Création et évolution

Introduction

création évolution

La question de la création et de l’évolution se situe au croisement de la théologie, de la philosophie et des sciences naturelles. Depuis le XIXᵉ siècle, la publication de On the Origin of Species de Charles Darwin (1859), a déclenché un bouleversement intellectuel profond, remettant en cause certaines conceptions cosmologiques, anthropologiques et métaphysiques héritées des traditions religieuses. Pourtant, la tension entre le récit biblique de la création et les théories de l’évolution n’est ni uniforme ni univoque : elle résulte d’interprétations divergentes, de postures herméneutiques contrastées et de conceptions différentes du rapport entre vérité révélée et savoir scientifique.

La Bible, en particulier les chapitres inauguraux de la Genèse (Gn 1–2), propose une vision théologique du monde : Dieu est créateur, l’univers est ordonné, et l’humanité occupe une place singulière dans cette création. Mais ce récit doit-il être lu comme une description littérale des origines du monde et de la vie, ou comme un texte théologique, symbolique et sapientiel ? Cette question structure l’essentiel des débats modernes entre créationnisme, exégèse critique et théologie contemporaine.

En face, les théories de l’évolution – qu’il s’agisse de l’évolutionnisme classique, de la synthèse moderne ou des approches post-darwiniennes – proposent un cadre explicatif naturaliste du vivant. Elles reposent sur des mécanismes comme la sélection naturelle, les mutations génétiques, la dérive et l’adaptation. Elles ne prétendent pas, en elles-mêmes, répondre à la question métaphysique de l’origine absolue de l’être, mais elles interrogent les représentations théologiques traditionnelles, particulièrement sur l’âge du monde, l’émergence de l’homme et la finalité de l’existence.

Ainsi se pose la problématique centrale : la création telle que décrite dans la Bible s’oppose-t-elle aux théories de l’évolution ? Cette question implique de distinguer le niveau descriptif du niveau interprétatif, le registre théologique du registre scientifique, ainsi que les doctrines religieuses elles-mêmes, de leurs lectures fondamentalistes ou symboliques.

Les deux approches se complètent sans contradiction, car elles courent dans un registre différent. Les récits de la Genèse ne se lisent pas comme des reportages chronologiques, ni comme des récits historiques et encore moins comme des explications scientifiques sur les origines de l’univers. Ils constituent une révélation sur Dieu, sur l’humanité et sur le projet de Dieu pour l’homme et la femme.

Notre hypothèse est que l’opposition apparente naît moins des contenus eux-mêmes que des cadres herméneutiques, des présupposés épistémologiques et des usages idéologiques. Pour examiner cela, nous suivrons une progression méthodique. Dans un premier temps, nous étudierons les fondements du récit biblique de la création et ses principales interprétations (Partie I). Ensuite, nous analyserons les théories évolutionnistes dans leur développement historique et conceptuel (Partie II). Nous confronterons ensuite les points de tension ou de contradiction (Partie III), avant d’examiner les tentatives contemporaines de dialogue, d’articulation ou de synthèse (Partie IV). Une conclusion proposera une réponse nuancée à la problématique, ainsi que des perspectives épistémologiques et théologiques.

PARTIE I — LES FONDEMENTS DU RÉCIT BIBLIQUE DE LA CRÉATION

I.1. Le texte biblique : herméneutique et exégèse

I.1.a. Genèse 1 : une création ordonnée et séquentielle

Le premier chapitre de la Genèse présente un récit structuré de la création du monde en six « jours », suivis du repos divin au septième : « Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre » (Gn 1,1). La progression suit une logique de séparation et d’ordonnancement : lumière et ténèbres, eaux d’en haut et d’en bas, terre sèche et végétation, astres, animaux marins et terrestres, puis enfin l’homme. Le texte insiste à plusieurs reprises sur la bonté de ce qui est créé : « Dieu vit que cela était bon » (Gn 1,10.12.18.21.25) et, à la fin : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait : cela était très bon » (Gn 1,31).

Voir l'étude sur les séparations.

La création de l’homme et de la femme intervient au verset 26 : « Faisons l’adam à notre image, selon notre ressemblance ». L’homme et la femme reçoivent un rôle d’intendance et de domination sur les créatures : « Remplissez la terre et soumettez-la » (Gn 1,28). Le septième jour, consacré au repos divin, marque une dimension cultuelle et sacrale.

D’un point de vue exégétique, ce récit reflète une cosmologie ancienne, sans intention scientifique au sens moderne. Sa structure en sept jours a une portée liturgique et symbolique. Les biblistes contemporains, comme Gerhard von Rad ou Claus Westermann, montrent que ce texte vise à affirmer le monothéisme et la souveraineté de Dieu sur un cosmos ordonné, face aux récits polythéistes environnants (par exemple l’Enuma Elish). La création à partir d'un tohu bohu originel s'inspire des mythologies, mais s'en démarque à travers une perspective théologique.

On observe une réticence croissante à interpréter les concepts contenus au verset 2 en termes de conceptions mythologiques des religions voisines. Le mot hébreu pour « eaux primordiales » (t'hOm) a probablement une affinité linguistique avec Tiamat, le dragon du chaos bahylonien. On ne peut pas supposer un lien plus direct, équivalant à un « emprunt ». On ne peut pas non plus supposer que l'hébreu bohu remonte à la déesse-mère phénicienne Baau. Bohu est un nom (toujours lié à tohu) qui signifie vide, désolation. Tohu est davantage lié au concept de désert, voire au désert lui-même (Deut. 32.10 ; Ps. 10740, etc.). Les concepts utilisés au v. 2 sont des mots-clés cosmologiques, indispensables à tout apprentissage.

Une comparaison avec la mythologie de Ras Shamra conduit essentiellement au même résultat. Les poètes et les prophètes, il est vrai, sont moins gênés par l'emprunt d'idées orientales courantes (Psaumes 101.5-9 ; 89.10 s. ; 74.12-17 ; Ésaïe 51.9 s. ; Ézéchiel 32.2-8). Si l'on considère les autres sujets de la foi religieuse de l'Ancien Testament, le contenu de ce verset est, à un autre égard, exceptionnellement audacieux, car il s'étend presque spéculativement au-delà de la création, c'est-à-dire au-delà de ce qui se trouve palpablement sous les yeux de l'homme, et il fait de cet état intermédiaire particulier entre le néant et la création, c'est-à-dire le chaos, l'objet d'une déclaration théologique. Gerhard von Rad, Commentaire sur la création, 1972, p. 50.

I.1.b. Genèse 2 : narration anthropocentrée

Le deuxième récit de la création (Gn 2,4b–25) présente un ordre différent et un style narratif distinct. Dieu forme l’adam à partir de la poussière et insuffle en lui un souffle de vie : « Le Seigneur Dieu modela l’adam avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines une haleine de vie, et l’homme devint un être vivant » (Gn 2,7). Ce récit met l’accent sur la proximité de Dieu et l’intimité de sa relation avec l’humain.

La femme est créée à partir d’une « côte » (ou côté) de l’homme (Gn 2,21–22), soulignant une complémentarité ontologique. L’homme nomme les animaux, ce qui rappelle sa supériorité symbolique dans la création. Ce second récit ne mentionne ni la chronologie en six jours ni la structure cosmique, mais il présente le Jardin d’Éden et la relation éthique entre créature et Créateur.

