Église et masturbation
La masturbation est un phénomène très répandu. Selon une enquête de l’INSERM, 72% des femmes et 92% des hommes ont déjà eu recours à cette pratique. Des chrétiens se demandent si l’Église permet la masturbation solitaire, si cette pratique est un péché. Depuis Onan, l'Église condamne cette pratique, car elle détourne la sexualité de sa finalité procréatrice.
Bible et masturbation
Le passage biblique le plus fréquemment cité en rapport avec la masturbation est Genèse 38,1-10.
Gn 38,1 Or, en ce temps-là, Juda descendit de chez ses frères et se rendit chez un homme d’Adoullam du nom de Hira. 2 Là, Juda vit la fille d’un Cananéen nommé Shoua. Il la prit et vint à elle, 3 elle devint enceinte et enfanta un fils qu’il appela Er. 4 Elle devint à nouveau enceinte et enfanta un fils qu’elle appela Onân. 5 Puis, une fois encore, elle enfanta un fils qu’elle appela Shéla. Juda était à Keziv quand elle enfanta Shéla 6 et il prit pour Er, son premier-né, une femme du nom de Tamar. 7 Er, premier-né de Juda, déplut à Yahvé qui le fit mourir. 8 Juda dit alors à Onân : « Va vers la femme de ton frère. Agis envers elle comme le proche parent du mort et suscite une descendance à ton frère. » 9, Mais Onân savait que la descendance ne serait pas sienne ; quand il allait vers la femme de son frère, il laissait la semence se perdre à terre pour ne pas donner de descendance à son frère. 10 Ce qu’il faisait déplut à Yahvé qui le fit mourir, lui aussi.
Durant les XVIIe et XVIIIe siècles, la pratique de l’onanisme est associée à celle de la masturbation. L’un des premiers à associer l’acte d’Onan à la masturbation est le médecin londonien Bekker dans son ouvrage « Onania » de 1710. C’est au XIXe siècle que ces deux termes sont différenciés. Alors que le premier désigne une jouissance obtenue par un coït interrompu, le second décrit l’excitation par une action manuelle sur son sexe (manustupration, « action de souiller avec la main »).
La désobéissance d’Onan, qui a conduit à tort au terme « masturbation », ne décrit pas la masturbation, mais un « coït interrompu ».
Ce récit doit être relu dans son contexte : selon Deutéronome 25,5-10, le mariage du beau-frère (ou mariage lévirat du latin « levir » = « beau-frère ») devait être célébré afin que la lignée du beau-frère soit perpétuée.
Dt 25,5 Si des frères habitent ensemble et que l’un d’eux meure sans avoir de fils, la femme du défunt n’appartiendra pas à un étranger, en dehors de la famille ; son beau-frère ira vers elle, la prendra pour femme et fera à son égard son devoir de beau-frère. 6 Le premier fils qu’elle mettra au monde perpétuera le nom du frère qui est mort ; ainsi son nom ne sera pas effacé d’Israël.
Cette coutume assurait le soutien de la veuve. En Israël, le frère du mari décédé ou son plus proche parent, selon la loi de la Torah, avait droit à un mariage lévirat avec la veuve du mari décédé sans enfant. Après la mort de son frère, Onan a l’obligation d’engendrer des enfants avec la femme de son frère, car celui-ci est mort sans descendance. Les enfants qu’Onan aurait engendrés avec sa belle-sœur n’auraient pas été considérés comme les siens, mais comme les enfants de son frère. Mais comme Onan savait que ces enfants ne seraient pas considérés comme les siens, il laissa la « semence tomber en terre ».
Onan ne voulait pas engendrer des enfants qui ne lui appartiendraient pas plus tard et sur lesquels il ne pouvait pas compter pour le travail. Ainsi, le péché d’Onan n’a rien à voir avec la masturbation, mais plutôt avec le refus d’engendrer une descendance pour son frère décédé.
Onan a violé les règles du mariage lévirat à travers la pratique du coït interrompu. Il a cherché à tromper le monde. Il a placé ses propres intérêts au-dessus de ceux de la veuve. Dieu le punit pour ne pas avoir respecté la loi. Onan a payé son péché de sa vie, d’où l’interprétation ecclésiastique de ce passage qui conclue que la masturbation est un « péché mortel ».
Deux autres textes traitent de l’éjaculation dans la Bible. Il s’agit de Lévitique 15,16-18 et de Deutéronome 23,10-15.
