Livre du prophète Osée

La fidélité de Dieu pour son peuple est le thème central du Livre d’Osée, à travers une métaphore conjugale. Osée associe sa vie conjugale à la situation du peuple d’Israël dans son alliance avec Dieu. Osée a épousé une prostituée nommée Gomer. De même que l’épouse d’Osée a été infidèle à son mari, de même le peuple d’Israël s’est tourné vers d’autres dieux, notamment Baal, le dieu des Cananéens. Osée établit ainsi un parallèle entre sa vie privée et l'alliance de Dieu avec Israël. Mais Dieu n’abandonne pas son peuple ; pour la même raison qu’Osée n’abandonne pas Gomer.

Contexte

Os 1 1 Parole de Yahvé qui fut adressée à Osée, fils de Beéri, au temps d'Ozias, de Yotam, d'Achaz et d'Ezéchias, rois de Juda, et au temps de Jéroboam, fils de Joas, roi d'Israël.

Le commencement du livre nous donne les rois sous le règne desquels Osée a exercé son ministère, quatre rois de Juda et un roi d’Israël, Jéroboam II. Son ministère débute à la fin du règne de Jéroboam II (vers 750 ?) et la fin sous Ezéchias aux alentours de 721, date de la chute de Samarie, soit une trentaine d’années d’exercice. Le prophète Osée va donc couvrir toute la période des derniers jours du royaume de Samarie. On ne sait pas si Osée a lui même mis par écrit une partie de ses oracles. Certains exégètes pensent que cela pourrait être le cas dans les trois premiers chapitres qui relèvent de la biographie intime du prophète, particulièrement le ch. 3. où Osée épouse une prostituée. Le reste du livre présente une accumulation d’oracles courts et disparates.

Plan

  • En-tête (1,1)
  • Le mariage d'Osée signe de l'alliance
    • Le mariage et la naissance des trois enfants (1,2-9)
    • Annonce anticipée de la délivrance d'Israël (2,1-3)
    • Le procès de l'épouse adultère et prostituée (2,4-25)
    • Le remariage d'Osée (3,1-5)
  • Introduction générale aux oracles de procès (4,1-3)
  • Le procès des prêtres (4,4-11)
  • Le comportement cultuel d'Israël en question (4,12-14)
  • Même problème en Juda (4,15)
  • Israël comparé à une vache rétive (4,16-19)
  • Les crimes des prêtres et des rois (5,1-7)
  • Sur la guerre syro-ephraïmite (5,8-12)
  • Dénonciation des alliances avec les grandes puissances (5,13-14)
  • Retrait de Dieu et retour éphémère du peuple (5,15-6,6)
  • Dénonciation des crimes d'Israël (6,7-7,2)
  • Dénonciation des conspirations (7,3-7)
  • Encore le problème des alliances avec les royaumes étrangers (7,8-12)
  • Le châtiment d'Israël (7,13-16)
  • Le lien entre l'anarchie politique et la pratique de l'idolâtrie (8,1-10)
  • Dénonciation de l'hypocrisie du culte (8,11-14)
  • Allusion à l'exil (9,1-6)
  • Le prophète persécuté à cause de ses annonces (9,7-9)
  • Châtiment pour l'idolâtrie de Baal-Péor (9,10-14)
  • Destruction des symboles de l'idolâtrie (10,1-8)
  • Oracle contre Gibéa (10,9-10)
  • Appel à la conversion (10,11-12)
  • Annonce de la fin du royaume (10,13-15)
  • L'amour de Dieu aura le dernier mot (11,1-9)
  • Le retour d'exil (11,10-11)
  • Contre Jacob-Israël (12,1-9)
  • Projet de réconciliation (12,10-11)
  • Menaces de châtiments (12,12-14,1)
  • Oracle de conclision sous forme d'appel à la conversion suivi de repentir sincère (14,2-9)
  • Avertissement éditorial (14,10)

Le symbole de l'alliance

Après le roi Salomon (-900), le royaume se scinde en deux : Israël au nord, avec Samarie pour capitale ; Juda au sud avec Jérusalem pour capitale. Osée est prophète dans le royaume du nord, juste avant l’invasion par l’Assyrie (-750). Il constate que le peuple s’adonne à l’idolâtrie. Il est le premier qui utilise l’image nuptiale pour décrire l’engagement fidèle de Dieu auprès de son peuple :

Os 1,2 Yahvé dit à Osée : Va, prends une femme se livrant à la prostitution et des enfants de prostitution, car le pays ne fait que se prostituer en se détournant de Yahvé.