L’historiographie biblique postérieure (par exemple la tradition sacerdotale) semble avoir intégré les deux récits sans les harmoniser, ce qui plaide pour une lecture non-littéraliste et respectueuse des genres littéraires. Les exégètes modernes distinguent souvent les couches rédactionnelles yahviste (J) et sacerdotale (P), ce qui permet une lecture historique et théologique plus subtile.

I.1.c. Autres textes bibliques sur la création

Le thème de la création ne se réduit pas à la Genèse. Les Psaumes, par exemple, célèbrent la puissance créatrice de Dieu : « C’est lui qui a fait les cieux avec intelligence » (Ps 136,5). Le Psaume 104 décrit la nature comme un déploiement de la sagesse divine. Le Livre de Job (chapitres 38 à 41) met en scène un Dieu qui interroge Job sur les mystères de la création, soulignant la distance entre savoir divin et compréhension humaine.

Le Livre de la Sagesse affirme que « le monde a été créé par la parole de Dieu » (Sg 9,1), tandis que le Prologue de l’Évangile de Jean (Jn 1,1–3) identifie le Logos comme principe créateur : « Tout fut par lui, et sans lui rien ne fut ». Ces textes ouvrent une perspective théologique plus large que celle d’un récit chronologique des origines scientifiques.

I.2. Traditions théologiques de l’interprétation

I.2.a. Lecture littérale : créationnisme et fondamentalismes

Certaines traditions religieuses, en particulier dans le protestantisme évangélique nord-américain, ont adopté une lecture littérale de la Genèse, postulant une création en six jours de vingt-quatre heures et un univers âgé de quelques milliers d’années. On peut citer l’archevêque anglican James Ussher, qui au XVIIᵉ siècle datait la création à 4004 av. J.-C.

Le créationnisme scientifique, apparu au XXᵉ siècle, tente de justifier cette lecture par des arguments pseudo-scientifiques, contestant la datation radiométrique, la paléontologie et la génétique. Des organisations comme l’Institute for Creation Research (ICR) ou Answers in Genesis défendent cette position, souvent en opposition directe à l’évolution darwinienne. Cette posture repose sur une conception fondamentaliste de la Bible et sur une défiance vis-à-vis de la méthode critique.

Cependant, cette lecture est minoritaire dans la théologie catholique, orthodoxe et dans la majorité des protestantismes historiques. Elle pose un problème herméneutique : elle confond langage mythopoétique et description factuelle, ce qui rend difficile tout dialogue avec les sciences.

I.2.b. Lecture allégorique et symbolique : Origène, Augustin

Dès les premiers siècles, les Pères de l’Église ont interprété les récits de la création de manière non littérale. Origène (IIIᵉ siècle) soutenait que certains passages bibliques ne peuvent être pris « à la lettre ». Origène, dans ses Homélies sur la Genèse et dans ses autres écrits théologiques, interprète le livre de la Genèse de manière spirituelle, allégorique et philosophique. Son objectif est de révéler les vérités cachées du récit biblique au-delà de sa simple apparence historique ou matérielle. Origène distingue trois niveaux d’interprétation : le sens littéral, qui raconte l’histoire visible et matérielle, le sens moral, qui enseigne la conduite juste du croyant, le sens spirituel (ou mystique), qui révèle le mystère du Christ et de la sagesse divine. Il applique ce schéma à la Genèse pour montrer que le récit de la création n’est pas une description chronologique, mais une révélation du plan éternel de Dieu. La création est d’abord un acte spirituel, éternel et non temporel : elle a lieu dans le lógos (la Parole divine), avant de se manifester progressivement dans la matière.

Saint Augustin (IVᵉ–Vᵉ siècle), dans De Genesi ad litteram, propose une lecture dite « littérale spirituelle », dans laquelle Dieu crée tout simultanément (creatio simultanea), puis les êtres se développent dans le temps. Pour Augustin, le temps lui-même est créé par Dieu, ce qui relativise toute interprétation chronologique stricte : « Le monde n’a pas été créé dans le temps, mais avec le temps. » La présentation en six jours dans la Genèse exprime la manifestation progressive de la création dans le temps, perceptible par l’esprit humain. Cette idée introduit la notion d’un « ordre de création » : tout existe d’abord en germe (rationes seminales) pour se développer au fil du temps selon la volonté divine.

Cette tradition patristique montre que l’idée d’un conflit entre Genèse et évolution ne s’impose pas nécessairement si l’on considère que les récits bibliques sont théologiques avant d’être descriptifs.

I.2.c. Lecture magistérielle : catholicisme, protestantisme, orthodoxie

Les traditions chrétiennes majeures ont progressivement clarifié leur position. Dans l’Église catholique, l’encyclique Providentissimus Deus (Léon XIII, 1893) ouvre à la critique historique, tandis que Humani Generis (Pie XII, 1950) admet la possibilité d’un « corps humain » issu d’une évolution, à condition d’affirmer l’âme créée immédiatement par Dieu. En 1996, Jean-Paul II déclare que l’évolution est « plus qu’une hypothèse » dès lors qu’elle est comprise dans un cadre métaphysique adéquat.

4. Compte tenu de l'état des recherches scientifiques à l'époque et aussi des exigences propres de la théologie, l'encyclique « Humani Generis » considérait la doctrine de l'« évolutionnisme » comme une hypothèse sérieuse, digne d'une investigation et d'une réflexion approfondies à l'égal de l'hypothèse opposée. Pie XII ajoutait deux conditions d'ordre méthodologique: qu'on n'adopte pas cette opinion comme s'il s'agissait d'une doctrine certaine et démontrée et comme si on pouvait faire totalement abstraction de la Révélation à propos des questions qu'elle soulève. Il énonçait également la condition à laquelle cette opinion était compatible avec la foi chrétienne, point sur lequel je reviendrai. Aujourd'hui, près d'un demi-siècle après la parution de l'encyclique, de nouvelles connaissances conduisent à reconnaître dans la théorie de l'évolution plus qu'une hypothèse. https://www.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/messages/pont_messages/1996/documents/hf_jp-ii_mes_19961022_evoluzione.html

Le pape François prolonge cette réflexion en affirmant :

Dieu a créé les êtres et les a laissés se développer selon les lois internes qu’il a données à chacun, pour qu’ils se développent et pour qu’ils parviennent à leur plénitude. Il a donné l’autonomie aux êtres de l’univers en même temps qu’il les a assurés de sa présence permanente, donnant existence à chaque réalité. Et ainsi la création est allée de l’avant pendant des siècles et des siècles, des millénaires et des millénaires jusqu’à devenir celle que nous connaissons aujourd’hui, précisément parce que Dieu n’est pas un démiurge ou un magicien, mais le Créateur qui donne l’existence à toutes les créatures. Le début du monde n’est pas l’œuvre du chaos qui doit son origine à un autre, mais dérive directement d’un Principe suprême qui crée par amour. Le Big-Bang, que l’on place aujourd’hui à l’origine du monde, ne contredit pas l’intervention créatrice divine, mais l’exige. L’évolution de la nature ne s’oppose pas à la notion de Création, car l’évolution présuppose la création d’êtres qui évoluent (Voir le texte complet en PDF).