Lv 15,16 Quand un homme a eu des pertes séminales, il doit se laver tout le corps à l’eau, et il est impur jusqu’au soir ; 17 tout vêtement et tout cuir atteint par la perte séminale doivent être lavés à l’eau, et ils sont impurs jusqu’au soir.
Dt 10,11 S’il y a chez toi un homme qui n’est pas pur, à cause d’un accident nocturne, il sortira hors du camp et ne rentrera pas à l’intérieur : 12 à l’approche du soir, il se lavera dans l’eau et, au coucher du soleil, il rentrera à l’intérieur du camp. 13 Tu auras un certain endroit hors du camp, et c’est là que tu iras. 14 Tu auras un piquet avec tes affaires, et quand tu iras t’accroupir dehors, tu creuseras avec, et tu recouvriras tes excréments. 15 Car Yahvé ton Dieu lui-même va et vient au milieu de ton camp pour te sauver en te livrant tes ennemis : aussi ton camp est-il saint, et il ne faut pas que Yahvé voie quelque chose qui lui ferait honte : il cesserait de te suivre.
Dans Lévitique 15,16, le contexte des pertes séminales reste indéterminé. Est-ce pendant un coït ? Lors d’une caresse ? Une pollution nocturne ? L’homme doit uniquement se laver avec de l’eau et n’a pas à offrir de sacrifice, comme dans la plupart des autres cas d’impureté. Il est impur, mais non pécheur. Quel que soit le type d’éjaculation, cela ne doit pas être compris dans un sens moral, mais uniquement cultuel.
La loi dans Deutéronome 23,10-15 traite également de l’éjaculation involontaire de l’homme. Il en résulte un état d’impureté cultuelle jusqu’au soir et l’obligation de se laver pour des raisons hygiéniques, car le camp doit rester pur, ce que confirme la règle sur les excréments.
Les motivations principales de ces commandements sont de nature hygiénique. Le seul passage qui pourrait être interprété comme une référence à la masturbation est Ézéchiel 16:17. Il est rapporté qu’une femme s’est fabriquée des « figures masculines » à partir de métaux précieux (or et argent) afin de pratiquer la « fornication ».
Ez 16,15, Mais tu t’es fiée à ta beauté et, à la mesure de ton renom, tu t’es prostituée ; tu as prodigué tes débauches à tout passant – tu as été à lui. 16 Tu as pris de tes vêtements dont tu as bariolé les hauts lieux et tu t’es prostituée dessus – que cela ne vienne ni ne se passe ! 17 Tu as pris tes splendides bijoux d’or et d’argent que je t’avais donnés ; tu t’es fait des images viriles, tu t’es prostituée avec elles.
Ce passage décrit un coït entre une femme et une idole phallique et non une masturbation. S’agit-il simplement d’un objet ou à une figure humaine ? Le texte ne permet pas de trancher la question. Mais quelle que soit l’interprétation exégétique exacte, le péché dénoncé dans ce passage est une allégorie pour décrire l’infidélité du peuple à Dieu.
Nous pouvons donc conclure que la masturbation n’est ni approuvée ni explicitement condamnée dans la Bible. En revanche, la Bible sanctionne de manière très catégorique certaines pratiques sexuelles (adultère, sodomie, homosexualité, bestialité) et les qualifie de péchés.
La doctrine officielle
Comme nous l’avons vu à propos des pratiques sexuelles, l’Église n’envisage la sexualité que dans une perspective d’union et de procréation. Elle condamne de fait la masturbation.
La sexualité est un sujet abordé en détail dans l’histoire de la morale chrétienne. Dès les premiers siècles, les Pères de l’Église affirment que la sexualité est destinée à la procréation et non au plaisir. Le plaisir solitaire est banni, même par accident. Ainsi Césaire d’Arles (470-543) ne permet à personne de recevoir la Sainte Cène après une éjaculation involontaire la nuit.
Dans les Collations de Jean Cassien (IVe siècle), ce moine subissait une pollution nocturne à la veille de chaque fête liturgique solennelle. Les anciens du monastère, mis au courant du fait, en vinrent à la conclusion que leur confrère était victime d’un démon qui cherchait à l’empêcher de recevoir la sainte communion. Ils lui conseillèrent de communier malgré tout, et les pollutions cessèrent aussitôt. https://oic.uqam.ca/wp-content/uploads/2013/06/03.bruno-roy-theologie-morale.pdf
Jérôme (347-419) n’ose pas entrer dans l’église après une éjaculation innocente.
