " (Ep 5,25-28).

Voilà où réside la nouveauté de l’Évangile : les maris doivent se livrer pour leurs femmes comme le Christ s'est livré pour l'Église. Si Paul ne conteste pas, à première vue, une situation d'autorité reconnue à l'homme, il montre ainsi comment la primauté de l'homme devient en Jésus-Christ une primauté d'amour. À l’opposé des abus auxquels leur situation de chef conduisaient les maris, l'amour à l'exemple du Christ devient donc le fondement de l'exigence pour les maris de se donner totalement à leurs femmes Pierre DEBERGÉ, Paul, le pasteur, Cahier Évangile n° 126, Cerf, 2003, p. 44. »

Sous une même mission

La soumission réciproque se comprend et se vit dans une même mission.

La soumission réciproque se comprend et se vit dans une même mission. L’amour fait que le mari est simultanément soumis lui aussi à sa femme, et soumis en cela au Seigneur lui-même, tout comme la femme au mari. La communauté ou unité qu’ils doivent constituer en raison de leur mariage se réalise à travers une donation réciproque qui est aussi une soumission mutuelle (TDC89)

Nous sommes soumis au Christ ; c’est ce qui ressort du verset 21 : Soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Seigneur.

La crainte du Seigneur est une composante de la foi. Cette crainte est faite de respect et de soumission, de confiance en sa sagesse, en sa puissance et en son amour. Elle nous rend réceptif à l’action de l’Esprit Saint. La crainte de Dieu n’est pas synonyme de terreur, mais de profond respect envers Lui. Elle suppose la relation à Dieu. Elle est un des sept dons du Saint Esprit (Site de l'Église catholique).

Dans le mariage

Par leur mariage l’homme et la femme sont rattachés à une même mission qui s'énonce dans l'échange des consentements. Reprenons une des formules proposées par le rituel du mariage.

Le futur époux

A-, veux-tu être mon épouse ?

La future épouse

Oui, je veux être ton épouse. Et toi, N-, veux-tu être mon époux ?

Le futur époux

Oui, je veux être ton époux.

La future épouse :

Je te reçois comme époux
et je me donne à toi.

Le futur époux :

Je te reçois comme épouse
et je me donne à toi.

Ensemble :

Pour nous aimer fidèlement
dans le bonheur et dans les épreuves,
et nous soutenir l'un l'autre,
tout au long de notre vie.

L’échange des consentements consacre une réciprocité parfaite dans la mission d’être époux/épouse. Trois verbes résument cette mission : recevoir, donner, aimer. Nous y reviendrons dans une étude complète sur l’échange des consentements.