Dans les Églises protestantes historiques (luthériennes, réformées, anglicanes), une large acceptation des sciences naturelles s’est opérée dès la fin du XIXᵉ siècle, malgré des minorités fondamentalistes. La théologie orthodoxe, centrée sur la liturgie et les Pères grecs, privilégie une lecture symbolique et cosmique plutôt que chronologique.

Ces lectures montrent que le christianisme institutionnel ne s’identifie pas au créationnisme littéral. Les conflits apparents proviennent davantage de courants spécifiques que de la doctrine majoritaire.

I.3. La doctrine chrétienne de la création

I.3.a. Création ex nihilo et contingence ontologique

L’un des fondements théologiques majeurs de la doctrine chrétienne est la creatio ex nihilo, c’est-à-dire la création « à partir de rien ». Cette conception, bien que non explicitement formulée dans la Genèse, apparaît de manière claire dans la tradition intertestamentaire (par exemple 2 Maccabées 7,28 : « Dieu les a faits de rien ») et se systématise chez les Pères de l’Église, notamment chez Théophile d’Antioche et plus tard chez Augustin et Thomas d’Aquin.

La creatio ex nihilo affirme que le monde n’est pas éternel ni issu d’une substance préexistante, mais entièrement dépendant de la liberté et de la volonté divines. Dans la Somme théologique, Thomas d’Aquin défend que la création concerne l’être même des choses et non seulement leur mise en forme (§I, q.44–46). Cette perspective introduit la contingence : l’univers n’est pas nécessaire, il est donné. La finalité ultime de la création n’est pas la description d’un processus physique mais l’affirmation d’une relation ontologique entre Dieu et le monde.

Cette doctrine ne précise ni la manière ni la temporalité du processus créateur. Elle est donc compatible avec une vision évolutive du développement du cosmos, pour autant que l’on distingue le plan métaphysique de l’analyse scientifique.

I.3.b. Finalisme divin et providence

Dans la perspective biblique, Dieu n’est pas seulement créateur à l’origine : il soutient le monde dans son existence. La providence (providentia) renvoie à une souveraineté continue : « Tu ouvres ta main et tu rassasies tout ce qui vit » (Ps 145,16). Selon Thomas d’Aquin, la providence ne supprime pas la causalité secondaire mais l’ordonne selon une sagesse supérieure (ST I, q.22).

Dans la théologie classique, le finalisme ne signifie pas un déterminisme mécanique, mais une orientation générale du monde vers un accomplissement. La distinction entre causes premières (divines) et secondes (naturelles) permet de penser une intervention créatrice sans nier les processus biologiques, géologiques ou cosmiques.

Ainsi, la providence peut s’accorder avec une évolution naturelle, à condition de ne pas confondre finalité théologique et mécanismes biologiques. Certains courants, comme ceux de Teilhard de Chardin, ont tenté d’articuler cette dimension téléologique avec la dynamique évolutive de l’univers.

I.3.c. Anthropologie théologique (imago Dei)

L’une des pierres angulaires de la théologie de la création est la notion d’imago Dei, l’image de Dieu en l’homme (Gn 1,26–27). Cette notion implique une singularité de l’être humain, non seulement biologique mais spirituelle, rationnelle et relationnelle. Dans la tradition patristique et scolastique, cette image est située dans la raison, la liberté ou la capacité de relation avec Dieu.

Le problème surgit lorsqu’on interprète cette singularité comme une rupture ontologique dans un cadre scientifique évolutionniste. Si l’homme résulte d’un processus graduel, comment penser l’infusion de l’âme ou l’apparition de la conscience réflexive ? La théologie catholique, notamment à travers Pie XII (Humani Generis), admet la possibilité d’un corps évolutif, mais insiste sur une intervention divine immédiate concernant l’âme.

Certaines interprétations contemporaines (J. Ratzinger, John Haught, Denis Edwards) proposent de voir l’imago Dei non comme un événement ponctuel mais comme l’émergence progressive d’une conscience capable de relation transcendante. Cela permettrait d’éviter une opposition frontale avec l’évolution.

Ainsi, la doctrine chrétienne de la création, loin d’imposer une lecture fixiste, ouvre la voie à une réflexion sur la relation entre cause première et causes secondes. Les conflits ne naissent que lorsqu’on réduit le texte biblique à une cosmologie descriptive ou lorsqu’on absolutise une lecture anti-symbolique.

PARTIE II — LES THÉORIES DE L’ÉVOLUTION : HISTOIRE, STRUCTURE ET DÉBATS

II.1. Évolutionnisme classique

II.1.a. Charles Darwin et On the Origin of Species (1859)

La publication de On the Origin of Species by Means of Natural Selection, en 1859 par Charles Darwin, marque une rupture épistémologique majeure. Darwin n’est pas le premier à envisager la transformation des espèces (Lamarck, Chambers), mais il propose un mécanisme explicatif robuste : la sélection naturelle. Selon lui, les individus présentent des variations héréditaires, et ceux qui sont les mieux adaptés à leur environnement survivent et se reproduisent davantage.

L’ouvrage se concentre sur la macro- et micro-évolution, mais laisse ouverte la question de l’origine de la vie. Darwin lui-même écrit dans une lettre à Hooker (1871) l’hypothèse d’un « petit étang chaud » où des substances chimiques auraient donné naissance à la vie. Sa théorie n’aborde pas non plus la question de l’âme ou du sens ultime de l’existence.

La réception de Darwin a été contrastée. Certains scientifiques (comme Huxley) ont défendu son approche, tandis que des théologiens l’ont rejetée comme incompatible avec la Genèse. Toutefois, la résistance ne fut pas unanime et beaucoup adoptèrent une lecture non littérale de la Bible, notamment dans le monde anglican.

II.1.b. Sélection naturelle et gradualisme

La théorie darwinienne repose sur deux principes : la variabilité des individus et la lutte pour l’existence. Le gradualisme implique que les transformations biologiques surviennent par petites étapes successives, sur de longues durées. Cette vision s’oppose au fixisme qui dominait les sciences naturelles jusqu’au début du XIXᵉ siècle.

Le modèle darwinien introduit également la notion de « descendance commune », ce qui implique que l’espèce humaine partage des ancêtres avec les autres primates. Cette idée fut particulièrement dérangeante pour les représentations anthropologiques occidentales, qui plaçaient l’homme au sommet de la création.

Darwin évite de traiter de la théologie directement, mais certains lecteurs ont vu dans sa théorie une négation de la finalité ou de la providence. Cette interprétation dépend en réalité du cadre philosophique que l’on associe au modèle scientifique.

II.1.c. Premières controverses : Huxley, Lyell, Bergson

La réception de Darwin n’a pas été uniforme. Thomas Henry Huxley, surnommé le « bulldog de Darwin », a défendu publiquement l’évolution lors de débats célèbres, comme celui de 1860 contre l’évêque Samuel Wilberforce à Oxford. Lyell, géologue, influença Darwin par sa théorie de l’uniformitarisme, montrant que les processus actuels peuvent expliquer les formations géologiques anciennes.

Henri Bergson, dans L’Évolution créatrice (1907), critique le mécanisme darwinien strict, défendant l’idée d’un élan vital. Sa pensée illustre la possibilité d’une philosophie spiritualiste compatible avec une vision évolutive, mais non matérialiste.

Ces controverses montrent que la tension entre théologie et évolution n’est pas uniforme. Elle concerne aussi les philosophes, les biologistes et les métaphysiciens qui disposent d’approches variées de la causalité et de la finalité.