Jérôme, Traité contre Vigilandius,12 - Pour moi, je vous avoue ma faiblesse et je crains que la superstition n’en soit la cause. Si par hasard je me mets en colère, me laisse emporter par quelque passion, ou me trouve importuné de quelque fantasme pendant la nuit, je ne suis pas assez hardi pour entrer dans les Églises des martyrs ; car mon corps et mon esprit se trouvent également abattus de crainte. https://remacle.org/bloodwolf/eglise/jerome/vigilantius.htm
Jusqu’au XVe siècle, il est interdit de recevoir la Sainte Communion après des pollutions nocturnes.
Dans le décret 687 de Léon IX en 1054, la masturbation est considérée comme une abomination.
Il convient que, comme tu le désires, nous fassions intervenir notre autorité apostolique de manière à enlever aux lecteurs tout doute inquiet, et pour qu’il soit établi pour tous que tout ce que contient cet écrit (le Liber Gomorrhianus), qui s’oppose au feu diabolique comme de l’eau, a plu à notre jugement. Afin donc que ne se répande pas, impunie, la licence d’un désir immonde, il est nécessaire qu’elle soit repoussée par le blâme de la sévérité apostolique qui convient, et que soit entreprise une tentative de rigueur à leur égard.
Voici, tous ceux qui se souillent par l’une des abominations des quatre sortes qui sont mentionnées, sont chassés de tous les degrés de l’Église immaculée par la censure équitable qui est prévue, et cela selon le jugement des saints canons comme selon le nôtre. Mais parce que nous agissons avec une grande humanité, nous voulons et commandons, confiants en la divine miséricorde, que ceux qui, soit avec leurs mains, soit entre eux, ont fait jaillir leur semence, ou qui l’ont répandue entre les cuisses, et qui ne l’ont pas fait par une longue habitude ou avec plusieurs, s’ils ont réfréné leur sensualité et s’ils ont expié leurs actes infâmes par une juste pénitence, soient admis dans ces mêmes degrés dans lesquels ils ne seraient pas demeurés pour toujours s’ils étaient demeurés dans leur forfait ; aux autres doit être enlevé l’espoir de retrouver leur rang : à ceux qui, soit pendant longtemps avec eux-mêmes ou avec d’autres, soit avec plusieurs, même pendant peu de temps, se seront souillés par l’une des deux abominations que tu décris, ou qui - chose abominable à dire et à entendre - se sont mis sur le dos d’autrui. Si quelqu’un devait oser juger notre décret de sanction apostolique ou aboyer contre lui, qu’il sache qu’agissant ainsi il met en péril son propre rang. http://catho.org/9.php?d=bwg#czo
Les pénitentiels du Moyen Âge (Colomban, Théodore de Caterbury, Worms) ne manquent pas de mentionner la masturbation avec des peines telles que deux années de pénitence. Jean de Gerson ((1363-1429) écrit aussi un traité sur la question de la masturbation intitulée de confessione mollitiei.
Dans les statuts synodaux de l’évêque d’Angers Guillaume de Beaumont (1202-1240), on lit que toute émission volontaire de semence est un péché mortel si elle n’est pas exercée dans le cadre du mariage.
Le théologien médiéval Thomas d’Aquin (1225-1274) classe la masturbation parmi les "péchés contre nature" dans sa Somme théologique. Il y voit un mauvais usage de la faculté sexuelle, qui, selon lui, ne doit être utilisée que pour la procréation dans le cadre du mariage. Thomas d’Aquin distingue la pollution nocturne de la masturbation.
