Que faire du reste de ma vie ?
Curieuse question. Il serait sans doute plus juste de dire "Que faire de la suite de ma vie ?" Nous n'en sommes pas tous au même stade, en fonction de notre âge, de notre santé ou des difficultés que nous traversons.
Introduction - Une seule vie !
Gérald de Palmas
Il faut que quelqu'un m' aide
Je n' ai qu'une seule vie
À trouver le remède
Je n' ai qu'une seule vie
Chaque jour cette pensée m'obsède
Je n' ai qu'une seule vie
Et comme Gérald de Palmas, nous aimerions que quelqu’un nous aide à trouver un remède à tous les problèmes qui nous assaillent : « Si seulement on avait deux vies ! La première où on commet les erreurs… la seconde où on profite de l’expérience ! ». On dit parfois que pour avoir une maison parfaite, il faudrait en construire 3. Combien faudrait-il d'existences pour que nous soyons pleinement heureux ? 3, 5, 10 ? C’est vrai que ce serait vraiment pas mal si on pouvait avoir deux vies, voire davantage, la première où l’on pourrait faire des bêtises ou des erreurs et la deuxième où l’on pourrait profiter de l’expérience pour se corriger, la troisième pour se corriger encore. Mais il n’en est pas ainsi, contrairement à certaines philosophies bouddhistes ou hindouistes, nous montons directement et une seule fois sur la scène de notre vie. Il n’y aura qu’un seul lever de rideau et un seul tomber de rideau.
Nous sommes tous, ici ce matin, parvenus à des stades différents de notre histoire et personne d’entre nous ne sait combien de temps de vie il nous reste sur cette terre. Il y a des jeunes et des jeunes depuis plus longtemps. Nous avons vécu des choses différentes, des bonnes et des moins bonnes, des belles et des moins belles. Il se peut que nous ayons fait de petites ou de grosses bêtises. Il se peut que nous subissions des épreuves sans les avoir méritées ou recherchées.
Peu importe que nous ayons fait des erreurs, que nous ayons laissé passer des opportunités, que nous ayons démarré « plus tard » dans certains domaines de notre vie ou si quelque chose est arrivé qui nous a empêchés d’avancer pendant des années. Le message chrétien est un message d'espérance ; il nous dit que nous pouvons faire quelque chose de beau, de bon, de bien pour le reste de notre vie. Du coup, la question est : « comment tirer le meilleur parti des années qui sont encore devant moi ? ».
I - Que faire ?
Interrogeons-nous tout d’abord sur notre place, notre rôle dans le monde.
1 - Être dans le monde sans être du monde
Cette proposition peut nous sembler paradoxale. Elle dit que nous appartenons au monde, avec un héritage génétique, culturel et historique, au sein d’un environnement social, familial et amical. En tant que chrétien, nous devons avoir un comportement différent de ce que le monde nous propose.
Évangile selon saint Jean 15,18-21 : En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Si le monde a de la haine contre vous, sachez qu’il en a eu d’abord contre moi. Si vous apparteniez au monde, le monde aimerait ce qui est à lui. Mais vous n’appartenez pas au monde, puisque je vous ai choisis en vous prenant dans le monde ; voilà pourquoi le monde a de la haine contre vous.
L’image du monde
Quelle image de l'homme et de la femme nous propose le monde d'aujourd'hui ? On pourrait résumer cette image en disant : il faut être les plus forts et les plus beaux, paraître intelligent et jeune. Il faut obtenir le maximum de rendement, suivre ses envies, parfois au détriment des autres.
Il suffit de regarder la publicité ou de feuilleter les magazines ; on constate que l'homme et la femme y sont idéalisés, beaux comme des dieux, sans défaut, apparemment sans souci. Mais cette image est bien loin de la réalité. Dans une publicité pour vêtement, dans le métro parisien, quelqu’un avait rajouté à la main : « Même si vous achetez tout ce qu’ils portent sur eux, vous ne leur ressemblerez pas ».
Les moutons de Panurge
Le monde ressemble aussi à des moutons de Panurge. On suit le voisin, le collègue sans se poser de question. On se jette à l’eau même si on ne sait pas nager. On veut acheter le dernier modèle de smartphone pour faire comme son copain de classe. Saint Paul nous dit :
Rm 12,2 : Ne vous conformez pas au monde, mais soyez transformés par le renouvellement de l'intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait.
