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Présence de Jésus dans l'eucharistique

Histoire

Ier siècle - nouveau testament : "Le pain que je donnerai, c'est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie… Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n'aurez pas en vous la vie" (Jean 6, 51 et 53). "Ceci est mon corps livré pour vous, faites cela en mémoire de moi" 1 Corinthiens 11, 23-25. "La coupe de bénédiction que nous bénissons n'est-elle pas une communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons n'est-il pas une communion au corps du Christ ?" (1 Corinthiens 10, 16).

IIIè siècle - Hyppolyte de Rome : “C’est en vérité le corps du Christ que les fidèles ont à manger.”

IXe siècle - Paschase Radbert : le corps eucharistique n'est autre que le corps né de Marie, et la chair du Christ y est simplement voilée.

XIe siècle - Bérenger de Tours affirme que le pain eucharistique était seulement un "signe". L'Eglise l'invite à se rétracter. Il professe finalement que le pain et le vin consacrés deviennent le "vrai corps" et le "vrai sang" du Christ.

XIIe siècle - introduction du terme de transsubstantiation pour adopter la définition d’Aristote de l’accident ou ce qui se perçoit ou substance, et ce qui est sous ou au-delà de ce qui se perçoit.

XIIIe siècle - Thomas d'Aquin développe la notion de transsubstantation. Précisons que la substance désigne, non pas une chose visible, mais la réalité intelligible d'un être. La substance n’est pas le substrat mais la raison d’être d’une chose et son sens. La transsubstantiation signifie qu'il y a bien changement de la substance du pain en substance du corps du Christ, mais c'est reconnaître en même temps que "le corps du Christ, selon le mode d'être qu'il a en ce sacrement, n'est perceptible ni pour le sens, ni pour l'imagination". Ce qui est visible, par contre, ce sont les espèces du pain et du vin.

XVIe siècle - Luther (Allemand) croit en la présence réelle, mais rejette la transsubstantiation en disant qu’il n’y a pas changement de substance. Le pain et le vin restent pleinement pain et vin tout en étant pleinement chair et sang de Jésus Christ (consubstantiation). Il utilise une image en disant que le Christ est dans le pain et le vin comme le feu est dans la braise. Dans la Cène, le pain et le vin demeurent ce qu’ils sont, mais portent le corps et le sang du Christ (« in », « cum » et « sub »). Le luthéranisme est d’accord avec le catholicisme sur la présence « réelle » du Christ dans les éléments de la Cène, présence donnée par grâce et non en vertu de la foi des participants ou du célébrant.

XVIe siècle - Calvin considérait que le fidèle recevait spirituellement la présence du Christ. Il prend l’exemple de la colombe qui est descendue sur Jésus le jour de son baptême. Il faut comprendre la présence du Christ dans le pain et le vin comme l’Esprit est présent dans la colombe. Calvin concilie la réalité de la présence du Christ et l’action de l’Esprit-Saint. Selon lui, le pain et le vin ne sont pas transformés lors de la célébration de la Cène, mais lorsque les croyants prennent le pain et le vin, l’Esprit donne intérieurement ce qui est « figuré » extérieurement par les espèces : à travers elles les croyants reçoivent le Christ lui-même.

XVIe siècle - Zwingli (Suisse) voyait dans le pain et le vin de simples signes. Depuis l’Ascension, le Christ n’est plus présent corporellement sur la terre. Sa présence est « spirituelle », c’est-à-dire réalisée par l’action de l’Esprit-Saint. Celui-ci rend le Christ présent dans les cœurs des croyants. De ce fait, si une transformation s’opère dans la Cène, ce n’est pas celle des espèces, mais du coeur des participants. Le pain et le vin n’ont qu’une importance « symbolique », comme « signes » renvoyant à la présence du Christ, et non comme les instruments qui réalisent le salut. La parole de Jésus, « ceci est mon corps », était interprétée par les Zwingliens dans le sens : « ceci signifie mon corps ». (Fr Benoît).

XVIe siècle - Concile de Trente déclara que, "après la consécration du pain et du vin, notre Seigneur Jésus Christ, vrai Dieu et vrai homme, est vraiment, réellement et substantiellement contenu sous l'apparence de ces réalités sensibles".

XXe siècle - CEC 1376 : Par la consécration du pain et du vin s’opère le changement de toute la substance du pain en la substance du Corps du Christ notre Seigneur et de toute la substance du vin en la substance de son sang.

Les protestants et les catholiques ont signé ensemble en 1972 une Déclaration Oecuménique dite du "Groupe des Dombes" à propos de l’Eucharistie. Voir https://groupedesdombes.eu/

Nous confessons unanimement la présence réelle vivante et agissante du Christ dans ce sacrement. Le discernement du corps et du sang du Christ requiert la foi. Cependant la présence du Christ en son église dans l’Eucharistie ne dépend pas de la foi de chacun, car c’est le Christ qui se lie lui-même par ses paroles et dans l’esprit, à l’événement sacramentel, signe de sa présence donnée.

