L'enfer

Dieu veut que tout homme soit sauvé, alors comment accepter l'idée de l'enfer.

dante-enfer Le mot « géhenne » qui désigne souvent l'enfer vient de Hinnon, nom de lieu près de Jérusalem où étaient offerts les sacrifices d'enfants (2 Chroniques 28,3). Ce lieu est devenu par la suite le lieu où étaient brûlées les ordures. Par extension et en référence à Jérémie 7,31, la géhenne désigne le lieu où les pécheurs sont punis par le feu.

2Ch 28,3 Lui-même, il offrit de l’encens dans le ravin de Ben-Hinnom et il brûla ses fils par le feu, suivant les abominations des nations que le SEIGNEUR avait dépossédées devant les fils d’Israël.

Jr 7,31 Ils érigent le tumulus du Tafeth dans le ravin de Ben-Hinnom pour que leurs fils et leurs filles y soient consumés par le feu ; cela, je ne l’ai pas demandé, je n’en ai jamais eu l’idée.

Dieu ne pouvait pas créer un être humain qui soit d’entrée de jeu déjà fixé dans le bien, car alors il ne ferait que jouer avec une marionnette. Ce qui vaut du commencement vaut aussi de la fin. Notre liberté, selon le mot très juste de Karl Rahner, est « le pouvoir unique du définitif. […] La liberté est le pouvoir de ce qui est éternel. […] La liberté est l’événement de l’éternel (Karl Rahner, Traité fondamental de la foi, Le Centurion, Paris) », c’est ce qui fait sa grandeur. C’est pourquoi l’Église a toujours été très réticente à l’égard des « Pères miséricordieux » qui enseignaient qu’à la fin des temps il y aurait une restitution ou restauration de toutes choses, et la réintégration des damnés dans l’œuvre du salut. Cela voudrait dire que l’engagement de la liberté des hommes ne serait qu’un faux semblant et que, finalement, tout s’arrangera.

Or Dieu est amour, et l’homme peut vouloir ne pas aimer : c’est cette possibilité qu’énonce l’enfer. Si Jésus évoque l’enfer dans son enseignement – et il le fait assez souvent –, c’est toujours sous la forme d’un avertissement d’importance qui veut nous mettre en garde. Il reprend les images scripturaires les plus violentes, mais généralement dans des paraboles qui invitent à la conversion. Il existe aussi le péché contre le Saint Esprit, c’est-à-dire celui qui oppose un refus définitif à toute lumière permettant la conversion. Dieu qui est Amour ne peut s’imposer par la force à notre liberté. Edith Stein, carmélite, morte en camp de concentration et récemment canonisée a écrit : « Il appartient à l’âme de décider d’elle-même. Le grand mystère que constitue la liberté de la personne, c’est que Dieu lui-même s’arrête devant elle. Il ne veut dominer les esprits créés que par le don libre qu’ils lui font de leur amour (Edith Stein, La science de la croix, Nauwelaerts). » L’existence de l’homme, qui se joue dans le choix ou le refus d’aimer, est terriblement sérieuse. L’enfer est une possibilité réelle pour chacun d’entre nous, si notre liberté refuse Dieu de manière définitive. Cet avertissement ne nous dit pas pour autant que quelqu’un soit effectivement en enfer. Il ne contredit pas l’espérance que tous les hommes puissent être sauvés, selon le dessein universel de Dieu.

L’enfer est donc une création de l’homme. L’enfer surgit quand l’amour est totalement refusé. Le curé de campagne de Georges Bernanos disait de son côté : « L’enfer, Madame, c’est de ne plus aimer. » Celui qui a dit sans doute la parole définitive, capable de convertir nos mentalités et de nous mettre dans la vérité face au redoutable mystère de l’enfer, c’est Søren Kierkegaard, parole rapportée et prise à son compte par Hans Urs von Balthasar : De ma vie, je n’ai jamais été et n’irai jamais plus loin que ce point de « crainte et tremblement » où je suis littéralement certain que tout autre que moi accédera aisément à la béatitude. Dire aux autres : vous êtes perdus pour l’éternité, voilà qui m’est impossible. Pour moi, une chose est sûre : tous les autres seront bienheureux, et c’est bien assez – pour moi seul l’affaire reste aléatoire.

Nous ne savons pas s’il y a des hommes en enfer. Nous avons le droit et le devoir d’espérer pour tous. L’Écriture nous dit maintes fois que la volonté de Dieu est que tous soient sauvés : « Dieu, notre Sauveur, veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tm 2, 4 ; cf. Rm 11, 32 ; Co 1, 19-20 ; Ep 1, 10 ; Jn 12, 32). Entre l’enfer toujours possible et l’enfer effectif, il y a l’amour inlassable et libérateur de Dieu. Là où nous demandons de la certitude et des assurances, le message chrétien nous renvoie à la foi, à l’espérance et à l’amour.

3. La «damnation» ne doit donc pas être attribuée à l'initiative de Dieu, car dans son amour miséricordieux, il ne peut vouloir que le salut des êtres qu'il a créés. En réalité, c'est la créature qui se ferme à son amour. La «damnation» consiste précisément dans l'éloignement définitif de Dieu librement choisi par l'homme et confirmé à travers la mort qui scelle pour toujours ce choix. La sentence de Dieu ratifie cet état.