La pollution nocturne est soit coupable soit non coupable, suivant la cause d’où elle provient. Ce qu’un homme fait quand il dort et est privé du jugement de sa raison ne lui est pas imputé en péché. La pollution nocturne peut être considérée en relation avec sa cause. Il peut y en avoir trois : la première est une cause corporelle ; car quand il y a un excès d’humeur séminale dans le corps, ou quand l’humeur est désintégrée soit par un excès de chaleur du corps soit par certaines gênes, celui qui dort rêve de choses qui sont liées avec la décharge de cette humeur excessive ou désintégrée ; la même chose se produit quand la nature est encombrée d’autres choses superflues : ainsi, ce fantasme lié à la décharge de ces superfluités est formé dans l’imagination. Si cet excès d’humeur est dû à une cause de péché (par exemple, trop manger ou trop boire), la pollution nocturne a le caractère de péché de sa cause. Tandis que si l’excès ou la désintégration de ces choses superflues n’est pas dû à une cause de péché, la pollution nocturne sera non coupable, que ce soit en elle-même ou en sa cause. — La seconde cause de pollution nocturne vient en partie de l’âme et de l’homme intérieur ; par exemple à cause d’une pensée précédant le sommeil. Car la pensée qui a précédé pendant que le dormeur était éveillé est quelque chose de purement spéculatif, par exemple quand quelqu’un pense aux péchés de la chair dans une discussion ; parfois elle est accompagnée d’une certaine émotion de concupiscence ou de terreur. Or, la pollution nocturne est plus apte à monter quand on pense aux péchés de la chair pour de tels plaisirs, parce que ceci laisse une trace et une inclination dans l’âme, afin que celui qui dort soit plus facilement amené dans son imagination à consentir à des actes produisant la pollution. Et Aristote dit en ce sens (Eth., liv. 1, chap. ult., à med.), que les mouvements de la veille passant peu à peu dans le sommeil, les rêves des hommes bons sont meilleurs que ceux de n’importe quelles autres personnes ; et saint Augustin (super Gen. ad litt., liv. 12, cap. 15, ad fin.) dit, que même pendant le sommeil, l’âme peut avoir des mérites selon sa bonne disposition. Il est ainsi évident que la pollution nocturne peut être un péché en fonction de son origine. D’un autre côté, il peut arriver que la pollution nocturne s’ensuive après des pensées sur des actes charnels, même si elles étaient spéculatives, ou accompagnées de dégoût, et alors elle n’est pas un péché, ni en elle-même ni en sa cause. — La troisième cause est spirituelle et externe, par exemple quand par l’œuvre d’un démon les fantasmes du dormeur sont dérangés pour induire le résultat dit au-dessus. Parfois elle est associée avec un ancien péché, savoir la négligence à se protéger contre les illusions du démon.
Q. 154, Art 11 - Le vice contre nature (qui a une difformité spéciale et rend l’acte inconvenant) est une espèce particulière de luxure. Comme nous l’avons dit (art. 6 et 9), là où apparaît une espèce spéciale de difformité, par lequel l’acte vénérien devient inconvenant, il y a une espèce particulière de luxure. Ceci peut se produire de deux façons : 1° en étant le contraire de la droite raison, et ceci est commun à tous les vices luxurieux ; 2° parce que, en addition, ce vice est contraire à l’ordre naturel de l’acte vénérien convenable à la race humaine, et celui-ci est appelé vice contre nature. Ceci peut arriver de plusieurs façons (Ces divers modes produisent autant d’espèces de péché.) : 1° en procurant une pollution, sans aucun rapport sexuel, pour le seul plaisir vénérien, ce qui appartient au péché d’impureté, que certains appellent mollesse. http://jesusmarie.free.fr/2a2ae_q154.htm
Au XVIIIe siècle, Jean-Jacques Rousseau nous propose cette confession au sujet de la masturbation :
J’appris ce dangereux supplément qui trompe la nature, et sauve aux jeunes gens de mon humeur beaucoup de désordres aux dépens de leur santé, de leur vigueur, et quelquefois de leur vie. Ce vice que la honte et la timidité trouvent si commode, a de plus un grand attrait pour les imaginations vives : c’est de disposer, pour ainsi dire, à leur gré, de tout le sexe, et de faire servir à leurs plaisirs la beauté qui les tente, sans avoir besoin d’obtenir son aveu. Les Confessions, p. 111. https://ebooks-bnr.com/ebooks/pdf4/rousseau_les_confessions.pdf
Durant ce même siècle Emmanuel Kant nous livre l’analyse suivante :
Lorsque l’homme est poussé à la volupté, non par un objet réel, mais par une fantaisie qu’il se crée à lui-même, et qui par conséquent est contraire au but de la nature, on dit alors que la volupté est contre nature. Elle est même contraire à une fin de la nature, qui est encore plus importante que celle même de l’amour de la vie, car celle-ci ne regarde que la conservation de l’individu, tandis que la première regarde celle de l’espèce.
Que cet usage contre nature (par conséquent cet abus) des organes sexuels soit une violation du devoir envers soi-même, et même un des plus graves manquements à la moralité, c’est ce que chacun reconnaît aussitôt qu’il y songe, et même la seule pensée d’un pareil vice répugne à tel point que l’on regarde comme immoral de l’appeler par son nom, tandis qu’on ne rougit pas de nommer le suicide, et que l’on n’hésite pas le moins du monde à le montrer aux yeux dans toute son horreur (in specie facti). Il semble qu’en général l’homme se sente honteux d’être capable d’une action qui rabaisse sa personne au-dessous de la brute. Bien plus, a-t-on à parler, dans une société honnête, de l’union sexuelle (et en soi purement animale) que le mariage autorise, il y faut mettre une certaine délicatesse et y jeter un voile.