Une traduction littérale dit même : « ne laissez pas le monde vous presser dans son moule », et çà, ce n’est pas facile, car la pression qui s’exerce sur nous est très forte.
Le syndrome du caméléon
Il nous faudra alors lutter contre le syndrome du caméléon ! Vous savez cette petite bête sympathique qui change de couleur selon les circonstances ; couleur chrétien quand on est à Alpha ou à la messe du dimanche et couleur monde quand on est au travail ou dans le métro en se fondant gentiment dans le paysage.
J’ai lu quelque part qu’on a fait un jour une expérience avec un caméléon. Je ne sais pas si c’est une blague, l’essentiel est d’en retenir le message : on met le caméléon sur un tissu jaune, alors progressivement il devient jaune, on le met sur un tissu rouge, alors progressivement il devient rouge. On le met ensuite sur un tissu écossais ou sur un madras des Antilles pour étudier sa réaction. Il paraît qu’il a explosé !!!! Parce qu’il ne savait plus comment se fondre dans le tissu multicolore.
Ce soir, lorsque nous aurons retrouvé notre quotidien, il faudra faire attention de ne pas exploser en vol en essayant vainement de nous fondre dans le tissu du monde où se dit tout et son contraire. Il nous faudra rester nous-mêmes au cœur même de ce monde auquel nous appartenons.
Un beau week-end comme celui que nous vivons ici nous porte vraiment dans la foi. Nous sommes ici, un peu, sur notre petit nuage, nous sommes bien entre nous ; tout le monde est beau et gentil (si ! si !, même mieux que dans les magazines) ; la nature est belle ; les échanges formidables ; mais lorsque nous redescendrons de notre nuage et que nous retournerons dans le monde dès lundi matin, la pression s’exercera subtilement sur nous pour « être comme les autres ».
Prenons quelques exemples dans la vie courante pour essayer de comprendre ce que cela veut dire concrètement : être dans le monde sans être du monde.
Les ragots
Les ragots, on connaît tous cela par cœur dans une discussion entre amis autour de l’apéro, on est en train de dire du mal de quelqu’un. Tout le monde connaît çà ! Et tout le monde sait que chacun est terriblement tenté de dire : « Allez ! Vas-y ! Parle, dis ce que tu sais ! » Et, parfois même, on en rajoute une petite couche, mine de rien.
On ragote pour s’intégrer dans un groupe ; on partage un secret en soulignant « tu gardes ça pour toi ! ». On se donne un sentiment d’importance et de supériorité.
Par exemple, deux collègues, un homme et une femme qui ont chacun un conjoint passent beaucoup de temps ensemble. La situation l’exige, car ils doivent terminer un projet important dans un court laps de temps. Quelqu’un lance la rumeur qu’ils ont une liaison au travail. En se propageant, cette rumeur pourrait détruire leur réputation professionnelle et leur union. (Écouter la chanson La rumeur d’Yves Duteil).
Les chrétiens que nous essayons d’être devraient être différents ! Ils devraient au minimum se taire, mais surtout trouver des choses positives à dire sur chaque personne. Il faut transformer le ragot en commentaire positif. Vous n’avez jamais remarqué le nombre de compliments que l’on fait sur une personne au moment de sa sépulture. Pourquoi attendre ce moment ?
Les récriminations (on se plaint)
On se plaint continuellement à propos des clients, des collègues, du patron, des impôts, du sale temps qu’il fait, du caractère de ma belle-mère. Un chrétien ne devrait pas dire cela ; il devrait dire : « change mon regard », « change le cœur de celui-là qui m’énerve et change aussi le mien ! ». L’Esprit Saint peut opérer peu à peu en nous ce changement si nous le lui demandons. Je pense à la petite Thérèse de Lisieux qui n’appréciait pas du tout une de ses consœurs. Thérèse manifestait tellement de gentillesse à l’égard de cette religieuse qu’un jour celle-ci lui a demandé : pourquoi êtes-vous si gentille avec moi. Parce que je vous aime. Aimez vos ennemis !
