La grâce
Quelques significations du mot grâce
- Un bienfait, ce qu’on accorde à quelqu’un pour lui être agréable : On sollicite une grâce.
- La bienveillance, la bonté de quelqu’un : Être en grâce auprès de quelqu’un, c’est jouir de sa faveur.
- Le pardon, la remise de peine : Le président de la République exerce son droit de grâce.
- La reconnaissance, le remerciement : Grâces vous soient rendues pour votre bonté.
- Le charme, l’agrément, l’attrait : Elle danse avec grâce et légèreté.
Un don
Le mot grâce revient plus de 170 fois dans le Nouveau Testament, il est la traduction du mot grec "charis". Un charisme (charisma) est un don fait par grâce (charis). Dans le grec usuel, on employait le mot "charisma" pour tout ce que l’on avait reçu gratuitement.
L’usage le plus fréquent du mot charisma se rapporte aux dons spécifiques accordés à chaque chrétien en vue du service. Nous avons des dons différents selon la grâce qui nous a été donnée (Ro 12,6). Il y a diversité de dons, mais c’est le même Esprit qui assure ainsi l’unité (1Co12,). Un court passage de saint Paul dans sa lettre aux Éphésiens résume ce concept de don ; si nous sommes sauvés, c’est par grâce et cela ne vient pas de nous, mais de Dieu (Eph 2,8).
Voir l'étude sur les dons de l'Esprit.
Ex opere operato
Ex opere operato est une locution latine dont la traduction littérale est « de par l’action opérée ».
Elle souligne que l’efficacité du sacrement découle de son action même, quels que soient les mérites ou la sainteté personnelle de celui (prêtre ou évêque) qui en est l’exécutant.
La grâce divine particulière donnée par un sacrement, et en particulier la présence de l’Esprit-Saint, ne dépendent pas de l’attitude de ceux qui en sont les exécutants.
Au-delà de nos mérites
La grâce évoque la gratuité. La grâce présidentielle remet des peines sans motif juridique. En matière de fiscalité les remises gracieuses permettent de bénéficier d’une mesure de faveur, mais ne remettent nullement en cause le fondement de l’impôt.
La grâce nous est donc donnée au-delà de nos mérites personnels. C’est un don ou un cadeau qui n’attend rien en retour. Cela signifie qu’il n’y a pas de marché entre l’homme et Dieu. Il n’est pas possible d’acheter Dieu au moyen d’un culte.
Dieu se donne gratuitement et gracieusement. La gratuité souligne qu’il s’agit d’un don ; la gracieuseté signifie que le don se réalise au-delà de nos mérites personnels.
Une alliance consentie
Dieu nous donne sa grâce. Mais ce don, pour être efficace suppose que le donataire accepte le don ou ait au moins les dispositions pour l’accueillir. C’est tout particulièrement le cas pour l’enfant qui n’est pas encore encombré de préjugés et de richesses inutiles. Il se jette spontanément dans les bras de son père qui les lui tend ; il répond au sourire ; il apprend à embrasser et à aimer à l’image de ceux qu’il côtoie. Nous devons tous être comme des enfants si nous voulons accueillir Dieu dans nos vies (Lc 18,17).
Il faut parfois provoquer des moments propices à la réception du don de Dieu. Les sacrements font partie de ces pauses existentielles qui nous rendent disponibles pour accueillir la grâce de Dieu. Comme dans l’amour entre deux êtres, il faut se donner rendez-vous, se créer des espaces et des lieux de rencontre pour que l’union puisse pleinement s’accomplir.
Hors magie
Lors du baptême de leur enfants, beaucoup de parents expriment le désir de mettre leur enfant sous la protection de Dieu. Cette demande, fort légitime, laisse néanmoins entendre que Dieu nous protège contre les aléas de la vie, ce qui est faux. Par protection, il faut comprendre que Dieu nous accompagne dans les aléas de la vie. La grâce est de l'ordre du chemin parcouru ensemble et non de celui de la magie.
La théologie orthodoxe du mariage met en avant ce principe pour justifier le remariage :
En tant que sacrement, le mariage n'est pas un acte magique, mais un don de la grâce. Les partenaires, étant des êtres humains, peuvent avoir fait une erreur en sollicitant la grâce du mariage, alors qu'ils n'étaient pas prêts pour la recevoir ; ou bien ils peuvent être incapables de faire fructifier cette grâce. Dans ces cas, l'Eglise peut admettre que la grâce n'a pas été « reçue », accepter la séparation et permettre le remariage. Mais, bien évidemment, elle n'encourage jamais les remariages — nous avons vu cela même pour les veuves — à cause du caractère éternel du lien matrimonial ; mais elle les tolère seulement lorsque, dans des cas concrets, ils apparaissent comme la meilleure solution pour un individu donné.
