La bible nous propose une étonnante histoire d’amour entre un amant et sa bien-aimée, entre Dieu et son peuple Israël, qu’il se choisit parmi tous les peuples de la terre, entre Dieu et l’humanité entière à travers l’incarnation de la parole de Dieu en la personne de Jésus. Elle raconte une alliance parsemée d’adultères et de pardons, d’indifférence et de passion, de détachement et d’intimité. Dieu est amoureux de nous, comme un fiancé est amoureux de sa belle, jaloux, fidèle et tendre, punisseur et miséricordieux, exigeant et juste.
L’histoire d’un couple commence par la rencontre de l’autre au hasard de la vie. Celle de Dieu et de l’humanité est plus complexe, car les deux partenaires n’en finissent pas de se chercher et de se trouver. À vrai dire, l’histoire biblique est bien plus celle d’un Dieu à notre recherche que le contraire.
Cette aventure amoureuse et aussi religieuse commence avec les patriarches vers 1900 av. J.-C., selon la chronologie biblique. C’est avec Abraham que Dieu pose les fondements d’une conjugalité et d’une religion appelées à se répandre au cœur d’une nation environ sept siècles plus tard. Abraham est le père de tous les croyants, chrétiens, juifs et musulmans. Il est le premier patriarche à qui Dieu s’adresse dans le dessein bien mystérieux de conclure une alliance. Pour la première fois, un dieu parmi la multitude de divinités du panthéon s’invite à participer à l’aventure humaine. Il ose demander à l’homme de prendre son bâton de pèlerin et de quitter son pays, à l’âge de soixante-quinze ans, pour une aventure prometteuse :
L’Éternel dit à Abram : Va-t’en de ton pays, de ta patrie, et de la maison de ton père, dans le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation, et je te bénirai ; je rendrai ton nom grand, et tu seras une source de bénédiction. (Gn 12,1).
Ainsi Abraham se met en marche et découvre un nouveau dieu dont il ne connaît même pas le nom. À l’itinéraire géographique répond une conversion intérieure comme le souligne Alain Marchadour :
L’invitation au voyage a été interprétée, non seulement comme un mouvement géographique, mais comme un déplacement intérieur, à la recherche de sa propre vérité, en même temps qu’en quête du mystère de Dieu qui appelle .
Qu’un dieu veuille conclure une alliance avec un homme est une image plutôt révolutionnaire à une époque où les dieux se contentent de régenter du haut de leur ciel. Dieu prend l’initiative de venir à la rencontre de l’humanité sous la forme d’un contrat conjugal, en somme un « je t’aime, tu m’aimes », à l’instar de tous les couples de ce monde.
Lors de la signature du contrat avec Abraham, Dieu répond aux besoins fondamentaux du patriarche : une terre et des descendants aussi nombreux que les étoiles du ciel (Gn 17,1-11 ; 22,17). Abraham ne pouvait rêver d’un meilleur parti. La toute-puissance divine répond aux attentes existentielles du patriarche. En échange, Dieu ne demande finalement pas grand-chose : être le Dieu d’Abraham et celui de sa postérité ; en somme, être unique, comme l’exigent tous les amoureux du monde, ce que résumera le prophète Ézéchiel bien des siècles plus tard :
Vous serez mon peuple, et je serai votre Dieu. (Jr 30,22).
En d’autres passages, Dieu va jusqu’à se présenter comme un Dieu jaloux face à la moindre concurrence : Tu ne te prosterneras point devant un autre dieu ; car l’Éternel porte le nom de jaloux, il est un Dieu jaloux. (Ex 34,14).
Voilà une image déroutante de Dieu amant ne supportant aucune infidélité. Le Dieu d’Israël est finalement un amoureux comme les autres, ni meilleur ni pire. Sa toute-puissance laisse entrevoir des faiblesses bien humaines.
Le choix inaugural d’Abraham et l’élection du peuple d’Israël demeurent mystérieux. Cette décision relève de la libre souveraineté de Dieu. Sans doute a-t-il de bonnes raisons comme tous les amoureux du monde. Les couples apportent de multiples réponses au « pourquoi lui, pourquoi moi », mais n’épuisent pas le sujet parce que toute élection comporte une part de mystère. Peut-être que le choix aurait pu se porter sur un autre, mais vient le temps de l’élection. Celui-ci consiste à poser un acte responsable et à s’engager dans la durée, sans garantie du résultat.
Dieu choisit Israël parce qu’il aime ce peuple (Dt 7,6-8).
Dt 7,6 Car tu es un peuple consacré au SEIGNEUR ton Dieu ; c’est toi que le SEIGNEUR ton Dieu a choisi pour devenir le peuple qui est sa part personnelle parmi tous les peuples qui sont sur la surface de la terre. 7 Si le SEIGNEUR s’est attaché à vous et s’il vous a choisis, ce n’est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples, car vous êtes le moindre de tous les peuples.
N’importe quel amoureux donnerait la même réponse et la quête d’arguments rationnels à une élection ne résout pas l’énigme. Comme le souligne Blaise Pascal :
Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point .
Dieu ne choisit pas le peuple le plus nombreux, ni d’ailleurs le plus fort. Babylone ou l’Égypte forment des puissances bien plus glorieuses à cette époque, mais l’histoire biblique montre que Dieu se révèle dans la faiblesse bien plus que dans la force. Il préfère l’humble à l’orgueilleux, le pauvre au riche, le faible au fort. Par ailleurs, le peuple d’Israël n’est pas plus saint qu’un autre, malgré les appellations de « peuple saint » ou de « nation sainte » (Is 62,12, Ex 19,6).
L’histoire biblique est parsemée de guerres, de meurtres, d’adultères, d’incestes et de prostitutions, parce que les artisans de cette histoire conservent leur pleine humanité. Dieu cherche à gagner le cœur de l’homme avec les armes de la patience, de la simplicité et de l’humilité. Nulle puissance ne ressort de cette démarche. Comme nous le verrons, Jésus signe l’apogée de cette rencontre.
Sur le peuple élu, voir le commentaire de Roland Bugnon
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