Os 3,1-3 Yahvé me dit : « Va de nouveau, aime une femme qui en aime un autre et commet l’adultère, comme Yahvé aime les enfants d’Israël, alors qu’ils se tournent vers d’autres dieux et qu’ils aiment les gâteaux de raisin. » Je l’achetai donc pour quinze sicles d’argent et un muid et demi d’orge, et je lui dis : « Pendant de longs jours tu me resteras là, sans te prostituer et sans appartenir à un homme, et j’agirai de même à ton égard. »

Os 2,19-20 Je serai ton fiancé pour toujours ; je serai ton fiancé par la justice, la droiture, la grâce et la miséricorde ; je serai ton fiancé par la fidélité, et tu reconnaîtras l’Éternel.

Ces passages révèlent le mystère de l’alliance de Dieu à travers la vie même d’Osée. Osée aime sans se lasser une femme adultère. Ainsi Yahvé aime son épouse infidèle, Israël, et veut retrouver son attachement.

Dieu fiancé d’Israël et par extension de tous les peuples ! Étonnante image imprégnée de tendresse et d’avenir prometteur. Pour exprimer cette aventure passionnée, Osée utilise les mots des amoureux de tous les jours en leur donnant un rayonnement divin. Dans ces versets résonne le mystère de l’engagement de Dieu auprès de l’humanité. Il commence par un désir d’éternité ; tous les amants conjuguent le verbe « aimer » avec le qualificatif temporel « pour toujours ». Vient ensuite la volonté de respecter son partenaire dans la justice et le droit ; le contrat conjugal ne saurait être bafoué. Puis se déroule la vie conjugale avec des moments de grâce, ainsi que des temps de pardon sans lesquels le couple se condamnerait. N’oublions pas la fidélité ; s’aimer, c’est demeurer fidèle à ses engagements, à ce partenaire choisi pour toujours. Enfin, après les fiançailles, vient la connaissance, c’est-à-dire la relation intime appelée à s’épanouir dans un avenir.

Les termes utilisés ici ont leur importance, en particulier fiancer et hesed - tendresse. Le premier est utilisé dans la Bible uniquement à propos d’une jeune fille vierge, montrant ainsi que Dieu abolit parfaitement l’adultère, allant jusqu’à rétablir en son épouse l’innocence en sus de la dignité, lui offrant comme dot la justice. Le deuxième terme offre comme dot, en plus de la justice, du droit et de la miséricorde, une alliance fidèle, prenant à partir de cette utilisation dans l’Écriture Sainte et pour la suite le sens d’amour de Dieu pour son peuple. Ce lien, ou cet engagement, appelle en l’homme une réponse de tendresse et de soumission, d’abandon et de piété, qui sera abondamment reprise par la suite, dans les Psaumes comme dans une partie du peuple d’Israël. Le tout est ici parachevé par une connaissance qui, plus qu’intellectuelle, est une réponse fidèle et reconnaissante, proche de la sagesse développée dans la littérature biblique postérieure. Henri Delavenne. Voir le lien dans la bibliothèque.

Le combat des idoles

Dans la lignée de l'allégorie nuptiale, Osée combat les idoles.