II.2. Le néo-darwinisme et la synthèse moderne

II.2.a. Génétique mendélienne et biologie des populations

Le darwinisme originel souffrait d’un manque d’explication sur l’hérédité. Avec la redécouverte des lois de Mendel au début du XXᵉ siècle, une nouvelle synthèse est apparue. Des chercheurs comme Fisher, Haldane et Wright ont développé la génétique des populations, unifiant la sélection naturelle avec l’hérédité génétique.

Cette « synthèse moderne » repose sur l’idée que les mutations génétiques fournissent la variabilité, tandis que la sélection naturelle trie ces variations. La dérive génétique, la migration et la recombinaison jouent également un rôle dans l’évolution.

Cette approche s’inscrit dans une perspective naturaliste forte : les mécanismes biologiques s’expliquent par des causes internes au monde naturel. Cela n’empêche pas certains théologiens de considérer ces processus comme compatibles avec une providence divine non interventionniste.

II.2.b. Gould, Dobzhansky, Mayr

Theodosius Dobzhansky, dans son célèbre article Nothing in Biology Makes Sense Except in the Light of Evolution (1973), a affirmé la centralité de l’évolution dans la compréhension du vivant. Ernst Mayr, de son côté, a développé la notion d’espèce biologique et l’importance de l’isolement reproductif.

Stephen Jay Gould a introduit, avec Niles Eldredge, la théorie des équilibres ponctués (punctuated equilibrium), soulignant que l’évolution peut être rapide par phases, entrecoupées de périodes de stabilité. Il critique le gradualisme strict tout en maintenant l’évolution comme cadre théorique global.

Ces auteurs ont contribué à consolider le paradigme évolutionniste, tout en ouvrant des débats internes sur les rythmes et mécanismes précis. Ils ne traitent pas directement de théologie, mais leurs travaux ont des implications philosophiques.

II.2.c. Découvertes paléontologiques et biologiques contemporaines

Les progrès en paléontologie, en biologie moléculaire et en génomique ont renforcé la robustesse de la théorie de l’évolution. La découverte de fossiles transitionnels (comme Tiktaalik ou Archaeopteryx), ainsi que le séquençage du génome humain et des autres primates, confirment l’ascendance commune.

La biologie du développement (évo-dévo) montre comment des gènes conservés (par exemple les gènes Hox) orchestrent la morphogenèse dans diverses espèces, expliquant à la fois la diversité et l’unité du vivant.

Ces découvertes ne se prononcent pas sur l’existence d’une finalité transcendante, mais elles remettent en cause toute lecture littérale d’un fixisme biologique. La théologie doit donc élaborer une herméneutique compatible avec ces données si elle ne veut pas s’isoler du champ scientifique.

II.3. Limites, critiques et prolongements de la théorie de l’évolution

II.3.a. Finalisme vs hasard : débats philosophiques et scientifiques

L’un des débats majeurs autour de l’évolution concerne l’opposition supposée entre hasard et finalité. Jacques Monod, dans Le Hasard et la Nécessité (1970), affirme que l’évolution repose sur des mutations aléatoires, sans intention sous-jacente. Il écrit : « L’ancienne alliance est rompue ; l’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers ».

À l’inverse, des penseurs comme Teilhard de Chardin proposent une vision téléologique de l’évolution. Dans Le Phénomène humain, Teilhard défend un processus évolutif convergeant vers un « point Oméga ». Il tente d’intégrer le Christ évoluteur dans une cosmologie dynamique.

Richard Dawkins, dans The Blind Watchmaker (1986), défend l’idée que la sélection naturelle peut produire une apparence de finalité sans intention réelle. Cette posture s’oppose à tout dessein intelligent ou providence active.

Ces positions montrent que le débat dépasse la biologie pour toucher la philosophie de la nature et la théologie. L’opposition n’est pas nécessairement entre science et foi, mais entre interprétations métaphysiques de la science.

II.3.b. Intelligent Design et post-créationnisme

Au tournant du XXIᵉ siècle, un mouvement appelé Intelligent Design (ID) a émergé, en particulier aux États-Unis. Il ne reprend pas le créationnisme littéral, mais soutient que certaines structures biologiques sont « irréductiblement complexes » et ne peuvent s’expliquer par les seuls mécanismes darwiniens. Michael Behe, dans Darwin’s Black Box (1996), propose l’exemple du flagelle bactérien.

William Dembski développe une approche probabiliste visant à détecter des signes de « conception ». Ce mouvement, bien qu’il se présente comme scientifique, est critiqué pour son absence de prédictions testables et sa confusion entre explication scientifique et métaphysique.

Les Églises traditionnelles ne soutiennent pas ce courant, préférant une articulation entre sciences et théologie plutôt que l’introduction de causes surnaturelles dans le champ scientifique. L’ID constitue néanmoins un symptôme de la résistance à une lecture strictement matérialiste de l’évolution.

II.3.c. Sciences et métaphysique : séparation ou dialogue ?

La relation entre science et théologie dépend du cadre épistémologique adopté. Certains, comme Stephen Jay Gould, proposent le modèle des « magistères non superposés » (NOMA), selon lequel la science traite des faits empiriques tandis que la religion traite des valeurs et du sens.

D’autres, comme Ian Barbour, Alister McGrath ou John Polkinghorne, défendent un modèle de dialogue, où sciences et théologie peuvent s’enrichir mutuellement sans confusion des méthodes.

La question de l’évolution n’est donc pas seulement scientifique mais philosophique et herméneutique. L’opposition avec le récit biblique dépend du statut ontologique attribué aux textes et aux théories.

PARTIE III — OPPOSITIONS : CONFLIT, INCOMPATIBILITÉS ET MALENTENDUS

III.1. Temporalités et cosmologies divergentes

III.1.a. Chronologie biblique (Ussher, traditions juives et chrétiennes)

Jusqu’au XVIIIᵉ siècle, de nombreux penseurs chrétiens estimaient que la Terre avait quelques milliers d’années, en se basant sur les généalogies bibliques. L’archevêque anglican James Ussher (1650) fixa la création au 23 octobre 4004 av. J.-C. à 18h.

Cette tentative de chronologie reposait sur une lecture littérale de la Genèse et des livres historiques. Des traditions juives et chrétiennes avaient élaboré diverses datations, sans consensus absolu mais avec une échelle temporelle courte.

Avec l’essor de la géologie (Hutton, Lyell), l’âge de la Terre fut réévalué à des centaines de millions d’années, puis à 4,5 milliards d’années grâce à la datation radiométrique. Cette divergence temporelle a été l’une des premières sources de tension entre lecture littérale et sciences naturelles.

III.1.b. Âge de la Terre, fossiles et cosmologie scientifique

La paléontologie a mis en évidence des couches stratigraphiques contenant des fossiles de formes de vie disparues depuis des millions d’années. Les dinosaures, les hominidés fossiles et les micro-organismes stromatolithiques réfutent l’idée d’une création récente.

La cosmologie moderne, avec la théorie du Big Bang (Lemaître, Gamow), situe l’origine de l’univers à environ 13,8 milliards d’années. Certains y voient une confirmation d’une création ex nihilo, tandis que d’autres y voient un processus naturel autonome.