L'argent
Concernant l’argent, il en faut pour vivre et une petite augmentation nous fait toujours plaisir. Dans la parabole du jeune homme riche, Jésus rencontre un homme qui respecte à la lettre la loi, tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne commettras pas l’adultère. Jésus trouve cela formidable :
Mc 10, 21-22. Alors Jésus fixa sur lui son regard et l'aima. Et il lui dit : « Une seule chose te manque : va, ce que tu as, vends-le et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; puis, viens, suis-moi. » Mais lui, à ces mots, s'assombrit et il s'en alla contristé, car il avait de grands biens.
Ce qui est en cause ici, ce n’est pas la richesse en tant que telle, mais l’enfermement du jeune homme sur lui-même, sur l'observation scrupuleuse de la loi et sur sa richesse. Ce jeune homme avait l’âme d’un pharisien qui respectait scrupuleusement les 613 préceptes de la loi mosaïque. Ce qu'il a manqué au jeune homme riche, ce n'est pas une vertu supplémentaire, ce n'est pas une qualité nouvelle à acquérir pour sa propre perfection, c'est simplement d'avoir les yeux ouverts sur quelqu'un d'autre que lui. Ce jeune homme était possédé par sa richesse. De Gaulle parlait de ces « possédants, possédés par ce qu’ils possèdent ». Vendre ses biens aurait été pour lui l’occasion de s’ouvrir à quelqu’un d’autre que lui-même. Et il n'a pas résisté à cette épreuve du feu. Et il s'en alla tout triste.
La Bible n’interdit pas d’avoir des biens ni de gagner de l’argent. Ce qui est condamné, c’est l'accumulation égoïste de ces biens. La richesse doit servir le bien commun. On ne peut pas servir Dieu et l’argent (Mt 6,24). Notre pape François souligne que nos biens nous rendent soucieux et que nous sommes anxieux parce que nous avons peur de perdre.
Du bon vieux temps
C'était mieux avant ! Chaque génération l'affirme, parce que cet "avant" correspond à une période de jeunesse et d'insouciance. En remontant ainsi de génération en génération, nous remontons au jardin mythique des origines.
2 - Être chrétien dans le monde
L’écueil du repli
Il y a un écueil à éviter : ne pas vouloir être dans le monde. On se met à distance pour se protéger d’influences néfastes. On prend soin de rester entre nous, entre gens triés sur le volet, à notre image et à notre ressemblance, au risque du repli communautaire, au risque de réflexes identitaires qui enferment plus qu’ils n’ouvrent à notre mission de chrétien. Un chrétien se doit de s’ouvrir au monde et aux autres.
Se dire chrétien
Il nous faut du courage aujourd’hui pour s’affirmer chrétien tellement les pressions sont fortes de se conformer au monde, particulièrement chez les jeunes qui sont soumis, même inconsciemment, à la pression et à la loi du groupe.
Une expérience le montre bien. Dix adolescents sont réunis officiellement pour un test visuel, mais en fait pour tester les effets de la pression du groupe sur le jugement de chacun. On leur présente trois lignes A, B, C et on leur demande de désigner quelle est la plus longue. Le test est truqué : 9 des 10 jeunes ont reçu la consigne de désigner la ligne B comme étant la plus longue (alors qu’en fait elle est de taille moyenne). Le dixième ne savait rien. 9 mains se sont levées pour désigner la ligne B comme la plus longue. Le dixième jeune qui n’était pas dans le coup a ensuite expliqué : « En voyant les mains se lever, je me suis dit que je n’avais peut-être pas compris les consignes ; j’ai décidé de faire comme tout le monde de peur que les autres se moquent de moi ».
Les chercheurs ont alors généralisé le test : eh bien plus de 75% de sujets testés affirment – sous la pression du groupe – que la ligne de taille moyenne est la plus longue ! La plupart n’ont pas eu le courage de dire : « je ne peux pas vous l’expliquer, mais vous avez tort ».
Or ce qui est vrai est vrai, même si personne n’ose le reconnaître sous la pression du groupe ; ce qui est faux reste faux, même si la majorité se met d’accord pour dire le contraire. Ce n’est pas parce qu’une loi est légale qu’elle est nécessairement et ipso facto morale d’où la reconnaissance de l’objection de conscience la possibilité de dire « non en conscience je ne peux pas faire cela ! ». Dans certains pays la GPA est légale, est-elle morale pour autant ?
