Sodome et Gomorrhe

Gn 19,15 Lorsque pointa l’aurore, les anges insistèrent auprès de Loth en disant : « Debout ! Prends ta femme et tes deux filles qui se trouvent ici de peur que tu ne périsses par la faute de cette ville. » 16 Comme il s’attardait, les hommes le tirèrent par la main, lui, sa femme et ses deux filles, car Yahvé avait pitié de lui ; ils le firent sortir pour le mettre hors de la ville. 17 Comme ils le menaient dehors, ils dirent à Loth : « Sauve-toi, il y va de ta vie. Ne regarde pas derrière toi, ne t’arrête nulle part dans le District ! Fuis vers la montagne de peur de périr. » 18 Loth leur dit : « A Dieu ne plaise ! 19 Voici, ton serviteur a trouvé grâce à tes yeux et tu as usé envers moi d’une grande amitié en me conservant la vie. Mais moi, je ne pourrai pas fuir à la montagne sans être atteint par le fléau et mourir. 20 Voici cette ville, assez proche pour y fuir, et insignifiante. Je voudrais m’y réfugier. N’est-ce pas demander peu de chose pour rester en vie ? » 21 Il lui répondit : « Vois ! je te fais encore cette faveur et je ne bouleverserai pas la ville dont tu me parles. 22 Réfugie-toi là-bas au plus vite, car je ne peux rien faire jusqu’à ce que tu y sois arrivé. » C’est pourquoi on appelle cette ville Çoar. 23 Le soleil se levait sur la terre et Loth entrait à Çoar 24 quand Yahvé fit pleuvoir sur Sodome et Gomorrhe du soufre et du feu. Cela venait du ciel et de Yahvé. 25 Il bouleversa ces villes, tout le District, tous les habitants des villes et la végétation du sol. 26 La femme de Loth regarda en arrière et elle devint une colonne de sel. 27 Abraham se rendit de bon matin au lieu où il s’était tenu devant Yahvé, 28 il porta son regard sur Sodome, Gomorrhe et tout le territoire du District ; il regarda et vit qu’une fumée montait de la terre comme la fumée d’une fournaise.
Toute la terre n’est plus que soufre, sel et feu ; elle n’est plus ensemencée ; rien ne germe et rien ne pousse, pas une herbe. C’est une catastrophe comme Sodome et Gomorrhe, comme Adma et Seboïm, que le Seigneur a ravagées dans sa colère et sa fureur. (Dt 29,22)
Ce Jour-là, celui qui sera sur la terrasse et qui aura ses affaires dans la maison, qu’il ne descende pas les prendre ; et de même celui qui sera au champ, qu’il ne revienne pas en arrière. Rappelez-vous la femme de Loth. Qui cherchera à conserver sa vie la perdra et qui la perdra la sauvegardera (Lc 17, 31-33).
Le « Mont Sodome » est une colline située le long de la partie sud-ouest de la mer Morte, en Israël. Elle est faite de concrétions de sel. Comme nous le voyons sur l’image, une colonne de sel, présentée comme étant l’épouse de Loth, est toujours visible à cet endroit.
Les deux anges ordonnent à Loth et à sa famille de ne regarder en arrière. Parce que l’agir de Dieu n’appartient qu’à Dieu. La femme de Loth désobéit aux ordres des anges et elle est transformée en sel.
Dans la littérature patristique, Sodome représente souvent la vie passée vouée au monde des sens (celle d’avant le baptême), vers laquelle il ne faut pas se retourner. La statue est considérée comme un mémorial pour les générations à venir, un exemple à ne pas suivre. La femme de Loth n’est cependant pas toujours un personnage si négatif dans la Tradition chrétienne : elle est sur la voie du Salut, même si elle n’a pas su aller jusqu’au bout de la grâce et se vouer entièrement à l’avenir, dans une confiance absolue en Dieu1. Sa statue représente donc une étape sur un chemin spirituel, mais révèle surtout une immense solitude. En effet, cette femme est abandonnée en cours de route dans un no man’s land et sa métamorphose en sel symbolise bien la stérilité, donc son absence dans l’avenir en lequel elle n’a pas eu foi : sans elle, ses filles seront obligées de coucher avec leur père puisqu’il n’y a plus d’homme dans la région après la destruction des villes maudites. Dans une tradition midrashique, la femme de Loth est transformée en statue de sel parce qu’elle a refusé de donner du sel aux invités (les anges qui se font passer pour des étrangers) ; de plus, sous prétexte d’aller chercher du sel chez les voisins, elle a trahi leur présence, manquant aux lois de l’hospitalité.
