Le purgatoire
Les évangiles parle uniquement de l’enfer et du paradis. La doctrine du purgatoire n’est pas directement explicitée dans la Bible, d'où le rejet de cette notion par le protestantisme. Mais elle est implicite dans la pratique juive de la prière pour les morts mentionnée dans le livre des Maccabées. Or, prier pour les défunts présuppose qu’ils connaissent un état intermédiaire autre que la béatitude céleste ou l’enfer qui sont des états définitifs.
Augustin évoque un « feu purifiant ». À la fin du Ier millénaire, l'Eglise institue une fête des morts le 2 novembre. Vers le XIe siècle, le mot « purgatoire » apparaît. Il est imaginé un peu comme une « succursale » de l’enfer, une sorte d’enfer provisoire. Vers l’an 1300, grâce à Dante, il « sort » de ce contexte. Ce grand poète ose le représenter comme une montagne sous les étoiles, base de départ pour le paradis.
À partir des Xlle-XIlle siècles et avec le développement des pastorales de la peur, l'inquiétude par rapport à l'avenir immédiat des défunts grandit. Que deviennent-ils ? Peut-on encore prier pour eux ? Des scénarios d'eschatologie individuelle se mettent alors en place. C'est dans cet état d'esprit que la pratique de ta prière pour les défunts et la notion de purgatoire prennent de plus en plus d'importance. La prière pour les défunts est très tôt attestée dans l'Église. Elle suppose deux convictions : la situation des défunts n'est pas statique. Elle peut évoluer et il est possible d'intercéder les uns pour les autres y compris pour les défunts. On s'appuie généralement sur le deuxième livre des Maccabées pour légitimer la prière pour les défunts. Il s'agit d'un épisode relatant le combat des résistants juifs contre l'occupant grec, sous la conduite de Judas Maccabée. Après la bataille, on relève le corps de ceux qui ont péri durant la bataille afin de les inhumer. Stupeur : on trouve des amulettes païennes dans les tuniques de ceux qui avaient combattu pour leur peuple. La défaite apparaît aussitôt comme conséquence de cette défiance envers Dieu : cependant, il n'est pas possible que ceux qui ont combattu pour leur peuple soient séparés à jamais du Seigneur. Judas Maccabée organise alors une collecte pour offrir un sacrifice de réparation en faveur des défunts (2M 12,43-45).
43Ayant fait une collecte par tête, il envoya jusqu'à deux mille drachmes à Jérusalem, afin qu'on offrît un sacrifice pour le péché, agissant fort bien et noblement dans la pensée de la résurrection. 44Si, en effet, il n'avait pas espéré que les soldats tombés ressusciteraient, il eût été superflu et sot de prier pour des morts ; 45s'il envisageait qu'une très belle récompense est réservée à ceux qui s'endorment dans la piété, c'était là une pensée sainte et pieuse : voilà pourquoi il fit faire pour les morts ce sacrifice expiatoire, afin qu'ils fussent absous de leur péché.
Dans l'Église ancienne, on trouve très tôt des témoignages d'une pratique de la prière pour les défunts. Augustin théorise sur cette pratique dans La Cité de Dieu (au livre 21) : en Matthieu 12,32, il est dit que le péché contre l'Esprit Saint ne sera pardonné ni en ce monde ni dans le monde à venir ; s'il en est ainsi pour ce péché, cela signifie que certains péchés peuvent être pardonnés dans l'autre monde. Certains, en effet, ne subiront pas les peines temporelles dans ce monde-là, mais dans le siècle futur ; ces peines leur éviteront le supplice éternel : il s'agit de ceux qui n'ont pas mené une vie si mauvaise qu'elle ne puisse pas leur être pardonnée et cependant pas si bonne pour que leur soient épargnées des peines après la mort. L'Église peut donc prier pour les défunts qui n'ont excellé ni en bien ni en mal et dont le sort est susceptible d'évoluer après leur mort. L'idée d'une purification post mortem s'appuie sur une interprétation de la première lettre aux Corinthiens 3, 11-15. À propos des prédicateurs de l'Évangile. Paul évoque le jour du jugement au cours duquel l'œuvre de chacun se fera connaître. Le Seigneur se manifestera comme un feu prouvant ce que vaut l'œuvre de chacun : celui dont la construction subsistera obtiendra récompense, celui dont l'œuvre sera consumée sera privé de récompense et lui-même ne sera sauvé que de justesse, « comme on l'est à travers le feu ». Ce texte est lu alors dans la perspective de peines purgatoires qui permettront d'accéder à la vision de Dieu. Au Moyen Âge on ne parle plus seulement de peines purgatoires, mais on se représente un lieu intermédiaire entre l'enfer et le paradis où sont subies ces peines. Avec la naissance de ce lieu d'épreuve, intermédiaire, naît un ensemble de représentations très populaires et progressivement, on assiste à une « infernalisation » des peines du purgatoire qui devient un lieu proche de la salle de torture. Cf. J. Le Goff, La Naissance du purgatoire, 1981.
