Le pardon dans l’Ancien Testament
Une lente maturation
Les premiers récits bibliques n'évoquent pas le pardon. Adam et Eve sont expulsés du Jardin d'Eden (Gn 3). Caïn est condamné à errer (Gn 4,12). Dieu se repent d'avoir créé l'humanité et envoie le déluge (Gn 6,5). Et suite à Babel Dieu disperse tout le monde (Gn 11). Les origines de l'humanité sont donc marquées sous le sceau de la punition.
La violence prévaut. La loi du plus fort l'emporte et la sanction est parfois sans rapport avec la faute, comme en témoigne le récit de Dina.
Gn 34 1-27 Dina, la fille que Léa avait donnée à Jacob, sortit pour aller voir les filles du pays. Sichem, le fils de Hamor le Hivvite, prince du pays, la vit et, l’ayant enlevée, il coucha avec elle et lui fit violence... Les deux fils de Jacob, Siméon et Lévi, les frères de Dina, prirent chacun son épée et marchèrent sans opposition contre la ville : ils tuèrent tous les mâles. Ils passèrent au fil de l’épée Hamor et son fils Sichem, enlevèrent Dina de la maison de Sichem et partirent.
Il ne s'agit même plus de punition, mais de vengeance. Les frères de Dina tuent le violeur, son père et tous les hommes de la ville. Cette escalade de la violence laisse la porte ouverte aux pires exactions.
Une avancée voit le jour avec la loi du talion où la sanction est proportionnée à la faute, ce qui a pour but d’éviter l’escalade de la violence.
Lév 24, 18-20 : Tu ne te vengeras pas et tu ne garderas pas de rancune envers les enfants de ton peuple. Si un homme blesse un compatriote, comme il a fait on lui fera : fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent. Tel le dommage que l’on inflige à un homme, tel celui que l’on subit.
Dieu ne pardonne pas toujours
Am 7:8 L’Éternel m’a dit : « Que vois-tu, Amos ? » J’ai répondu : « Un niveau. » Et le Seigneur a dit : Je mettrai le niveau au milieu de mon peuple, d’Israël, je ne lui pardonnerai plus.
Am 8:2 Il a dit : « Que vois-tu, Amos ? » J’ai répondu : « Une corbeille de fruits. » Et l’Éternel m’a dit : La fin est venue pour mon peuple, Israël. Je ne lui pardonnerai plus.
Os 1:6 Elle fut de nouveau enceinte et mit au monde une fille. L’Éternel dit à Osée : Appelle-la Lo-Ruchama, car je ne continuerai plus à avoir compassion de la communauté d’Israël, je ne lui pardonnerai plus.
Ces 2 prophètes du Nord annoncent les « châtiments » à venir : la menace assyrienne. La destruction du royaume du Nord sera interprétée comme une punition divine suite au péché du peuple.
Jé 5:7 Pourquoi te pardonnerais-je ? Tes enfants m’ont abandonné, ils font des serments au nom de dieux qui n’en sont pas. J’ai pourvu à leurs besoins et eux, ils se livrent à l’adultère, ils se rassemblent dans la maison de la prostituée.
Une négociation
Gn 18,20-24 20 Le SEIGNEUR dit : « La plainte contre Sodome et Gomorrhe est si forte, leur péché est si lourd 21 que je dois descendre pour voir s’ils ont agi en tout comme la plainte en est venue jusqu’à moi. Oui ou non, je le saurai. »… Peut-être y a-t-il 50 justes dans la ville. Les supprimeras-tu aussi et ne pardonneras-tu pas à cette ville à cause des 50 justes qui sont au milieu d’elle ? … 26 L’Éternel dit : « Si je trouve à Sodome 50 justes, je pardonnerai à toute la ville à cause d’eux. »
Am 7,1 Voici ce que le Seigneur Dieu me montra dans une vision : il façonnait un nuage de sauterelles, au moment même où l’herbe commençait à repousser… 2 Quand les sauterelles eurent dévoré presque toute la végétation du pays, je dis : « Je t’en prie, Seigneur Dieu, pardonne ! Sinon comment Jacob ton peuple subsistera-t-il, lui qui est si petit ? » 3 Et le Seigneur changea d’avis : « Cela n’arrivera pas », dit-il.
Un avenir
Jé 33:8 Je les purifierai de toute leur mauvaise conduite, celle par laquelle ils ont péché contre moi, je leur pardonnerai toutes leurs fautes, celles par lesquelles ils ont péché contre moi et se sont révoltés contre moi.
Jé 36:3 Quand la communauté de Juda entendra tout le mal que je prévois de lui faire, peut-être chacun renoncera-t-il à sa mauvaise conduite. Alors je pardonnerai leur faute et leur péché.