Dès les premiers textes, l’histoire de la femme de Loth est donc citée comme celle d’une désobéissance et d’une punition servant d’exemple. Cette mise en garde s’est enrichie selon les contextes sociaux et politiques, particulièrement grâce à une focalisation accrue sur les motifs du regard et du passé, pour se révéler finalement drame de l’exil et de la mémoire et transformer cette statue de sel en personnage tragique. Elle interroge sur la crainte ou la nécessité d’oublier pour affronter l’avenir, sur le devoir de mémoire, sur l’attachement à la terre natale… Or, ces thèmes de la ville maudite, de la catastrophe, de la cache, de la fuite, de la nostalgie, de la trahison ou de la prévention, enfin la séparation familiale qui va, dans ce cas, aboutir à une reconfiguration très troublante du rapport entre les survivants, sont des thèmes que bien sûr l’on retrouve chez un certain nombre d’artistes inspirés par les catastrophes du xxe siècle. Dans des contextes de guerre, d’exil, de déportation, l’histoire de la femme de Loth prend de nouveaux accents. Comme mythe, elle est un fonds culturel que renouvellent ces circonstances tragiques en lui donnant de nouvelles significations : qu’a-t-elle vu, que voulait-elle voir, pourquoi s’est-elle retournée ? Mais aussi : Faut-il se retourner ? À quel prix désobéir ? Cette histoire n’est plus désormais jugée comme celle de la désobéissante femme du juste, mais comme une allégorie qui invite à s’interroger sur le rapport à la destruction, à la mémoire, à la fuite. Elle interroge également sur le rapport à l’écriture : à l’Écriture sainte, celle du livre biblique, et au geste de l’écrivain lui-même, qui en évoquant ce personnage, le fait revivre, le réhabilite, et surtout prend son élan dans ce mouvement de retour. Aurélia HETZEL. Voir le lien dans la bibliothèque.
Quelle crédibilité historique accordée à ce texte ? Le récit vise à donner une explication théologique à un événement naturel dont l’auteur ignore l’origine. Sa portée est étiologique ; l’auteur expose une cause pour tenter d’expliquer un phénomène qui lui échappe. Le récit donne finalement un nom à un lieu géographique.
Plusieurs hypothèses tentent d’expliquer la destruction de Sodome et Gomorrhe. Selon les géologues David Neev and Kenneth Emery, la catastrophe serait due à un tremblement de terre qui aurait provoquer l’inflammation d’hydrocarbures présents sous la mer morte. David Neev and Kenneth O. Emery, The Destruction of Sodom, Gomorrah and Jericho. Geological, Climatological, and Archaeological Background, New York, Oxford : Oxford University Press, 1995.
Une autre hypothèse évoque une météorite qui serait tombée sur le site de Tall El-Hammam, une ancienne ville de l’âge du Bronze Moyen située en Jordanie dans la vallée du Jourdain, au nord de la Mer Morte.
Les auteurs de l’étude vont même plus loin : selon eux, l’impact de la météorite ou de la comète aurait tellement marqué les esprits des contemporains qu’il aurait pu inspirer le récit biblique de la destruction de Sodome et Gomorrhe. "La description d’un témoin oculaire de cet événement catastrophique vieux de 3600 ans a pu être transmise sous la forme d’une tradition orale qui a fini par devenir le récit biblique écrit de la destruction de Sodome", avancent-ils ainsi. Delphine Le Feuve. https://www.geo.fr/histoire/sodome-et-gomorrhe-ont-elles-existe-208146
La vaine localisation du péché
Les personnes qui se lancent dans la recherche archéologique des deux villes sont doublement déçues. Gomorrhe est toujours mentionnée qu’avec Sodome, ce qui la prive de ses propres indications de lieu. Sodome, en revanche, est certes mentionnée séparément, mais là encore, il n’est pas possible de la localiser de manière fiable. La raison en est un artifice littéraire de la Bible hébraïque : les textes de l’Ancien Testament partent déjà du principe que la ville du péché n’existe plus. Ce qui n’existe pas (ou plus) reste introuvable. Mais alors, pourquoi la situer grossièrement à la frontière Sud ou Est de Canaan (cf. Gn 10,19) ?
Au cours du premier millénaire avant notre ère, les hommes pouvaient encore admirer, dans le paysage irréel de l’hostile mer Morte, les vestiges de colonies abandonnées datant du début de l’âge du bronze (environ 3300-2400 av. J.-C.). L’explication qui s’est probablement développée en premier lieu est une tradition concernant le dieu du soleil : en tant que gardien traditionnel de la justice, il aurait ici exécuté un jugement punitif exemplaire sur un groupe de villes pécheresses et aurait renversé la terre. Le caractère exemplaire se reflète également dans la signification des noms de Sodome ("champ, surface clôturée") et de Gomorrhe ("inondation"). Ainsi, plus on suppose que Sodome se trouve au fond de la mer Morte, plus on suit l’intention de l’ancienne tradition, explique le spécialiste de l’Ancien Testament Ernst Axel Knauf.
Voir le lien dans la bibliothèque.
Par Valérie Mitwali
Le récit débouchera sur la condamnation de l’homosexualité et la ville de Sodome est à la racine du mot "sodomie".