Le récit biblique, en tant que texte liturgique et théologique, ne vise pas à établir une chronologie scientifique. L’opposition naît lorsque l’on impose au texte une finalité descriptive qui n’est pas la sienne.

III.1.c. Genèse : mythe fondateur ou histoire factuelle ?

Le terme « mythe » doit être compris non comme fiction mensongère, mais comme récit symbolique exprimant une vérité existentielle. Paul Ricoeur, dans Finitude et Culpabilité, distingue mythe et légende : le mythe exprime un sens profond en termes narratifs.

Les exégètes contemporains insistent sur la nécessité de lire la Genèse dans son genre littéraire propre. La question n’est pas de savoir si Adam et Ève ont existé historiquement comme deux individus isolés, mais ce que signifie leur relation à Dieu, à la nature et à la liberté.

Une lecture historisante crée un conflit avec la science. Une lecture théologique ouvre à une articulation possible avec l’évolution.

III.2. L’homme : création immédiate ou émergence évolutive ?

III.2.a. Adam et Ève : historicité ou archétype ?

La doctrine traditionnelle affirme que l’humanité descend d’un premier couple marqué par le péché originel (Rm 5,12–21). Cependant, la génétique des populations indique une origine plurielle des humains modernes (mitochondrial Eve et Y-chromosomal Adam ne sont pas des individus uniques mais des ancêtres génétiques communs).

Certains théologiens défendent une lecture symbolique ou archétypale d’Adam comme représentant l’humanité entière. D’autres, comme C.S. Lewis ou Henri Blocher, explorent des modèles d’« Adam théologique » inséré dans une population évolutive.

La question de l’âme spirituelle, distincte du corps biologique, demeure centrale. Pie XII affirmait que même si le corps humain provient d’une matière vivante préexistante, l’âme est directement créée par Dieu (Humani Generis, §36).

III.2.b. Hominisation et paléo-anthropologie

La paléoanthropologie retrace une lignée évolutive incluant Australopithecus, Homo habilis, Homo erectus, Homo neanderthalensis et Homo sapiens. Cette histoire ne décrit pas une apparition soudaine mais un processus graduel.

La difficulté théologique réside dans l’attribution de la conscience morale et spirituelle. À quel moment une créature devient-elle « image de Dieu » ? Certaines approches (comme celles de Wentzel van Huyssteen) évoquent l’émergence progressive de la subjectivité réflexive.

Le christianisme peut reconnaître une continuité biologique tout en affirmant une discontinuité ontologique au niveau de l’appel divin. Cela suppose une relecture de la doctrine du péché originel et du salut.

III.2.c. Âme, conscience et singularité humaine

La singularité humaine peut être envisagée selon plusieurs axes : neurologique, symbolique, moral, spirituel. Les neurosciences montrent des continuités entre humains et primates, mais aussi des différences dans le langage, l’art, les rites funéraires.

La théologie peut considérer que l’âme n’est pas un « ajout » mais l’expression d’une relation ontologique. La distinction entre âme et esprit, déjà présente dans la tradition biblique, permet une interprétation dynamique.

Ainsi, l’évolution n’exclut pas la création, mais oblige à repenser l’articulation entre nature et grâce, entre l’histoire biologique et l’histoire du salut.

III.3. Finalité divine versus hasard biologique

III.3.a. Providence et création continue

La création n’est pas un acte ponctuel mais une relation permanente : « Mon Père travaille jusqu’à présent » (Jn 5,17). La théologie parle de creatio continua. Cela permet de penser l’évolution comme un mode de réalisation de la création.

Dieu peut agir à travers des processus naturels sans les abolir. La contingence biologique ne nie pas la providence mais en révèle la discrétion. Karl Rahner parle d’un « panthéisme asymptotique » où Dieu se manifeste à travers la complexité du réel.

III.3.b. Hasard, nécessité et téléologie

Le hasard biologique n’est pas le chaos mais l’indéterminisme relatif dans un cadre de lois physiques. L’opposition entre hasard et finalité est souvent un faux dilemme. Thomas d’Aquin admettait déjà des causes accidentelles dans l’ordre voulu par Dieu (ST I, q.103).

La téléologie peut être comprise non comme un plan détaillé, mais comme une orientation globale. La théologie contemporaine parle de « création ouverte » (Moltmann) ou de « dessein évolutif ».

III.3.c. Le mal, la mort et la théologie de la chute

L’évolution implique la mort, la souffrance, la compétition. Cela pose un défi à la doctrine du péché originel, qui associait la mort à la faute d’Adam (Rm 5,12). Faut-il lire ce texte de manière historique ou symbolique ?

Des théologiens comme Hans Urs von Balthasar ou John Haught proposent de voir la mort biologique comme partie du processus créateur, tandis que la « mort spirituelle » résulte du péché. La chute devient une métaphore de la liberté mal orientée, non un événement biologique.

Cela permet une compatibilité entre évolution et théologie, mais exige une relecture doctrinale.

PARTIE IV — ARTICULATIONS, SYNTHÈSES ET DIALOGUES CONTEMPORAINS

IV.1. Lectures compatibles ou non-contradictoires

IV.1.a. Théologie naturelle : Teilhard de Chardin et Polkinghorne

Teilhard de Chardin (1881–1955), telle qu'il l'expose notamment dans son œuvre majeure, Le Phénomène humain, a proposé une vision de l’évolution comme processus dirigé vers un point final, le Point Oméga, identifié au Christ. Selon lui, la matière et l’esprit ne sont pas séparés mais co-évoluent. La complexité croissante du cosmos témoigne d’une dynamique orientée vers la conscience et la communion divine.

« Il n'y a qu'une manière possible de s'aimer : c'est de se savoir “surcentrés” tous ensemble sur un même “ultra-centre” commun, en qui les êtres ne puissent parvenir qu'à l'extrême d'eux-mêmes, qu'en se réunissant. »
« Je crois que l'univers est une évolution. Je crois que l'univers va vers l'Esprit. Je crois que l'Esprit, [dans l'Homme], s'achève en du Personnel. Je crois que le Personnel suprême, est le Christ-Universel. »

John Polkinghorne (1930–2021), physicien et théologien anglican, soutient que l’évolution peut être comprise comme un processus guidé par les lois naturelles, tout en restant compatible avec une providence divine. La contingence biologique n’exclut pas un dessein général.

Polkinghorne interprète la création comme un acte de « kénose » (un terme théologique signifiant l'« abaissement » ou l'auto-dépouillement du Christ, appliqué ici à l'acte créateur).

« L'acte de création a été un acte d'auto-limitation kénotique du pouvoir divin, embrassé librement par un Créateur qui permet aux créatures d'être elles-mêmes et de se faire elles-mêmes. » (Extrait de Scripture and an Evolving Creation).

Dieu, par amour, s'est volontairement restreint pour donner à sa création l'espace nécessaire pour se développer librement. C'est le « coût » de l'amour divin : permettre l'altérité et l'autonomie des créatures.

Ces lectures offrent un cadre où science et foi ne s’opposent pas mais se complètent, chacune dans son domaine.

IV.1.b. Théologie de l’évolution : Haught, Congar

John Haught, théologien catholique contemporain, défend la « théologie de l’évolution », selon laquelle Dieu agit à travers les processus évolutifs. La création n’est plus ponctuelle mais continue, dynamique et ouverte. L’évolution devient un langage de la providence, non une menace pour la foi.