Voir aussi l'étude sur les miracles.
Une relation à Dieu
En résumé la grâce n’est rien d’autre que Dieu qui vient à notre rencontre gratuitement. Il nous rejoint sur notre route, quelle que soit notre condition d’homme, juste ou pécheur, pauvre ou riche, croyant ou incroyant. Dieu ne fait pas de différence entre les hommes.
La grâce est de l’ordre de la relation. Dans la grâce Dieu vient à notre rencontre et nous transforme pour nous rendre capables de l’accueillir. Le propre de la grâce sacramentelle est de nous faire vivre de la vie du Christ ressuscité. Elle est une rencontre avec le Christ dans notre vie personnelle et dans la médiation de l’Église. Dieu peut passer par bien d’autres canaux, ne serait-ce que par la prière personnelle, mais quand la grâce agit par les sacrements, il y a une médiation identifiable qui est le rite opéré en Église. « L’originalité de la grâce sacramentelle est donc l’union au mystère pascal de Jésus continué aujourd’hui dans l’Église (J.-C. SAGNE, Les sacrements de la foi et la vie spirituelle, Mediaspaul, 2007, p. 41) . »
La grâce est la communication que Dieu fait de lui-même ; celui qui donne et ce qu’il donne sont une et même réalité. Les sacrements sont un des lieux d’expression de cette grâce, c’est-à-dire un temps où Dieu vient à la rencontre de l’homme en chemin. Dieu s’adapte ou plus exactement il s’incarne en des modalités recevables par l’homme. Il parle l’humain et le logos fait chair vient nous rejoindre aussi bien dans le concret de nos existences que dans des moments plus solennels tels que les sacrements.
Les sacrements sont des cadeaux, les dons que Dieu fait aux hommes par le Christ et dans la puissance de l’Esprit. Ce sont des actes symboliques qui signifient l’intention de salut dont le geste du Christ était porteur. Le cadeau donné en l’occurrence s’appelle la grâce. Mais, contrairement à une représentation trop courante, la grâce n’est pas une chose. Elle est une relation. La grâce, c’est l’amour que Dieu a pour nous. Le terme même souligne la gratuité de l’amour : la grâce est bienveillance, faveur, bienfait, indulgence parfois. Marie avait « trouvé grâce auprès de Dieu », elle était « comblée de grâce », c’est-à-dire comblée de l’amour de Dieu. On peut agir de bonne ou de mauvaise grâce ; on aime être dans les bonnes grâces de quelqu’un de puissant : on peut connaître la disgrâce ; il y a des situations que l’on désigne comme des « états de grâce ». On reprend ainsi le vocabulaire de nos catéchismes qui nous disaient que nous sommes « en état de grâce » quand rien ne s’oppose en nous à l’amitié divine. Tous ces emplois du terme « grâce » dans notre usage courant montrent que la grâce est relation. Mais la grâce est aussi beauté, charme, attrait, agrément, séduction, source de joie ; on parle de la grâce d’un geste d’enfant ou d’un visage. Dans la grâce divine ces deux éléments d’amour et de beauté sont liés. Bernard Sesboüé, Invitation à croire, Des sacrements crédibles et désirables, Cerf, 2009, p. 49-50.
La grâce du sacrement s’enracine dans tout ce qui enrichit la personnalité unique de chacun, une personnalité qui doit être respectée, pour produire des fruits aux saveurs variées dont la diversité même du Peuple de Dieu a besoin. La grâce du sacrement s’enracine dans tout ce qui enrichit la personnalité unique de chacun. Pape François Discours aux supérieurs des Grands Séminaires de France 26 janvier 2025.
Julien Green compare la grâce à un accord parfait au piano. Tandis que le péché pour lui, est cette distraction qui soudain nous fait sonner faux. Car le péché, dans son étymologie hébraïque, n’est pas la faute, mais le fait de tomber à côté, de manquer la cible. Et combien de fois dans la vie on tombe à côté, on joue faux sans même s’en rendre compte. Mais à chaque instant il nous est donné de retrouver l’harmonie première. De reprendre le fil de ce dialogue immémoriel entre Dieu et nous-même. À chaque instant la grâce peut surgir sous nos doigts. Et c’est peut-être cela, la grande nouvelle de Pâques. Thibault de Montaigu, La croix, 16/04/2025.
