Création et évolution

cosmologie antique Les sciences s'intéressent au comment; la théologie au pourquoi. Les deux approches se complètent sans contradiction, car elles courent dans un registre différent. Les récits de la Genèse ne se lisent pas comme des reportages chronologiques, ni comme des récits historiques et encore moins comme des explications scientifiques sur les origines de l’univers. Ils constituent une révélation sur Dieu, sur l’humanité et sur le projet de Dieu pour l’homme et la femme.

Par ailleurs, n’oublions pas que la bible est toujours révélée au sein d’une culture. Les auteurs bibliques décrivent l’univers avec les mots et les connaissances propres à leur environnement culturel. Ainsi la terre n’est qu’un disque qui repose sur des piliers ; les luminaires sont accrochés à la voûte céleste derrière laquelle est stockée l’eau utile à l’arrosage de la terre.

Jean-Paul II souligne que les théories de l’évolution sont plus qu’une hypothèse (texte complet en PDF). Le pape François prolonge cette réflexion en affirmant :

Dieu a créé les êtres et les a laissés se développer selon les lois internes qu’il a données à chacun, pour qu’ils se développent et pour qu’ils parviennent à leur plénitude. Il a donné l’autonomie aux êtres de l’univers en même temps qu’il les a assurés de sa présence permanente, donnant existence à chaque réalité. Et ainsi la création est allée de l’avant pendant des siècles et des siècles, des millénaires et des millénaires jusqu’à devenir celle que nous connaissons aujourd’hui, précisément parce que Dieu n’est pas un démiurge ou un magicien, mais le Créateur qui donne l’existence à toutes les créatures. Le début du monde n’est pas l’œuvre du chaos qui doit son origine à un autre, mais dérive directement d’un Principe suprême qui crée par amour. Le Big-Bang, que l’on place aujourd’hui à l’origine du monde, ne contredit pas l’intervention créatrice divine, mais l’exige. L’évolution de la nature ne s’oppose pas à la notion de Création, car l’évolution présuppose la création d’êtres qui évoluent (Voir le texte complet en PDF).

Dans un premier texte de 1968 intitulé « Foi en la création et théorie de l’évolution », Joseph Ratzinger tente de préciser l’apport de la science par rapport à la théologie. Sa position est alors très nettement avant-gardiste, tout en étant dans le fil de l’inspiration du Concile : « La théorie de l’évolution ne supprime pas la foi ; elle ne la confirme pas non plus. Mais elle la pousse à se comprendre elle-même plus profondément, et à aider ainsi l’être humain à se comprendre et à devenir de plus en plus ce qu’il est : l’être qui dans l’éternité doit dire “tu” à Dieu ». Et lui-même de faire référence à Teilhard de Chardin pour dépasser l’alternative radicale et simpliste entre matérialisme et spiritualisme, hasard et sens : l’homme doit reconnaître en même temps sa finitude, qui limite inexorablement sa prétention, et l’image de Dieu qui est en lui.

À l’occasion de quatre sermons sur les premiers chapitres du livre de la Genèse, le Cardinal reviendra avec force en 1981 sur l’articulation entre évolution et création, en attaquant la notion de hasard. À nouveau, il insiste sur l’absurdité d’une confrontation radicale entre évolution et création : selon lui les deux approches se complètent et ne s’excluent pas. La première s’intéresse au « comment » des choses, alors que la seconde parle du « pourquoi » et donne accès à l’origine du projet divin. La question centrale de son propos se ramène alors au sens de l’existence : « Si nous savons que nous ne sommes pas les fruits du hasard mais sommes issus de la liberté et de l’amour, alors, nous qui ne sommes pas nécessaires pouvons rendre grâce pour cette liberté et, par là-même, nous convaincre que c’est bien un don d’être homme ». Autrement dit, Ratzinger rejette catégoriquement la thèse de Richard Dawkins selon laquelle l’homme, produit génétique complexe, serait apparu par un pur hasard.