Os 10,1 Israël, vigne florissante, produisait du fruit à l'avenant. Plus ses fruits se multipliaient, plus il multipliait les autels ; plus sa terre était belle, plus ils embellissaient les stèles. 2 Leur cœur est faux, maintenant ils vont payer : lui-même, Yahvé, va briser leurs autels et détruire leurs stèles. 3 A présent ils disent : « Nous n'avons pas de roi, puisque nous ne craignons pas Yahvé – et le roi, que pourrait-il faire pour nous ? » 4 On prononce des paroles, on fait de faux serments, on conclut des alliances, et le droit pousse comme une plante vénéneuse sur les sillons des champs. 5 Les habitants de Samarie tremblent pour les génisses de Beth-Awèn, car son peuple est en deuil au sujet du veau, ainsi que sa prêtraille. Qu'ils se réjouissent de sa magnificence, maintenant qu'elle est transportée loin de nous ! 6 Le veau aussi, on l'emportera en Assyrie en offrande pour le grand roi. Ephraïm en recueillera de la honte et Israël rougira de ses intrigues. 7 C'en est fait de Samarie, de son roi : il est comme un éclat de bois à la surface de l'eau. 8 Les hauts lieux de la Fausseté seront supprimés, ce péché d'Israël ; les ronces et les épines grimperont sur leurs autels et ils diront aux montagnes : Couvrez-nous ! et aux collines : Tombez sur nous ! 9 Depuis les jours de Guivéa tu as péché, Israël – et ils n'en ont pas bougé ! N'est-ce pas à Guivéa que les atteindra le combat contre les criminels ? 10 Je veux les châtier ; parce qu'ils sont attachés à leurs deux crimes, les peuples se ligueront contre eux. 11 Ephraïm était une génisse bien dressée qui aimait à fouler le grain. Lorsque je vins à passer devant la beauté de son cou, je mis Ephraïm à l'attelage – Juda est au labour et Jacob lui, à la herse. 12 Faites-vous de justes semailles, vous récolterez de généreuses moissons ; défrichez-vous un champ nouveau ; c'est maintenant qu'il faut chercher Yahvé jusqu'à ce qu'il vienne répandre sur vous la justice. 13 Vous avez labouré la méchanceté et récolté l'iniquité, vous avez mangé un fruit de mensonge. Tu as mis ta confiance dans ta puissance, dans la multitude de tes guerriers. 14 Le tumulte s'élève parmi ton peuple, en sorte que toutes tes villes fortes seront dévastées, comme Shalmân dévasta Beth-Arvel au jour du combat où l'on écrasait la mère sur ses fils. 15 C'est là ce que vous aura fait Béthel à cause de votre extrême méchanceté : à l'aurore, c'en sera fait du roi d'Israël.

1. Structure

A première vue, Osée 10.1-8 est composé de plusieurs parties dont il est difficile de discerner pourquoi elles sont groupées. Aux versets 1 et 2, le prophète parle du culte. Les Israélites ont construit beaucoup d’autels et de stèles, mais l’Eternel va les détruire. Aux versets 3 et 4, le thème change. Là, le prophète se concentre plutôt sur des affaires politiques telles que l’absence d’un roi et la conclusion d’alliances. Il accuse le peuple de tromperie. Aux versets 5 et 6, il s’élève de nouveau contre le culte. Là, il ne fait pas mention d’autels ou de stèles, mais seulement de la statue du veau qui se trouvait à Beth-Aven (= Béthel). Au verset 7, il revient sur le sujet du roi tandis que le culte et les autels réapparaissent à la fin du passage, au verset 8.

En même temps, cet aperçu montre qu’on peut découvrir la forme structurelle d’un chiasme, sur la base de quelques éléments rencontrés plusieurs fois. Il s’agit des autels cités dans les versets 1, 2 et 8 et du roi mentionné dans les versets 3 et 7. Ensemble, ils encerclent le veau figurant aux versets 5 et 6, selon la représentation schématique suivante :

  • 1-2 autels (culte)
  • 3-4 roi (politique, tromperie)
  • 5-6 veau de Béthel
  • 7 roi
  • 8 autels (culte)

Ce schéma ne comprend pas tous les éléments du passage. Pourtant, la structure esquissée suggère que des éléments qui semblent être divers sont, néanmoins, liés d’une façon ou d’une autre. De plus, la structure autorise à penser que le prophète considérait le culte du veau d’or comme le cœur du comportement du peuple d’Israël qu’il critique en Osée 10.1-8.

Osée 10.1-2

La première phrase d’Osée 10.1 présente déjà deux mots dont le sens est discuté. Il s’agit du participe traduit par « florissante » et du verbe traduit par « produit ». Traduits de cette façon, ces deux mots expriment la prospérité du peuple d’Israël. Les champs, les vignes et les vergers produisaient de belles récoltes. Mais celui qui aurait bien écouté les expressions utilisées par le prophète aurait compris probablement qu’en même temps celui-ci faisait allusion à un désastre qui menaçait le peuple. La vigne florissante était aussi une vigne malfaisante et ses nombreux fruits seraient rendus nocifs !