Signes efficaces de grâce
Selon la définition classique, les sacrements sont des signes efficaces de grâce. Ils causent ce qu'ils signifient. Ils sont les instruments de la grâce divine. Ces définitions ne rendent pas compte de la dimension anthropologique du sacrement. Le sacrement est avant tout une rencontre entre le «je» de Dieu et le «tu» de l'homme. Il est efficace de grâce parce qu'il instaure et provoque cette rencontre en un lieu d'Eglise.
1 - Efficacité symbolique de la parole
L'efficacité ne se comprend plus «selon le schème 'métaphysique' de la cause et de l'effet, mais selon celui, symbolique de la communication de parole (L.-M. CHAUVET, Symbole et sacrement, Cerf, 1990, p. 147).»
La parole est l'incontournable médiation qui fait que le sujet parle au monde et que le monde parle en lui. Il y a réciprocité de signification entre le monde et le sujet. La parole, en tant qu'acte performatif, crée l'événement en instaurant une communion entre le corps et l'univers qui l'entoure. L'enfant se construit comme sujet vivant et parlant dans le champ de la parole. L'adulte poursuit ce travail dans ses multiples relations aux autres. L'homme ne cesse jamais de communiquer. Il n'est pas une entité métaphysique coupée de l'univers. Il est un corps perméable qui se laisse façonner et pétrir par le jeu du langage.Le sacrement de mariage se fonde précisément sur une parole donnée. Il est efficace parce que ce qui se dit, c'est ce qui se fait, comme l'analyse L.-M. Chauvet :
Tout rituel religieux prétend agir ainsi ex opere operato en quelque sorte. Le faire a priorité sur le dire; ou plutôt, ce qui se dit, c'est ce qui se fait. Si bien que la manière de dire est ici plus décisive que le 'contenu' de ce qui est dit, le contenu de l'énoncé étant largement déterminé par le contexte de l'énonciation (L.-M. CHAUVET, Symbole et sacrement, Cerf, 1990, p. 333).
Dans le cadre du sacrement de mariage, dire «je te reçois comme époux», c'est le faire parce que le dialogue des époux s'énonce lors d'un rite sacramentel en fonction de normes reconnues par l'Eglise et le corps social. Il n'y a pas de condition suspensive à la réalisation effective de la parole. La rupture avec le passé est immédiate.La volonté de réaliser ce qui se dit est telle que la voix, traversant tout le corps, se déploie en geste, ou que le langage se fait 'écriture', inscription corporelle (L.-M. CHAUVET, Du symbolique au symbole, Cerf, 1979, p. 135).
Ainsi, la parole est un agir qui marque le corps. Son objectif est de façonner le sujet dans son rapport à l'autre et à Dieu. La parole agit ex opere operato .Négativement, l'ex opere operato sacramentel signifie que cette grâce ne dépend pas de la sainteté du ministre, et que la foi du sujet ne s'empare pas de la grâce : le Christ reste souverainement libre et indépendant de tout mérite humain. Positivement, l'ex opere operato signifie que nous avons un acte du Christ (E. SCHILLEBEECKX, Le Christ, sacrement de la rencontre de Dieu, Cerf, 1960, p. 85).
L'efficacité symbolique du sacrement se déploie dans le «je d'une parole qui se dit à un «tu». Le sacrement révèle et opère la singulière présence de deux sujets. Cet événement de présence engage dans un procès de reconnaissance mutuelle et c'est en cela qu'il est symbolique. Le sacrement est efficace parce qu'il crée l'événement de la rencontre entre Dieu et le croyant. L'efficacité est symbolique parce qu'elle manifeste une reconnaissance de l'autre dans son identité de sujet et dans son altérité.2 - La grâce
La grâce s'inscrit dans l'ordre de la rencontre de la parole et du corps du Christ. La grâce n'est pas quelque chose d'identifiable ou de quantifiable que produirait automatiquement le sacrement. La grâce, c'est Jésus-Christ lui-même qui se donne dans le sacrement. Le récit des disciples d'Emmaüs offre un aperçu de cette rencontre entre Jésus ressuscité et l'homme (Lc 24, 13-35). Jésus prend d'abord l'initiative de la rencontre : «Jésus lui-même les rejoignit et fit route avec eux». L'initiative n'appartient pas à l'homme. Dieu est premier. Il est avant toute chose. La reconnaissance de Jésus comme Verbe de Dieu passe par la révélation. Les yeux des apôtres «étaient empêchés de le reconnaître» parce que Jésus ne les a pas encore introduits dans le mystère de sa résurrection par les écritures. La parole des apôtres est désespérée. La parole de Jésus rend leur coeur brûlant. Jésus intervient dans la parole des apôtres, afin d'établir une relation nouvelle. A la relation duelle entre les deux apôtres se substitue une relation triangulaire. Jésus les ouvrent à une réalité tierce. La parole humaine s'articule dans la médiation de la parole du Christ. La fraction du pain, mémoire du don du corps du Christ, parachève la reconnaissance qui leur ouvre les yeux et les amène à reprendre le chemin.Voir l'étude sur les disciples d'Emmaüs.