« L'absence du pouvoir de Dieu ouvre la possibilité de l'amour de Dieu. L'amour créateur exige que le monde soit libre, distinct de Dieu. Nous voyons cette liberté dans l'indétermination des choses physiques à leur cœur, y compris les événements de la sélection naturelle. Ceux-ci nous proclament que le monde est non contraint... Dieu est le Dieu qui accompagne. Cet accompagnement se manifeste pleinement dans le Christ souffrant sur la croix. » God After Darwin : A Theology of Evolution.

Yves Congar et la théologie conciliaire post-Vatican II insistent sur la liberté de l’homme et le rôle de Dieu dans le dessein général de l’histoire, sans confondre cause première et causes secondes. L'œuvre de la création n'est pas un acte ponctuel, initial, mais une relation permanente... Dieu n'est pas seulement créateur à l'origine, Il soutient le monde dans son existence. La providence renvoie à une souveraineté continue. Cela permet de dépasser le conflit littéraliste entre Genèse et sciences naturelles.

IV.1.c. Le « dessein évolutif » et les déclarations pontificales

En 1996, Jean-Paul II a reconnu que l’évolution était « plus qu’une hypothèse » pour expliquer l’origine des espèces, y compris l’homme (voir supra). Il souligne cependant que l’âme humaine reste directement créée par Dieu, introduisant une articulation entre science et théologie.

Benoît XVI, dans Lumière du monde et autres interventions, reprend cette idée : l’évolution biologique et cosmique n’exclut pas un dessein métaphysique, mais nécessite de distinguer les niveaux d’explication.

Le message central du récit de la création se laisse déterminer encore plus précisément. Dans les premières paroles de son Evangile, saint Jean a résumé la signification essentielle de ce récit en cette unique phrase: «Au commencement était le Verbe». En effet, le récit de la création que nous venons d’écouter est caractérisé par la phrase qui revient régulièrement: «Dieu dit…». Le monde est un produit de la Parole, du Logos, comme l’exprime Jean avec un terme central de la langue grecque. «Logos» signifie «raison», «sens», «parole». Il ne signifie pas seulement «raison», mais Raison créatrice qui parle et qui se communique elle-même. C’est une Raison qui est sens et qui crée elle-même du sens. Le récit de la création nous dit, donc, que le monde est un produit de la Raison créatrice. Et ainsi il nous dit qu’à l’origine de toutes choses il n’y avait pas ce qui est sans raison, sans liberté, mais que le principe de toutes choses est la Raison créatrice, est l’amour, est la liberté. Ici nous nous trouvons face à l’alternative ultime qui est en jeu dans le débat entre foi et incrédulité: l’irrationalité, l'absence de liberté et le hasard sont-ils le principe de tout, ou bien la raison, la liberté, l’amour sont-ils le principe de l’être ? Le primat revient-il à l’irrationalité ou à la raison? C’est là la question en dernière analyse. Comme croyants nous répondons par le récit de la création et avec Saint Jean: à l’origine, il y a la raison. A l’origine il y a la liberté. C’est pourquoi être une personne humaine est une bonne chose. Il n’est pas exact que dans l’univers en expansion, à la fin, dans un petit coin quelconque du cosmos se forma aussi, par hasard, une certaine espèce d’être vivant, capable de raisonner et de tenter de trouver dans la création une raison ou de l’avoir en elle. Si l’homme était seulement un tel produit accidentel de l’évolution en quelque lieu à la marge de l’univers, alors sa vie serait privée de sens ou même un trouble de la nature. Non, au contraire: la raison est au commencement, la Raison créatrice, divine. Et puisqu’elle est Raison, elle a créé aussi la liberté; et puisqu’on peut faire de la liberté un usage indu, il existe aussi ce qui est contraire à la création. C’est pourquoi une épaisse ligne obscure s’étend, pour ainsi dire, à travers la structure de l’univers et à travers la nature de l’homme. Mais malgré cette contradiction, la création comme telle demeure bonne, la vie demeure bonne, parce qu’à l’origine il y a la Raison bonne, l’amour créateur de Dieu. C’est pourquoi le monde peut être sauvé. C’est pour cela que nous pouvons et nous devons nous mettre du côté de la raison, de la liberté et de l’amour – du côté de Dieu qui nous aime tellement qu’il a souffert pour nous, afin que de sa mort puisse surgir une vie nouvelle, définitive, guérie. Benoît XVI, Homélie du 23 avril 2011.

IV.2. Religion et science : frontières herméneutiques

IV.2.a. Modèle NOMA : Stephen Jay Gould

Gould propose le concept de Non-Overlapping Magisteria (NOMA), selon lequel science et religion traitent de domaines distincts : faits empiriques d’un côté, valeurs et sens de l’autre. L’évolution peut être étudiée scientifiquement sans contradiction avec les questions de sens et de finalité.

IV.2.b. Approches interdisciplinaires : Barbour, Peacocke

Ian Barbour distingue quatre modèles de relation science-religion : conflit, indépendance, dialogue, intégration. Les deux derniers permettent d’envisager l’évolution et la Genèse comme complémentaires, à condition de clarifier les niveaux d’explication.

Arthur Peacocke défend une « théologie scientifique », où la biologie moléculaire et l’évolution sont comprises comme expressions du dessein divin, sans réduire Dieu à un mécanisme.

IV.2.c. Religious Literacy et sciences cognitives

Les sciences cognitives de la religion montrent que les récits symboliques et mythiques structurent la pensée humaine. Comprendre la Genèse comme récit théologique plutôt que chronologie exacte permet un dialogue serein avec la biologie évolutive. Les connaissances scientifiques enrichissent la lecture symbolique, tandis que la théologie apporte sens et valeur.

IV.3. Vers une épistémologie du dialogue

IV.3.a. Mythos et Logos : complémentarité ou tension ?

Paul Ricoeur distingue mythos (récit symbolique) et logos (raison scientifique). La Genèse fonctionne comme mythos, tandis que la théorie de l’évolution relève du logos. La tension n’est donc que superficielle : les deux registres répondent à des questions différentes.

IV.3.b. Questions ouvertes : conscience, univers, finalité

La question de la conscience humaine, de la singularité morale et de la finalité cosmique demeure ouverte. La science décrit l’émergence de la vie et de l’intelligence, tandis que la théologie propose un sens ultime et une orientation morale. L’articulation des deux permet de dépasser l’opposition simpliste « création vs évolution ».

IV.3.c. Redéfinition contemporaine de la création

La création peut être pensée comme processus dynamique, continuellement soutenu par Dieu, où l’évolution n’est pas un obstacle mais un moyen d’expression de la providence. L’homme émerge progressivement, mais reste porteur de l’imago Dei, permettant une lecture intégrative et non conflictuelle.

CONCLUSION GÉNÉRALE

L’examen du récit biblique et des théories de l’évolution montre que l’opposition apparente n’est ni absolue ni incontournable. La Genèse, lue comme texte théologique et symbolique, ne s’oppose pas nécessairement à l’évolution, comprise comme cadre explicatif des mécanismes du vivant et du cosmos.

Le conflit surgit surtout lorsque l’on impose au texte biblique une lecture littérale, chronologique et scientifique, ou lorsque l’on réduit l’évolution à une causalité aveugle, excluant toute dimension métaphysique. La théologie contemporaine propose des modèles articulant cause première et causes secondes, continuité biologique et singularité humaine, hasard et finalité.

