Le pardon - Limites

Le pardon n’est pas l’excuse

Le langage courant utilise aussi bien l’expression « je vous demande pardon » que « excusez-moi ». Mais l’excuse n’est pas le pardon. Dans l’excuse il n’y a pas de faute volontaire. L’étymologie du mot le confirme « ex causa » c’est-à-dire hors de cause. On ne pardonne pas à quelqu’un qui nous marche sur les pieds par inadvertance, on l’excuse. Dans le cas de la demande du pardon, on se situe dans le champ des actes volontaires reconnus comme tels par leur auteur.

Mais dans la culpabilité il y a toujours une part d’excusable qui prépare le pardon. En essayant d’expliquer le comportement à travers l’éducation, le milieu social, l’ignorance, on recherche tout ce qui pourrait excuser l’acte de l’offenseur. C’est ce que la justice appelle les circonstances atténuantes. Mais cette disposition n’est que le prélude du pardon.

Le pardon n’est pas l’oubli

L’oubli consiste à ne plus se souvenir d’un événement passé. Celui-ci est effacé de la mémoire. Quand on a oublié la faute, comme si elle n’existait plus, où serait-il donc le pardon ? Quoi pardonner ? Ou alors on fait comme si la faute n’avait jamais existé. On enfouit bien profondément la faute au fil des ans ; mais dans ce cas on court le risque de voir ressurgir le ressentiment tel un volcan en sommeil depuis bien longtemps. Les blessures mal cicatrisées ne demandent qu’à se réveiller.

Écoutons Tim Guénard, cet ancien enfant battu, dont la vie fut un itinéraire de pardon. "Pardonner", écrit-il, ce n’est pas effacer avec une baguette magique. « Pardonner, ce n’est pas oublier, mais c’est savoir vivre avec... »

Pape François. Redisons le avec force, pardonner, ce n’est pas oublier. Il ne s’agit pas de tenter de reconstruire la relation avec l’autre en oubliant ce qu’il a fait. J’ai en mémoire tant de visages d’enfants maltraités, sur le plan physique, moral, sexuel, à qui il serait insensé de demander d’oublier et qui ont raison de demander que justice soit faite. Le pardon ne peut être synonyme d’impunité pour l’auteur, mais doit être associé à la justice et à la mémoire, parce que pardonner ne signifie pas oublier, mais, « renoncer à la force destructrice du mal et de la violence ». 

Oublier est impossible, et peut même être dangereux. Je songe à cette parole que l’on attribue à Goethe : "Celui qui oublie son passé est condamné à le répéter". Nous avons tous un devoir de mémoire. Pardonner ne doit donc jamais dispenser l’auteur de répondre de ses actes devant la justice des hommes. Il ne s’agit jamais de faire en sorte de les gommer.

Antoine Nouis (pasteur) : Non, pardonner n'est pas oublier. Le pardon est un commandement, tandis que l'oubli ne peut pas se commander. L'oubli peut être une grâce ou une maladie, ce n'est pas un commandement. Enzo Bianchi, le prieur de la communauté œcuménique de Bose en Italie, a dit que Dieu pardonne en oubliant, mais que l'homme pardonne en gardant la mémoire. Peut-être Dieu peut-il oublier, mais nous ne sommes pas maîtres de l'oubli. Et nous devons pardonner sans oublier, car le pardon est un commandement. La Croix, 24/08/2022.

Mais il y a deux manières de garder et d’user de la mémoire de ces blessures et de ces réconciliations. Soit on décide de se souvenir pour tenir l’autre à notre merci. Et alors on se tient l’un l’autre. Constamment on est sous la menace d’un coup bas. Soit on se soutient l’un l’autre pour que l’on ne retombe pas ou moins vite dans nos faiblesses. Se tenir ou se soutenir, c’est là toute la différence entre l’enfer et le paradis. On pourrait encore dire que l’on choisit de préférer une mémoire éthique qui cherche à éviter le renouvellement de la faute à une mémoire juridique qui cherche à faire payer la faute. Bruno Feillet. Voir le lien dans la bibliothèque.