Être des témoins
Être chrétien dans le monde, c'est essayer de faire passer des valeurs qui ne sont pas toujours celles du monde. On nous demande d’être des martyrs au sens étymologique du terme, c'est-à-dire des témoins du Christ. Mais il ne nous est pas demandé à tous de descendre dans l'arène pour être dévorés par des lions. À chacun sa vocation.
Par ailleurs, le courant du monde est de plus en plus rapide. Les progrès technologiques, la libération des mœurs, la mondialisation nous mettent en face de défis éthiques qui n'existaient pas il y a encore un demi-siècle. Le chrétien doit alors se positionner comme un phare dans le courant et essayer d'orienter celui-ci. Notre rôle n'est pas d'empêcher le monde d'avancer, mais essayer de le faire avancer dans la bonne direction. Nous sommes des acteurs de la vie sociale, économique, politique, technologique. Nous sommes appelés à être des témoins là où nous vivons, dans la quotidienneté de nos tâches humaines.
Notre rôle de chrétien est d’affirmer notre identité, d’afficher nos opinions et de lutter en fonction des talents que nous avons reçus. Etre pleinement soi, cela ne veut pas dire nous comporter de manière bizarre, ultra pieuse, ni parler un jargon religieux, ou porter des vêtements excentriques comme la robe en viande de Lady Gaga pour nous démarquer. Non, le but est de devenir pleinement qui nous sommes. Car en imitant Jésus, nous devenons pleinement la personne que nous sommes appelés à être.
Jésus était quelqu’un d’authentique, qui n’a pas cherché à plaire aux autres, mais à être conforme à la volonté de Dieu. Pour nous, cela implique de nous laisser renouveler, transformer par l’Esprit-Saint. Suivre le Christ, c’est être libre d’être pleinement soi, c’est abandonner les modèles et les habitudes qui nous tirent vers le bas.
Se laisser transformer peut faire peur. Peut-être que vous ressentez cette crainte, voire cette angoisse du changement. Que va-t-il advenir de moi ? En quoi vais-je me transformer ?
Annoncer Jésus
Le christianisme ne nous demande pas de suivre le monde, mais de suivre Jésus dans le monde, en d’autres termes devenir des disciples missionnaires. Notre pape François souligne dans La joie de l’Évangile :
15. L’activité missionnaire « représente, aujourd’hui encore, le plus grand des défis pour l’Église » et « la cause missionnaire doit avoir la première place ».
Être disciples missionnaires, cela veut dire Recevoir, Suivre (ou Servir), Annoncer (RSA). Recevoir une formation, les sacrements. Suivre Jésus en prenant sa croix, en renonçant à être le plus fort et le plus beau. Annoncer Jésus-Christ et la bonne nouvelle de l’Évangile.
Je ne sais pas si vous avez déjà essayé d’évangéliser (de faire connaître et aimer Jésus) des personnes de votre entourage (famille, amis, collègues) ? Souvent, ceux et celles qui ont tenté l’expérience doivent avouer que leur expérience n’a pas été un franc succès. Beaucoup ont essuyé des revers polis et/ou impolis lorsqu’ils ont essayé par exemple d’introduire le sujet de Jésus lors d’une conversation amicale. Alors devant de telles difficultés, la plupart des gens se découragent et laissent vite tomber la serviette en se disant que cela n’est pas pour eux (elles). Ce qui est certain, c’est qu’évangéliser est une « mission impossible » sans l’inspiration et l’aide de l’Esprit Saint.
Quand on regarde l’expérience des Apôtres dans les évangiles, on s’aperçoit que pour eux aussi la mission d’annoncer le Royaume de Jésus n’a pas été facile. Ils ont dû vivre, eux aussi, bien des incompréhensions, des insuccès et des rebuffades quand ils ont osé annoncer le Salut en Jésus Christ.
