Il reviendra - la parousie
"Il reviendra dans la gloire ..."
Mt 24,36 Pour ce qui est du jour et de l'heure, personne ne le sait, ni les anges des cieux, ni le Fils, mais le Père seul.
He 9,28 Il apparaîtra une seconde fois, non plus à cause du péché, mais pour le salut de ceux qui l’attendent.
"D’où il reviendra…" ce mouvement du ciel vers la terre est essentiel. Ce n’est pas l’homme qui va vers le ciel par ses propres forces. Il connaît toujours l’échec dans ses tentatives d’élévation (cf. la tour de Babel). L’échelle de Jacob n’est parcourue que par les anges de Dieu qui montent et descendent, et Jacob lui-même, qui tire son nom "Israël" de sa force devant Dieu (Gn 32, 28) n’est pas monté : c’est Dieu qui est venu le trouver. Dieu également vient trouver l’homme pour l’alliance définitive, dans l’Incarnation. C’est parce que Dieu est venu trouver l’homme, et dans la mesure où celui-ci l’a reçu ("à tous ceux qui l’ont reçu il a donné le pouvoir de devenir enfant de Dieu", Jn 1, 12) que l’homme entraîné par le Christ, seul médiateur (entre Dieu et l’homme, entre le ciel et la terre), pourra comme Corps du Christ entrer dans la Trinité, devenir Dieu. (Marie-Christine Hazaël-Massieux - voir bibliothèque)
"Le Verbe de Dieu s'est fait homme, celui qui est Fils de Dieu s'est fait Fils de l'homme pour que l'homme devienne fils de Dieu, en communiant au Verbe de Dieu et en recevant l'adoption" (Irénée, Contre les hérésies).
Dans notre monde marqué à bien des égards par l’immédiateté, il nous faut sans doute apprivoiser à nouveau le sens du temps et de l’histoire, redécouvrir la vertu bienfaisante de la durée et de l’attente. La durée est en effet la condition de possibilité de la maturation, du désir, de la fidélité.
Le terme grec parousia signifie « venue », « présence ». Dans son sens profane, il désignait l’entrée solennelle et triomphale d’un souverain hellénique dans une ville conquise sur laquelle il exerçait désormais son pouvoir. Les premières générations chrétiennes ont repris le terme pour l’appliquer à l’avènement glorieux du Seigneur à la fin des temps (cf. Mt 24,3.27.37.39 ; 1 Th 2,19 ; 3,13 ; 4,15 ; 5,23 ; 1 Co 1,8 ; 15,23 ; 2 P 3,4.12). À partir du 2e s., avec S. Justin surtout, on commence à parler des « deux Parousies » du Christ : la première, humble et souffrante, a consisté en sa venue dans la chair, la seconde, encore à venir, sera en revanche majestueuse et glorieuse.
Par l’Incarnation et la Pâque du Fils de Dieu, le Règne eschatologique de Dieu a fait irruption dans notre histoire ; l’ère messianique du salut et de la grâce est désormais inaugurée : « Le temps est accompli, le Règne de Dieu s’est approché ».
Une réalité nouvelle est là ; la victoire sur la mort est irréversiblement acquise ; l’Esprit-Saint a été répandu dans les cœurs (cf. Rm 5,5) et il ne cesse de constituer l’Église, « germe et commencement du Royaume » (LG 5). En un mot, nous sommes dans les « derniers temps ».
Cf. Ac 2,17 ; 1 P 1,20 ; He 1,2 ; 9,26 ; etc.
Le temps de l’accomplissement eschatologique est là, et le Royaume de Dieu en gloire est proche ; tous deux sont des faits par rapport auxquels on ne saurait revenir en arrière ; depuis la venue de Jésus, ils correspondent à une « situation » fermement établie. Ce qui continue à partir de là à se réaliser prend place, certes, à l’intérieur de la réalité spatio-temporelle de ce monde, les hommes en font l’expérience dans l’histoire, dans le « cours » du temps. Mais cela n’en demeure pas moins entièrement sous le signe ineffaçable de la réalité salvifique inaugurée par Jésus (Schnackenburg R., Règne et Royaume de Dieu. Essai de théologie).
En même temps, il faut pouvoir affirmer que le Règne de Dieu demeure une réalité encore future, en ce sens qu’il n’est pas encore pleinement manifeste. Le mal, tant physique que moral, continue à défigurer nos existences et notre monde. Certes, il nous incombe de le combattre activement, et, dans la mesure de nos possibilités, de faire reculer l’injustice, la haine, la souffrance, la mort. La gloire de Dieu et de ses enfants demeure provisoirement voilée et différée : elle attend encore d’être pleinement révélée (cf. Rm 8,18s. ; Col 3,1-4 ; 1 Jn 3,2 ; etc.).
