Des actions du Christ par l’Église
Le Christ, fondement des sacrements
Le Christ a donné le coup d’envoi à l’activité sacramentelle de l’Église en fondant explicitement les deux principaux sacrements : le baptême et l’eucharistie, et en indiquant par son action et ses miracles les points clés de l’expérience humaine auxquels devraient s’appliquer les sacrements (choix des apôtres, mariage, maladie, guérison du péché). Il n’a pas théorisé les sacrements ni fixé les rites. L’affirmation "Jésus a institué les sacrements (CEC 1210)" signifie que Jésus-Christ est au fondement des 7 sacrements. Il en est le fondement parce qu’il est lui-même un sacrement, le premier de tous les sacrements. Le Christ est sacrement en tant qu’il est à la fois Dieu et homme, parole et Verbe de Dieu incarné :
Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous (Jn 1,14).
M. Luther : Les Écritures ne connaissent qu’un seul sacrement qui est le Christ lui-même.
E. Schillebeeckx : Le Christ, sacrement de la rencontre de Dieu.
Jésus fixe deux paroles sacramentelles : « Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » (Mt 27, 19), et après la parole sur le pain, le soir du Jeudi saint : « il prit du pain ; et, après avoir rendu grâces, il le rompit, et le leur donna, en disant : Ceci est mon corps, qui est donné pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. » (Lc 22, 19), étant entendu que « mémoire » ne veut pas dire souvenir, mais « mémorial » comme était la Pâque, c’est-à-dire actualisation de l’événement premier.
Depuis l’Ascension, Jésus ressuscité est invisible. Nous pouvons cependant le rencontrer par la médiation de l’Église. Celle-ci ne le remplace pas, mais par elle, il marche sur nos chemins, comme autrefois avec les disciples d’Emmaüs. Il n’y a pas de christianisme sans la foi au Christ.
Il n’y a pas non plus d’Église sans la célébration des sacrements, signes visibles de la grâce invisible. Nous ne pouvons pas être chrétiens et chrétiennes sans l’Église et ses sacrements.
Tous les sacrements font chacun à leur manière mémoire du Christ.
S’il n’est pas possible de rattacher chaque sacrement à un acte institutionnel précis, de par sa vie, sa mort et surtout sa résurrection,
Jésus a tracé le chemin pour que l’Église puisse ensuite mettre en place les sacrements. Jésus pardonne les péchés, guérit et relève les malades,
envoie les disciples en mission, rappelle le sens de l’union de l’homme et de la femme.
Les sacrements sont donc des célébrations qui prennent le relais de l’humanité du Christ et permettent aux fidèles de vivre en leur corps une relation intime avec le Christ.
Quand Pierre, Paul, Jacques ou Jean baptise, c’est le Christ qui baptise. Quand un homme et une femme se donnent le sacrement de mariage, c’est le Christ qui les unit.
Les sacrements sont des signes sensibles de l’action du Christ en faveur des hommes. Jésus, par ses actes et ses paroles, donne un sens à la vie et au monde. Et les sacrements rendent présent, aujourd’hui, ce que Jésus a fait. Les sacrements touchent chaque étape de la vie du chrétien : ils donnent naissance et croissance, guérison et mission.
Les trois sacrements de l’initiation (baptême, confirmation, eucharistie) sont les fondements de toute vie chrétienne. Les deux sacrements de guérison (pénitence et onction des malades) veulent apporter la paix du cœur et du corps. Enfin, les sacrements du service de la communauté (ordre et mariage) confèrent une mission particulière dans l’Église et concourent à la construction du Peuple de Dieu.
Constitution sur la sainte Liturgie (Sacrosanctam Concilium) n°7 : Le Christ est toujours là auprès de son Église, surtout dans les actions liturgiques. Il est là présent dans le sacrifice de la messe, et dans la personne du ministre, « le même offrant maintenant par le ministère des prêtres, qui s’offrit alors Lui-même sur la croix » et, au plus haut point, sous les espèces eucharistiques. Il est là présent par sa vertu dans les sacrements au point que lorsque quelqu’un baptise, c’est le Christ Lui-même qui baptise. Il est là présent dans sa parole, car c’est Lui qui parle tandis qu’on lit dans l’Église les Saintes Écritures. Enfin Il est là présent lorsque l’Église prie et chante les psaumes, Lui qui a promis : « Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis là, au milieu d’eux » (Mt 18, 20). C’est donc à juste titre que la liturgie est considérée comme l’exercice de la fonction sacerdotale de Jésus Christ, exercice dans lequel la sanctification de l’homme est signifiée par des signes sensibles et réalisée d’une manière propre à chacun d’eux, et dans lequel le culte public intégral est exercé par le Corps mystique de Jésus Christ, c’est-à-dire par le Chef et par ses membres. Par conséquent, toute célébration liturgique, en tant qu’œuvre du Christ prêtre et de son Corps qui est l’Église, est l’action sacrée par excellence dont nulle autre action de l’Église ne peut atteindre l’efficacité au même titre et au même degré.
