Le projet originel
Quel est le projet de Dieu pour l'humanité ? Dans cette étude nous nous interresserons plus particulièrement au commencement. Que nous disent les textes de la genèse ?
Un avènement liturgique
Un rituel en 7 actes
Le mot rite est tiré du sanscrit r’tam et signifie la mise en ordre. Le mot rythme est tiré de cette racine. La création est une mise en ordre (en musique) des éléments.
Chaque acte comprend une ou plusieurs scènes, au cours desquelles Dieu prend la parole. Car le processus de création est un processus d’énonciation effective. C’est une parole performative. Dieu dit, et cela est. Chaque acte montre ainsi la Parole de Dieu à l’œuvre.
Nous voyons aussi que la Trinité est déjà présente. Même si ce concept ne sera défini qu’avec Tertullien au IIème siècle après J.-C., le Père est présent en tant que Dieu créateur, le Fils à travers la parole (le Verbe), et l’Esprit à travers le souffle (la ruah).
L’origine des 7 jours : 7 planètes connues dans la cosmologie de l’époque. A chaque jour correspond un astre.
Acte 1 : Du chaos à l’ordre (Gn 1,2-5)
À partir du chaos (une terre tohû wabohû, vide et informe…), Dieu (toujours appelé Elohim dans ce récit) commence par s’affronter à l’abîme soulevé par un souffle tempétueux. Toute la scène se déroule dans les ténèbres, et la première parole divine suscite le surgissement de la lumière. Cette lumière, qualifiée de « bonne », est alors séparée des ténèbres. Ce verbe « séparer » (badal) revient à plusieurs reprises dans le récit. Il indique que l’oeuvre créatrice consiste à mettre de l’ordre au sein d’un chaos indifférencié. Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place… Et un nom pour chaque chose ! Le premier acte se termine par la nomination de la lumière et des ténèbres. Avoir un nom, c’est avoir une place dans l’ordre cosmique voulu par Dieu. Un refrain scande chaque acte : Dieu vit que cela était bon. L’acte se conclut par un autre refrain « il y eut un soir et il y eut un matin » qui sert de transition entre chaque épisode.
Acte 2 : En haut et en bas (Gn 1,6-8)
Dans le second acte il s’agit de séparer les eaux d’en haut (d’où provient la pluie) des eaux d’en bas (d’où proviennent les sources). Pour cela, Dieu établit une frontière entre le haut et le bas, qu’il nomme « raqia », terme traduit habituellement par « firmament». Pour l’auteur biblique, il s’agit d’une véritable voûte solide et transparente. Un nouveau verbe fait son entrée dans le récit : Dieu façonne (fit) littéralement (asah) le firmament, tel un artisan qui élabore son oeuvre. Au terme de cet acte, le ciel est désormais séparé de la terre. Le récit va dès lors se focaliser sur cette dernière.
Acte 3 : Au sec (Gn 1,9-13)
Pour l’heure, les eaux d’en bas inondent la totalité de la planète. L’étape suivante consiste à faire émerger de la terre ferme, et pour cela, opérer une nouvelle séparation. Par une troisième parole, Dieu regroupe les eaux dans un territoire délimité, nommé « mer », nettement distingué de la « terre ». La seconde scène de cet acte est la création de la végétation, toujours sous l’impulsion d’une parole divine. Herbe verte, céréales, arbres fruitiers… Tous désormais peuvent pousser sur une terre irriguée par les eaux, mais point menacée par elles.
Acte 4 : Lampadaires et chronomètres (Gn 1,14-19)
Le récit délaisse alors la terre pour revenir au ciel, avec la création des astres. Le récit est très subtil et évite de les nommer. Il évoque simplement le grand et le petit luminaire, sans utiliser leurs noms de « soleil » et « lune », qui sont considérés comme des divinités dans les religions de l’ancien Orient. Dans la Bible, les astres ne sont pas des dieux, mais de simples objets utilitaires, dont la fonction première est d’éclairer et de permettre le décompte du temps.