Selon la suite du verset 1, les belles récoltes ont stimulé les Israélites à construire de nombreux autels et à fabriquer de belles stèles. Le prophète n’explique pas s’il s’agissait d’autels et de stèles consacrés au culte de l’Eternel ou à celui d’autres dieux, comme Baal. Il dit tout simplement que le succès de l’économie agricole et la fabrication de ces objets de culte allaient de pair.

On peut se demander si la présence de plusieurs autels et de stèles, même si ceux-ci étaient voués à l’Eternel, au Dieu d’Israël, n’allait pas à l’encontre de la volonté de Dieu. Pourtant, le zèle pour le culte de l’Eternel pouvait sembler positif, surtout si les Israélites voulaient ainsi exprimer leur reconnaissance pour les belles récoltes qu’ils avaient faites. A l’inverse, le verset 2b affirme manifestement que ces autels et ces stèles déplaisaient l’Eternel. Il va les briser !

La première phrase du verset 2 dévoile la raison de cette intervention de Dieu : le cœur des Israélites est hypocrite ou rusé. Il y avait donc une grande différence entre l’aspect extérieur de leurs actes et leurs motifs. Les Israélites donnaient l’impression de vouloir adorer l’Eternel, leur zèle étant motivé par l’amour de Dieu. Mais, en réalité, ils ne voulaient que se servir eux-mêmes. Ils fabriquaient beaucoup d’autels et de stèles parce qu’ils croyaient que cela contribuerait à l’expansion de leur économie et à leur prospérité. Autrement dit, les récoltes ainsi que la construction des objets de culte étaient devenues des « finalités en elles-mêmes ».

Osée 10.3-4

En Osée 10.3, le prophète formule la plainte de ses compatriotes. L’Eternel est prêt à détruire leurs autels et leurs stèles (v. 2). Alors, ils se plaignent de ce qu’il leur manque un roi. Il se peut que cette plainte relève de la réalité historique durant le règne du dernier roi du Royaume du Nord, Osée, fils d’Ela (±732-722 av. J.-C.). Selon 2 Rois 17.3-4, le roi d’Assyrie a enchaîné le roi Osée dans une prison, après avoir découvert qu’il conspirait. Comme Osée n’avait pas été remplacé par un autre roi, les Israélites n’avaient, depuis lors, qu’un roi théorique qui ne pouvait rien faire pour eux.

Quoi qu’il en soit, la plainte des Israélites révèle qu’ils ont toujours la même mentalité que quelques siècles auparavant, à la fin de la vie de Samuel. A ce moment-là, ils avaient désiré avoir un roi pour les juger et les conduire dans les guerres contre leurs ennemis, « comme toutes les nations » (cf. 1S 8.5,19-20). Que l’Eternel lui-même soit leur roi et leur procure toute la protection nécessaire ne les satisfaisait plus (voir 1S 8.7). De la même manière, les Israélites de l’époque d’Osée, tout en reconnaissant leurs fautes, n’ont pas recours à l’Eternel. Bien au contraire, ils croient encore que le bien-être de la nation dépend d’un roi humain.

Le verset 3b témoigne d’un sens de la réalité beaucoup plus profond : si l’on ne craint pas Dieu, la présence d’un roi humain ne sert à rien. Toutefois, il est peu probable que les compatriotes du prophète Osée aient reconnu qu’ils ne respectaient pas l’Eternel et que cela était la cause de leur misère. Il s’agit peut-être d’une conviction du prophète qui espère que les Israélites la partageront après que Dieu ait achevé son jugement (cf. Os 5.15). Selon une autre interprétation, qui est également possible, c’est plutôt le prophète lui-même qui parle au verset 3b. En disant « nous ne craignons pas l’Eternel », il révèle la réalité à laquelle ses compatriotes ne voulaient pas faire face[9]. A la fin du verset, il en tire les conséquences : s’il en est bien ainsi, même la présence d’un roi ne changera pas la situation, puisqu’il serait incapable d’aider ses sujets.

