Apocalypse - Chapitre 5 - Le livre scellé et l'Agneau

    Le chapitre 5 présente deux grandes unités bien distinctes, articulées l’une à l’autre, structurant ainsi un véritable scénario qui va se jouer dans une grande tension dramatique :
  • l’unité 5, 1- 7 doit répondre à la question « Qui donc est digne d’ouvrir le Livre et d’en briser les sceaux ? »,
  • l’unité 5, 8-14 invite le ciel et la terre à une liturgie solennelle et grandiose.
Versets Commentaire
1 Et je vis, dans la main droite de celui qui siège sur le trône, un livre écrit au-dedans et au-dehors, scellé de sept sceaux. Le « livre » (gr. biblion) symbolise le plan divin et l’histoire du salut. L’écriture « à l’intérieur et à l’extérieur » suggère exhaustivité et transparence : tout ce qui advient est connu et ordonné. Les sept sceaux font référence à la perfection biblique et à la plénitude de la révélation ; leur fermeture symbolise l’inaccessibilité du dessein divin sans l’initiative de l’Agneau. La main droite du Trône indique puissance, autorité et souveraineté.

Il est écrit recto verso : au-dedans et au-dehors. Cela veut dire qu’il est complet, achevé, qu’on ne peut rien y ajouter. On peut comprendre aussi qu’il y a deux lectures possibles du livre : intérieure et extérieure. Or, si l’on peut en faire une lecture extérieure, une lecture littérale, la lecture intérieure, le sens profond du texte, nécessite d’ouvrir le livre qui est scellé de sept sceaux. D.A.

Deux interprétations sont possibles :
  • le livre contient « le plan de Dieu », la description de tout ce qui doit arriver ensuite ; en Ap 6 et 7 un nouvel épisode de l’histoire contenue dans le livre se déclenche au fur et à mesure que celui qui est autorisé à briser les sceaux, les ouvre un par un ; les sceaux préservent le contenu du livre de la manipulation de personnes incompétentes ;
  • la Tradition (les Pères de l’Église) a interprété le livre comme désignant l’Ancien Testament qui demeure lettre morte tant que le Christ ne l’éclaire pas ; à l’ouverture de chaque sceau correspond une nouvelle vision qui place l’histoire humaine dans la perspective de la venue ou du retour du Christ. Ce passage fait manifestement penser à l’image du Livre dans Ez 2, 9-10. Pour Hippolyte de Rome, le livre contient la totalité d’un plan de salut de Dieu, complètement fermé à la compréhension des êtres humains.
Le sceau est un signe d’appartenance et de secret, et le chiffre sept marque la totalité. Il s’agit donc d’un document secret, qui échappe à toute investigation humaine.
2 Et je vis un ange puissant qui proclamait d'une voix forte : Qui est digne d'ouvrir le livre et d'en rompre les sceaux ? L’ange introduit un cri de suspense théologique : la question souligne que l’ouverture du livre n’est possible que par un agent légitime. L’expression « d’une voix forte » accentue le caractère solennel et universel de l’interrogation.
3 Mais nul, dans le ciel, sur la terre ni sous la terre, n'avait pouvoir d'ouvrir le livre ni d'y jeter les yeux. Aucun pouvoir humain ou céleste n’a l’autorité nécessaire ; l’inaccessibilité du plan divin est absolue. La mention des trois sphères (ciel, terre, monde souterrain) souligne que rien ni personne ne peut usurper la souveraineté de Dieu.
4 Je me désolais de ce que nul ne fût trouvé digne d'ouvrir le livre ni d'y jeter les yeux. Jean exprime ici l’émotion humaine devant l’impuissance face au dessein divin. La figure de l’auteur-prophète est incarnée : ses larmes rappellent l’expérience réelle de frustration et de dépendance absolue à la révélation divine.
5 Mais l'un des anciens me dit : Ne pleure pas ! Voici, il a remporté la victoire, le lion de la tribu de Juda, le rejeton de David : il ouvrira le livre et ses sept sceaux. L’introduction du Christ en tant que Lion de Juda relie l’eschatologie à la promesse davidique (Gn 49,9 : « Tu es un lionceau, ô Juda » ; 2 S 7,12-16). Le titre « rejeton de David » vient de la vision d’Is 11 : « Un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton jaillira de ses racines ».
6 Alors je vis : au milieu du trône et des quatre animaux, au milieu des anciens, un agneau se dressait, qui semblait immolé. Il avait sept cornes et sept yeux qui sont les sept esprits de Dieu envoyés sur toute la terre. La corne est un symbole de puissance (Dt 33,17) et de royauté (Za 2,1-4). 1 Je levai les yeux et j'eus une vision : c'étaient quatre cornes. 2 Je demandai alors à l'ange qui me parlait : « Que représentent-elles ? » Il me répondit : « Ce sont les cornes qui ont dispersé Juda, Israël et Jérusalem. » 3Puis le SEIGNEUR me fit voir quatre forgerons. 4Alors je demandai : « Ceux-ci, que viennent-ils faire ? » Il me répondit : « Les cornes sont celles qui ont dispersé Juda au point que personne ne relevait plus la tête. Mais ces forgerons sont venus pour les faire trembler, pour abattre les cornes de ces nations, celles qui ont levé leurs cornes sur le pays de Juda en vue de le disperser. » Voir l'étude sur l'agneau.
7 Il s'avança pour recevoir le livre de la main droite de celui qui siège sur le trône.
8 Et, quand il eut reçu le livre, les quatre animaux et les vingt-quatre anciens se prosternèrent devant l'agneau. Chacun tenait une harpe et des coupes d'or pleines de parfum, qui sont les prières des saints. L’Agneau est le seul digne. La prosternation des anciens et des créatures célestes marque l’adoration et la reconnaissance de l’autorité du Christ. Les harpes et encens symbolisent la louange et la prière, unifiant l’action liturgique et le dévoilement eschatologique.