Mais il n’est pas aussi aisé de trouver la preuve rationnelle qui démontre que cet usage contre nature des organes sexuels, et aussi celui qui, sans être contre nature, n’a pas pour fin celle de la nature même, sont inadmissibles, comme étant une violation (et même, dans le premier cas, une violation extrêmement grave) du devoir envers soi-même. — Cette preuve se fonde sans doute sur ce que l’homme rejette ainsi (avec dédain) sa personnalité, en se servant de lui-même comme d’un moyen pour satisfaire un appétit brutal. Mais on n’explique point par là comment le vice contre nature dont il s’agit ici est une si haute violation de l’humanité dans notre propre personne, qu’il semble surpasser, quant à la forme (l’intention), le suicide lui-même. N’est-ce pas que rejeter fièrement sa vie comme un fardeau, ce n’est pas du moins s’abandonner lâchement aux inclinations animales, et que cette action exige un certain courage, où l’homme montre encore du respect pour l’humanité dans sa propre personne, tandis que ce vice qui consiste à se livrer tout entier au penchant animal, fait de l’homme un instrument de jouissance, et par cela même une chose contre nature, c’est-à-dire un objet de dégoût, et lui ôte tout le respect qu’il se doit à lui-même ? »
Kant, Doctrine de la vertu, trad. Barni, II §7
L’encyclique « Casti connubii » de 1930 souligne expressément que la sexualité, par sa nature même, est destinée à « éveiller » une nouvelle vie. C’est ainsi quiconque se prive délibérément de cette « force naturelle » dans son activité, "agit contre la nature ; ils font une chose honteuse et intrinsèquement déshonnête". https://www.vatican.va/content/pius-xi/fr/encyclicals/documents/hf_p-xi_enc_19301231_casti-connubii.html
Un changement se produit dans le jugement au XXe siècle. Le terme « péché » est abandonné et remplacé par celui d’« acte désordonné ». En 1975, le pape Paul VI déclare (« Déclaration sur certaines questions d’éthique sexuelle ») que la masturbation constitue un acte désordonné grave, puisque tout exercice de la sexualité est réservé à une relation régulière dans le couple.
Déclaration sur certaines questions d’éthique sexuelle.
Déclaration-9. Fréquemment aujourd’hui on met en doute ou l’on nie expressément la doctrine catholique traditionnelle selon laquelle la masturbation constitue un grave désordre moral. La psychologie et la sociologie, dit-on, démontrent que, surtout chez les jeunes, elle est un phénomène normal de l’évolution de la sexualité. Il n’y aurait de faute réelle et grave que dans la mesure où le sujet céderait délibérément à une auto-satisfaction close sur soi (« ipsation »), car alors l’acte serait radicalement contraire à la communion amoureuse entre des personnes de sexe différent, dont certains prétendent qu’elle est ce qui est principalement recherché dans l’usage de la faculté sexuelle.
Cette opinion contredit la doctrine et la pratique pastorale de l’Église catholique. Quoi qu’il en soit de la valeur de certains arguments d’ordre biologique ou philosophique dont se sont servis parfois les théologiens, en fait, tant le Magistère de l’Église, dans la ligne d’une tradition constante, que le sens moral des fidèles ont affirmé sans hésitation que la masturbation est un acte intrinsèquement et gravement désordonné. La raison principale en est que, quel qu’en soit le motif, l’usage délibéré de la faculté sexuelle en dehors des rapports conjugaux normaux contredit essentiellement sa finalité. Il lui manque, en effet la relation sexuelle requise par l’ordre moral, celle qui réalise « le sens intégral d’un don réciproque et d’une procréation humaine dans le contexte d’un amour vrai ». C’est à cette relation régulière que l’on doit réserver tout l’exercice délibéré de la sexualité. Même si l’on ne peut assurer que l’Écriture réprouve ce péché sous une appellation distincte, la tradition de l’Église a compris à juste titre qu’il était condamné dans le Nouveau Testament lorsque celui-ci parle d’« impureté », d’« impudicité » ou d’autres vices contraires à la chasteté et à la continence.