En Osée 10.4, le prophète revient à la réalité nationale du moment. Dans la première partie du verset, il critique les paroles trompeuses dont se servaient les Israélites, notamment les leaders politiques. Ceux-ci n’hésitaient pas à abuser du nom de Dieu car, en prêtant serment ou en concluant une alliance, on invoquait son nom. Les serments et les alliances dont Osée fait mention peuvent être liés à la politique tant intérieure qu’extérieure du Royaume du Nord. L’époque du prophète n’a pas manqué de coups d’Etat (voir 2R 15.8-31 ; Os 7.3-7). Au moment où les conspirateurs préparaient un attentat, ils pouvaient s’engager les uns envers les autres par des serments ou des alliances. Le coup d’Etat une fois réussi, on proclamait sa loyauté au nouveau roi. Puis on rompait ces serments aussitôt que la situation semblait le demander.

Il en était de même pour les alliances conclues avec d’autres nations. Osée démasque, à plusieurs reprises, le caractère douteux de la politique extérieure des dernières décennies de l’existence du Royaume du Nord. Il se rangeait tantôt du côté des Egyptiens, tantôt du côté des Assyriens (voir Os 5.13, 7.11, 8.9-10, 12.2). Une nouvelle alliance était toujours confirmée par des serments prêtés aux noms des dieux. Après un peu de temps, il s’avérait que ces paroles solennelles n’avaient aucune valeur. Les chefs politiques les oubliaient et ils changeaient de coalition selon leur gré.

Les divergences de vues sur la politique extérieure à suivre étaient, sans doute, un des motifs des coups d’Etat. Les fausses paroles prononcées concernant la politique intérieure étaient donc étroitement liées aux mensonges formulés en politique extérieure[10]. Dans chaque domaine, les Israélites essaient de se maintenir par leurs propres forces et, avant tout, par la ruse et la tromperie (cf. aussi Os 10.13).

Si la mentalité est telle, il va sans dire que les chefs ne respectent pas non plus le droit de leurs compatriotes. C’est ce que dit le verset 4b : « (…) le droit pousse comme une plante vénéneuse. » La société était empestée, parce que l’administration de la justice était devenue un instrument dans les mains des puissants pour opprimer les autres. La juridiction, qui devait protéger les intérêts de tous et surtout ceux des faibles, était tellement corrompue qu’elle ne produisait que du malheur et de la ruine. En fin de compte, même les puissants en endureront les effets désastreux, eux aussi. L’auditeur attentif peut découvrir ce message dans l’expression à double entente utilisée par le prophète : ce n’est pas seulement le droit qui pousse comme une plante vénéneuse, c’est également le châtiment que Dieu fera subir à son peuple. Plutôt que d’offrir le spectacle de vignes florissantes (cf. v. 1), les champs d’Israël ne produiront que des récoltes nuisibles.

Osée 10.5-6

En Osée 10.5-6, le prophète aborde un nouveau sujet : la statue du veau d’or que le roi Jéroboam avait installée dans le sanctuaire de Béthel (surnommé Beth-Aven = Maison du mal, comme en Os 4.15, 5.8, 10.8). A la fin du verset, il constate que la gloire de ce veau a été enlevée pour être déportée, comme s’il s’agissait d’une exilée. Ce que le prophète entend par là n’est pas tout à fait clair. Il fait peut-être allusion à quelque chose qui est intervenu à la suite des confrontations avec l’empire assyrien. Ladite gloire du veau pourrait être alors la garniture d’or couvrant la statue en bois du veau, qu’on a été contraint de gratter pour l’offrir, comme présent ou comme tribut, au roi assyrien. Ou bien il s’agirait des trésors du sanctuaire que les Assyriens avaient emportés.

En tout cas, l’état lamentable du veau d’or était un sujet de grande consternation pour les habitants de Samarie, la capitale du Royaume du Nord. Cela montre quelle grande valeur ils attachaient à cette idole. Apparemment, ils étaient en deuil parce que la démolition du veau mettait fin à leur espoir. Osée exprime cette idée en les appelant « son peuple », c’est-à-dire le peuple du veau d’or. Au lieu d’être le peuple de l’Eternel et de vivre comme tel, ils se révélaient comme le peuple de cette idole !