Acte 5 : Habiter le ciel et la mer (Gn 1,20-23)
Il s’agit maintenant de peupler cette terre bien structurée. Pour ce faire, le récit reprend les grandes étapes précédentes : habitants du ciel, de la mer et enfin de la terre ferme. Ce cinquième acte est consacré aux oiseaux et aux animaux aquatiques. Parmi eux, le récit distingue les tannînîm (serpents de mer), les grands monstres marins. Dans les mythologies mésopotamiennes, ces géants des mers étaient des monstres hostiles que les divinités devaient mater au prix de violents combats. Ici, ce sont de simples créatures inoffensives au regard de Dieu, qui les qualifie également de bonnes.
Pour la première fois dans le récit, il est fait mention d’êtres « vivants ». Littéralement, il s’agit d’une nephesh vivante, le terme nephesh pouvant être traduit par âme ou par gorge, car il s’agit de l’organe par lequel le souffle entre dans l’être. Le même terme sera utilisé pour qualifier l’homme suite à sa création à partir de l’argile et du souffle de Dieu.
Pour l’auteur, vivre, c’est respirer ! Pour la première fois également, Dieu s’adresse à sa création. Il bénit les animaux et leur demande de se multiplier à foison pour peupler la terre.
Acte 6 : Et le gagnant est... (Gn 1,24-31)
Deux scènes pour cet avant-dernier acte. La première concerne la création des animaux terrestres. Toujours sous l’impulsion d’une parole divine, la terre produit bestiaux, bestioles et bêtes sauvages selon leur espèce (mîn). Ces versets ont été parfois sollicités pour tenter de démontrer que la théorie de l’évolution des espèces était incompatible avec la révélation biblique… En fait, il est imprudent de traduire mîn par espèce au sens biologique du terme. Pour l’auteur biblique, il s’agit d’opérer une classification des animaux, mais pas de se prononcer sur la généalogie qui relie les différentes sortes d’animaux (le terme mîn sert surtout dans le Lévitique à distinguer entre animaux purs et impurs)
La seconde scène est consacrée à la création de l’homme. Celui-ci se distingue nettement des animaux en étant façonné à l’image de Dieu. L’homme est d’emblée créé sexué, mâle et femelle qui sont placés sur un strict pied d’égalité. C’est une différence majeure avec le second récit de création qui évoque Ève façonnée à partir de la côte (côté) d’Adam.
L’homme est également placé en situation de domination sur l’ensemble de la terre (v. 28) : « Dieu les bénit et leur dit : Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la ; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre ». Les versets 30-31 fixent le régime alimentaire des hommes et des animaux. Surprise : tous sont strictement végétariens ! Ce qui signifie que nul n’a besoin de tuer pour se nourrir. Le récit établit donc un rapport pacifique entre les différents êtres vivants qui peuplent la planète. Pas de prédateurs ni de proies dans le projet divin. Dans la suite du livre de la Genèse, ce n’est qu’après le Déluge que l’alimentation carnée entre au menu. L’homme dominera sur les animaux, mais il le fera alors par la violence et il deviendra l’effroi des bêtes de la terre (Gn 9,2).
En revanche, lorsque le prophète Isaïe évoque la nouvelle création, il envisage un retour aux conditions pacifiques primordiales (le loup habitera avec l’agneau…) et il conclut par la parole divine : « On ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma montagne sainte, car le pays sera rempli de la connaissance de YHWH, comme les eaux couvrent le fond de la mer (Is 11,6-9). »
Le Seigneur porte un regard très positif sur son oeuvre : tout cela était très bon (v. 31). Aucun mal ne résulte de l’action du Créateur.
Dernier acte : Repos ! (Gn 2,1-3)
Il ne reste plus à Dieu qu’à souffler un peu… Le dernier acte de la création est celui du repos divin. Désormais, la terre est placée sous la responsabilité de l’homme. Et comme son Créateur, l’homme est invité à se reposer de son oeuvre le septième jour de la semaine. Mais que va faire l’homme de cette responsabilité ? Va-t-il toujours agir à l’image de Dieu ? Ou va-t-il faire retourner la planète au chaos ? Pour connaître la suite de l’histoire, il reste au lecteur à lire tout le reste de la Bible… et à relire également sa propre histoire !
Pierre de Martin de Viviés, prêtre de la Compagnie de Saint-Sulpice, docteur en théologie et en histoire des religions.
