La liberté dans la création
La création d’une liberté
Dieu met au monde une liberté :
Mettre au monde, donner naissance, surtout quand il s’agit d’une liberté, voilà une œuvre de toute-puissance infiniment plus grande que de créer des galaxies ou d’ordonner les entrailles de la matière. C’est quelque chose de beaucoup plus imprévisible .
Le mouvement des planètes, la force du vent, la vitesse de la lumière sont des événements mesurables, quantifiables et prévisibles que les savants sont désormais capables de mettre en équations. Mais la liberté humaine échappe à toute emprise et à toute puissance. Sans doute que la torture ou la manipulation obligent quelqu’un à penser et à agir contre son gré, mais Dieu ne dispose pas de ces pouvoirs. La liberté est la plus grande trace de la dignité humaine à l’égard de Dieu. Elle est inviolable.
L’acte de créer implique une liberté nouvelle et imprévisible. Toute création est risquée, car elle inaugure une nouveauté radicale, inconnue jusqu’alors et qui bouleverse l’existant. Comme les parents face à un nouveau-né, Dieu accepte de ne plus être seul maître à bord. En remettant à l’homme des pouvoirs, les siens, Dieu renonce à gouverner tout seul. En acceptant de donner naissance à un être différent de lui-même, pourtant à son image, Dieu choisit de ne plus être maître de toute chose. En créant l’humanité, Dieu met un frein à l’exercice de sa souveraineté. Dieu s’autolimite. Et l’amour n’est jamais que la rencontre de deux libertés.
Façonner notre liberté
Dieu nous façonne comme une glaise à partir de la poussière du sol. Tel un potier, il nous donne forme à son image. Comme nous l’avons déjà évoqué, la ressemblance relève de notre liberté. Alors que l’image nous est offerte, la ressemblance est à construire dans l’exercice de nos décisions et de nos responsabilités. Mais notre liberté, n’est-elle pas également « façonnable » ?
Reconnaissons tout d’abord que notre milieu de vie, notre éducation et nos expériences nous conditionnent. Nous naissons et grandissons au sein d’une culture. Nous héritons aussi d’une religion qui façonne notre relation à Dieu. La religion familiale devient souvent la nôtre, qu’il s’agisse du christianisme, du judaïsme ou de l’islam pour ne citer que les religions monothéistes. Comment choisir librement sa propre route dans ces conditions ?
Pour aborder cette question, commençons par définir la liberté. Pour beaucoup de personnes, elle consiste à pouvoir faire une chose ou son contraire sans considération de bien ou de mal. Ainsi dans le cadre d’une union conjugale nous sommes libres de tromper notre partenaire ou de lui demeurer fidèles. Nous sommes tout-puissants pour décider du bien et du mal. Mais serons-nous vraiment libres une fois l’adultère commis ? Ne serons-nous pas enchaînés au mensonge et à la fuite en avant au risque de tout perdre et donc de provoquer la mort comme Adam et Ève ? La possibilité de choisir relève du libre arbitre. Notre choix conditionne notre liberté.
Dieu ne pouvait-il pas nous rendre libres et heureux dès l’origine, sans que le mal ne vienne ternir ce bonheur ? Serions-nous seulement en capacité de recevoir un tel don du fait de notre humanité ? Dieu nous offre la liberté comme un état à conquérir avec notre libre arbitre. Être obligé de faire le bien déprécie le bien. Celui-ci n’a de valeur que dans la possibilité du mal. La lumière n’éclaire que par rapport aux ténèbres. Comme le souligne Beaumarchais, « Sans la liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flatteur. » L’éloge perd sa portée si notre interlocuteur n’est pas libre de nous blâmer. De même l’amour perd son sens sous la contrainte ou dans la peau d’un automate. Serions-nous vraiment heureux dans le corps d’une marionnette dont Dieu tirerait les ficelles ?
Notre libre arbitre nous expose à des risques. Faisons nôtre cette prescription divine :
J’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta postérité, pour aimer l’Éternel. (Dt 30,19-20).
Être libre, c’est choisir le bien pour la vie, c’est orienter nos décisions vers le bonheur de soi-même et des autres. C’est choisir la voie qui nous préservera de la prison. La liberté est donc exigeante et réclame un discernement intérieur face aux multiples sollicitations de la vie. Elle se conquiert avec prudence. Comment un loup pourrait-il rester sage dans un poulailler ? Mieux vaut ne pas entrer dans le poulailler. Tous les panneaux d’interdiction n’y changeront rien si nous n’apprenons pas à lire ou si nous fermons notre regard. Un sacré programme, d’autant plus que le chemin des écoliers est parfois bien agréable à emprunter.
Si Dieu ne choisit pas à notre place, il ne nous laisse pas totalement orphelins de nos décisions. Il met un esprit divin en nous. En d’autres termes, il inspire ou éclaire notre conscience, avec beaucoup de discrétion. La conscience est le lieu de la rencontre avec Dieu dans les décisions à prendre. Elle est plus qu’un vague sentiment moral ; elle agit comme une voix intérieure qui exerce sur nous une autorité ou un conseil :
Au fond de sa conscience, l’homme découvre la présence d’une loi qu’il ne s’est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d’obéir. Cette voix, qui ne cesse de le presser d’aimer et d’accomplir le bien et d’éviter le mal, au moment opportun résonne dans l’intimité de son cœur : « fais ceci, évite cela ». Car c’est une loi inscrite par Dieu au cœur de l’homme ; sa dignité c’est de lui obéir et c’est elle qui le jugera. La conscience est le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa Voix se fait entendre (Gaudium et spes, 16/1).