Ez 16:63 Ainsi, quand je t’aurai pardonné tout ce que tu as fait, tu te souviendras du passé, tu en auras honte et tu n’ouvriras plus la bouche à cause de ton humiliation, déclare le Seigneur, l’Éternel.
Ez 16,60-63 Mais je me souviendrai de mon alliance avec toi au temps de ta jeunesse, et j’établirai avec toi une alliance éternelle. Tu te souviendras de ta conduite, et tu en auras honte… J’établirai mon alliance avec toi, et tu sauras que je suis l’Éternel, Afin que tu te souviennes du passé et que tu rougisses, afin que tu n’ouvres plus la bouche et que tu sois confuse, quand je te pardonnerai tout ce que tu as fait, dit le Seigneur, l’Éternel.
Mi 7,18 A quel Dieu te comparer, toi qui ôtes le péché, toi qui passes sur les révoltes ? Pour l’amour du reste, son patrimoine, loin de s’obstiner dans sa colère, lui, il se plaît à faire grâce. 19 De nouveau, il nous manifestera sa miséricorde, il piétinera nos péchés. Tu jetteras toutes leurs fautes au fond de la mer. 20 Tu accorderas à Jacob ta fidélité, et ton amitié à Abraham. C’est ce que tu as juré à nos pères, depuis les jours d’autrefois.
Mi 7,18 « Quel est le dieu comme toi, qui enlève la faute, qui pardonne le crime ? En faveur du reste de son héritage, il n’exaspère pas toujours sa colère, mais il prend plaisir à faire grâce.
Is 43, 25 Moi, cependant, moi je suis tel que j’efface, par égard pour moi, tes révoltes, que je ne garde pas tes fautes en mémoire.
Ps 86,5 Seigneur, tu es pardon et bonté, plein d’amour pour tous ceux qui t’appellent.
Ps 99:8 Éternel, notre Dieu, tu les as exaucés, tu as été pour eux un Dieu de pardon, mais tu les as punis de leurs fautes.
Ps 103:3 C’est lui qui pardonne toutes tes fautes, qui guérit toutes tes maladies.
Ps 130:4 Mais le pardon se trouve auprès de toi afin qu’on te craigne.
Les mots hébreux
SaLeHa
C’est majoritairement le verbe SaLeHa qui est traduit par ‘pardonner’ dans nos Bibles françaises. Ce mot est à rapprocher d’une racine Ugaritique signifiant ‘pardonner’, et d’une racine Akkadienne signifiant ‘asperger’, sans doute en relation avec un ancien rituel de pardon. On retrouve d’ailleurs cette idée d’aspersion dans les rites sacrificiels prescrits dans les livres de l’Exode et du Lévitique.
Néh 9,17 Mais toi, tu es un Dieu prêt à pardonner (SaLeHa), compatissant et miséricordieux, lent à la colère et riche en bonté, et tu ne les abandonnas pas. Nb 14,19 Pardonne (SaLeHa) l’iniquité de ce peuple, selon la grandeur de ta miséricorde, comme tu as pardonné à ce peuple depuis l’Égypte jusqu’ici.
NaS’a’
On trouve aussi le mot NaS'a’ qui signifie littéralement ‘lever’ ou ‘enlever’ c’est-à-dire “lever la condamnation" ou “ne plus tenir compte de la faute”, “faire comme si elle n’avait pas eu lieu”.
Ex 32:32 Pardonne (nasa) maintenant leur péché ! Sinon, efface-moi de ton livre que tu as écrit. Ps 85:3 Tu as pardonné (nasa) la faute de ton peuple, tu as couvert (kissita) tous ses péchés.
KaPaR
En hébreu, un troisième verbe est utilisé : le verbe KaPaR qui signifie littéralement ‘couvrir’. Il ne s’agit plus d’enlever, mais de couvrir, de recouvrir, de cacher la faute. KaPaR signifie littéralement couvrir et non effacer comme on le dit parfois trop rapidement, ce qui signifie que Dieu ne supprime pas la faute, mais qu’il s’en détourne, qu’il écarte sa colère. C’est ce même verbe KaPaR (= couvrir) qui a donné le mot KiPPouR.
Gn 6,14 Fais-toi une arche de bois de gopher ; tu disposeras cette arche en cellules, et tu l’enduiras (KaPar) de poix en dedans et en dehors. Ex 32:30 Le lendemain, Moïse dit au peuple : Vous avez commis un grand péché. Je vais maintenant monter vers l’Éternel : j’obtiendrai peut-être le pardon (KaPar) de votre péché. Ps 79,9 Secours-nous, Dieu de notre salut, pour la gloire de ton nom ! Délivre-nous, et pardonne (Kapar) nos péchés, à cause de ton nom ! Is 6,7 Il en toucha ma bouche, et dit : Ceci a touché tes lèvres ; ton iniquité est enlevée, et ton péché est expié (Kapar).