Etre

Ces débats tournent autour de la signification du verbe être dans la phrase prononcée par Jésus pour instituer le repas : ceci est mon corps. Les uns disent que le est est une correspondance (ce pain est devenu mon corps), d’autres disent que c’est un signe (ce pain désigne mon corps). Si l’on remonte à la source en essayant de retrouver les paroles que Jésus a prononcées, le débat devient anachronique puisqu’en araméen, la langue que parlait Jésus, le mot est ne s’emploie pas dans ce cas-là. Jésus a probablement dit : Ceci, mon corps. En outre, le mot corps a, dans la pensée biblique, un sens beaucoup plus large que pour nous, il évoque toute la personne. Ce sens de la totalité est encore renforcé lorsque le sang, qui est le siège de la vie, est associé au corps. Ces remarques montrent qu’il est périlleux de se risquer à une interprétation trop matérielle de ce à quoi Jésus pensait lorsqu’il a distribué le pain et le vin en disant : Ceci mon corps… Ceci mon sang. Il faut entendre que le Christ a donné sa vie pour ses amis. Antoine Nouis, voir bibliothèque.

Consubstantiation et transsubstantiation

Le protestantisme croie à la consubstantiation alors que le catholicisme croie à la transsubstantiation. De quoi s'agit-il ?

Consubstantiation : La substance du pain et du vin coexiste avec le corps et le sang de Christ dans la Cène. C’est comme si l’eau était absorbée par une éponge sans que l’éponge ne devienne de l’eau. Le pain et le vin restent ce qu’ils sont, mais Christ est présent avec eux.

Transsubstantiation : Par la consécration du pain et du vin s’opère le changement de toute la substance du pain en la substance du corps du Christ et de toute la substance du vin en la substance de son sang. C’est littéralement la transformation d’une substance en une autre. Dans la théologie catholique, c’est la doctrine selon laquelle au cours de l’eucharistie, au moment de la consécration, les espèces du pain et du vin deviennent le corps et le cang du Christ tout en conservant les caractéristiques physiques et les apparences originales.

La substance : Du latin sub-, « dessous », et stare : « se tenir » – d’où « ce qui soutient », « support », lui-même dérivé du grec hypostasis. Mais le sens latin renvoie davantage au grec ousia : « essence ». Ce terme désigne d’abord ce qui est en soi et qui subsiste en permanence. Ainsi définie, la substance est ce qui sert de support aux attributs et aux accidents. Le terme « substance » nomme la stabilité et la persistance de ce qui existe par opposition aux « phénomènes » qui sont changeants.

La substance désigne ce qui "est" indépendamment de ses propriétés physiques. Les catholiques considèrent que l'hostie consacrée "est" uniquement le corps du Christ tout en reconnaissant qu'il s'agit chimiquement de pain. Les protestants affirment que le pain "est" du pain et "est" le corps du Christ. Jésus, selon les traductions grecques, dit "Ceci (pain) est mon corps" ; mais en araméen il a probablement dit : « Ceci mon corps ».

Réel et symbolique

L'Eglise catholique parle de présence réelle. Ce qualificatif s'oppose à "imaginaire", mais il ne contredit pas la notion de présence "symbolique". Louis-Marie Chauvet consacre une thèse sur le rapport entre le réel et le symbolique (Symbole et sacrement, Cerf). Le symbolique désigne souvent quelque chose d'insignifiant comme le franc (l'euro) symbolique. Mais l'étymologie grecque du verbe symbalein signifie rassembler. Le symbole nous rassemble dans une même foi, par exemple dans le credo. L'eucharistie rassemble les chrétiens.

Par ailleurs tout objet symbolique appartient au monde réel. Une rose symbolise l'amour ; la Tour Eiffel symbolise Paris. Mais le symbole n'est pas tout le réel. De même l'eucharistie ne dit pas tout de la présence du Christ, même si le Christ y est totalement présent. Il existe d'autres formes de présence.

Les 4 modes de présence du Christ dans la messe

L’Instruction romaine Eucharisticum Mysterium de 1967 précise quatre modes de présence du Christ ressuscité lors de la célébration eucharistique :

1 - c’est d’abord « l’assemblée des fidèles réunis en son nom » que le texte mentionne ;
2 - puis la présence du Christ dans la Parole proclamée ;
3 – ensuite sa présence dans le ministre qui préside l’Eucharistie ;
4 - et enfin la présence du Christ sous le mode du pain et le vin consacrés.

Notion de présence

Toute présence est liée, dans notre expérience spatio-tempo¬ relle, à un surgissement. De là sans doute la parenté entre la notion de présence et celle de révélation. Le contenu de cette dernière, c'est bien la présence de Dieu qui, à un moment donné, en un mais une absence surmontée.

