Séparer pour vivre
Dieu crée en séparant. Il ordonne en distinguant et du chaos fait jaillir le cosmos. Il sépare le jour et la nuit, le ciel et la terre, l’homme et la femme, la distinction fondamentale entre l’humain, doué du souffle de Dieu, et le monde animal, fondé sur l’instinct. Non une séparation comme conflit, mais comme correspondance. C’est d’une différence complémentaire que jaillit toute fécondité en ce monde, celle de l’homme et de la femme étant la structure fondamentale de la création de l’humanité « à l’image et à la ressemblance de Dieu » (Gn 1). Car Dieu est, en son être même, mystère de communion et de donation réciproque. Luc de Bellescize, La Croix.
Dieu procède à une triple séparation : la lumière des ténèbres (Gn 1,4b), les eaux du ciel et celles de la terre (Gn 1,7), le jour et la nuit (Gn 1,14). La création de l’univers repose sur une chronologie et un agencement harmonieux. La disposition successive des éléments à travers un processus de séparation permet l’apparition des plantes, des espèces animales et enfin, apothéose de la création, de l’humanité en deux êtres distincts, mâle et femelle, créés à l’image de Dieu.
Le texte yahviste de la création reprend cette idée de séparation en mettant l’accent sur l’homme et la femme. L’humanité est originellement créée en un adam, c’est-à-dire en un être humain, sans que nous sachions si celui-ci est mâle ou femelle. Même si le texte suggère la masculinité, se reconnaître homme, au sens sexué du terme, est inconcevable sans présence féminine. La femme dévoile le masculin et l’homme révèle le féminin. L’identité sexuelle n’apparaît explicitement qu’après la création de la femme :
Alors l’Éternel Dieu fit tomber un profond sommeil sur l’adam, qui s’endormit ; il prit une de ses côtes, et referma la chair à sa place. L’Éternel Dieu forma une femme de la côte qu’il avait prise de l’adam, et il l’amena vers l’adam. Et l’adam dit : voici cette fois celle qui est os de mes os et chair de ma chair ! On l’appellera femme (isha), parce qu’elle a été prise de l’homme (ish). (Gn 2,21-23).
L’opération chirurgicale sous anesthésie générale est un langage imagé pour signifier d’une part que la création de la femme échappe à la connaissance de l’homme et, d’autre part, que les deux êtres sont de même nature, contrairement aux animaux que l’adam se contente de nommer (Gn 2,20). Nous voilà en présence d’un homme et d’une femme couramment appelés Adam et Ève et non d’un mâle et d’une femelle. La séparation révèle l’autre sexe. Le masculin naît en même temps que le féminin.
Prolongeons cette idée de séparation en comparant la création à un accouchement divin. L’enfantement suggère une conception préalable. Dieu conçoit la création en son sein à l’image de parents en attente d’un nouveau-né.
Voir l'étude sur l'homme et la femme.
L’enfantement marque l’aboutissement de la conception originelle, à l’image d’un cordon ombilical qui serait désormais coupé. Dans le sein maternel, sorte de paradis in utero, tous les besoins sont satisfaits immédiatement, sans effort et sans avoir à demander ou à remercier. L’expulsion hors du sein divin symbolise la naissance de l’humanité appelée à prendre ses responsabilités. L’homme et la femme ont à construire leur vie dans l’exercice de cette liberté.
L’humanité est ainsi séparée de Dieu, non pas au sens d’un divorce, mais comme distance qui rend la relation possible. Tout comme l’homme et la femme se différencient en deux êtres distincts, de même, l’humanité est séparée de Dieu pour se rencontrer dans le cadre d’une alliance.
La séparation. Si la lumière est séparée de la ténèbre c’est que toutes deux, contradictoires, ne peuvent se mélanger. La lumière est « bien » parce que, d’une part, elle est l’attribut de la souveraineté, et parce que, d’autre part, elle exprime le propre du divin. La ténèbre est du côté du bas, du profane, la lumière du côté du haut, du sacré, et les rapports qu’entretiennent l’une et l’autre sont antagonistes et mutuellement exclusifs quand elles ne sont pas clairement séparées. Le démiurge instaure ainsi la dyade dynamique du sacré et du profane que symbolisent dans l’ordre cosmique celles du jour et de la nuit, de la terre et du ciel, de l’en haut et de l’en bas. Les nombreuses opérations de séparation qui rythment l’ensemble littéraire ne sont que les illustrations de cette dyade et de son rôle dynamique dans l’univers, jusqu’à ce que les astres s’immobilisent (Za 14,6-7), que les jours s’arrêtent (Dn 12,13) et que la lumière ne s’éteigne plus (Dn 12,3) faute de ténèbre, tout entière gagnée par la lumière, symbolisant la consécration du monde à son ordonnateur. En même temps, la dyade sacré-profane introduit dans l’univers une différenciation dans le temps et dans l’espace, qui permet une taxinomie, un classement, une hiérarchisation des éléments du monde en fonction des catégories du pur et de l’impur, d’une part, du sacré et du profane, de l’autre. La distinction du sacré et du profane suppose une organisation des pouvoirs qui promeut la distinction du sacré et du profane dans la praxis. On perçoit déjà que cette distinction prend naissance en aval de la royauté du démiurge, car sacré et profane sont indissociables dans le principe monarchique. Le roi proche-oriental est le chef des prêtres comme des généraux et des gouverneurs militaires. Genèse 1,1 –2,4 prône la distinction des pouvoirs sacré et profane dans le cosmos sous la royauté du démiurge, reflétant ainsi la séparation, au sein du microcosme, d’un pouvoir civil, administratif et militaire profane d’avec un pouvoir sacré gardé par des pontifes consacrés. Arnaud Sérandour. De l'apparition d'un monothéisme dans la religion d'Israël. Voir le lien dans la bibliothèque.