Tamar, un parfum de scandale

tamar prostituée

L’histoire

L’histoire de Tamar est insolite et scandaleuse. Elle montre que les mœurs sexuelles sont ancrées dans une culture. Coït interrompu, inceste, prostitution : des pratiques qui ne correspondent nullement aux valeurs chrétiennes d’aujourd’hui. Mais la Bible ne les condamne pas. Relisons le texte.

Gn 38,1 Or, en ce temps-là, Juda descendit de chez ses frères et se rendit chez un homme d’Adoullam du nom de Hira. 2 Là, Juda vit la fille d’un Cananéen nommé Shoua. Il la prit et vint à elle, 3 elle devint enceinte et enfanta un fils qu’il appela Er. 4 Elle devint à nouveau enceinte et enfanta un fils qu’elle appela Onân. 5 Puis, une fois encore, elle enfanta un fils qu’elle appela Shéla.

Juda était à Keziv quand elle enfanta Shéla 6 et il prit pour Er, son premier-né, une femme du nom de Tamar. 7 Er, premier-né de Juda, déplut au SEIGNEUR qui le fit mourir. 8 Juda dit alors à Onân : « Va vers la femme de ton frère. Agis envers elle comme le proche parent du mort et suscite une descendance à ton frère. » 9 Mais Onân savait que la descendance ne serait pas sienne ; quand il allait vers la femme de son frère, il laissait la semence se perdre à terre pour ne pas donner de descendance à son frère. 10 Ce qu’il faisait déplut au SEIGNEUR qui le fit mourir, lui aussi. 11 Juda dit alors à Tamar sa bru : « Reste veuve dans la maison de ton père jusqu’à ce que mon fils Shéla ait grandi. » Il disait en effet : « Il ne faudrait pas que celui-ci meure aussi comme ses frères ! » Tamar s’en alla demeurer dans la maison de son père.

12 Bien des jours passèrent et la fille de Shoua, femme de Juda, mourut. Quand il fut consolé, Juda monta à Timna avec son ami Hira l’Adoullamite chez les tondeurs de son troupeau. 13 On informa Tamar en ces termes : « Voici que ton beau-père monte à Timna pour la tonte de son troupeau. » 14 Elle retira ses habits de veuve, se couvrit d’un voile et, s’étant rendue méconnaissable, elle s’assit à l’entrée d’Einaïm qui est sur le chemin de Timna. Elle voyait bien en effet que Shéla avait grandi sans qu’elle lui soit donnée pour femme. 15 Juda la vit et la prit pour une prostituée puisqu’elle avait couvert son visage. 16 Il obliqua vers elle sur le chemin et dit : « Eh ! je viens à toi ! » Car il n’avait pas reconnu en elle sa bru. Elle répondit : « Que me donnes-tu pour venir à moi ? » – 17 « Je vais t’envoyer un chevreau du troupeau », dit-il. Elle reprit : « D’accord, si tu me donnes un gage jusqu’à cet envoi. » – 18 « Quel gage te donnerai-je ? » dit-il. – « Ton sceau, ton cordon et le bâton que tu as à la main », répondit-elle. Il les lui donna, vint à elle, et elle devint enceinte de lui. 19 Elle se leva, s’en alla, retira son voile et reprit ses habits de veuve. 20 Juda envoya le chevreau par l’intermédiaire de son ami d’Adoullam pour reprendre le gage des mains de la femme. Celui-ci ne la trouva pas 21 et interrogea les indigènes : « Où est la courtisane qui était sur le chemin à Einaïm ? » – « Il n’y a jamais eu là de courtisane », répondirent-ils. 22 Il revint à Juda et lui dit : « Je ne l’ai pas trouvée et les indigènes ont même déclaré qu’il n’y avait pas là de courtisane. » 23 Juda reprit : « Elle sait s’y prendre ! Ne nous rendons pas ridicules, moi qui lui ai envoyé un chevreau et toi qui ne l’as pas trouvée ! »

24 Or, trois mois après, on informa Juda : « Ta bru Tamar s’est prostituée. Bien plus, la voilà enceinte de sa prostitution ! » – « Qu’on la mette dehors et qu’on la brûle ! » repartit Juda. 25 Tandis qu’on la mettait dehors, elle envoya dire à son beau-père : « C’est de l’homme à qui ceci appartient que je suis enceinte. » Puis elle dit : « Reconnais donc à qui appartiennent ce sceau, ces cordons, ce bâton ! » 26 Juda les reconnut et dit : « Elle a été plus juste que moi, car, de fait, je ne l’avais pas donnée à mon fils Shéla. » Mais il ne la connut plus. 27 Or, au temps de ses couches, il y avait des jumeaux dans son sein.