Ainsi, il est possible de penser une création continue, ouverte et évolutive, où la providence divine coexiste avec les lois naturelles. L’homme conserve sa singularité spirituelle, tandis que la science fournit les outils pour comprendre les processus physiques et biologiques. Le dialogue entre théologie et science, loin de réduire la foi ou la raison, enrichit la compréhension de l’univers et de l’existence humaine.

Cette synthèse permet de dépasser le dilemme ancien et d’ouvrir de nouvelles perspectives pour la réflexion théologique, philosophique et scientifique, sans compromettre l’intégrité de l’un ou de l’autre domaine.

BIBLIOGRAPHIE (sélective)

Sources bibliques

  • La Sainte Bible, traduction de la Bible de Jérusalem. Genèse 1–2, Psaumes 104, Job 38–41, Sagesse 9, Jean 1.

Théologie et exégèse

  • Augustin, De Genesi ad litteram (IV–Vᵉ siècle).
  • Thomas d’Aquin, Summa Theologica, I, q.44–46, q.103.
  • Gerhard von Rad, Genesis: A Commentary, 1961.
  • Claus Westermann, Genesis 1–11: A Commentary, 1984.
  • Yves Congar, Vraie et fausse réforme dans l’Église, 1987.
  • John Haught, God After Darwin, 2000.
  • Teilhard de Chardin, Le Phénomène humain, 1955.

Histoire et sciences naturelles

  • Charles Darwin, On the Origin of Species, 1859.
  • Stephen Jay Gould, The Structure of Evolutionary Theory, 2002.
  • Richard Dawkins, The Blind Watchmaker, 1986.
  • Theodosius Dobzhansky, Nothing in Biology Makes Sense Except in the Light of Evolution, 1973.
  • Ernst Mayr, What Evolution Is, 2001.

Philosophie et dialogue science-religion

  • Ian Barbour, Religion and Science: Historical and Contemporary Issues, 1997.
  • Arthur Peacocke, Creation and the World of Science, 1979.
  • Paul Ricoeur, Finitude et Culpabilité, 1960.
  • Karl Rahner, Foundations of Christian Faith, 1978.
  • Stephen Jay Gould, Rocks of Ages, 1999.
  • Mouvement créationniste et Intelligent Design
  • Michael Behe, Darwin’s Black Box, 1996.
  • William Dembski, Intelligent Design, 1999.
  • Institute for Creation Research publications.

Magistère chrétien

  • Pie XII, Humani Generis, 1950.
  • Jean-Paul II, allocution sur l’évolution, 1996.
  • Benoît XVI, Lumière du monde, 2010.

ANNEXES

CEC 375 - L’Église, en interprétant de manière authentique le symbolisme du langage biblique à la lumière du Nouveau Testament et de la Tradition, enseigne que nos premiers parents Adam et Ève ont été constitués dans un état "de sainteté et de justice originelle".

Dieu a créé les êtres et les a laissés se développer selon les lois internes qu’il a données à chacun, pour qu’ils se développent et pour qu’ils parviennent à leur plénitude. Il a donné l’autonomie aux êtres de l’univers en même temps qu’il les a assurés de sa présence permanente, donnant existence à chaque réalité. Et ainsi la création est allée de l’avant pendant des siècles et des siècles, des millénaires et des millénaires jusqu’à devenir celle que nous connaissons aujourd’hui, précisément parce que Dieu n’est pas un démiurge ou un magicien, mais le Créateur qui donne l’existence à toutes les créatures. Le début du monde n’est pas l’œuvre du chaos qui doit son origine à un autre, mais dérive directement d’un Principe suprême qui crée par amour. Le Big-Bang, que l’on place aujourd’hui à l’origine du monde, ne contredit pas l’intervention créatrice divine, mais l’exige. L’évolution de la nature ne s’oppose pas à la notion de Création, car l’évolution présuppose la création d’êtres qui évoluent (François, Discours à l'Académie des Sciences, Voir le texte complet en PDF).

Dans un premier texte de 1968 intitulé « Foi en la création et théorie de l’évolution », Joseph Ratzinger tente de préciser l’apport de la science par rapport à la théologie. Sa position est alors très nettement avant-gardiste, tout en étant dans le fil de l’inspiration du Concile : « La théorie de l’évolution ne supprime pas la foi ; elle ne la confirme pas non plus. Mais elle la pousse à se comprendre elle-même plus profondément, et à aider ainsi l’être humain à se comprendre et à devenir de plus en plus ce qu’il est : l’être qui dans l’éternité doit dire “tu” à Dieu ». Et lui-même de faire référence à Teilhard de Chardin pour dépasser l’alternative radicale et simpliste entre matérialisme et spiritualisme, hasard et sens : l’homme doit reconnaître en même temps sa finitude, qui limite inexorablement sa prétention, et l’image de Dieu qui est en lui.

À l’occasion de quatre sermons sur les premiers chapitres du livre de la Genèse, le Cardinal reviendra avec force en 1981 sur l’articulation entre évolution et création, en attaquant la notion de hasard. À nouveau, il insiste sur l’absurdité d’une confrontation radicale entre évolution et création : selon lui les deux approches se complètent et ne s’excluent pas. La première s’intéresse au « comment » des choses, alors que la seconde parle du « pourquoi » et donne accès à l’origine du projet divin. La question centrale de son propos se ramène alors au sens de l’existence : « Si nous savons que nous ne sommes pas les fruits du hasard mais sommes issus de la liberté et de l’amour, alors, nous qui ne sommes pas nécessaires pouvons rendre grâce pour cette liberté et, par là-même, nous convaincre que c’est bien un don d’être homme ». Autrement dit, Ratzinger rejette catégoriquement la thèse de Richard Dawkins selon laquelle l’homme, produit génétique complexe, serait apparu par un pur hasard.

Joseph Ratzinger rejette donc avec force l’idée que nous serions les fruits du hasard, cette conclusion ruinerait la morale et la foi. Il attaque nommément Jacques Monod, qui « met à la place de la volonté divine le hasard, la loterie censés nous avoir produits ». Contre cette approche mécaniste, il relève plutôt que le hasard mis en valeur par la science nous révèle que notre existence n’est pas le résultat d’un processus nécessaire, ce qui suggère que Dieu en serait la cause. Autrement dit, en réponse à l’interrogation de Leibniz : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? », il faut reconnaître qu’effectivement nous pourrions très bien ne pas être, mais si nous sommes, nous le sommes de par la volonté de Dieu. Création et évolution - La pensée de Benoît XVI (Vincent Aucante, Dans Nouvelle revue théologique 2008/3 (Tome 130), pages 610 à 618)..

Joseph Ratzinger, 1981, « Au commencement, Dieu créa le Ciel et la Terre », Sermons de carême (ed. Fayard, 2005).

Ces mots par lesquels commencent les Saintes Écritures me font chaque fois l’effet d’un grand et vénérable carillon de fête qui, de loin, touche le cœur par sa beauté et sa noblesse, et laisse entrevoir le mystère de l’Éternel. À ces mots s’associe pour beaucoup d’entre nous le souvenir de la première rencontre avec le Saint Livre de Dieu, la Bible, que l’on nous ouvrait à ce passage. Il nous sortait de notre petit monde enfantin et nous captivait par sa poésie. Il nous laissait deviner quelque chose de l’incommensurabilité de la Création et de son Créateur.