Pour mieux comprendre pourquoi tant de valeur était reconnue au veau de Béthel, il faut connaître la fonction des statues sculptées dans les cultes païens et syncrétistes. La fonction primaire d’une statue n’était pas de représenter de façon visible le dieu en question. Il ne s’agissait pas d’une photo. On ne croyait évidemment pas que le dieu avait vraiment l’apparence d’un taurillon ! La statue symbolisait plutôt la force et le pouvoir spécifique de la divinité : celui de la procréation. En outre, la statue garantissait, pensait-on, la présence du dieu sur terre, au milieu de ses adorateurs. Ainsi, elle leur donnait la possibilité non pas seulement de contacter la divinité, mais aussi de manipuler ses pouvoirs à leur propre bénéfice[11].

Cette conception explique assez bien la popularité et l’attrait du culte du veau d’or, aussi bien au moment du séjour du peuple d’Israël auprès du mont Sinaï que, plus tard, parmi les dix tribus du Nord. On comprend également pourquoi le culte du veau et la politique de tromperie dénoncée au verset 4 allaient de pair. Ces choses étaient étroitement liées parce qu’elles relevaient, toutes les deux, de la conviction que, pour se maintenir, il fallait user de ses propres forces et, surtout, pratiquer la manipulation.

Au verset 6, Osée proclame la futilité de ces démarches. Le veau d’or de Béthel a déjà été amputé de sa gloire (c’est-à-dire de sa garniture d’or ou des trésors du sanctuaire ; voir ci-dessus). Dans un avenir proche, même ce que les Assyriens n’ont pas encore pris disparaîtra du temple de Béthel. Même la statue (ou son noyau de bois, la seule chose qui lui restait après l’enlèvement de la garniture d’or) sera emportée en Assyrie. Les Israélites la présenteront au roi des Assyriens sur son ordre ou bien dans le cadre d’une ultime tentative pour gagner sa faveur et sauver la vie de la nation.

En tout cas, cette action n’aura aucun succès. Ledit « grand roi » d’Assyrie se révélera, de nouveau, comme un partenaire qui ne suscite que le malheur de ses alliés et des peuples qui lui sont assujettis. A l’humiliation résultant de la perte du veau d’or s’ajoutera la honte totale du peuple d’Israël. Pour les gens de cette époque, une existence privée d’honneur ne valait pas la peine d’être vécue. La honte égalait la mort. Si cela était vrai pour tout le monde, cela l’était, à plus forte raison, pour une nation désireuse de se maintenir par ses propres forces et pas les ruses. Le résultat d’une telle politique ne peut être rien d’autre qu’une déception totale et un fiasco sans limites.

Osée 10.7

Au verset 7, Osée reparle du roi. Au moyen de l’image d’un objet éphémère emporté par l’eau, il décrit la chute de la capitale et celle du souverain. La description peut concerner l’état actuel du pays. Il est également possible qu’il s’agisse de l’annonce de la ruine finale, qui arrivera bientôt. Dans ce dernier cas, l’avènement du jugement est tellement sûr que le prophète en parle comme de quelque chose qui s’est déjà réalisé sous ses yeux.

Osée 10.8

Si l’on peut reconnaître la référence temporelle du verset précédent, la péricope du dernier verset se rapporte clairement à l’avenir. Le prophète annonce que les hauts lieux, les endroits où Israël pratiquait son culte syncrétiste, seront détruits. Le sanctuaire de Béthel est, évidemment, inclus dans ces « hauts lieux » ; Osée, en effet, y fait allusion en utilisant encore une fois le mot Aven « mal ». C’est bien avec ce mot-là qu’il a désigné Béthel au verset 5.

Le prophète définit les hauts lieux comme étant « le péché d’Israël ». Etant donné le rôle central du veau d’or de Béthel dans la péricope, il est légitime de dire que le culte du veau était le cœur du péché de la nation. Mais Osée ne se limite pas à ce qui se passait dans le sanctuaire royal (cf. Am 7.13). Au verset 1, il a dit que ses compatriotes multipliaient les autels en fonction des résultats de l’économie agricole. Ici, il annonce la démolition de tous les autels et de tous les hauts lieux où ils étaient placés. Une fois abandonnés, les autels seront couverts de mauvaises herbes, comme les ronces et les épines. Ces propos sont d’autant plus choquants que le peuple croyait que la multiplication des autels garantissait l’augmentation des bonnes récoltes !