Ainsi donc, l’eschatologie chrétienne est traversée par une tension, par une flèche (A. Gesché). Le salut est une réalité à la fois présente et future, le Royaume est « déjà-là et pas encore »
Paul a tenté d’illustrer ce paradoxe qui caractérisait l’entre-temps de l’Église en comparant le temps présent à un « enfantement » (Rm 8,22), ou encore à une « aurore » (cf. Rm 13,11-12) : si nous possédons déjà l’Esprit, nous n’en avons encore que les « prémices » (Rm 8,23) et les « arrhes » (2 Co 1,22 ; 5,5 ; Ep 1,14). L’accomplissement du salut est inchoatif : il est déjà donné, mais l’attente de son achèvement persiste en son sein. Cette attente ardente trouve un écho dans la demande du Notre Père (« que ton règne vienne ! »), et dans le vibrant « Maranatha ! » des premiers chrétiens (Cf. 1 Co 16,22 ; Ap 22,20 ; Didachè 10,6 : SC (248bis), 183.)
À ce stade-ci, une question de fond ne peut manquer de surgir : pourquoi Dieu a-t-il choisi de sauver le monde en deux « étapes » ? Pourquoi la première parousie du Messie n’a-t-elle pas signé immédiatement la fin du cours de l’histoire du salut et l’instauration plénière et visible du Royaume, en conformité avec l’attente messianique juive ? Quelle est la signification théologique de cet intervalle ecclésial (Zwischenzeit) ? Pourquoi ce délai de la gloire eschatologique qui s’accompagne en contrepartie d’un ultime sursis pour les puissances du mal, alors que la victoire pascale a déjà été remportée ? En un mot, pourquoi l’accomplissement du salut en Jésus-Christ comporte-t-il en lui-même, structurellement, la nécessité d’une attente.
Le Règne de Dieu ne s’impose pas par la force : déjà donné, il incombe maintenant à tout homme de l’accueillir sans plus attendre. « Dieu t’a créé sans toi, mais il ne te sauvera pas sans toi » (Augustin, Sermon 169,11,13 (PL 38, 923)). Telle est d’ailleurs en substance l’argumentaire de l’auteur de la Seconde lettre de Pierre (écrite probablement dans les années 125) :
Dans les derniers jours viendront des sceptiques moqueurs menés par leurs passions personnelles qui diront : « Où en est la promesse de son avènement [parousia] ? Car depuis que les pères sont morts, tout demeure dans le même état qu’au début de la création. » […] Il y a une chose en tout cas, mes amis, que vous ne devez pas oublier : pour le Seigneur un seul jour est comme mille ans et mille ans comme un jour. Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard, mais il fait preuve de patience envers vous, ne voulant pas que quelques-uns périssent mais que tous parviennent à la conversion. […] C’est pourquoi, mes amis, dans cette attente, faites effort pour qu’il vous trouve dans la paix, nets et irréprochables. Et dites-vous bien que la longue patience du Seigneur, c’est votre salut (2 P 3,3-15a).
Dans cette optique, on comprend que le prétendu « retard » de la Parousie doit être imputé non pas à Dieu, mais aux hommes : c’est la lenteur de la réponse de l’humanité qui, d’une certaine manière, « paralyse » la manifestation plénière du Royaume.
Sous peine donc de rendre vaine la longue patience du Seigneur et de décevoir son grand espoir eschatologique de sauver tous les hommes, convertissons-nous donc sans tarder ! Toute l’activité pastorale qui occupe le temps de l’Église trouve d’ailleurs là son sens ultime. L’annonce inlassable de l’Évangile et la célébration des sacrements veulent susciter notre réponse de foi et d’amour, et ainsi, en élargissant notre cœur et en y creusant notre désir de Dieu, « hâter » la venue des « cieux nouveaux et de la terre nouvelle » (cf. 2 P 3,12-13 ; Ac 3,19-21). Teilhard de Chardin écrivait en ce sens : « le Seigneur ne viendra vite que si nous l’attendons beaucoup. C’est une accumulation de désirs qui doit faire éclater la Parousie » (Teilhard de Chardin P., Le milieu divin. Essai de vie.)
L’attente chrétienne de la Parousie, Abbé Joël Spronck, Dans Nouvelle revue théologique 2009/3 (Tome 131), pages 546 à 556.