Être chrétien est radical. Il ne s’agit pas de se dire « Oh je vais être plus gentil, plus sympa. » Tout est centré sur cet amour absolu : aimer Dieu, aimer les autres, aimer son ennemi, savoir s’aimer soi-même. Tout ça est possible car Dieu le premier nous aime, tels que nous sommes, avec toutes nos faiblesses et malgré nos erreurs. Il pardonne à celui qui se repent et ne lui tient plus compte de ses fautes. C’est ça laisser derrière nous les « déchets et la pollution » de notre vie. C’est compter sur l’amour de Dieu pour être pardonné, restauré, relevé, et ainsi pouvoir aller de l’avant, prendre un nouveau départ, avec et pour Dieu.
II - Comment y parvenir ?
1 - Se mettre en route
Chacun sa route
Pape François, Joie et allégresse, 11. « Chacun dans sa route », dit le Concile. Il ne faut donc pas se décourager quand on contemple des modèles de sainteté qui semblent inaccessibles. Il y a des témoins qui sont utiles pour nous encourager et pour nous motiver, mais non pour que nous les copiions, car cela pourrait même nous éloigner de la route unique et spécifique que le Seigneur veut pour nous. Ce qui importe, c’est que chaque croyant discerne son propre chemin et mette en lumière le meilleur de lui-même, ce que le Seigneur a déposé de vraiment personnel en lui (cf. 1 Co 12, 7) et qu’il ne s’épuise pas en cherchant à imiter quelque chose qui n’a pas été pensé pour lui.
Il n’est jamais trop tard
La Bonne Nouvelle c’est de dire qu’avec Jésus il n’est jamais trop tard pour se mettre en route, quelles que soient notre histoire, nos errances et nos blessures. Christian Bobin dit cette belle phrase : « Il y a une étoile mise dans le ciel pour chacun de nous, assez éloignée pour que nos erreurs ne viennent jamais la ternir ». Des nuages peuvent obscurcir notre ciel, mais il suffit d'un vent d'espoir pour qu'elle réapparaisse et que nous reprenions la route.
Les disciples d’Emmaüs
Prenons l’exemple des disciples d’Emmaüs. Deux disciples croient en Jésus. Oui, mais voilà Jésus est mort sur une croix. L’espoir de toute une vie s’effondre. Ils quittent Jérusalem, tristes et amers. Et c’est sur la route de leur désespoir que le Christ ressuscité vient les rejoindre. Et leur foi renaît encore plus belle qu’auparavant. La nouvelle route que nous propose Jésus n’est pas forcément celle dont nous rêvions.
La femme adultère
Autre exemple : celui de la femme adultère. Comme je le disais au début, nous avons tous fait des bêtises plus ou moins grosses. Cette femme a commis l’adultère et mérite la mort par lapidation. On l’amène à Jésus. Jésus se contente d’écrire sur le sol. Puis il dit cette phrase :
Jn 8,7-11 « Que celui d'entre vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre ! ». Tous s’en vont à commencer par les plus vieux. (Et Jésus termine en redonnant à cette femme sa dignité) Alors, se redressant, Jésus lui dit : « Femme, où sont-ils ? Personne ne t'a condamnée ? » Elle dit : « Personne, Seigneur. » Alors Jésus dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus. »
Cette femme était condamnée à mort. Jésus la sauve ; il lui redonne une nouvelle vie.
Sœur Emmanuelle
Je voudrais aussi citer l'exemple de sœur Emmanuelle pour montrer que l’on peut prendre une nouvelle route très tardivement. Elle a trouvé le véritable sens de sa vie à l'âge où la plupart des gens prennent leur retraite pour se reposer. À 63 ans, au lieu de se retirer du monde pour savourer sa retraite d’enseignante, elle y entre de plain-pied en décidant de se consacrer aux pauvres du Caire. Elle répétait souvent cette leçon : « N'importe quel jour de la vie est bon pour commencer. Tu peux donner un sens à ta vie quand tu veux ».
2 - Se donner du temps
Un cadeau pour construire une demeure
Nous sommes de plus en plus aptes à maîtriser l’espace et de plus en plus mauvais pour maîtriser notre temps.