Signes du salut
Le Christ nous a sauvés une fois pour toutes par sa mort et sa résurrection, mais le Salut n’est réalisé que quand l’homme adhère personnellement au don de Dieu et se prête à son action en lui. Comment donc recevoir la vie nouvelle qui jaillit du Christ mort et ressuscité ? D’abord en croyant de tout son cœur à ce que Dieu a fait pour nous (« Si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité des morts tu seras sauvé », Rm 10,9). C’est la foi qui nous sauve, non les œuvres de la Loi (cf. Rm 3, 28). Mais cette foi initiale, qui ouvre la porte à l’action de Dieu en nous, appelle un pas de plus : il faut matérialiser cette rencontre dans une étape décisive qui marque notre histoire personnelle. Après le premier discours de Pierre le jour de la Pentecôte, on nous dit que les auditeurs sont touchés et demandent à Pierre : « Que nous faut-il faire ? » Sa réponse est : « Repentez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ pour la rémission de vos péchés, et vous recevrez le don du Saint-Esprit » (Ac 2, 38). Michel Guitton.
Contrairement à ce que l’on a cru au moment de la Réforme, les sacrements ne sont pas des œuvres qu’il faudrait accomplir pour mériter le Salut, ils sont l’irruption de ce salut lui-même dans notre vie. Le Christ permet que l’événement unique de sa mort sur la Croix ait des répercussions actuelles. Les sacrements sont des signes visibles où s’actualise le mystère du Salut.
Tous les sacrements donnent de vivre en Christ des passages de la mort à la vie. Au cœur de notre foi, il y a ce mouvement de la mort à la vie, de l’esclavage à la liberté. La sortie d’Égypte est d’abord l’histoire d’une libération : partir en osant franchir la Mer Rouge, passage de la mort à la vie. À Pâque Jésus donne sa vie et meurt. Il est ressuscité par le Père et nous ouvre les portes du Royaume de Dieu.
Le lien entre le mystère de la foi et les sacrements est simple : Christ, mort et ressuscité, a fait le don de son Esprit à l’Église lors de la Pentecôte. Le temps de l’Église est alors un temps durant lequel le Christ manifeste, rend présent et communique son œuvre de salut par la liturgie de son Église, « jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Co 11,26). Les sacrements sont des « actes du Christ en son Église ».
Les sacrements déploient le mystère pascal. Le baptême est bien ce mouvement de « plongée » de la mort au péché vers la vie en Dieu qui fait de nous des frères en Jésus. Il est accompli par la confirmation, un peu comme la Pentecôte parachève le temps de Pâques. L’eucharistie, quant à elle, est le « mémorial de Pâques ».
Le mariage est un « Je te reçois et je me donne à toi », signe de l’amour entre le Christ et l’Église (Eph 5). L’homme et la femme meurent en célibataires pour renaître en mariés.
Par l’ordination, certains fidèles sont institués au nom du Christ. Pasteurs à la suite du Christ qui a donné sa vie, les ministres ordonnés donnent leur vie au service d’une communion missionnaire, porteurs de la miséricorde de Dieu dans le monde.
Les sacrements pour les malades manifestent que le Seigneur est à leurs côtés par la médiation de l’Église. L’onction des malades est une ouverture à l’espérance devant les troubles de la santé, voire au moment de l’ultime passage de la mort à la Vie.
Le sacrement de réconciliation est un autre sacrement de guérison. Le Fils nous donne par ce sacrement de quitter l’esclavage du péché pour renouveler notre filiation. Le pape François a souligné qu’il ne s’agit pas d’un « passage au pressing ».
Les sacrements sont des actes libérateurs du Christ dont nous devenons les témoins en Église au cœur du monde ! Le Royaume de Dieu est déjà présent, mais pas encore pleinement manifesté.