Des séparations
Voir l'étude sur les séparations originelles
En 7 jours
Les 7 jours dont il est question reflètent les connaissances cosmologiques de l'époque. Le lundi correspond à la lune, mardi à mars, mercredi à mercure, jeudi à jupiter, vendredi à vénus, samedi à saturne et dimanche au soleil.
Pour ce dernier jour, le français a perdu l'étymologie, mais nous la retrouvons en anglais avec "sunday" ou en allemand avec "Sonntag".
Dieu se repose le septième jour.
Dieu acheva au septième jour son œuvre, qu’il avait faite : et il se reposa au septième jour de toute son œuvre, qu’il avait faite.
Dieu bénit le septième jour, et il le sanctifia, parce qu’en ce jour il se reposa de toute son œuvre qu’il avait créée en la faisant (Gn 2,2-3).
Un Dieu au repos, voilà qui n’est pas banal ! De la nécessité humaine, nous passons à une prérogative divine. Bien sûr Dieu n’a nul besoin de repos. Le sabbat convoque le repos de l’humanité dans le repos de Dieu. Il est un temps de contemplation de l’œuvre achevée. Il est un temps de joies. Le repos de Dieu signifie aussi que Dieu confie la création à l’homme. Dieu s’arrête, au sens du mot "sabbat".
La Création en six jours est un contresens qui a la vie dure. Cette expression est, en effet, inconnue du judaïsme, comme le souligne Léon Askénazi dans un très beau texte.
L’expression « les six jours de la Création » est la source de faux problèmes et de malentendus qui dénaturent totalement l’approche de cette notion […]. En effet, une telle expression suppose une durée à l’acte créateur. Or, si la création est l’apparition de l’être à partir du néant, elle s’épuise dans l’instant même de cette apparition. Supposer une durée à la création serait la réduire à être une « organisation », un « agencement » de ce qui existait antérieurement. La Bible n’a, quant à elle, jamais rien dit de pareil et on ne trouve cette expression dans aucun texte de la tradition juive. En effet, les deux expressions habituelles sont : « Chéchet yémé hama’assé », les six jours de l’œuvre et « ma’assé béréchit », l’œuvre du commencement […]. C’est l’œuvre qui a une histoire.
Berechit lu par un physicien. Par Henri Bacry. https://shs.cairn.info/revue-pardes-2001-2-page-85?lang=fr.
Dieu confie la création à l’humanité
Le repos de Dieu inaugure le temps de l’homme
La toute-puissance ne connaît pas de départ à la retraite. La toute-puissance n’est pas une condition temporairement nécessaire de la création, dont le créateur pourrait se dépouiller une fois l’univers créé. Car il faut encore le maintenir dans l’existence. On n’est pas créateur à mi-temps, ou alors il faut expliquer comment ce qui, d’abord, n’existe qu’en vertu du créateur, se mettrait à exister par soi. La création ex nihilo : un concept inanalysable ? Paul Clavier, https://doi.org/10.4000/theoremes.281
Dieu acheva au septième jour son œuvre, qu’il avait faite : et il se reposa au septième jour de toute son œuvre, qu’il avait faite. Dieu bénit le septième jour, et il le sanctifia, parce qu’en ce jour il se reposa de toute son œuvre qu’il avait créée en la faisant. (Gn 2,2-3)
Le repos de Dieu devient modèle pour l’homme :
La fin du premier récit de la création est donc placée sous le signe du repos de Dieu. Repos qui est modèle pour l’homme, repos où Dieu attend l’homme. Le repos de Dieu est le temps où Dieu cesse d’agir, où il s’arrête, où il se retire pour laisser toute initiative à l’homme. Il est donc aussi le temps de la patience de Dieu (André Thaise).
Le sabbat convoque le repos de l’humanité dans le repos de Dieu. Il est un temps de contemplation de l’œuvre achevée. Il est un temps de joies. Le Talmud précise d’ailleurs que le délice du sabbat (oneg shabbat), est une invitation à profiter pleinement de ce jour et de s’en réjouir à travers un bon repas et une belle tenue vestimentaire (Is 58,13-14).