Pape François, Gaudium et exsultate (joie et allégresse), 29. Cela n’implique pas de déprécier les moments de quiétude, de solitude et de silence devant Dieu. Bien au contraire ! Car les nouveautés constantes des moyens technologiques, l’attraction des voyages, les innombrables offres de consommation, ne laissent pas parfois d’espaces libres où la voix de Dieu puisse résonner. Tout se remplit de paroles, de jouissances épidermiques et de bruit à une vitesse toujours croissante. Il n’y règne pas la joie, mais plutôt l’insatisfaction de celui qui ne sait pas pourquoi il vit. Comment donc ne pas reconnaître que nous avons besoin d’arrêter cette course fébrile pour retrouver un espace personnel, parfois douloureux, mais toujours fécond, où s’établit le dialogue sincère avec Dieu ?
Nous vivons dans un monde où nous courrons après le temps, ce qui est un leurre, car il impossible d’attraper le temps. Il est par contre possible de se donner du temps, de s’offrir du temps.
Le temps représente le matériau indispensable pour édifier la demeure intérieure, et d’abord en assurer les fondations. Le temps est supérieur à l’espace nous dit le pape François (La joie de l’Évangile 222). La durée est plus importante que l’immédiateté. La fidélité est plus forte que le zapping.
Prendre son temps, ce n’est pas ne rien faire, mais partir à l’aventure : se découvrir, apprécier ses ressources personnelles, mesurer ses faiblesses, développer des qualités (écoute, patience, attention, discernement), étudier et approfondir toute chose. C’est aussi prendre du recul et de la hauteur par rapport au quotidien, aux modes et modèles imposés. Par exemple ne pas emporter son portable lors d’une promenade. C’est la voie d’apprentissage de la liberté.
L’Évangile rappelle qu’avant de bâtir une tour, il est bon de s’asseoir et de méditer afin d’aller jusqu’au bout de sa tâche (Lc 14,28). C’est aussi l’adage cher aux humanistes de la Renaissance, « festina lente » (« hâte-toi lentement »). C’est aussi l’histoire du moine zen parti se promener dans la montagne. À son retour, le disciple intrigué et zélé demande avec insistance où le maître est allé, quel chemin il a emprunté. Et le moine répond simplement : « J’ai suivi l’odeur des fleurs du chemin et j’ai flâné au gré des jeunes pousses. »
Passer du temps avec Dieu
Il nous faut, pour tenir la relation avec Dieu sur la durée, communiquer avec lui. Passez du temps avec lui en prière, étudiez la Bible. Le matin, au lieu d’allumer la radio en vous levant (ce qui, le plus souvent, nous met le moral à zéro), formons plutôt sur nos lèvres une phrase de l’Écriture : « Seigneur, ouvre mes lèvres et ma bouche publiera ta louange ! » C’est ce que toute l’Église demande à son Seigneur dans la prière des Laudes que chantent les moines et les moniales, les prêtres, les diacres, mais aussi de plus en plus de chrétiens laïcs. Le pape François nous exhorte à rencontrer Jésus :
J’invite chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus Christ ou, au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse. Il n’y a pas de motif pour lequel quelqu’un puisse penser que cette invitation n’est pas pour lui, parce que personne n’est exclu de la joie que nous apporte le Seigneur (La joie de l’Évangile 3).
Nous pouvons rencontrer Jésus dans la prière, les sacrements ou tout simplement dans nos relations.
Passer du temps avec d’autres chrétiens
Il nous faut aussi passer du temps avec d’autres chrétiens. Peut-être avez-vous éprouvé cela : vous venez au parcours Alpha ; vous passez une bonne soirée, amicale, stimulante, réconfortante ; vous sortez regonflés à bloc. Puis au fur et à mesure que la semaine passe, vos forces déclinent.
Parfois, à la fin du parcours Alpha, certains disent : « C’est fini on ne va plus se voir, mais qu’est-ce qu’on va devenir maintenant ? » Cela prouve que nous avons besoin les uns des autres. Si nous restons seuls dans notre coin, nos forces et notre enthousiasme vont décliner, c’est sûr ! Ce n’est que dans la communauté chrétienne que notre foi grandit et s’épanouit. Un chrétien isolé est un chrétien en danger.
Se donner du temps comporte donc de multiples directions.
3 - De multiples directions
Sortir des sentiers battus
« Ne demande pas ton chemin, tu ne pourrais pas t’égarer », disait rabbi Nahman de Bratslav, grande figure du hassidisme (mouvement juif). Le conseil peut paraître extravagant à nos contemporains, obsédés par l’efficacité, les résultats rapides et le profit immédiat, qui, à force de courir, s’éparpillent et se perdent.
