Fin de vie
La fin de vie interpelle, car elle nous met face à à l'inconnu. Elle nous rappelle que tout passe et que nous sommes poussière. Quel est le sens de ces derniers instants. Faut-il les abréger en cas de souffrance physique et morale ?
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Les grandes lignes du projet de loi sur la fin de vie sont désormais connues. Le "droit à l'aide à mourir" selon le terme consacré sera réservée aux personnes :
- être âgé d’au moins dix-huit ans ;
- être de nationalité française ou résider de façon stable et régulière en France ;
- être atteint d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale ;
- présenter une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne lorsque celle-ci a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement ;
- être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée.
La mort appartient à la vie, comme son inéluctable dernier événement. Elle est l'événement irréversible par excellence. La très grande majorité des personnes ne choisit ni le jour ni l'heure de celle-ci. Des voix réclament la possibilité de choisir le moment de mourir. Ce désir résulte de plusieurs facteurs : une souffrance physique et morale ; une perte de sens ; une profonde lassitude... Nul ne peut se mettre à la place de ces personnes. Nous naissons par notre mère, mais nous mourrons seuls. Devons-nous rester maîtres de notre destin jusque dans les ultimes instants de notre vie ? La sagesse milite pour un lâcher-prise et un abandon. Le premier se met entre les mains des médecins et des accompagnateurs de fin de vie ; le second confie ses derniers instants dans les mains de Dieu. Cet idéal de sortie se heurte à la dure réalité de la fragilité humaine. La mort dans la dignité suppose l'acceptation de ses limites. La vie dans la dignité exige le concours des autres.
Quelle voie choisir lorsque la vie ne fait plus sens ? Lorsque plus aucun projet ne vient embellir l'avenir ? Lorsque la solitude entraîne le désespoir ? Vouloir mettre un terme à un non-sens est compréhensible. La question principale n'est donc pas d'autoriser ou d'interdire l'euthanasie, le suicide assisté ou l'aide à mourir, mais d'accompagner une personne en fin d'existence et lui apporter de la joie de vivre jusqu'à l'ultime seconde. Toute demande de mort cache une demande d'amour.
L'aide à mourir a-t-elle un sens ? Est-il seulement possible d'aider une personne à traverser la porte vers l'inconnu ou l'au-delà ou le grand sommeil, selon les convictions de chacun ? L'aide se situe avant, mais pas pendant. La mort demeure une épreuve solitaire, la dernière de l'existence. N'est-ce pas plutôt une aide à vivre ses derniers instants ?
Le déni de la mort est aussi dramatique que le désir de mourir. Le premier occulte notre nature humaine, alors que le second traduit une désespérance.
N'oublions pas que la mort est le destin des vivants. Nous allons mourir un jour et nous allons accompagner des êtres chers qui vont mourir. Notre société est thanatophobe et se protège contre l'idée de mort. Elle préfère ignorer la finitude qui l’angoisse.
La Conférence des responsables de culte en France (CRCF) – catholique, protestant, orthodoxe, juif, musulman et bouddhiste – alerte solennellement sur les graves dérives qu’implique la proposition de loi introduisant dans la législation française un « droit à l’aide à mourir ». Derrière une apparente volonté de compassion et d’encadrement, ce texte opère un basculement radical : il introduit légalement la possibilité d’administrer la mort – par suicide assisté ou euthanasie – en bouleversant profondément les fondements de l’éthique médicale et sociale.
1. Un langage qui travestit la réalité
La terminologie choisie – « aide à mourir » – masque la nature véritable de l’acte : l’administration volontaire d’un produit létal. Ce vocabulaire euphémisant, que la Haute Autorité de Santé elle-même qualifie de source de confusion éthique, dénature les mots pour désamorcer la gravité morale de l’acte. Qualifier une mort administrée de « naturelle » est une contrevérité qui vise à anesthésier les consciences et affaiblir le débat public.
2. Une rupture avec l’essence du soin
L’intégration de l’aide à mourir dans le Code de la santé publique constitue un dévoiement de la médecine. Elle heurte frontalement le serment d’Hippocrate et le principe fondamental du soin, qui vise à soulager, sans jamais tuer. De nombreux soignants expriment leur désarroi : être chargés de provoquer la mort d’un patient constitue une transgression radicale de leur mission, et risque d’instaurer une culture de la mort là où la médecine s’est toujours construite comme un service de soin à la vie.
3. Des garanties éthiques et procédurales gravement insuffisantes
Le texte actuel permet à un seul médecin d’autoriser un acte létal, sans procédure collégiale, ni évaluation psychiatrique. La Haute Autorité de Santé, dans ses avis successifs, insiste pourtant sur la nécessité absolue d’un discernement partagé, pluridisciplinaire, long et encadré. Le délai d’instruction de 15 jours suivi, le cas échéant, d’un délai de réflexion de seulement 48 heures – voire moins – va à l’encontre de tous les standards internationaux. Cette précipitation est indigne d’une décision irréversible et de la gravité de l’enjeu.