Le pardon n’est pas d’ordre juridique

La justice n’est pas du même ordre que le pardon. Pardon et justice vont ensemble mais ne peuvent se substituer l’un à l’autre. La justice au sens civil et pénal du terme consiste à déterminer si une personne est juridiquement coupable d’un acte. Elle se base sur les faits et sur la loi en toute objectivité. Le champ d’application de la justice et du pardon ne se recouvre pas toujours ; ainsi la convoitise n’est pas du ressort de la justice.

L’indépendance entre justice et pardon rappelle aussi que la justice n’a pas le dernier mot, qu’elle n’est pas le jugement dernier. Face à un tribunal, l’homme est condamné selon la loi, mais il reste un homme avec cette possibilité d’être pardonné et donc réhabilité sur le plan de son humanité. Le pardon nous dit que personne n’est définitivement enchaîné à un acte. Un coupable peut se voir condamné à la prison tout en étant pardonné par sa victime.

Emmanuel Lévinas écrit dans une de ses leçons talmudiques : « si un homme commet une faute à l'égard d'un homme, [...] il faut qu'un tribunal terrestre fasse justice entre les hommes ! Il faut plus que la réconciliation entre l'offenseur et l'offensé - il faut la justice et le juge. Et la sanction. Le drame du pardon ne comporte pas seulement deux personnages, mais trois ». Quatre leçons talmudiques, Editions de Minuit, p.41.

Par principe la justice est donc étrangère au pardon. Néanmoins il y a des formes juridiques d'effacement de la peine. Telles sont la grâce, l'amnistie et la prescription. Le cas de la grâce présidentielle est particulièrement intéressant car il s'agit en fait d'une  forme de pardon que l'on pourrait être tenté de considérer comme une forme de pardon social puisqu'elle est constitutionnelle. Tout autre est l'amnistie, celle des faits comme celle des peines. Elle relève d'un dispositif législatif  mettant en œuvre un mécanisme d'effacement de la faute par décision d'oublier. Quant à la prescription, elle décide de ne plus engager de poursuites ou de ne plus demander l'exécution des peines après un certain délai (par ex. 20 ans pour viol sur majeur). 

La justice punitive est inscrite depuis si longtemps dans notre système qu’il est devenu difficile de penser une autre façon de « rendre la justice » que par la sanction. Cette tentation est le reflet d’une tradition judéo-chrétienne qui participe de la culture de la culpabilité. La justice doit-elle seulement punir l’individu coupable ou avoir un objectif de rétablissement de la paix sociale, en contribuant à l’évitement de la récidive et à un retour à l’équilibre pour la victime comme pour l’auteur ? L’obligation de punir est devenue le paradigme de notre justice pénale. La seule façon de rétablir l’ordre troublé est de punir le coupable en imposant à celui-ci une peine. La souffrance causée par la peine permet l’expiation de la faute. Elle est aussi dissuadante et réparatrice en incitant le coupable à ne plus recommencer.

La pensée judéo-chrétienne a-t-elle influencé la justice ? Dans l’acte de contrition, nous avons cette formule : « je prends la ferme résolution de ne plus recommencer et de faire pénitence ».

Pour autant, dans notre modèle de justice actuel, nombreux sont les délinquants qui, une fois la peine purgée, estiment avoir payé leur dette. Cette conviction, trop souvent partagée, participe d’un sentiment propice à l’impunité et fait le lit de la récidive. Suffirait-il de « purger sa peine » pour retrouver sa place dans la société ? Il est permis de se questionner sur le sens selon lequel s’oriente notre justice humaine, et en particulier sur le sens de la peine infligée.