La grâce s'inscrit dans ce registre de l'écoute de la parole du Christ et dans la contemplation du mystère de son corps glorieux. Mais aujourd'hui il s'agit d'un corps invisible. Le Christ disparaît à la vue des disciples d'Emmaüs au moment où s'opère la reconnaissance. La grâce est une présence dans l'absence. Elle est l'Esprit de Dieu qui opère dans la médiation du Christ. Les apôtres rêvaient d'un Christ qui délivrerait Israël, un Christ visible dans une royauté immédiate. La grâce est une délivrance, mais celle-ci renverse les valeurs. Elle saisit le corps dans sa faiblesse, afin de le rendre fort pour le royaume de Dieu et non pas pour sa propre puissance. Cette force jaillit d'une nouvelle forme de relation. Elle révèle à l'homme une infime part du mystère de Dieu et opère une transformation intérieure. La grâce naît dans la relation entre Dieu et l'homme. La participation à la vie du Christ transforme l'homme :Aussi, si quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle créature. Le monde ancien est passé, voilà qu'une réalité nouvelle est là (2 Co 5, 17).
Les relations humaines sont appelées à une nouvelle vie dans le Christ. Le sens positif de la rencontre de Jésus-Christ, est non pas de révéler des manques inhérents à la nature humaine, mais de montrer que cette vie est donnée par le Christ.La grâce est un événement qui surgit dans l'existence et en bouleverse la trame.
Elle est un événement surprenant, provocateur, qui disloque l'ordre des jours et renverse un programme de vie (F. QUERE, Marie, Desclée de Brouwer, 1996, p. 48).
Paul en fait l'expérience sur la route de Damas (Ac 9, 3-9). Comme pour les disciples d'Emmaüs, Jésus vient à la rencontre de l'homme en chemin. Il prend l'initiative de surprendre l'homme au coeur de ses activités, alors que rien ne laisse présager une telle rencontre. Pour Paul, la grâce prend la forme de la lumière et de la voix. Jésus se révèle à Paul : «Je suis Jésus.» La grâce révèle une part du mystère divin. Elle débouche sur la reconnaissance de Jésus comme fils de Dieu et en appelle à une conversion radicale. La grâce n'est jamais un dû définitif, saisissable et stockable. Elle jaillit du don de Dieu, dans l'instant de la rencontre. Elle déborde cet instant en accordant à la parole et au corps une orientation nouvelle. Elle engendre du sens et permet ainsi au destinataire de toujours avancer dans sa quête d'absolu.La grâce est donnée par Dieu, ou plutôt, elle est Dieu. Elle se présente comme une source d'eau vive (Ps 36, 9-10) ou comme une parole de vie (Is 55, 3). L'eau et plus encore la parole pénètrent le corps dans son intériorité la plus intime. Dieu, par grâce, c'est-à-dire dans la gratuité de son amour rencontre l'homme en chemin. Il vient le chercher là où il est et l'élève jusqu'à lui. La grâce doit avant tout signifier ceci :
Non pas que Dieu du lointain de son ciel, confère à la créature une nouvelle qualité, mais qu'en se penchant vers la terre il élève l'homme à lui et, au-delà de toutes ses qualités et aptitudes, dans un ravissement donc, lui accorde une place dans le domaine propre de Dieu (H. URS VON BALTHASAR, La gloire et la croix, III, Théologie, Ancienne Alliance, Aubier, 1974, p. 131).
La grâce est une invitation à entrer en communion avec la nature divine (2P 1, 4). Elle transforme l'homme dans sa totalité, mais ne lui surajoute pas de nouveaux attributs. Elle fait de l'homme une créature nouvelle (2Co 5, 17), un homme nouveau (Ep 2, 15; Col 3, 10).Extrait de la thèse.
Conclusion : Une parole de vie
La grâce est une parole de vie qui nous rejoint au plus profond de notre humanité. À travers les sacrements, la parole se fait liturgie, c’est-à-dire action de Dieu dans nos existences.
Les sacrements sont-ils autre chose finalement que le déploiement jusque dans l’aujourd’hui de chaque génération et de chacun de ce caractère efficace de la Parole comme Parole de salut (L.-M. CHAUVET, Les sacrements, Parole de Dieu au risque du corps, Les Éditions ouvrières, 1993, p. 117).