Joseph Ratzinger rejette donc avec force l’idée que nous serions les fruits du hasard, cette conclusion ruinerait la morale et la foi. Il attaque nommément Jacques Monod, qui « met à la place de la volonté divine le hasard, la loterie censés nous avoir produits ». Contre cette approche mécaniste, il relève plutôt que le hasard mis en valeur par la science nous révèle que notre existence n’est pas le résultat d’un processus nécessaire, ce qui suggère que Dieu en serait la cause. Autrement dit, en réponse à l’interrogation de Leibniz : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? », il faut reconnaître qu’effectivement nous pourrions très bien ne pas être, mais si nous sommes, nous le sommes de par la volonté de Dieu. Création et évolution - La pensée de Benoît XVI (Vincent Aucante, Dans Nouvelle revue théologique 2008/3 (Tome 130), pages 610 à 618)..

Joseph Ratzinger, 1981, « Au commencement, Dieu créa le Ciel et la Terre », Sermons de carême (ed. Fayard, 2005).

Ces mots par lesquels commencent les Saintes Écritures me font chaque fois l’effet d’un grand et vénérable carillon de fête qui, de loin, touche le cœur par sa beauté et sa noblesse, et laisse entrevoir le mystère de l’Éternel. À ces mots s’associe pour beaucoup d’entre nous le souvenir de la première rencontre avec le Saint Livre de Dieu, la Bible, que l’on nous ouvrait à ce passage. Il nous sortait de notre petit monde enfantin et nous captivait par sa poésie. Il nous laissait deviner quelque chose de l’incommensurabilité de la Création et de son Créateur.

Il nous restait cependant un sentiment de doute devant ces mots. Ils semblent beaux et familiers, mais sont-ils également vrais ? Tout paraît indiquer le contraire, car la science positive a depuis longtemps écarté les notions que nous venons de considérer : la conception d’un monde que l’on peut comprendre dans le temps et dans l’espace, qui aurait été créé morceau après morceau en sept jours. Au contraire, nous nous trouvons en face de dimensions qui défient l’imagination. On parle du big-bang d’il y a dix milliards d’années, par lequel commença l’expansion de l’Univers, qui se poursuit indéfiniment. Ce n’est pas successivement que les étoiles furent accrochées, que les végétaux furent créés. La terre et le monde acquirent leur configuration actuelle au gré de processus confus, lents, sur des durées immenses.

Tout cela ne vaut-il donc plus rien ? Il y a quelque temps, de fait, un théologien a pu dire que la Création était devenue une notion dépourvue de bases réelles. Pour être intellectuellement honnête, il ne faudrait plus parler de Création, mais seulement de mutation et de sélection. Ce récit est-il vrai ? Ou bien, de même que toute la Parole de Dieu, de même que toute la tradition biblique, n’est-il pas un retour aux rêves de l’enfance de l’humanité, rêves que nous évoquons peut-être avec une certaine mélancolie mais que nous ne pouvons rappeler à nous, car l’on ne saurait vivre de nostalgie ? Une réponse positive ne peut-elle être également soutenue à notre époque ?

La différence entre la forme et le fond dans le récit de la Création.

Elle se formule ainsi : la Bible n’est pas un manuel de sciences naturelles, elle n’entend pas l’être. C’est un livre religieux et, en conséquence, on ne peut en tirer d’informations concernant les sciences positives, ni y voir comment s’est opérée la genèse du monde du point de vue de l’histoire naturelle, mais seulement y puiser des connaissances de caractère religieux. Tout le reste est image, manière de rendre compréhensible aux hommes les vérités les plus profondes. Il faut distinguer la forme de présentation du contenu présenté. La forme a été choisie selon ce qui était accessible à l’époque, d’après les images avec lesquelles les hommes d’alors vivaient, s’exprimaient et pensaient, grâce auxquelles ils pouvaient comprendre les vérités les plus grandes. Seule la vérité mise en lumière par les images en constitue le sens véritable, permanent.

L’Écriture n’a pas l’intention de nous raconter comment les espèces de plantes firent leur apparition, comment le soleil, la lune et les étoiles se formèrent, mais, au bout du compte, de nous dire une seule chose : Dieu a créé le monde.

Le monde n’est pas, ainsi que le pensaient alors les hommes en maints endroits, un chaos de forces antagonistes, ni le siège de puissances démoniaques dont l’homme doit se protéger. Le soleil et la lune ne sont pas des divinités qui règnent sur lui. Au-dessus de nous, le ciel n’est pas peuplé de divinités mystérieuses et opposées, mais tout vient d’une seule puissance, de la « raison » éternelle de Dieu, devenu force créatrice dans le Verbe. Tout ceci vient du Verbe de Dieu, de ce même Verbe que nous rencontrons dans l’accomplissement de la foi.