Après que l’Agneau eut reçu le livre, l’univers éclate en louanges (v.8) à la façon dont le culte jadis était célébré au Temple de Jérusalem : un choeur de lévites psalmodiait sur le luth à l’heure de l’offrande, alors que le prêtre désigné présentait l’encens dans une cassolette d’or. Ici, les vingt-quatre Anciens offrent leur hommage musical en union avec “les prières des saints“, c’est-à-dire avec l’humble culte de l’Église terrestre.
9 Ils chantaient un cantique nouveau : Tu es digne de recevoir le livre et d'en rompre les sceaux, car tu as été immolé, et tu as racheté pour Dieu, par ton sang, des hommes de toute tribu, langue, peuple et nation. Le cantique nouveau célèbre la victoire salvifique de l’Agneau. La dimension christologique est ici centrale : il est reconnu comme sauveur et roi messianique, et il inaugure la participation eschatologique de l’Église. Les termes « racheter » et « pour Dieu » mettent en relation l’action rédemptrice et la vocation royale des croyants.

Ils chantent un cantique nouveau L'expression « cantique nouveau » est fréquente dans les Psaumes (33,3 ; 40,4 ; 96,1 ; 98,1...). Elle s'y réfère aux occasions sans cesse renouvelées de louer le Seigneur. Il arrive cependant que l'accent soit plus appuyé : en Is. 42,9 Yahvé, auteur de merveilles passées, en annonce de nouvelles et le verset 10 enchaîne alors : « Chantez à Yahvé un cantique nouveau » pour célébrer son intervention dernière, universelle et salvatrice. C'est un nouvel ordre des choses que Dieu instaure. Le cantique qui en rend grâces est donc vraiment nouveau. Le Judaïsme rabbinique a été sensible à cet accent eschatologique : pour lui le chant nouveau c'est à proprement parler le cantique de louange qu'Israël fera monter à Dieu lors de la rédemption messianique. Dans l'Apocalypse l'adjectif nouveau reçoit la même accentuation : Dieu fait des choses nouvelles (21,5), des cieux nouveaux et une terre nouvelle (21,1) une Jérusalem nouvelle (3,12 ; 21,2). Il donne un nom nouveau (2,17 ; 3,12). C'est que le grand moment du renouvellement attendu est venu avec le Christ. Dès lors les hommes comme les anges ne peuvent plus rendre à Dieu qu'un culte étroitement lié a la célébration du salut réalisé en Jésus-Christ. De fait le cantique qui suit est très précisément consacré à célébrer le salut opéré par le Christ, à l'image de la première rédemption : la sortie d'Egypte. C'est une louange pour le salut pascal. Ce que confirme l'usage du verbe « racheter » à propos de l'immolation sanglante de l'agneau. L'œuvre du Christ consiste également à faire des rachetés un royaume et des prêtres pour Dieu. Ces mots sont empruntés à Ex. 19,6 (cf. sur Ap. 1,6) dont le contexte pascal est évident. Notre cantique célèbre donc l'accomplissement de ce que la première Pâque annonçait seulement comme type prophétique. P. Prigent, Et le ciel s'ouvrit, p.97.
10 Tu en as fait, pour notre Dieu, un royaume et des prêtres, et ils régneront sur la terre.
11 Alors je vis : Et j'entendis la voix d'anges nombreux autour du trône, des animaux et des anciens. Leur nombre était myriades de myriades et milliers de milliers. Le chœur céleste est immense (« myriades de myriades »), soulignant la gloire et l’universalité du règne du Christ.
12 Ils proclamaient d'une voix forte : Il est digne, l'agneau immolé, de recevoir puissance, richesse, sagesse, force, honneur, gloire et louange. L’Agneau est digne de recevoir puissance, richesse, sagesse, force, honneur, gloire et bénédiction, reflétant la plénitude de la louange théocratique.
13 Et toute créature au ciel, sur terre, sous terre et sur mer, tous les êtres qui s'y trouvent, je les entendis proclamer : A celui qui siège sur le trône et à l'agneau, louange, honneur, gloire et pouvoir pour les siècles des siècles. La vision culmine dans l’adoration universelle, liant Créateur et Rédempteur. L’Agneau, par sa mort et sa résurrection, est élevé à la dignité divine : toute création reconnaît sa seigneurie.
14Et les quatre animaux disaient : Amen ! Et les anciens se prosternèrent et adorèrent. Les vingt-quatre anciens se prosternent de nouveau, bouclant le cycle de l’adoration liturgique et théologique.