Cette histoire est étrange, mais la Bible nous rappelle que la parole de Dieu épouse les méandres de nos histoires singulières. Quelles leçons en tirer ?

Le lévirat

Du latin "levir", beau-frère, la loi hébraïque oblige le beau-frère à épouser la veuve de son frère mort sans enfant afin de perpétuer le nom de ce dernier. La loi permet aussi à la veuve de continuer à jouir d’une protection sociale.

Dt 25,5 Lorsque des frères habitent ensemble, si l’un d’eux meurt sans laisser de fils, la femme du défunt ne se mariera pas au-dehors avec un étranger ; son beau-frère ira vers elle, il la prendra pour femme et il remplira envers elle son devoir de beau-frère. 6 Le premier-né qu’elle mettra au monde portera le nom de son frère défunt, afin que son nom ne soit pas effacé d’Israël.

Cette coutume est attestée dans le Proche-Orient (lois assyriennes et hittites, et chez les Hourites) avant même la naissance d’Israël. Dans la Bible, deux récits en témoignent : l’histoire de Tamar et Juda en Gn 38, et le livre de Ruth qui montre que l’obligation s’étend à un parent éloigné. Dans l’évangile, on voit des Sadducéens soumettre à Jésus un cas théorique de mariages léviratiques, dans lequel une femme épouse successivement sept frères (Mt 22,24-32).

Le contexte ! Jacob et Léa ont 3 fils : Er qui épouse Tamar, Onân, Shéla. Er meurt ; Tamar se retrouve donc veuve sans enfant. La loi du lévirat impose à Onan d’épouser Tamar, mais celui-ci veut récupérer tout l’héritage de son frère, d’où le coït interrompu. Onan meurt à son tour. Notons que les deux décès résultent d’une sanction divine. Tamar se retrouve donc une seconde fois veuve sans enfant. Selon la loi, Shéla doit épouser Tamar, mais Juda craint pour son fils et renvoie sa bru chez son père, avec pour excuse que son fils est trop jeune.

D’après le Deutéronome, le lévir peut se soustraire à cette obligation, par la « cérémonie du déchaussement » mais c’est une infamie, un déshonneur pour le beau-frère qui renonce :

Dt 25,7 Si cet homme ne désire pas prendre sa belle-sœur pour femme, sa belle-sœur montera à la porte de la ville, vers les anciens, et elle dira : « Mon beau-frère refuse de relever le nom de son frère en Israël, il ne veut pas remplir envers moi son devoir de beau-frère. » 8 Les anciens de la ville l’appelleront et lui parleront. S’il persiste, en disant : « Je ne désire pas la prendre pour femme », 9 alors sa belle-sœur s’approchera de lui sous les yeux des anciens, elle lui ôtera sa sandale et elle lui crachera au visage. Elle déclarera : « Voilà ce qu’on fait à l’homme qui refuse de bâtir la maison de son frère. » 10 Et voici le nom dont on l’appellera en Israël : « Maison du déchaussé. »

Le salut par la ruse

Juda perd à son tour sa femme. Sans doute éprouve-t-il quelques besoins sexuels... Le texte laisse supposer que la pratique d’attendre le client au bord de la route est dans les mœurs. Tamar profite de la situation. Que cherche-t-elle. La vengeance ? Car Juda lui refuse toujours Shéla devenu grand. Sortir d'une impasse ? Tamar vit sans doute dans la précarité comme toute veuve. L’Ancien Testament insiste sur le souci de la veuve, de l’orphelin et de l’étranger (Dt 10,18-20 ; Za 7,10).

Tamar court-elle le risque de la peine de mort pour inceste ? Le Lévitique prévoit effectivement cette sanction pour l’homme et sa belle-fille (Lv 20,12). Mais cette loi s’applique-t-elle pour un veuf et sa belle-fille ?

Tamar se déguise en prostituée pour charmer un passant. Juda n’y voit que du feu et s’enflamme sans découvrir le stratagème. Le prix d’une passe : un chevreau à crédit. La ruse fonctionne et Tamar tombe enceinte. Juda, ignorant la vérité, prononce la sanction envers sa bru prostituée : la mort par le feu. La honte pour cet homme qui conserve un droit de vie et de mort sur cette femme ! Mais Tamar révèle la vérité : Juda est le "passant", le père de l’enfant à venir.

Juda, bon perdant, ne peut que reconnaître la vérité. Il confesse sa faute : celle de ne pas avoir respecté la loi. Deux enfants naîtront de cette union : Pèrèç et Zérah. Devenir mère est une préoccupation essentielle pour une femme. Tous les moyens sont bons pour y arriver.

Le texte reste silencieux sur la suite de leur aventure, si ce n’est que Juda et Tamar n’auront plus de relations sexuelles, une façon de dire que l’histoire est close.

Voir l’étude sur la prostitution dans la Bible.