4. La foi chrétienne enseigne que, dans le risque du «oui» et du «non» qui distingue la liberté de la créature, certains ont déjà dit non. Il s'agit des créatures spirituelles qui se sont rebellées à l'amour de Dieu et qui sont appelées démons (cf. Concile du Latran IV: DS 800-801). Pour nous, êtres humains, leur vie résonne comme un avertissement: il s'agit d'un rappel constant à éviter la tragédie dans laquelle débouche le péché, et à modeler notre existence sur celle de Jésus qui s'est déroulée sous le signe du «oui» à Dieu.

La damnation demeure une possibilité réelle, mais il ne nous est pas donné de connaître, sans révélation divine particulière, quels êtres humains sont effectivement concernés. La pensée de l'enfer - et plus encore la mauvaise utilisation des images bibliques -, ne doit pas créer de psychose ni d'angoisse, mais représente un avertissement nécessaire et salutaire à la liberté, au sein de l'annonce selon laquelle Jésus le Ressuscité a vaincu Satan, nous donnant l'Esprit de Dieu, qui nous fait invoquer «Abba, Père» (Rm 8, 15; GA 4, 6).

JEAN-PAUL II, AUDIENCE GÉNÉRALE, Mercredi 28 juillet 1999, L'enfer comme refus définitif de Dieu.

Il appartient à l’âme de décider d’elle-même. Le grand mystère que constitue la liberté de la personne, c’est que Dieu s’arrête devant elle. Édith Stein, carmélite morte à Auschwitz en 1942.

L’enfer est-il vide ?, se demande le théologien suisse Hans Urs Von Balthasar à la fin des années 1980. Le pape François a aussi pris acte des évolutions théologiques à ce sujet, en confiant notamment le 14 janvier dernier : « J’aime à penser que l’enfer est vide. »

Être fermé aux autres, refuser toute relation, c’est cela l’enfer. « L’enfer, c’est de ne plus aimer », écrivait Georges Bernanos dans Le journal d’un curé de campagne. L’enfer serait donc cet état de rupture, éloigné de Dieu.

CEC-1035 La peine principale de l’enfer consiste en la séparation éternelle d’avec Dieu en qui seul l’homme peut avoir la vie et le bonheur pour lesquels il a été créé et auxquels il aspire.

L'hypothèse de l'enfer éternel pose question. Pourrions nous être heureux au paradis en sachant qu'un de nos proches est en enfer, ou même un étranger. Dieu n'efface notre histoire de notre mémoire.

Pour ce qui est du Nouveau Testament, une chose frappe d’emblée. En comparaison avec la mention omniprésente du ciel – plus de 260 fois, avons-nous vu –, celle de l’enfer s’y avère rarissime. Les doigts des deux mains suffisent en effet à y dénombrer d’un bout à l’autre les emplois du terme hadès. Absent chez Marc et Jean, on ne le trouve qu’à deux reprises chez Matthieu (en 11, 23 et 16, 18). Même chose chez Luc : une fois dans un passage commun avec Matthieu (10, 15) et une fois dans un autre qui lui est propre (16, 23). Pour le reste, hadès revient trois fois dans un passage des actes des Apôtres (2, 24.27.31) et quatre fois dans l’Apocalypse [1, 18 ; 6, 8 ; 20, 13-14]. Deuxième constatation. Parmi ces occurrences, il n’en est qu’une où l’« enfer » se rapporte au sort des pécheurs après la mort. Cela se trouve en Lc 16, dans la parabole dite du mauvais riche et de Lazare.

19« Il y avait un homme riche qui s’habillait de pourpre et de linge fin et qui faisait chaque jour de brillants festins. 20Un pauvre du nom de Lazare gisait couvert d’ulcères au porche de sa demeure. 21Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais c’étaient plutôt les chiens qui venaient lécher ses ulcères. 22« Or le pauvre mourut et fut emporté par les anges au côté d’Abraham ; le riche mourut aussi et fut enterré. 23Au séjour des morts, comme il était à la torture, il leva les yeux et vit de loin Abraham avec Lazare à ses côtés. 24Alors il s’écria : “Abraham, mon père, aie pitié de moi et envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l’eau pour me rafraîchir la langue, car je souffre le supplice dans ces flammes.” 25Abraham lui dit : “Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu ton bonheur durant ta vie, comme Lazare le malheur ; et maintenant il trouve ici la consolation, et toi la souffrance. 26De plus, entre vous et nous, il a été disposé un grand abîme pour que ceux qui voudraient passer d’ici vers vous ne le puissent pas et que, de là non plus, on ne traverse pas vers nous.” 27« Le riche dit : “Je te prie alors, père, d’envoyer Lazare dans la maison de mon père, 28car j’ai cinq frères. Qu’il les avertisse pour qu’ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de torture.” 29Abraham lui dit : “Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent.” 30L’autre reprit : “Non, Abraham, mon père, mais si quelqu’un vient à eux de chez les morts, ils se convertiront.” 31Abraham lui dit : “S’ils n’écoutent pas Moïse, ni les prophètes, même si quelqu’un ressuscite des morts, ils ne seront pas convaincus.” »

Lire la suite de l'étude de Michel Gourgues