Le samedi est le septième jour de la semaine. Après six jours, où l’homme participe, en un certain sens, au travail de la création de Dieu, le samedi est le jour du repos. Mais dans l’Eglise naissante, quelque chose d’inouï s’est produit : à la place du samedi, du septième jour, vient le premier jour. Comme jour de l’assemblée liturgique, il est le jour de la rencontre avec Dieu par Jésus Christ qui, le premier jour, le dimanche, a rencontré les siens en tant que Ressuscité, après que ceux-ci eurent trouvé le tombeau vide. La structure de la semaine est maintenant renversée. Elle n’est plus dirigée vers le septième jour, pour y participer au repos de Dieu. Elle commence par le premier jour comme jour de la rencontre avec le Ressuscité. Cette rencontre se renouvelle sans cesse dans la célébration de l’Eucharistie, où le Seigneur vient de nouveau au milieu des siens et se donne à eux, se laisse, pour ainsi dire, toucher par eux, se met à table avec eux. Ce changement est un fait extraordinaire, si on considère que le samedi, le septième jour comme jour de la rencontre avec Dieu, est profondément enraciné dans l’Ancien Testament. Si nous nous rappelons que le parcours depuis le travail jusqu’au jour du repos correspond aussi à une logique naturelle, le caractère dramatique de ce tournant devient encore plus évident. Ce processus révolutionnaire, qui s’est vérifié tout de suite au début du développement de l’Eglise, n’est explicable que par le fait qu’en ce jour quelque chose d’inouï était arrivé. Le premier jour de la semaine était le troisième jour après la mort de Jésus. C’était le jour où il s’était montré aux siens comme le Ressuscité. Cette rencontre, en effet, avait en soi quelque chose de bouleversant. Le monde était changé. Celui qui était mort vivait d’une vie qui n’était plus menacée d’aucune mort. Une nouvelle forme de vie, une nouvelle dimension de la création, avait été inaugurée. Le premier jour, selon le récit de la Genèse, est le jour où commence la création. À présent il était devenu d’une façon nouvelle le jour de la création, il était devenu le jour de la nouvelle création. Nous célébrons le premier jour. Ainsi nous célébrons Dieu, le Créateur, et sa création. Oui, je crois en Dieu, Créateur du ciel et de la terre. Et nous célébrons le Dieu qui s’est fait homme, a souffert, est mort et a été enseveli et est ressuscité. Nous célébrons la victoire définitive du Créateur et de sa création. Nous célébrons ce jour comme origine et, en même temps, comme but de notre vie. Nous le célébrons parce qu’à présent, grâce au Ressuscité, il s’avère de façon définitive que la raison est plus forte que l’irrationalité, la vérité plus forte que le mensonge, l’amour plus fort que la mort. Nous célébrons le premier jour parce que nous savons que la ligne obscure qui traverse la création ne demeure pas pour toujours. Nous le célébrons, parce que nous savons que maintenant ce qui est dit à la fin du récit de la création est valable définitivement : «Dieu vit tout ce qu’il avait fait: c’était très bon» (Gn 1, 31).
HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI, Basilique Saint-Pierre, Samedi Saint, 23 avril 2011.
Des missions
Le repos de Dieu signifie aussi que Dieu confie la création à l’homme. Dieu s’arrête, au sens du mot « sabbat », en confiant une mission à l’humanité :
Dieu les bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. (Gn 1,28).
L’Éternel Dieu prit l’adam, et le plaça dans le jardin d’Éden pour le cultiver et pour le garder. (Gn 2,15).
La création est donc loin d’être achevée ; en réalité tout commence à partir de cet instant où Dieu passe le témoin à l’humanité. Dieu nous donne la création et nous invite à poursuivre son œuvre. Il accorde une confiance inouïe à un partenaire qui vient tout juste de naître. Quel est donc ce Dieu qui se dessaisit d’une telle puissance pour la confier à un partenaire pas toujours très fiable ? Qui d’entre nous oserait une telle aventure ? Sa toute-puissance est à la mesure de sa confiance : infinie. Dieu se retire pour mieux donner.
En tant que donataires, nous sommes invités à nous tourner vers l’artisan et à y reconnaître sa divine inspiration.
Car la grandeur et la beauté des créatures conduisent par analogie à contempler leur Créateur. (Sg 13,5).
La création : un talent à faire fructifier
Lien vers le commentaire de la parabole des talents