Il nous restait cependant un sentiment de doute devant ces mots. Ils semblent beaux et familiers, mais sont-ils également vrais ? Tout paraît indiquer le contraire, car la science positive a depuis longtemps écarté les notions que nous venons de considérer : la conception d’un monde que l’on peut comprendre dans le temps et dans l’espace, qui aurait été créé morceau après morceau en sept jours. Au contraire, nous nous trouvons en face de dimensions qui défient l’imagination. On parle du big-bang d’il y a dix milliards d’années, par lequel commença l’expansion de l’Univers, qui se poursuit indéfiniment. Ce n’est pas successivement que les étoiles furent accrochées, que les végétaux furent créés. La terre et le monde acquirent leur configuration actuelle au gré de processus confus, lents, sur des durées immenses.

Tout cela ne vaut-il donc plus rien ? Il y a quelque temps, de fait, un théologien a pu dire que la Création était devenue une notion dépourvue de bases réelles. Pour être intellectuellement honnête, il ne faudrait plus parler de Création, mais seulement de mutation et de sélection. Ce récit est-il vrai ? Ou bien, de même que toute la Parole de Dieu, de même que toute la tradition biblique, n’est-il pas un retour aux rêves de l’enfance de l’humanité, rêves que nous évoquons peut-être avec une certaine mélancolie mais que nous ne pouvons rappeler à nous, car l’on ne saurait vivre de nostalgie ? Une réponse positive ne peut-elle être également soutenue à notre époque ?

La différence entre la forme et le fond dans le récit de la Création.

Elle se formule ainsi : la Bible n’est pas un manuel de sciences naturelles, elle n’entend pas l’être. C’est un livre religieux et, en conséquence, on ne peut en tirer d’informations concernant les sciences positives, ni y voir comment s’est opérée la genèse du monde du point de vue de l’histoire naturelle, mais seulement y puiser des connaissances de caractère religieux. Tout le reste est image, manière de rendre compréhensible aux hommes les vérités les plus profondes. Il faut distinguer la forme de présentation du contenu présenté. La forme a été choisie selon ce qui était accessible à l’époque, d’après les images avec lesquelles les hommes d’alors vivaient, s’exprimaient et pensaient, grâce auxquelles ils pouvaient comprendre les vérités les plus grandes. Seule la vérité mise en lumière par les images en constitue le sens véritable, permanent.

L’Écriture n’a pas l’intention de nous raconter comment les espèces de plantes firent leur apparition, comment le soleil, la lune et les étoiles se formèrent, mais, au bout du compte, de nous dire une seule chose : Dieu a créé le monde.

Le monde n’est pas, ainsi que le pensaient alors les hommes en maints endroits, un chaos de forces antagonistes, ni le siège de puissances démoniaques dont l’homme doit se protéger. Le soleil et la lune ne sont pas des divinités qui règnent sur lui. Au-dessus de nous, le ciel n’est pas peuplé de divinités mystérieuses et opposées, mais tout vient d’une seule puissance, de la « raison » éternelle de Dieu, devenu force créatrice dans le Verbe. Tout ceci vient du Verbe de Dieu, de ce même Verbe que nous rencontrons dans l’accomplissement de la foi.

Le hasard et la nécessité (J. Monod). Le « Que cela soit ! » n’engendra pas un magma chaotique.

Plus nous connaissons l’univers, plus nous trouvons en lui une rationalité dont les voies parcourues par la pensée nous émerveillent. À travers elles, nous redécouvrons cet Esprit Créateur auquel nous devons également la raison. Albert Einstein a écrit que dans les lois de la nature « se manifeste une raison si supérieure que toute la rationalité de la pensée et du vouloir humains semblent, par comparaison, être un reflet absolument insignifiant. » Nous constatons que l’infiniment grand, l’univers des étoiles, est régi par la puissance d’une Raison. Mais nous en apprenons également toujours plus sur l’infiniment petit, sur la cellule, sur les éléments fondamentaux du vivant. Là encore, nous découvrons une rationalité qui nous étonne, de sorte qu’il nous faut dire avec saint Bonaventure : « Qui ne voit cela est aveugle. Qui ne l’entend est sourd. Et qui ne se met pas ici à prier et à louer l’Esprit Créateur, est muet. »

Jacques Monod, lui qui rejette comme non-scientifique toute croyance en Dieu et réduit l’univers entier au jeu combiné du hasard et de la nécessité, rapporte ce que François Mauriac aurait dit après les conférences qui allaient composer le livre où Monod s’efforce de fonder et systématiser sa vision du monde : « Ce que dit ce professeur est bien plus incroyable encore que ce que nous croyons, nous autres pauvres chrétiens. »

Monod ne nie pas qu’il en soit ainsi. Selon sa thèse, toute la symphonie de la Nature surgirait d’erreurs et de dissonances. Il est obligé d’admettre qu’une telle conception, au fond, est absurde. Mais, selon lui, la méthode scientifique nous forcerait à ne pas admettre une question dont la réponse aurait pour nom « Dieu ».

Quelle misérable méthode, pourrait-on se dire. À travers la rationalité de la Création, Dieu lui-même nous regarde. La physique et la biologie, toutes les sciences en général nous ont offert un récit de la Création nouveau et inouï. Ces images grandes et nouvelles nous font connaître le visage du Créateur. Elles nous rappellent, oui, qu’au Commencement, et au fond de tout être, il y a l’Esprit créateur.

Le monde n’est pas issu des ténèbres et de l’absurde. Il jaillit de l’Intelligence, de la Liberté, de la Beauté qui est Amour. Voir tout ceci nous donne le courage qui nous permet de vivre et nous rend capables de prendre avec confiance, sur nos épaules, l’aventure de la vie.

Lorsque nous arrivons à comprendre le langage spécifique de ces récits, un langage primitif mais empreint de sagesse et de profondeur, nous sommes capables d’en identifier le vrai noyau. Ils nous parlent d’« une intervention personnelle », transcendant la réalité de l’univers : avant que le monde ne fut existent la liberté personnelle et la sagesse infinie du Dieu créateur. À travers un langage symbolique, naïf en apparence, une profonde aspiration à la vérité se fraye un chemin, qu’il est possible de résumer ainsi : Dieu a fait tout cela parce qu’il l’a voulu ainsi. La Bible ne cherche pas à se prononcer sur les stades de l’évolution de l’univers et l’origine de la vie, mais à affirmer la « liberté de la toute-puissance » de Dieu, la rationalité du monde qu’il a créé et son amour pour lui. Ainsi, se déploie devant nos yeux une image de la réalité et de chacun des êtres qui la configurent, comme « un don qui surgit de la main ouverte du Père de tous »[9]. Sous l’éclairage de la foi en la création, nous voyons que la réalité a été marquée dans son noyau même par le signe de l’accueil. Le chrétien voit chez chaque être, y compris au milieu des imperfections, du mal et de la souffrance, un cadeau jailli de l’Amour et appelant à l’Amour : un cadeau dont il faut jouir et qu’il faut respecter, soigner et transmettre. D’après Marco Vanzini / Carlos Ayxelá. https://opusdei.org/fr-fr/article/dieu-vit-tout-ce-quil-avait-fait-cela-etait-tres-bon-la-creation-i/