Le hasard et la nécessité (J. Monod). Le « Que cela soit ! » n’engendra pas un magma chaotique.

Plus nous connaissons l’univers, plus nous trouvons en lui une rationalité dont les voies parcourues par la pensée nous émerveillent. À travers elles, nous redécouvrons cet Esprit Créateur auquel nous devons également la raison. Albert Einstein a écrit que dans les lois de la nature « se manifeste une raison si supérieure que toute la rationalité de la pensée et du vouloir humains semblent, par comparaison, être un reflet absolument insignifiant. » Nous constatons que l’infiniment grand, l’univers des étoiles, est régi par la puissance d’une Raison. Mais nous en apprenons également toujours plus sur l’infiniment petit, sur la cellule, sur les éléments fondamentaux du vivant. Là encore, nous découvrons une rationalité qui nous étonne, de sorte qu’il nous faut dire avec saint Bonaventure : « Qui ne voit cela est aveugle. Qui ne l’entend est sourd. Et qui ne se met pas ici à prier et à louer l’Esprit Créateur, est muet. »

Jacques Monod, lui qui rejette comme non-scientifique toute croyance en Dieu et réduit l’univers entier au jeu combiné du hasard et de la nécessité, rapporte ce que François Mauriac aurait dit après les conférences qui allaient composer le livre où Monod s’efforce de fonder et systématiser sa vision du monde : « Ce que dit ce professeur est bien plus incroyable encore que ce que nous croyons, nous autres pauvres chrétiens. »

Monod ne nie pas qu’il en soit ainsi. Selon sa thèse, toute la symphonie de la Nature surgirait d’erreurs et de dissonances. Il est obligé d’admettre qu’une telle conception, au fond, est absurde. Mais, selon lui, la méthode scientifique nous forcerait à ne pas admettre une question dont la réponse aurait pour nom « Dieu ».

Quelle misérable méthode, pourrait-on se dire. À travers la rationalité de la Création, Dieu lui-même nous regarde. La physique et la biologie, toutes les sciences en général nous ont offert un récit de la Création nouveau et inouï. Ces images grandes et nouvelles nous font connaître le visage du Créateur. Elles nous rappellent, oui, qu’au Commencement, et au fond de tout être, il y a l’Esprit créateur.

Le monde n’est pas issu des ténèbres et de l’absurde. Il jaillit de l’Intelligence, de la Liberté, de la Beauté qui est Amour. Voir tout ceci nous donne le courage qui nous permet de vivre et nous rend capables de prendre avec confiance, sur nos épaules, l’aventure de la vie.

Lorsque nous arrivons à comprendre le langage spécifique de ces récits, un langage primitif mais empreint de sagesse et de profondeur, nous sommes capables d’en identifier le vrai noyau. Ils nous parlent d’« une intervention personnelle »[6], transcendant la réalité de l’univers : avant que le monde ne fut existent la liberté personnelle et la sagesse infinie du Dieu créateur. À travers un langage symbolique, naïf en apparence, une profonde aspiration à la vérité se fraye un chemin, qu’il est possible de résumer ainsi : Dieu a fait tout cela parce qu’il l’a voulu ainsi[7]. La Bible ne cherche pas à se prononcer sur les stades de l’évolution de l’univers et l’origine de la vie, mais à affirmer la « liberté de la toute-puissance » [8] de Dieu, la rationalité du monde qu’il a créé et son amour pour lui. Ainsi, se déploie devant nos yeux une image de la réalité et de chacun des êtres qui la configurent, comme « un don qui surgit de la main ouverte du Père de tous »[9]. Sous l’éclairage de la foi en la création, nous voyons que la réalité a été marquée dans son noyau même par le signe de l’accueil. Le chrétien voit chez chaque être, y compris au milieu des imperfections, du mal et de la souffrance, un cadeau jailli de l’Amour et appelant à l’Amour : un cadeau dont il faut jouir et qu’il faut respecter, soigner et transmettre. D’après Marco Vanzini / Carlos Ayxelá. https://opusdei.org/fr-fr/article/dieu-vit-tout-ce-quil-avait-fait-cela-etait-tres-bon-la-creation-i/