Le Christ premier sacrement
1. Le Christ, premier sacrement de Dieu.
Le Christ est sacrement en tant qu’il est à la fois Dieu et homme, Parole et Verbe de Dieu incarné, selon la formule de saint Jean « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » Jn 1,14). Avant lui la réalité sacramentelle n’est encore que figure et anticipation. Le Christ est le premier à vérifier dans l’histoire « la parfaite réalité du sacrement ». En effet, clans les sacrements une action divine s’effectue sous des signes visibles, à l’image du Christ qui était Dieu dans une enveloppe humaine et visible. S’il y a nécessité que dans tout sacrement une parole soit jointe à une chose sensible, c’est parce que, dans l’incarnation, la Parole de Dieu a été unie à une chair sensible. Dans les deux cas, « chose » et chair » sont sanctifiées et reçoivent le pouvoir de sanctifier, grâce au Verbe ou à la parole qui leur sont unis. Sans doute le don de la grâce aurait-il pu être obtenu d’une autre manière, mais le sacrement, signe sensible et efficace, est dans la logique de l’Incarnation qui a fait du Christ un signe sensible et humain. L’Église enseigne que le sacrement est à la fois signe et cause de la grâce. Le Christ est en effet à la fois le signe et la cause de notre salut. Par le fait de l’union de l’humanité à la personne même du Verbe, le Christ est le signe de la volonté salvifique du Père, manifestée par « l’apparition de l’humanité et de la bonté de noue Sauveur » (Tt 3, 4). Il en est aussi la cause par sa structure personnelle qui fait de lui à la fois un homme et un Dieu. Premier effet, première réalisation de l’amour divin, l’Incarnation en reste le signe majeur. De même qu’au jour de la Création la parole réalisait ce qu’elle proférait, le Verbe incarné réalise le salut dont son être est le témoignage. Bref, le Christ est le sacrement de Dieu, parce qu’il est signe et cause « posé comme signe de contradiction » (Lc 2, 34) et « cause du salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent » (He 5, 9). Le Christ est le sacrement de Dieu par excellence. Cette idée était déjà présente chez un homme comme saint Augustin et nous la retrouvons chez Thomas d’Aquin. Elle sera reprise par Luther lui-même quand il dit, dans une intention d’ailleurs polémique à l’égard des sacrements de l’Église « Les saintes Écritures ne connaissent qu’un seul sacrement, qui est le Christ lui-même. » Elle refera surface au xixe et au xxe siècle. Elle se trouve bien exprimée par Yves de Montcheuil en 1942.
Peut-être surtout faut-il recourir ici à l’idée traditionnelle qui nous montre dans le Christ le premier Sacrement, le grand Sacrement dont les autres ne sont que des prolongations et des participations. Par sa seule existence, le Christ est le Symbole, le signe efficace de la divinisation de l’humanité. Signe, parce que son humanité visible est le témoignage exprimé en termes intelligibles pour nous de l’amour de Dieu, de son pardon, de sa volonté de nous élever jusqu’à lui. Signe efficace, parce que c’est de l’incarnation entraîne-t-elle une mésintelligence du sacrement (Yves DE MONTCHEUIL, Mélanges théologiques, Paris, Aubier, 1946, p. 91).
2. Les actes de la vie du Christ, sacrements originels de notre salut.
Tout ce qu’a vécu, fait et souffert Jésus, ce sont les sacrements originels de notre salut. Pensons à ses miracles qui guérissent et qui sauvent, aux repas partagés, à la passion subie avec amour, à sa mort endurée en don de lui-même à son Père et à ses frères. « Tout ce qu’a fait Jésus, écrit avec simplicité saint Jérôme, ce sont des sacrements. Le Sauveur, qu’il marche, qu’il s’assoie, qu’il mange, qu’il dorme, ce sont nos sacrements (Aneedota Maredsolana,III, 2, p. 335). » La tradition chrétienne emploie volontiers le terme « mystère » pour désigner les différents événements de la vie de Jésus nous verrons la correspondance entre ce terme et le mot « sacrement ». Elle veut souligner à travers ce terme la fécondité salvatrice de chaque événement de la vie de Jésus.
Saint Thomas est ici encore un témoin de cette conviction, mais cette fois avec l’emploi délibéré du terme « sacrement ». Il emploie d’ailleurs facilement l’un pour l’autre « mysterium » et « sacramentum ». Toutes les actions et passions du Christ travaillent par la vertu de sa divinité au salut de l’homme. En particulier, la passion et la résurrection du Christ sont des sacrements en raison de leur double caractère de signe exemplaire et de cause instrumentale et effective. Passons sur son vocabulaire un peu technique pour retenir de lui une vision profonde de la foi.