La voie buissonnière paraît hasardeuse, risquée, mais elle est ouverte, dynamique, propice à l’inattendu, aux rencontres étonnantes. Déjà, ce temps de recul et de réflexion, comme ce week-end alpha, permet de se dégager des divers conditionnements et de ses propres illusions. Devenir soi, c’est d’abord ne pas imiter, ne pas suivre ni répéter, mais creuser sa propre route.
Dans la vocation d’Abraham, Dieu dit « Va quitte ton pays » et l’auteur de l’épître aux Hébreux d’ajouter : « il partit sans savoir où il allait (Hé 11,8). Vous connaissez la suite de l’aventure et nous sommes les héritiers d’Abraham.
Partir au désert
Comme l’affirment tous les mystiques, c’est la soif qui fait surgir la source. Les psychanalystes disent en d’autres termes que le manque creuse le désir. En ce temps de retraite, nous sommes invités à partir au désert au risque d’avoir soif. Alors peut-être surgira une source au détour d’un chemin que nous ne connaissions pas.
C’est dans un vase fêlé que la lumière entre. Nos corps sont façonnés avec l’argile de la Genèse. Si nous avons soif, alors notre corps se crevassera comme une terre et l’Esprit pourra s’y répandre.
Rester en silence et écouter
Rester en silence, fermer les yeux et écouter. Ce n’est pas s’enfermer, se couper des autres et du monde, mais aller vers l’intérieur, devenir attentif et disponible ; c’est accueillir les signes de l'Esprit qui, pour l’âme, sont plus fiables que les cartes routières et les GPS. Soyons comme Marie, la sœur de Marthe. Le Christ a déclaré à cette dernière :
Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour beaucoup de choses. Une seule chose est nécessaire. Marie a choisi la bonne part, qui ne lui sera point ôtée (Luc 10,41-42).
Pour prioriser les choix, il faut se mettre à l'écoute de la parole de Dieu qui parle par son Esprit à travers la méditation, la prière, les sacrements ou tout simplement la nature. Le pape François dit cette belle phrase dans son encyclique Laudato si :
La nature est pleine de mots d’amour, mais comment pourrons-nous les écouter au milieu du bruit constant, de la distraction permanente et anxieuse, ou du culte de l’apparence ?
Prenons-nous seulement le temps d’écouter ce que Dieu a à nous dire ? Notre porte reste parfois obstinément fermée. William Holman Hunt (1827-1910) peintre londonien, auteur d’un tableau intitulé, « Lumière du monde », représente Jésus tenant une lampe à la main devant une maison. Il frappe à la porte bien fermée. La porte est sans poignée et ne s’ouvre donc que de l’intérieur. Dieu habite là où nous le laissons entrer. Mais entendons-nous l’étranger frapper à notre porte ?
Ap 3,20 Voici, je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui, je souperai avec lui, et lui avec moi..
Revoir nos priorités
Il nous faut pour cela d’abord examiner quelles sont nos priorités dans la vie. Notre vie familiale, notre travail, notre place dans le monde font partie de notre vocation. Mais quand nous disons à Dieu « Je veux te suivre », nos priorités changent. En tout cas, il faut être conscient qu’on peut se tromper dans ses priorités, comme dans cette petite annonce : « Agriculteur cherche jeune femme avec un tracteur, pour amitié et mariage si affinités. Prière d’envoyer une photo du tracteur. »
Certains ont pour seul objectif de s’enrichir. On demandait un jour à Rockefeller combien il lui fallait d’argent pour être heureux. Réponse : « un peu plus ». D’autres ont des ambitions de pouvoir : devenir PDG d’une grande entreprise, ministre, président de l’amicale des joueurs de boules, curé, évêque, pape. Aucun de ces objectifs n’est mauvais en soi, au contraire ils peuvent avoir un impact important sur la vie de beaucoup, faire avancer le Royaume et la justice de Dieu. Jésus précise l’ordre de nos priorités :
Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné, par surcroît (Mt 6,33).