Le temps de la peine n’est vécu que comme une « abstraction » de la société, sans aucun contenu existentiel, la peine perdant tout son sens dans le fonctionnement actuel des structures juridiques et pénitentiaires. Comme le disait Christiane Taubira, alors garde des Sceaux, lors de la présentation de son nouveau programme de politique pénale : « Nos prisons sont pleines, et vides de sens. »

Un système de justice pénale équitable devrait prendre en compte tous les protagonistes du conflit en donnant à la victime sa place d’acteur dans le processus, non seulement pour se voir allouer la juste indemnisation qui lui est due, mais aussi pour que soit entreprise l’entière réparation des répercussions et conséquences de l’acte subi, tant d’un point de vue symbolique que psychologique et social. Un système de justice équitable devrait s’intéresser également à l’infracteur en lui laissant prendre la mesure de ses actes, en comprendre les répercussions, mais aussi en reconnaitre la responsabilité afin que son avenir puisse s’inscrire autrement qu’en tant qu’ex-détenu ou qu’éternel offenseur.

Marie-Hélène Verneris. Justice et pardon, une cohabitation possible derrière les barreaux ? Voir le lien dans la bibliothèque.

Le Canada connait une procédure de Pardon dans le cadre de la clémence.

Définition

Le pardon absolu est absolu et inconditionnel. Une personne qui bénéficie d’un pardon absolu est réputée n’avoir jamais commis l’infraction. Toutes les conséquences de la condamnation, telles une amende, une interdiction ou une confiscation, sont annulées dès l’octroi du pardon absolu. De plus, toute mention de la condamnation est effacée des dossiers de la police et des tribunaux, ainsi que de toutes les banques de données officielles.

Le pardon absolu peut être une reconnaissance formelle qu’une personne a été condamnée à tort pour une infraction. Il peut également être accordé lorsque des raisons d’équité ou des considérations d’ordre humanitaire justifient l’octroi d’un pardon qui est absolu et sans condition.

L’octroi d’un pardon absolu ne signifie pas nécessairement qu’un pardon pour l’ensemble du casier judiciaire du demandeur est octroyé; il n’entraîne que le retrait d’une condamnation particulière du casier judiciaire.

Critères

Un pardon absolu peut être octroyé lorsque des éléments de preuve, qui n’étaient pas disponibles au moment de la condamnation, établissent l’innocence de la personne condamnée ou lorsqu’il existe des considérations exceptionnelles d’ordre judiciaire ou humanitaire.

Pour qu’un pardon absolu soit envisagé, le demandeur aura épuisé tous les mécanismes d’appel et d’examen prévus par le Code criminel ou d’autres lois pertinentes, à moins que cela n’exacerbe davantage le châtiment subi.

Autorité

Gouverneur en conseil et gouverneur général.

https://www.canada.ca/fr/commission-liberations-conditionnelles/services/clemence/prerogative-royale-de-clemence.html

Dans de nombreux pays, plus que jamais, les juristes réfléchissent à savoir comment on peut passer de la justice au pardon. Ils ont de plus en plus conscience que leur mission ne sera aboutie que si elle permet d’aller jusque-là. La justice des hommes elle-même n’envisage pas la peine sans envisager la réparation et la réinsertion. « Toute peine a une fin. Plus encore seule l’existence d’un terme lui donne sa finalité », écrit Denis Salas, juge et essayiste. Robert Badinter disait qu’utiliser contre les terroristes la peine de mort, c’est pour une démocratie faire sienne les valeurs de ces derniers. Juliette Gaté. Abus dans l’Église, « certains actes paraissent désormais éternellement impardonnables ». Journal La Croix. 4 août 2025.

Le pardon n’est pas une négociation

Le pardon n’est pas négociable, surtout avec Dieu. Sur le plan humain, des négociations sont néanmoins parfois nécessaires pour amorcer ou pour conclure le processus de la réconciliation suite à une faute. L’objectif est de réparer autant que possible les conséquences de la faute et d’éviter la récidive.

Le pardon déborde la compréhension

« Comprendre, c’est pardonner » nous dit Madame de Staël. La compréhension aide à pardonner, dans la mesure où elle cherche la part d’excusable dans la faute. Elle répond au « comment » et au « pourquoi » le coupable en est arrivé là.

Mais la compréhension, n’enlève-t-elle pas une part de gratuité au pardon ?

Par ailleurs certains actes sont hors compréhension, hors de toute logique humaine que ni les circonstances, ni la maladie n’expliquent.

Enfin, le pardon ne se laisse pas réduire à l’explication des actes commis.