Les enquêtes sociologiques peuvent indiquer la fréquence de ce désordre selon les lieux, la population ou les circonstances qu’elles prennent en observation ; on relève ainsi des faits. Mais les faits ne constituent pas un critère permettant de juger la valeur morale des actes humains.(16) La fréquence du phénomène en question est à mettre, certes, en rapport avec la faiblesse innée de l’homme, suite du péché originel, mais aussi avec la perte du sens de Dieu, la dépravation des mœurs engendrée par la commercialisation du vice, la licence effrénée de tant de spectacles et de publications, ainsi que l’oubli de la pudeur, gardienne de la chasteté.
La psychologie moderne fournit, au sujet de la masturbation, plusieurs données valables et utiles pour formuler un jugement plus équitable sur la responsabilité morale et pour orienter une action pastorale. Elle aide à voir comment l’immaturité de l’adolescence, qui peut parfois se prolonger au-delà de cet âge, le déséquilibre psychique ou l’habitude prise peuvent influer sur le comportement, atténuant le caractère délibéré de l’acte et faire que, subjectivement, il n’y ait pas toujours faute grave. Cependant, en général, l’absence de grave responsabilité ne doit pas être présumée ; ce serait méconnaître la capacité morale des personnes.
Dans le ministère pastoral, pour se former un jugement adéquat dans les cas concrets, on considérera dans sa totalité le comportement habituel des personnes, non seulement quant à la pratique de la charité et de la justice, mais encore quant au souci d’observer le précepte particulier de la chasteté. On verra, notamment, si l’on a bien pris les moyens nécessaires, naturels et surnaturels, que dans son expérience de toujours l’ascèse chrétienne recommande pour dominer les passions et faire progresser la vertu.
https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_19751229_persona-humana_fr.html
Le Catéchisme de l’Église catholique de 1993 reprend les différents arguments ci-dessus.
CEC 2352 Par la masturbation, il faut entendre l’excitation volontaire des organes génitaux, afin d’en retirer un plaisir vénérien. " Dans la ligne d’une tradition constante, tant le magistère de l’Église que le sens moral des fidèles ont affirmé sans hésitation que la masturbation est un acte intrinsèquement et gravement désordonné ". " Quel qu’en soit le motif, l’usage délibéré de la faculté sexuelle en dehors des rapports conjugaux normaux en contredit la finalité ". La jouissance sexuelle y est recherchée en dehors de " la relation sexuelle requise par l’ordre moral, celle qui réalise, dans le contexte d’un amour vrai, le sens intégral de la donation mutuelle et de la procréation humaine " (CDF, décl. " Persona humana " 9).
Pour former un jugement équitable sur la responsabilité morale des sujets et pour orienter l'action pastorale, on tiendra compte de l'immaturité affective, de la force des habitudes contractées, de l'état d'angoisse ou des autres facteurs psychiques ou sociaux qui peuvent atténuer, voire même réduire au minimum la culpabilité morale.
Le CEC mentionne la volonté. Les actes non volontaires comme la pollution nocturne sont exclus du champ d’application. Mais le volontaire et le non volontaire ne se résument pas en blanc et noir. Beaucoup de gris colorent notre existence, comme le confirme le bilan pastoral évoqué ci-dessus.
Le CEC qualifie la masturbation comme un "acte intrinsèquement et gravement désordonné". Il souligne donc qu'aucune motivation ne justifie cette pratique, dans la mesure où la sexualité est uniquement ordonnée à l'amour conjugal.
Un ancien prêtre s'insurge contre une telle doctrine :
Non, la masturbation et les actes d’homosexualité ne sont pas des actes intrinsèquement mauvais. Non, les actes hétérosexuels entre personnes consentantes hors mariage ne sont pas gravement contraires à la dignité humaine et ne peuvent être dénommés fornication et considérés comme des « désordres de la volonté ». Non, la continence n’est pas l’horizon de la sexualité ! Hugues Pouyé, La croix, 14 oct. 2021.
En conclusion, la masturbation a été diabolisée pendant des siècles. Est-elle un péché ? Oui si elle nous coupe de l'amour de Dieu, car il n'y a de péché que devant Dieu. Est-elle un mal ? Oui, si elle nous coupe des autres et nous rend triste. Une approche psychologique de cette pratique s'avère nécessaire pour montrer ses éventuels bienfaits et ses dangers. La théologie, dans une perspective éthique, doit s'appuyer sur les sciences humaines pour tenir un discours audible. Voir l'approche médicale et psychologique.