Le transhumanisme

Nous avons souligné au début de notre étude que l’être humain se différencie de l’animal à travers l’invention de l’outil. N’est-ce pas le commencement d’une transformation de la nature humaine ?

En ce sens, le premier silex taillé en tant qu’outil distinct du corps, entraîne une évolution de l’humain vers autre chose que le biologique. L’homme se distingue de l’animal tout en l’imitant. Il invente des palmes, masque et tuba pour explorer les profondeurs marines ; il invente des ailes pour voler dans les airs. Ce qui fait dire à Teilhard que « l’artificiel n’est rien d’autre que du naturel hominisé ».

Le transhumanisme dans sa version actuelle s’appuie sur les sciences et les techniques dans le but d’améliorer les capacités humaines, tant physiques que mentales. Quelle limite fixer en sachant que les chercheurs franchiront toujours les bornes érigées par l’éthique ? Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, nous pouvons être améliorés, augmentés, transformés et dépassés. Les transhumanistes espèrent même « tuer » la mort. L’objectif est de devenir maître de sa propre vie en transcendant les limites de la biologie humaine.

Demain les technologies NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives) investiront notre corps dans le but d’éviter les maladies, d’étendre notre mémoire, d’allonger notre espérance de vie, de modifier notre identité sexuelle. Dans cette perspective, l’humanité ne sera plus soumise aux lois de l’évolution naturelle. Elle se façonnera elle-même, mais comme une machine artificielle avec le risque de voir cette négation de la nature entraîner une déshumanisation.

La tentation de s’améliorer dans tous les domaines sera grande avec le danger de voir une humanité éclatée en personnes naturelles et personnes augmentées, avec une domination des secondes sur les premières. Mais voudrions-nous renoncer à une amélioration notoire de nos capacités ? Imaginons que tous nos membres puissent être remplacés et que notre cerveau puisse être remis à neuf. Serions-nous encore le même ? Ne perdrions-nous pas notre identité et notre nature ? La parabole du bateau de Thésée illustre cette problématique.

La finalité thérapeutique du transhumanisme est louable ; faire marcher un paralytique ou rendre la vue à un aveugle est une bonne intention. Jésus n’a-t-il pas agi de même ? Mais la volonté de modifier la nature même de l’humanité et de proposer une voie de salut au regard de la mort pose question.

Un être parfait n’a besoin de rien. Aurons-nous encore besoin des autres lorsque toutes nos envies seront comblées par la technique ? Le manque nous pousse à être inventifs. Le trop-plein nous noie. Un corps mécaniquement parfait et impérissable est-il encore en mesure de donner et de recevoir de l’amour ?

La notion d’amortalité, autrement dit l’idée que l’on pourrait transformer la mort en un phénomène purement contingent, dépendant entièrement de notre libre-arbitre individuel, résume à mon sens de manière emblématique le rapport fantasmatique au monde, à la nature et au vivant qu’entretiennent les transhumanistes et la profonde illusion sur laquelle reposent leurs idéaux d’un humain augmenté par les technosciences. Toute la pensée transhumaniste repose à vrai dire sur une véritable conception extra-terrestre de l’être humain. La question de la liberté et de l’émancipation humaine y sont en effet entièrement pensées sous le prisme de la délivrance. Prisme à travers lequel nos limites, notre matérialité, notre corporéité, notre fragilité, notre vulnérabilité, notre finitude, c’est-à-dire en définitive tout ce qui tient à notre appartenance au monde vivant, au fait que nous soyons des êtres vivants, sont appréhendées sinon négativement, du moins comme autant d’obstacles et de freins à notre développement qui nécessitent d’être levés. Nicolas Le Dévédec. https://www.cairn.info/dossiers-2023-13-page-1.htm.