4. Une menace directe pour les plus vulnérables
L’instauration de ce « droit » risque d’exercer une pression sourde mais réelle sur les personnes âgées, malades ou en situation de handicap. La seule existence d’une telle option peut induire chez des patients une culpabilité toxique – celle d’« être un fardeau ». Dans les pays où l’euthanasie a été légalisée, les demandes ne cessent d’augmenter, et on observe une baisse inquiétante de l’investissement dans les soins palliatifs. Ainsi la promesse d’un accompagnement digne tend à s’effacer derrière une option terminale présentée comme solution.
5. Une atteinte à l’équilibre entre autonomie et solidarité
La loi proposée consacre l’autonomie individuelle au détriment des liens familiaux et sociaux. Elle érige l’autodétermination individuelle en absolu en écartant toute information ou consultation de proches, de l’équipe soignante, et tout accompagnement spirituel ou psychologique. Ce faisant, elle ne tient aucun compte de la dimension relationnelle et interdépendante de l’existence humaine. Ce choix solitaire risque fort d’occasionner des traumatismes et de blessures durables, notamment dans le cas d’une découverte a posteriori du décès d’un proche aidé au suicide ou euthanasié.
Un appel à la responsabilité politique et humaine
Devant cette possible rupture anthropologique, la CRCF appelle les parlementaires à faire preuve de discernement. Légaliser la mort administrée ne sera pas un progrès, mais une régression éthique, sociale et médicale. Il faut choisir l’investissement dans les soins palliatifs, la formation à l’écoute, l’accompagnement global des personnes jusqu’à la fin de leur vie. Ce choix est celui de l’humanité contre l’abandon, de la relation contre la solitude, du soin contre la résignation.
https://eglise.catholique.fr/espace-presse/communiques-de-presse/563926-fin-de-vie-crcf-dangers-rupture-anthropologique/
Les bénévoles-accompagnants en unité de soins palliatifs racontent, qu'au chevet des malades, ils font l'expérience de cette skholè comme moment d'éternité, ce mot étant entendu « comme une qualité illimitée et non comme une quantité illimitée.» Leur tâche, qui consiste non pas à faire, mais à être là, à être présent, leur donne l'intuition que, « dans la fin de vie, un autre temps s'établit, hors des mesures communes [...], le temps est la manifestation de l'être, [...] le temps prend deux visages : non seulement celui de la lenteur qui laisse éclore le moi dans ses dernières ouvertures, mais aussi celui d'une certaine éternité. » Témoins privilégiés de cette présence de l'être, parce que leur fonction est exclusivement dévolue à l'écoute, parce qu'ils ne sont que patience, ils réalisent, par leur fonction prophétique, mais « naturellement », la condition temporelle essentielle de la Rencontre qui est rencontre du temps et de l'éternité. Pour le dire comme Martin Buber : « Il y a des moments où aucune cause n'est énoncée, où l'ordre du monde apparaît, devient présent. Ces instants sont immortels, car ce sont les plus fugitifs. » Marie de Hennezel décrit également cette « immanence » de l'éternité : « L'au-delà n'est pas à chercher dans un au-delà du temps, mais dans un au-dedans, dans une transformation, une transmutation du moi qui ne peut vivre que dans une radicale intériorisation. » Michel Geoffroy, Temps de la rencontre, temps de la patience, L'exemple des soins palliatifs en gériatrie, p. 153.
Voir https://shs.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe1-2013-1-page-57?lang=fr#s2n7
Suite au covid, Marie de Hennezel, psychologue et écrivaine, souligne : Mais, au lieu d’engendrer une prise de conscience saine de notre mortalité, nous avons fait le choix de protéger la vie biologique et de négliger tout ce qui fait que l’on se sent vivant : le lien social et affectif, le sentiment d’être partie prenante dans les décisions, le sens démocratique, la spiritualité. En faisant cela, on a tué des gens. Dans les Ehpads, en enfermant des gens, on leur a ôté le goût de vivre, sous prétexte de les protéger. Le sens de la vie de certaines personnes tenait au lien avec un petit-enfant, qui a été coupé du jour au lendemain. La vie n’est pas seulement la vie du corps, manger, respirer, dormir. C’est avoir des jours avec ses enfants, ses amis, son partenaire, continuer à créer. Ces personnes ont cessé de s’alimenter, se sont laissées mourir et sont mortes non pas du Covid mais de détresse et de désespoir. C’est un vrai paradoxe.
https://usbeketrica.com/fr/article/plus-notre-societe-nie-l-existence-de-la-mort-plus-ce-deni-bouleverse-notre-inconscient