Celle-ci m'est donnée dans une rencontre, et cette rencontre se détache comme un événement sur un arrière-fonds d'autres événements qui perdent par rapport à elle leur signification ou leur importance, à moins qu'elle ne se détache d'un arrière-plan de banalité objective qu'elle vient en quelque sorte briser. C'est pourquoi toute rencontre crée en moi un état de surprise qui signifie précisément que je suis arraché au déroulement normal et nécessaire de mon existence. La présence personnelle qui m'est donnée dans une rencontre vient interrompre continuité du déroulement de mon existence et l'orienter, au moins pour un temps, dans un sens nouveau et inattendu. Par elle ma durée intérieure acquiert une tension nouvelle. Nous disons couramment que la rencontre de telle ou telle personne a été déci sive pour moi ; c'est elle qui a empêché que se constitue dans ma vie intérieure une sorte de déroulement déterministe et fatal. toute présence réalisée évoque la possibilité d'une absence. La présence est fragile.

Nous touchons ici à une sorte de loi structurale de la notion de présence : plus la contingence de la présence est forte, plus la présence est un événement fragile et plus aussi cette présence est orientée vers moi, plus elle requiert ma co-présence, plus il apparaît qu'il n'y a pas de présence absolue, mais seulement une présence pour-moi ou une présence-pour-nous. Seul l'objet inerte peut être dit présent de façon absolue, car il est présent pour tout le monde, et en définitive pour personne. Sa présence se confond avec sa loca¬ lisation spatiale. Aussi peut-il être là sans que personne s'en aperçoive. Dès qu'une présence est trop garantie (et la localisation spatiale et temporelle est une suprême garantie), elle cesse d'être présence réelle. C'est seulement le désir ou la peur que j'éprouve à l'égard de l'objet, qui est capable de le faire surgir d'un anonymat ou d'un néant où il ne tardera pas à replonger, dès que ces émotions se seront affaiblies. La personne seule est capable d'être malveillante, gênante ou bienveillante. Car elle se veut présence pour moi, et je ne saurais ignorer sa prétention de m'entrainer avec elle vers une vie commune, une aventure nouvelle, un engagement commun.

Toutes les « catégories » existentielles sont données avec cette présence de la personne. Parce que cette présence ne saurait me laisser indifférent, elle devient aisément insupportable et ainsi toute l'existence humaine se partage entre la quête de la présence de l'autre et les innombrables tentatives pour abolir une présence devenue insupportable par ses exigences à mon égard (toutes les analyses de Sartre sur le regard, pourraient être ici reprises). A la limite, le meurtre n'est pas autre chose qu'une tentative folle pour supprimer une présence et les exigences qu'elle pose. Tentative folle, disons nous, car une présence, radicalement contingente, me met en présence du tout autre, elle échappe à mes prises, elle ne se supprime pas. La fragilité de la présence défié la mort. La folie du meurtre consiste à vouloir réduire la présence aux limites de l'être-là, du donné. Supprimer matériellement un être, suppose qu'on l'ait préalablement réduit à n'être qu'un objet. Mais c'est justement cette réduction qui est impossible. Le privilège de la présence vraie, c'est d'impliquer la présence de l'autre, c'est d'impliquer mon existence. Aussi voit-on si souvent le meurtrier, poussé par une logique inéluctable, retourner son arme contre lui-même, comme si son existence, après le meurtre, était devenue impossible.

Toute présence est ainsi un don, c'est pourquoi il n'y a de présence que de la part d'êtres capables de s'ouvrir à autrui, capables de générosité. Cette capacité définit paradoxalement leur intériorité. Mais si la présence est don, de quoi est-elle don ? Il est aisé de répondre à cette question, dès que l'on remarque que, si la présence était don de quelque chose, la présence de la personne se dissoudrait dans la « présence » de l'objet donné. Certes, cet objet a son importance, il est même indispensable. C'est pourquoi dans les relations sociales la présence se manifeste par un cadeau (appelé précisément un présent). Mais celui-ci, quel que soit son prix, n'a que la valeur d'un signe ; il doit signifier, par sa perfection même, et, ce qui est plus significatif encore, par sa rareté, le don véritable qui ne peut être que le don de la personne elle-même. C'est pourquoi il faut que le signe soit aussi peu conventionnel que possible, qu'il y ait entre le signe et la personne un lien existentiel. On ne donne vraiment qiie ce à quoi l'on tient. Dans l'amour charnel, c'est le corps, non en tant qu'instrument, mais en tant que symbole du moi lui même, qui devient ce don : l'acte de se donner et la réalité donnée, l'acte d'être présent et le contenu de la présence elle-même tendent à se recouvrir.

Roger Mehl, Structure philosophique de la notion de Présence. https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1958_num_38_2_3539