Cette solidarité entre vivants et morts est signe de la solidarité du corps tout entier de l'Église, que va développer la notion d’indulgence. L'idée est celle-ci : toute faute exige la repentance du pécheur (la coulpe) et une pénitence (la peine) proportionnelle à sa faute. Au long de l'histoire, se développe alors la possibilité d'une remise de peine pour un péché préalablement pardonné. Au XVe siècle l'application de ces indulgences aux défunts est devenue monnaie courante. Elle donnera lieu à des excès : la négociation, un tantinet marchande, permet d'apaiser ses teneurs et de s'assurer efficacement de son salut, pervertissant ainsi ce qui, à l'origine, était le signe d'une solidarité de tout le corps ecclésial. Plusieurs Conciles se prononcent sur l'existence de peines purgatoires, en débat avec les grecs, c'est-à-dire les orthodoxes, (Concile de Lyon en 1274 puis de Florence, 1439) et, plus tard, sur l'existence d'un purgatoire, en opposition aux affirmations de la Réforme (Concile de Trente, 1563).
Devant les excès de cette pratique, les Réformateurs, dès le début du XVIe siècle, contestent le système des indulgences et la prière pour les défunts. Ces pratiques induisent l'idée que le Christ n'est pas le seul intercesseur possible et encouragent un marché plus que suspect ! Orthodoxes et protestants réfutent le purgatoire considérant que rien ne l'atteste dans les Écritures. Cependant si les orthodoxes rejettent l'idée de purgatoire comme lieu, ils ne récusent pas la possibilité d'une purification après la mort et pratiquent la prière pour les défunts. S'il est possible d'utiliser cette notion de purgatoire, c'est à plusieurs conditions. Il faut d'abord se débarrasser de l'imagerie populaire qui en fait un lieu situé selon l'espace : « Après cette vie Dieu lui-même est notre lieu », écrit Augustin. Ensuite, il ne s'agit pas d'une seconde chance, comme l'est par exemple la réincarnation entendue en son sens occidental, mais d'un processus de maturation progressive. Ce processus de purification n'est pas à penser en termes de châtiment, mais comme une manière d'assumer progressivement les conséquences de mon péché : « Le purgatoire, écrit un théologien, signifie la souffrance que j'ai laissée derrière moi sur terre ». S'il en est ainsi, le purgatoire peut se penser en termes de variation d'intensité de la présence divine : ce processus de maturation permet de se trouver progressivement dans la communion de Dieu. Plus l'intimité avec Dieu a été forte au long de mon existence (que cette intimité soit explicite ou implicite « quand t'avons-nous vu avoir faim ? », plus le processus de maturation sera rapide. Cet état de purification progressive provient de la souffrance que je ressens en contemplant l'abîme entre ce que j'ai pu vivre sur terre et la plénitude de l'amour de Dieu.
Isabelle Chareire, La résurrection des morts, Tout simplement, Les Editions de l'Atelier, 1999.
Ce n’est pas une sorte de camp de concentration dans l’au-delà, où l’homme devrait subir des châtiments qui lui seraient imposés d’une manière plus ou moins positive. C’est plutôt le processus interne et nécessaire de transformation de l’homme, par lequel ce dernier devient capable du Christ. Joseph Ratzinger, La Mort et l’au-delà, 1980.
Autrefois, la théologie mettait l’accent sur l’expiation des péchés ; aujourd’hui, elle présente le purgatoire par une nécessaire purification de l’homme, comme un éblouissement de nos yeux qui doivent s’habituer à la lumière de Dieu.