Un exemple de discernement (Philippe) : Je suis à bord d’une auto 2 places. Je suis célibataire. J’arrive à un arrêt de bus et il y a grève des bus. À cet arrêt, il y a un homme allongé qui fait un malaise ; il y a un curé qui doit absolument se rendre à un mariage pour le célébrer ; et enfin la plus belle femme (homme) du monde. Là, je me pose la question : qui vais-je emmener ?
Nous pouvons aussi relire la parabole des gros cailloux.
4 - Du lâcher-prise à l’abandon
Lâcher prise
Il y a beaucoup de routes dans notre existence que nous choisissons et dont nous maîtrisons peu ou prou les virages et la destination. Mais il y a des routes que nous subissons, des virages que nous ne contrôlons pas et des fossés dans lesquels nous nous enlisons sans l’avoir recherché. Ces destins subis se présentent sous la forme d’un licenciement, d’une maladie, d’une séparation, etc. Nous pourrions tous citer de telles fatalités, petites ou grosses.
C’est au cœur de ces circonstances que nous mesurons toute notre impuissance. Il faut alors consentir à un lâcher-prise. Lâcher prise, c’est cesser d’aborder l’existence avec une mentalité d’assuré tous risques, c’est taire son ego, le « moi je » qui veut tout contrôler par lui-même et qui n’a pas besoin des autres. Quelle que puisse être la prétention du moi à contrôler l’avenir, il y a des choses qui m’échappent.
Toute la sagesse pratique du lâcher-prise se trouve sans doute synthétisée dans la magnifique prière des Alcooliques anonymes :
Donnez-moi la sérénité d’accepter les choses que je ne peux pas changer, le courage de changer celles que je peux changer et la sagesse d’en voir la différence.
Abandon
La foi chrétienne nous propose d’aller plus loin que le lâcher-prise. Elle nous invite à nous abandonner dans les mains du Père (a-bandon = se mettre sous la bannière de). On lâche prise de quelque chose et on s'abandonne à quelqu'un.
Si on m’annonce que je suis atteint d’un cancer, je suis invité d’une part à lâcher prise en remettant ma santé dans les mains des médecins et d’autre part à m’abandonner dans les mains du Père pour qu’il m’accompagne dans cette épreuve.
C'est la belle prière du bienheureux Charles de Foucauld : « Père, je m'abandonne à toi, fais de moi ce qu'il te plaira... ». La confiance permet ce passage du lâcher-prise à l'abandon des soucis de la vie. C’est alors que nous pouvons prier avec Jésus : « Que ta volonté soit faite, sur la terre comme au ciel. »
Conclusion : Aimer
S'il y a une chose que nous pouvons faire toute notre existence, c'est aimer. En langue grecque, il y a trois mots pour parler de l'amour : éros, philia et agapè. C'est trois mots traversent toute notre existence sous différentes formes. Eros, dans son sens de désir sexuel, est en général réservé à une seule personne. La philia au sens d'amitié touche déjà plus de personnes. Quant à l'agapè au sens évangélique de don de soi, il devrait concerner tout le monde, même nos ennemis.
Alors quel que soit notre âge, nous pouvons continuer à aimer au moins sous la dernière forme.
Tertullien, un des premiers Pères de l’Église (IIe) dit à propos des chrétiens « Regardez comme ils s'aiment ». Nous serions des témoins si les gens dans la rue se retournaient en se disant : « Tu as vu comme ils s’aiment, ce sont sûrement des chrétiens ». L'amour ne se cache pas. Soyons les témoins de l'amour !
Vis le jour d'aujourd'hui : Dieu te le donne, il est à toi ; vis-le en Lui.
Le jour de demain est à Dieu, il ne t'appartient pas, ne reporte pas sur le lendemain le souci d'aujourd'hui ; demain est à Dieu, remets le Lui.
Le moment présent est une frêle passerelle : si tu le charges de regrets d'hier, de l'inquiétude de demain, la passerelle cède et tu perds pied.
Le passé ? Dieu le pardonne ; l'avenir Dieu le donne.
Vis le jour d'aujourd'hui en communion avec Lui et, s'il y a lieu de t'inquiéter pour un être bien-aimé, regarde-le dans la lumière du Christ ressuscité.
Sœur Odette Prévost