Synthèse théologique

Le chapitre 5 constitue le pivot christologique et soteriologique de l’Apocalypse. Après la présentation du trône et du culte céleste (chap. 4), l’attention se concentre sur celui qui est digne d’exécuter le plan divin. L’Agneau apparaît comme figure paradoxale : immolé mais debout, faible aux yeux du monde mais victorieux et omnipotent en réalité. Il incarne l’unique médiation entre la souveraineté absolue de Dieu et le déroulement de l’histoire humaine. La structure du texte montre que sans l’Agneau, le plan divin reste scellé : aucun ange, aucun ancien, aucun être terrestre ou céleste ne peut intervenir. Cela souligne la singularité du Christ dans le dispositif eschatologique.

Le symbolisme est ici particulièrement dense : le livre scellé exprime la totalité du dessein de Dieu ; les sept sceaux la plénitude et l’inaccessibilité de ce plan avant l’action rédemptrice ; les sept cornes et sept yeux de l’Agneau la perfection de sa puissance et de sa connaissance. Le chap. 5 met également en lumière la liturgie céleste comme cadre de compréhension du salut : prosternation, chants, harpes et encens traduisent la reconnaissance universelle de l’autorité et de la victoire de l’Agneau. La liturgie devient interprétation de l’histoire et révélation de la dignité messianique.

Théologiquement, le chapitre insiste sur la victoire du Christ comme préalable à l’exécution du plan divin. La notion de « nouveau cantique » souligne l’originalité et la nouveauté de son œuvre, réconciliant création et rédemption. La participation des croyants (anciens) et de la création (quatre êtres vivants, myriades d’anges, toute créature) à la louange exprime l’insertion du monde créé dans la finalité divine.

Enfin, le chapitre établit le lien direct entre christologie et eschatologie : le Christ est glorifié non seulement pour sa victoire passée, mais pour sa capacité à mener à terme le projet de Dieu sur l’histoire. Cette centralité de l’Agneau préfigure les jugements, trompettes et coupes qui suivront : le livre s’ouvrira sous sa direction. La perspective eschatologique est ici liturgique, cosmique et ecclésiale à la fois, préparant le lecteur à comprendre les événements futurs comme orchestrés par celui qui est à la fois sacrifié et glorifié.

En résumé, Apocalypse 5 introduit le Christ médiateur et victorieux, centre de la révélation et de l’action eschatologique. Le chapitre combine christologie, liturgie céleste, eschatologie et cosmologie pour montrer que le salut et l’histoire du monde sont gouvernés par la puissance de l’Agneau immolé, reconnu et adoré dans toutes les sphères de la création. La lecture de ce chapitre ne se limite donc pas à la contemplation : elle forme le cadre interprétatif de tout le déroulement apocalyptique qui suit.

Suite : Commentaire du chapitre 5