Ce mot hébreu est souvent traduit par ‘expiation’ dans nos Bibles. Or, dans le langage français courant, ‘expier’ signifie “souffrir pour racheter sa faute”.
Mais KiPPouR est un don de Dieu qui en couvrant la faute permet de reconstruire la relation, c’est le sacrifice qui permet à la vie de l’individu et de la communauté de continuer en retrouvant son harmonie. Ainsi, les termes français ‘absolution’ ou ‘pardon’ sont de meilleures traductions, car plus positives de cette notion de Kippour qui est tournée vers la vie. C’est ainsi qu’il est déclaré dans le livre du Lévitique (17,11) : Moi (Dieu), Moi, je vous ai donné le sang sur l’autel, pour l’absolution (kaper) de votre vie. En effet, le sang procure l’absolution (kaper) parce qu’il est la vie. Sans doute, dans notre culture moderne occidentale, l’utilisation du sang de victimes sacrificielles en vue de l’absolution, du pardon, ne nous parle plus beaucoup, mais il est en tout cas clair que le pardon s’inscrit dans une perspective de vie restaurée.
Lv 23,26 Le SEIGNEUR adressa la parole à Moïse : 27 « En outre, le dix de ce septième mois, qui est le Jour du Grand Pardon, vous tiendrez une réunion sacrée, vous jeûnerez, et vous présenterez un mets consumé au SEIGNEUR ; 28 vous ne ferez aucun travail en ce jour précis, car c’est un jour de Grand Pardon, où se fait sur vous le rite d’absolution devant le SEIGNEUR votre Dieu. Vous observerez ce repos sabbatique. »
Le jour des expiations ou grand pardon (Yom Kippour) est introduit assez tardivement dans la tradition juive, vraisemblablement après la réforme d’Esdras (350 av. J.-C.). Il s’agit d’un rite solennel de purification et de pardon des péchés. Il est célébré après 10 jours de repentir qui suivent le Rosh-Ha-Shana (Nouvel An). Pour obtenir le pardon, trois démarches sont essentielles : la prière, le jeûne et l’aumône. Pendant vingt-cinq heures, on observe un jeûne absolu, sans manger ni boire. Le jour de Yom Kippour, il y a cinq offices. À la synagogue, on a tête et corps recouverts de châles de prières blancs. On lit le livre de Jonas qui appelle à la conversion. On se frappe la poitrine pour dire que l’on regrette sincèrement les mauvaises choses que l’on a faites. À la fin de cette journée, le son du Chofar (corne de bélier) retentit, afin d’annoncer la fin du jeûne, le pardon de Dieu, le grand pardon. Le rituel des Kaparoth qui représente le transfert symbolique de la culpabilité d’une personne à un animal qui est sacrifié (bouc émissaire) est aujourd’hui remplacé par de l’argent à un pauvre. En signe de purification, il est coutume de s’immerger dans un miqve (bain rituel). https://fr.chabad.org/library/article_cdo/aid/1969332/jewish/Yom-Kippour-tape-par-tape.htm
Teshouva
Dans le Judaïsme, la repentance, connue sous le nom de Teshouva (mot hébreu, littéralement "retourner" ou "retourner à Dieu"), est la façon d’obtenir le pardon d’un péché.
Is 55:7 Que le méchant abandonne sa voie, et l’homme injuste ses pensées ! Qu’il retourne à l’Éternel : il aura compassion de lui. Qu’il retourne à notre Dieu, car il pardonne abondamment.
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Selon la Loi Juive, si quelqu’un commet un péché, il peut être pardonné pour ce péché s’il fait une 'Teshouva' qui comprend :
- cesser de commettre l’action interdite,
- regretter ce qu’il (ou elle) a fait,
- confesser ce péché devant Dieu,
- prendre la ferme résolution de ne jamais refaire ces choses.
Si 22,1 Mon fils, as-tu péché ? Ne recommence plus et demande pardon pour tes fautes passées.
Si 27,30 Rancune et colère sont aussi des choses détestables, où l’homme pécheur est passé maître. 28,1 Celui qui se venge éprouvera la vengeance du Seigneur qui de ses péchés tiendra un compte rigoureux. 2 Pardonne à ton prochain l’injustice commise ; alors, quand tu prieras, tes péchés seront remis. 3 Si un homme nourrit de la colère contre un autre homme, comment peut-il demander au Seigneur la guérison ? 4 Il n’a nulle pitié pour un homme, son semblable ; comment peut-il prier pour ses propres péchés ? 5 Si lui qui n’est que chair entretient sa rancune, qui lui obtiendra le pardon de ses propres péchés ? 6 Songe à la fin qui t’attend, et cesse de haïr, à la corruption et à la mort, et observe les commandements. 7 Souviens-toi des commandements, et ne garde pas rancune à ton prochain, de l’alliance du Très-Haut, et passe par-dessus l’offense.