Voici quelques-unes de ses formules la Passion du Christ est « le sacrement de la rédemption humaine ». Le baptême du Christ est la manifestation du « mystère de notre première régénération », et la transfiguration est « le sacremen1 de notre seconde régénération », car telle signifie la vision bienheureuse qui sera réservée aux élus. Les mystères de la vie du Christ vérifient la définition du sacrement chrétien, signe et cause, parce qu’ils sont à la fois causes exemplaires et causes instrumentales de notre salut. Remarquons le lien posé entre l’exemplarité et l’efficacité, ce qui revient à relier le signe donné et la réalité de la cause « La mort du Christ, dit-il, est la cause de la rémission de notre péché, [...J cause effective et sacramentellement exemplaire. Quant à la résurrection, elle fut la cause de notre résurrection, cause effective et sacramentellement exemplaire. »
Plus récemment Yves de Montcheuil développait, dans un sens un peu différent, la grande perspective selon laquelle le sacrifice de la Croix est le sacrement du sacrifice de toute l’humanité. Sous le terme « sacrifice » il faut entendre ici l’acte d’amour préférentiel pour Dieu et pour les autres qui nous fait passer en Dieu. Le sacrifice du Christ fut sa « Pâque », son passage en Dieu et toute l’humanité a pour vocation de passer en Dieu. La totalité des sacrifices individuels des hommes peut être considérée comme un long sacrifice de l’humanité qui passe en Dieu au cours de l’histoire.
Puisque l’humanité prédestinée est le corps du Christ, nous dirons que le sacrifice historique accompli une fois pour toutes, en un moment du temps et en un lieu déterminé, est le sacrement du sacrifice accompli par le Christ total. Nous retrouvons ici l’idée que le Christ est le premier sacrement, le grand sacrement. Le sacrifice accompli par le Christ sur la croix est le symbole, le signe, mais le signe efficace du sacrifice que tous les hommes doivent accomplir. Donc le sacrifice du Christ est déjà un sacrement. Il ne se comprend que comme sacrement, symbole efficace d’autre chose que lui (Yves de Montcheuil, Mélanges théologiques, p. 53).
En d’autres termes, le sacrifice du Christ symbolise le sacrifice de toute l’humanité retournant vers Dieu ; il en est aussi la cause efficace, puisqu’il donne à celle-ci de pouvoir l’accomplir. Entre le Christ et l’Église, il y a le symbole du côté ouvert de Jésus en croix, d’où la tradition chrétienne a vu couler, sous les signes du sang et de l’eau, l’Église et les sacrements.
3. Des gestes de Jésus aux sacrements de l'Église.
Dans cette perspective, les sacrements de l’Église sont la transposition sous une forme institutionnelle des actes de salut posés par Jésus. Sans doute chaque geste de Jésus ne devient-il pas un sacrement. Les sept sacrements constituent un organisme structuré récapitulant la totalité de ce qu’a vécu et fait Jésus. Cet organisme a une double référence d’abord les événements les plus importants de la vie de Jésus comme son baptême et le mystère pascal, dans les sacrements de baptême et d’eucharistie, et ensuite la diversité des situations humaines qui requièrent la grâce de Dieu la naissance, la nourriture, le pardon des péchés, la maladie, le ministère au nom de Jésus, le mariage. Tout le symbolisme sacramentaire ne fait que diffracter comme les couleurs d’un prisme le mystère du Christ. Nous sommes habitués à comprendre l’eucharistie comme le mémorial du mystère pascal. Nous devons comprendre que chaque sacrement est, d’une manière originale, un mémorial. Comme le dit clairement saint Thomas en exprimant la trilogie du passé, du présent et de l’avenir « Un sacrement est le signe commémorant ce qui a précédé, c’est-à-dire la passion du Christ, le signe démonstratif de ce qu’opère en nous la passion du Christ, c’est-à-dire la grâce, et le présage de la gloire future (Somme théologique, Ma, Q. 60, a. 3). Les sacrements sont donc des célébrations qui prennent le relais de l’humanité du Christ et permettent aux fidèles de se trouver en contact avec l’action des mystères sauveurs de ça chair. L’auteur des sacrements, c’est le Christ. Quand Pierre baptise, quand Paul baptise, quand Judas baptise, disait saint Augustin, c’est toujours le Christ qui baptise.
Bernard SESBOUÉ, Invitation à croire II. Des sacrements crédibles et désirables. (coll. Théologie). Paris, Cerf, 2009, p. 31-35.