Les développements ci-dessous sont en partie extraits du livre La bonne nouvelle de la sexualité, dont le plan est présenté sur ce lien.

Tout m'est permis, mais tout ne me convient pas

Quelles limites fixer en matière de sexualité ?

Existe-t-il une façon chrétienne de « faire l’amour » ? Peut-on parler d’un érotisme chrétien, conforme à l’évangile ? Le Nouveau Testament reste muet sur cette question, car il n’y a pas de sexualité ni de plaisirs chrétiens. Éros est universel et « a-religieux ». Nous pouvons néanmoins affirmer que des actes s’accordent avec la dignité humaine ou la détruisent. Si tout est permis, tout n’aide pas à grandir.

Tout est permis ; mais tout ne convient pas. Tout est permis ; mais tout n’édifie pas. (1Co 10,23).

Dès lors que deux personnes consentent à une relation sexuelle, celle-ci devient moralement acceptable, sinon il s’agit d’un viol. La liberté de l’un se déploie dans le respect de la limite de l’autre. Ce « oui » doit être sans contrainte, éclairé et provenir d’une personne qui dispose de ses capacités psychologiques et juridiques. Ces exigences condamnent de fait le viol, l’esclavage sexuel, la pédophilie (mineur de moins de 15 ans en France) et même la zoophilie.

Ainsi, l’exhibitionnisme, le voyeurisme, le sadisme ou le masochisme sexuel ne sont plus considérés comme des troubles mentaux lorsque les pratiques sont légales et consenties. Elles sont qualifiées de troubles mentaux paraphiliques uniquement lorsqu’elles altèrent le fonctionnement social et génèrent des souffrances cliniquement significatives (Samy MANSOURI, Incidences de la pornographie sur les comportements : où en est la recherche ?).

Un « oui » au sexe est-il suffisant au sein d’un couple ? Est-il synonyme de désir ? Le consentement se réduit parfois à une sorte d’acquiescement passif et implicite. Même s’il est « libre, éclairé et informé », il dit « oui » par plaisir ou pour faire plaisir. Des femmes, bien plus que des hommes, disent « oui » pour faire plaisir à leur partenaire ou pour avoir la paix.

Les psychanalystes soulignent qu’une part de la jouissance érotique naît de la transgression et du vertige qui l’accompagne. Éros se nourrit du plaisir de la profanation et de la souillure. Mais quelle transgression proposer lorsque les limites sont bannies, lorsque la morale se liquéfie, lorsque la notion de péché tombe en totale désuétude ? Il n’est pas étonnant que l’abstinence retrouve certaines lettres de noblesse. « Ils s’aiment sans faire l’amour », comme le titre le journal La Croix (20 février 2024).

Éros se heurte inévitablement aux limites de l’accoutumance. Si le désir doit être canalisé, il doit aussi demeurer inventif, afin de ne pas mourir.

Le désir, pour être humain, n’a sens de désir que s’il y a une insécurité qui l’accompagne. Il faut qu’il y ait risque pour qu’il y ait désir, car le désir n’est jamais répétitif (Françoise DOLTO, L’homme et son désir, Christus, 71, 1971, p. 365). 

Éros met en lumière le paradoxe de notre humanité : d’un côté un besoin de sécurité, de prévisibilité et de fiabilité ; de l’autre une soif d’aventure, de nouveauté, de mystère, de risque et de danger.

La soumission impose de se laisser faire, de ne prendre aucune initiative, d'obéir, en somme, de ne plus rien contrôler. La définition même du lâcher-prise, que l’on expérimente dans la vie comme au lit, avec plus ou moins de succès.

En 1886, le psychiatre allemand Richard von Krafft-Ebing invente le terme « masochisme » pour décrire une tendance sexuelle typique : un sujet éprouve du plaisir à se soumettre, à se faire humilier, voire torturer par un autre individu, souvent du sexe opposé. Faut-il associer la libido à une pulsion de mort, comme le suggère Sigmund Freud ? Pourquoi certaines personnes associent plaisir et douleur, soumission et satisfaction érotique ?

Éros flirte avec les pièges. Mais s’agit-il encore d’érotisme lorsque le désir se mue en pouvoir, lorsque le plaisir jaillit de la souffrance, de l’humiliation ou de la perversion ?

Pourquoi cette faiblesse de la volonté qui nous fait renoncer à un bénéfice lointain et abstrait, au profit d’une satisfaction immédiate ?

La plupart des sites internet valorisent l’activité sexuelle, car celle-ci entretient la forme et la santé. Elle est un vecteur de bien-être. Elle renforce les liens entre les personnes et réduit les sentiments d’isolement et de solitude. La sexualité s’apprend et les clés de la réussite s’enracinent dans la communication, la confiance et le respect. Les limites sont celles du consentement avec des mises en garde sur les séquelles de certaines pratiques. Le « permis-défendu » cède sa place à des conseils. À titre d’exemple, l’échangisme ou le sexe à plusieurs sont tolérés, mais le couple risque d’en pâtir ; la masturbation permet de découvrir son corps ; une aventure d’un soir est une fausse bonne idée ; la sodomie doit être pratiquée avec du lubrifiant et beaucoup de précautions ; la fessée érotique doit être utilisée à bon escient, tout comme les autres pratiques BDSM ; les sex-toys pour elle et lui remplacent avantageusement le poisson frétillant du Moyen-Âge ; enfin, le dirty talk (mots cochons) fait monter la température. Mais un des conseils qui revient est tout simplement de dormir en tenue d'Adam et d'Ève.

Pimenter la vie sexuelle dans une course à l’orgasme devient une obligation pour éviter de tomber dans l’ennui. Les fantasmes doivent néanmoins rester à leur place, car assouvir un fantasme risque de détruire son objet ; de plus, la réalité est bien moins excitante que l’imaginaire. Les sites s’accordent pour dire que la pornographie, source de fantasmes, doit être consommée avec modération.

Le danger de ces nombreux conseils serait de conclure un peu vite : « Après tout, pourquoi ne pas essayer de nouvelles expériences ? Si c’est fait avec amour… ». L'enjeu est de tenir la flamme de la passion allumée, car tous les couples sombrent dans une routine qui pousse à découvrir une herbe plus verte ailleurs.

Il revient à chaque couple de rester inventif tout en ayant conscience que l'éros n'est pas une divinité qui comblera le désir humain en plénitude.