Pourquoi alors parle-ton du purgatoire ? A travers notre vie nous cachons beaucoup de choses aux autres et très souvent, nous sommes incapables de supporter la vérité sur nous- mêmes et pourtant nous sommes appelés à la vie de Dieu, qui nous le savons bien, est lumière et vérité, c’est-à-dire transparence. Par conséquent, nous ne pouvons pas y entrer sans devenir nous-mêmes lumière. Qui fait la vérité vient à la lumière dit-on ; d’où la nécessité du purgatoire qui est en soi un processus de purification. Bernard Sesboüé écrit : « le choc de la rencontre de Dieu est un feu dévorant… le purgatoire n’est pas un châtiment, il est au contraire l’expression de la grande patience de Dieu qui maintient jusqu’à l’au-delà la possibilité de notre conversion totale à la vérité »[2]. Le purgatoire parait alors être la chance que Dieu nous donne pour accéder à son amour. http://aaouestafrique.frerebenoit.net/2015/06/30/le-paradis-le-purgatoire-et-lenfer/
La question du purgatoire est encore aujourd’hui le lieu d’un désaccord avec les orthodoxes et les protestants, qui ne le trouvent pas clairement affirmé dans l’Écriture. Il pose aussi toujours la même question du rapport entre le temps et l’éternité. Comment concevoir un « processus », pour nous inévitablement temporel, de purification dans le monde de l’éternité ? Reconnaissons d’ailleurs que le substantif, le purgatoire, date du xiie siècle. Augustin ne parlait encore que d’un « feu purifiant ». Jacques Le Goff a pu écrire un livre intitulé La naissance du purgatoire [2]. Avec le temps, les représentations du purgatoire se sont multipliées et passablement chosifiées.
D’où vient ce purgatoire ? De la conviction biblique que la prière pour les défunts peut leur être utile et de la conviction que la plupart des défunts ont besoin d’une purification sanctifiante, avant de pouvoir paraître devant Dieu. En la matière, le fameux adage selon lequel la règle de la prière est une règle de foi (lex orandi, lex credendi) a joué un grand rôle. Déjà dans le judaïsme du premier siècle avant notre ère, on priait pour les défunts. C’est ainsi que Judas Maccabée faisait prier et même offrir un sacrifice pour des soldats morts au combat et que l’on soupçonnait d’apostasie, initiative louée par l’auteur du livre : c’était une « belle et noble action inspirée par la pensée de la résurrection. Car, s’il n’avait pas espéré la résurrection pour les soldats tombés, il était superflu et sot de prier pour les morts » (2 Mc 12, 41-46).
Judas Macchabée partageait donc l’espérance de la résurrection ; il espérait aussi un pardon de Dieu pour ceux dont la vie avait été douteuse, il avait enfin la conviction d’une solidarité dans la prière entre les vivants sur la terre et les défunts qui les ont quittés. Bref, il était légitime de prier pour eux. Telle fut spontanément la conviction de l’Église primitive : la prière pour les défunts n’est pas vaine.
Il reste que la prière pour les défunts ne va pas de soi. Pourrait-elle changer le jugement de Dieu sur les personnes et nous savons qu’une liberté ne peut prétendre prendre la place d’une autre liberté. La pratique abusive et odieuse des indulgences au xvie siècle a véhiculé l’idée fausse qu’une offrande d’argent pouvait délivrer immédiatement une âme du purgatoire. « Dès que la pièce sonne dans le tronc, disait le prédicateur Tetzel, une âme s’échappe du purgatoire. » La réponse à ces questions tient dans la réalité de la communion des saints et la fécondité de l’amour. Il existe une solidarité spirituelle entre tous ceux qui appartiennent à l’unique corps du Christ et dans lequel la circulation de la vie est totale à l’initiative de sa Tête. Nous faisons déjà l’expérience ici-bas de la solidarité des libertés. Tout mal commis affecte la société et nous rend la pratique du bien plus difficile. Au contraire celui qui s’élève élève le monde. La genèse de chacune de nos libertés est conditionnée par l’usage de la liberté de tous. Cela est manifeste dans l’éducation des enfants.
Nous avons tous besoin de l’amour des autres pour pouvoir vivre et progresser. Le purgatoire nous dit simplement que cette solidarité dans la liberté franchit le seuil de la mort. Ce qui peut se passer est hors d’atteinte de nos représentations. Mais le grand mouvement d’amour qui traverse l’humanité sauvée et devenue le corps du Christ, celui « qui est toujours vivant pour intercéder en notre faveur » (He 7, 25), entouré de la Vierge et des saints, qu’il s’agisse des élus glorifiés ou de ceux qui mènent sur terre le combat du salut, peut aider les défunts qui en ont besoin à progresser vers l’amour pur. Telle est la signification des messes célébrées pour les défunts dans lesquelles nous unissons nos intercessions à celle du Christ.
Ciel, purgatoire, enfer. Bernard Sesboüé, Revue Lumen Vitae 2016/3 Volume LXXI.