Par une intervention brutale contre les lieux et les objets du culte païen ou syncrétiste, Dieu mettra fin au péché de son peuple. Mais les Israélites n’en seront point reconnaissants. Au contraire, au moment du jugement, ils montreront clairement la nature de l’idéologie qui contrôle leurs actes et leur vie. Ils feront appel aux montagnes et aux collines, afin que celles-ci les couvrent de leur poids incommensurable. A leur avis, il valait mieux subir une telle mort terrible que de survivre sans autels, ni hauts lieux, ni veau d’or. On voit ainsi combien était grand l’espoir qu’ils avaient mis dans le culte construit de leur propre initiative !

Conclusion

Comme l’analyse d’Osée 10.1-8 le montre, l’idolâtrie du peuple d’Israël (soit sous forme pure, soit sous forme de syncrétisme) était étroitement liée à la vie politique de l’époque. Le culte idolâtre et la politique étaient tous les deux des éléments d’un vaste système dont on croyait qu’il pouvait assurer la sécurité et la prospérité de la nation. Ce système était commandé par une idéologie dont la péricope étudiée révèle les traits principaux assez clairement. Le cœur de cette idéologie était l’idée qu’il fallait compter sur ses propres forces humaines pour réaliser la survie et le bien-être du peuple et celui de l’Etat. Sur le plan religieux, ces forces humaines comprenaient la mise en œuvre de moyens financiers pour l’embellissement des sanctuaires et celui des objets de culte, ainsi que la manipulation des pouvoirs divins par l’intermédiaire de la statue du veau d’or. Sur le plan politique, il s’agissait de la protection que l’on attendait du roi et des coalitions avec d’autres nations. De plus, pour atteindre ses buts, on comptait sur les possibilités offertes par la tromperie et les ruses pratiquées aussi bien dans la politique que dans la vie sociale.

Cette idéologie rappelle bien des choses caractéristiques, de nos jours, de la société occidentale. Bien sûr, le polythéisme n’est plus en vigueur, Baal est largement oublié et on ne construit guère d’autels ou de stèles et, encore moins, de statues représentant un veau d’or. Pourtant l’idéologie qui s’exprimait par ces activités cultuelles est toujours bien vivante. De la même façon qu’à l’époque d’Osée, on se fie aux possibilités humaines comme les ressources financières, les forces militaires et les ruses. Et, comme aux jours du prophète, on compte dessus pour atteindre le même objectif : assurer sa prospérité, sa sécurité et son bien-être.

Ce qui est choquant dans le message du prophète, c’est qu’il ne s’adresse pas aux « autres », aux païens ou aux non-croyants. Il s’adresse au peuple de Dieu ! C’étaient bien, en effet, les enfants de Dieu qui avaient accepté cette idéologie et qui la concrétisaient. Les chrétiens de nos jours ne doivent pas s’interroger moins que les autres, pour savoir si cette idéologie domine leurs vies à eux. Osée nous rappelle la possibilité effrayante d’accomplir de grands efforts dans le service de Dieu, d’y investir une grande partie de nos moyens, et en même temps d’accepter que tout cela fasse partie d’un système dans lequel nous voulons assurer notre bien-être et nous servir nous-mêmes. Si c’est le cas, tout peut bien fonctionner pendant une longue période. Mais, finalement, au moment où Dieu détruira, par son jugement, tout le système que nous aurons construit, il nous fera sentir que nous nous sommes trompés nous-mêmes.

La prophétie d’Osée 10.1-8 annonce le jugement par lequel Dieu montrera le fiasco de notre idéologie du « aidez-vous vous-mêmes par vos propres forces ». A première vue, cela ne semble pas être une bonne nouvelle. La péricope se termine par un cri de désespoir. Il est bien vrai, et pourtant on peut y découvrir un aspect très important de l’Evangile. Au verset 8, le prophète dit que Dieu va détruire « le péché d’Israël ». La bonne nouvelle, en effet, est que Dieu ne s’inclinera point devant la nature corrompue de son peuple. Il y mettra vraiment fin !

Gert Kwakkel. Voir le lien dans la bibliothèque.

Voir les études sur Osée dans la bibliothèque.