L'exemple de Joseph
Nous en faisons tous l’expérience, le pardon est difficile à accorder, surtout pour les fautes qui laissent des traces indélébiles. Parfois le pardon n’intervient qu’au terme d’un processus long et douloureux, au cours duquel il faut faire le deuil d'un paradis perdu. L’histoire de Joseph illustre ce chemin du pardon sur treize chapitres du livre de la Genèse (Gn 37-50).
D'après le récit biblique, Joseph est le fils préféré de son père. Il est vendu en esclavage par ses frères jaloux, mais devient l'homme le plus puissant d'Égypte aux côtés de Pharaon. Lorsque la famine frappe la terre, il fait venir se frères en Égypte, où ils s'installent dans le pays de Goshen.
Au centre du cycle de Joseph se trouve la question du vivre ensemble. Elle est formulée de manière paradigmatique par la mission confiée à Joseph par son père Jacob : Va voir comment se portent tes frères, littéralement « va t’enquérir de leur shalom » (Gn 37,12 Va, je t'envoie avec eux. » – « Me voici », répondit-il. – 14« Va voir, lui dit-il, comment se portent tes frères, comment va le troupeau, et rapporte-moi des nouvelles). Alors que ses frères jalousent leur cadet, alors que la haine empoisonne les relations de la fratrie, Jacob confie à son plus jeune fils cette mission impossible de restaurer le « shalom », de pacifier les relations familiales.
Cette mission va se transformer pour Joseph en une longue odyssée qui le mènera en Égypte, et qui trouvera son aboutissement dans une paix familiale retrouvée, grâce au pardon que Joseph accorder à ses frères. Ces derniers le savent bien, car après la mort de leur père, craignant une vengeance de leur frère, ils lui disent : Ton père a donné cet ordre avant sa mort : Vous parlerez ainsi à Joseph : « De grâce, pardonne le forfait et la faute de tes frères ». Ce pardon, Joseph va finalement l’accorder à ses frères. Mais il ne le fera qu’au terme d’un long processus.
Tout d’abord, le pardon s’enracine dans la souffrance. Joseph est en butte à des épreuves douloureuses : le mépris et la haine de la part de ses frères, l’incompréhension de son père lorsqu’il parle de ses songes, le rejet de ses frères qui le vendent comme esclave, l’injustice subie lorsque la femme de Potiphar porte de fausses accusations contre lui, la trahison du grand échanson qui l’oublie en prison…
Toutefois, malgré ces souffrances, et c’est la seconde étape du pardon, Joseph garde confiance en Dieu. Il sait que les circonstances, fussent-elles douloureuses, n’échappent pas au regard et au plan de Dieu : ne soyez pas tourmentés de m’avoir vendu ici, car c’est Dieu qui m’y a envoyé avant vous pour vous conserver la vie… Ce n’est donc pas vous qui m’avez envoyé ici, mais Dieu. Pour Joseph, Dieu contrôle les affaires du monde, rien ne se passe sans son accord : de la pire des situations Dieu peut tirer un bien : Vous avez voulu me faire du mal, Dieu a voulu en faire du bien.
Malgré cette confiance en la bienveillance de Dieu, et c’est là la troisième étape, il y a toujours un prix à payer. Le pardon coûte. Pour Joseph, cela se traduit concrètement par le fait de renoncer à se venger, alors qu’il était en position de force par rapport à ses frères.
Si le pardon coûte, la réconciliation qu’il permet porte des fruits. Le fruit de la paix, le fruit d’une vie libérée du ressentiment et du désir de vengeance. Une vie apaisée. Pour Joseph, le pardon lui a permis de revoir son père et tous ses frères. Mais le chemin du pardon offre un autre fruit à Joseph. En lisant ce récit, on est surpris de constater qu’on ne parle que très peu de Dieu. Toutefois, alors que Joseph est en prison, une petite note dans le texte dit : Joseph était en prison… mais le Seigneur était avec lui. C’est ce Dieu présent dans la vie de Joseph, qui lui a donné la force d’avancer et finalement de pardonner.
Le pardon, tâche humaine et don de Dieu, se situe ainsi à la charnière de l’humain et du spirituel. Serge Wüthrich. Voir le lien dans la bibliothèque.